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Publié le 6 Septembre 2017

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 03 septembre 2017
Jahrhunderthalle Bochum - Ruhrtriennale

Arkel Franz-Josef Selig
Pelléas Phillip Addis
Golaud Leigh Melrose
Un médecin Caio Monteiro
Mélisande Barbara Hannigan
Geneviève Sara Mingardo
Yniold Soliste du Knabenchores der Chorakademie Dortmund

Directeur musical Sylvain Cambreling
Metteur en scène Krzysztof Warlikowski (2017)
Décor et costumes Małgorzata Szczęśniak
Orchestre du Bochumer Symphoniker
 
                                                                                           Barbara Hannigan (Mélisande)

Après Wozzeck et Die Gezeichneten joués, cette année, respectivement à Amsterdam et à Munich, Krzysztof Warlikowski met à nouveau en scène un opéra construit sur une intrigue où la rivalité entre deux hommes pour l’amour d’une même femme s’achève par la vengeance mortelle de l’amant éconduit et par la mort de celle-ci.

Barbara Hannigan (Mélisande)

Barbara Hannigan (Mélisande)

Dans le site réhabilité de la Jahrhunderthalle de Bochum, impressionnant de par ses enchevêtrements de structures métalliques complexes, l'intimisme de l’œuvre oblige à sonoriser les voix, mais cela est réalisé avec un très bon équilibre acoustique. Seule la partie grave du spectre des voix semble amplifiée par trois haut-parleurs situés en hauteur, alors que la tessiture médium/aiguë des artistes atteint, elle, directement les auditeurs.

Warlikowski ressère une trame dramatique qui oscille entre l'univers aristocratique d'une riche famille industrielle, semblable à celle des Damnés, et l'univers de la rue d'où provient Mélisande, selon son interprétation.

Barbara Hannigan (Mélisande)

Barbara Hannigan (Mélisande)

Sur la droite de la scène, un large pan mural en bois parcellé de plusieurs portes, au sol, un élégant parquet massif, à gauche, contre un pilier, un bar à néons et une terrasse qui accueillent des marginaux, et, tout à gauche, un lavoir constitué d’un ensemble de lavabos, forment les éléments de décor de cette histoire.

Enfin, en arrière-plan, un magnifique escalier orne l’écrin qui enchâsse l’orchestre du Bochumer Symphoniker.

Sylvain Cambreling et l'orchestre du Bochumer Symphoniker

Sylvain Cambreling et l'orchestre du Bochumer Symphoniker

Sylvain Cambreling, l’allure introvertie, dirige d’une main de velours un orchestre frissonnant et ondoyant, le long d’une lente langue ténébreuse aux marbrures menaçantes mais adoucies et envoutantes.

Les réminiscences wagnériennes sont perceptibles, mais elles le sont à des passages inattendus, et les déliés de bois évoquent plus les ombres de l’Anneau du Nibelung que celles de Parsifal.
C’est en tout cas une très grande émotion de le voir faire revivre les grands moments de l’ère Mortier à Paris.

Franz-Josef Selig (Arkel)

Franz-Josef Selig (Arkel)

Et les artistes sont tous, absolument tous, saisissants de présence, porteurs d’une part sombre, y compris Yniold, et Warlikowski ne raconte pas ce drame en cherchant à renforcer la poésie évanescente du livret, mais plutôt en amplifiant le suspense à la façon d’un thriller qui se nourrit d'une névrose grandissante.

Franz-Josef Selig, impérial et pathétique Arkel, incarne magnifiquement le rôle du chef de famille, l’autorité d’un parrain, une douce sensualité humaine qui, cependant, doit montrer un caractère cassant accentué, dans ce rôle-ci, par le metteur en scène.

Phillip Addis (Pelléas) et Leigh Melrose (Golaud)

Phillip Addis (Pelléas) et Leigh Melrose (Golaud)

Le Golaud de Leigh Melrose, qui débute par un monologue qui plante d’emblée la noirceur du personnage, porte une agressivité assumée qui écarte tout possibilité d’empathie.

Et Phillip Addis, Pelléas si romantique et touchant dans son interprétation du rôle à l’Opéra-Comique de Paris en 2010, est, cette fois, plus écorché et impressionnant dans ses expressions d’effroi – on repense à sa sortie du souterrain particulièrement poignante.

Phillip Addis (Pelléas)

Phillip Addis (Pelléas)

Sa trame vocale aiguë est moins nette, mais les aspérités vocales que l’on retrouve également chez Golaud jouent un rôle dans la façon de faire ressentir le drame beaucoup plus pour ses enjeux possessifs et sexuels, que pour ses démêlés sentimentaux et inconscients.

Barbara Hannigan (Mélisande)

Barbara Hannigan (Mélisande)

Barbara Hannigan, ineffable et ductile actrice, est donc l’artiste idéale pour incarner les torpeurs et le mystère de cette Mélisande qui apparaît, lors de la scène de la tour du château, comme dans un rêve, en actrice de cinéma glamour – une figure que Warlikowski aime représenter dans ses spectacles.

Barbara Hannigan (Mélisande)

Barbara Hannigan (Mélisande)

Les nombreux plans rapprochés de la caméra sur son visage révèlent la richesse de ses expressions humaines, projetées à la fois sur un téléviseur situé en marge du plateau et sur un large écran d’arrière scène, et sont d’une beauté à faire pleurer les pierres, pour reprendre les mots de Maurice Maeterlinck.

Sara Mingardo, Geneviève d’une belle stature aristocratique, Caio Monteiro, médecin bel homme, et le jeune soliste qui joue Yniold - symbole d'une enfance égarée dans un monde d’adulte qui le pervertit -, comblent ce tableau de famille replié sur lui-même.

Soliste du Knabenchores der Chorakademie Dortmund (Yniold)

Soliste du Knabenchores der Chorakademie Dortmund (Yniold)

Warlikowski utilise également une référence cinématographique, ‘The birds’ d’Alfred Hitchcock, dont il extrait la scène de l’attaque des oiseaux sur une école pour faire planer un climat d’angoisse, mais cela s’avère moins poignant et plutôt distrayant, car le rapport dramaturgique est moins immédiat.

Barbara Hannigan et Sylvain Cambreling

Barbara Hannigan et Sylvain Cambreling

Un spectacle total, un travail artistique abouti et captivant, un climat feutré qui fait ressortir petit à petit les tensions intérieures de chacun, on pourrait le croire inspiré de la mise en scène de Pierre Strosser (1985).

Mais doté d’un jeu théâtral pleinement vivant, voici un Pelléas et Mélisande qui compte dans l’histoire des représentations scéniques du chef-d’œuvre de Claude Debussy.

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Publié le 15 Juillet 2016

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Georg Friedrich Haendel)

Représentation du 14 juillet 2016
Théâtre de l'Archevêché
Festival d'Aix en Provence

Bellezza Sabine Devieilhe
Piacere Franco Fagioli
Disinganno Sara Mingardo
Tempo Michael Spyres

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Emmanuelle Haïm
Le Concert d'Astrée
Coproduction Opéra de Lille et Opéra de Caen

Krzysztof Warlikowski fait partie de ces metteurs en scène qui s'emparent des oeuvres lyriques pour les faire entrer en résonance avec un monde personnel qui semble avoir gardé une trace émotionnelle profonde de ce qu'une certaine jeunesse vécut dans les années 70.

Franco Fagioli (Piacere) - Pablo Pillaud-Vivien (en arrière plan)

Franco Fagioli (Piacere) - Pablo Pillaud-Vivien (en arrière plan)

Le premier oratorio de Haendel, 'Il Trionfo del Tempo e del Disinganno', composé à l'âge de 22 ans, porte en lui une contradiction flagrante, puisqu'il oppose les plaisirs de la vie à une morale rigoriste - morale qui joue de façon malsaine sur la conscience de la mort et de la peur qu'elle peut engendrer afin de casser les élans vitaux de La Beauté -, alors que sa musique même célèbre un hédonisme sonore, certes mélancolique, mais d'une très grande force impressive.

Sabine Devieilhe (Bellezza) et Michael Spyres (Tempo)

Sabine Devieilhe (Bellezza) et Michael Spyres (Tempo)

De part sa sensibilité, le directeur polonais choisit de transposer le livret dans la vie des adolescents de la génération 1968 qui rêvaient de réinventer un monde éternel basé sur la musique, le cinéma, la drogue et le sexe afin de contrer le système et son autoritarisme.

Sous son regard, Bellezza devient donc le symbole de cette jeunesse maudite qui va échouer dans sa recherche d'éternité sur les récifs de la réalité.

Franco Fagioli (Piacere) - Sabine Devieilhe (Bellezza) - Pablo Pillaud-Vivien

Franco Fagioli (Piacere) - Sabine Devieilhe (Bellezza) - Pablo Pillaud-Vivien

La scène se déroule entièrement dans une salle de cinéma tournée vers le public, au centre de laquelle une étroite cage en plexiglas semi-réfléchissant sert de boîte de nuit confinée.

Un jeune et très beau garçon, Pablo Pillaud-Vivien, - il est le rédacteur en chef de la section 'Veille artistique et citoyenne' du journal Médiapart, ce qui témoigne de son engagement politique - incarne ce rêve de sensualité vitale que chante Il Piacere.

Sabine Devieilhe (Bellezza)

Sabine Devieilhe (Bellezza)

Il danse, charme, expose la perfection de son corps pour le plaisir de toutes et tous, et est entouré de figurantes qui représentent cette Bellezza qui ne saura pas survivre à la confrontation avec le monde réel, c'est-à-dire la conséquence d'un enfermement que le Temps et la Désillusion lui prédisent si elle persévère dans sa fuite vers le plaisir.

Elles apparaissent ainsi comme des zombies collés à leur siège de cinéma, et Warlikowski, à la fin de la première partie, introduit une judicieuse référence cinématographique à travers un extrait de 'Ghost dance' de Ken McMullen.

Il trionfo del tempo e del disinganno (Devieilhe-Fagioli-Mingardo-Spyres-Haïm-Warlikowski) Aix

Cet extrait confronte le philosophe Jacques Derrida - Juif sépharade algérien déchu de sa citoyenneté française par le gouvernement de Vichy -, duquel le metteur en scène polonais se sent inévitablement proche, à l'actrice française Pascale Ogier qui succombera d'une overdose à l'âge de 25 ans.

Sur le thème des fantômes avec lesquels nous vivons et que nous croyons voir chez les autres, la conversation prend une tournure absurde sur notre perception de la réalité et de la vérité, et donne surtout une clé pour comprendre les symboles de la mise en scène. 

Elle permet également de prendre de la hauteur et un peu de légèreté par rapport à la lourdeur des enjeux de la pièce.

Sara Mingardo (Disinganno)

Sara Mingardo (Disinganno)

Sabine Devieilhe, que nous connaissons depuis quelques années sur les scènes françaises, y compris celle de l'Opéra Bastille, prend une nouvelle dimension en abordant un rôle dramatique qui révèle ses facultés d'adaptation à un jeu théâtral viscéral, intériorisé et non conventionnel, tel que Barbara Hannigan ou bien Isabelle Huppert - au théâtre - aiment trouver chez Warlikowski pour les limites qu'il les oblige à dépasser.

Sabine Devieilhe (Bellezza)

Sabine Devieilhe (Bellezza)

Non seulement elle pousse la vérité du jeu jusqu'à une bouleversante scène finale qu'elle chante tout en agonisant - Bellezza choisit le suicide par refus du temps et de la vérité -, mais elle révèle sur le strict plan vocal une variété de sentiments et d'émotions qui se traduisent par une variété de techniques qui, parfois, font entendre une jeune fille fragile, ou bien, à d'autres moments, ajoutent de la maturité et renforcent des couleurs dont elle fait émerger des intonations déclamées sensiblement humaines, et qui lui permettent même de faire jaillir des coloratures naturelles qui ornent d'une étourdissante fraîcheur ses airs les plus virtuoses.

Franco Fagioli (Piacere)

Franco Fagioli (Piacere)

Franco Fagioli, en Piacere, paraît tout aussi emporté par un art de la vocalise endiablé, exclamations rauques, tendresse suave, excellent acteur, lui aussi, jouant un amoureux éperdu avec une présence trouble - ses visages sont multiples dans cette mise en scène - en très grand lien avec celle de Sabine Devieilhe.

Sara Mingardo et Michael Spyres sont par ailleurs éblouissants, eux aussi.

Timbre somptueusement noir, chant et diction soignés avec une gravité qui appuie l'emprise du personnage de la Vérité sur Bellezza, la contralto italienne s'attache, par des jeux de regards, à préserver une humanité derrière le rôle bien réglé qu'elle semble jouer.

Sara Mingardo, Emmanuelle Haïm, Sabine Devieilhe

Sara Mingardo, Emmanuelle Haïm, Sabine Devieilhe

Quant au ténor américain, il est d'une infaillibilité impressionnante, même dans les suraigus qu'il atteint avec une aisance de souffle et de couleurs et quelque chose d'attachant dans le timbre qui, finalement, le font rejoindre ses trois autres partenaires dans ce portrait qui les lie à notre coeur par une cohésion vocale et humaine fascinante à vivre.

Le Concert d'Astrée, sous la direction passionnée d'Emmanuelle Haïm, entraîne cette partition chaleureuse sur des lignes d'une beauté de nuances magnifiquement précautionneuse du rythme des chanteurs.

Krzysztof Warlikowski

Krzysztof Warlikowski

Belle fusion des timbres des instruments, et délicatesse ondoyante irrésistible.

Et le grand joueur de contrebasse, qui dépasse d'une tête le reste des musiciens, donne l'impression d'être le barreur d'une embarcation vouée à un amour sensible pour une musique dont l'harmonie ne reflète pourtant pas la sévérité du propos.

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