Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Parsifal (Vogt-Kampe-Selig-Roth-Guth-Bychkov) Madrid
Publié le 26 Avril 2016
Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 24 avril 2016
Teatro Real de Madrid
Amfortas Detlef Roth
Titurel Ante Jerkunica
Gurnemanz Franz-Josef Selig
Parsifal Klaus Florian Vogt
Klingsor Evgeny Nikitin
Kundry Anja Kampe
Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Claus Guth (2011)
Klaus Florian Vogt (Parsifal)
Coproduction Opera de Zurich et Gran Teatre del Liceu de Barcelona
Ce mois-ci, le metteur en scène allemand Claus Guth fait sa première apparition sur deux scènes européennes majeures, l'Opéra National de Paris, avec une nouvelle production de ‘Rigoletto’, et le Teatro Real de Madrid, avec la reprise de sa production de ‘Parsifal’ créée à Zurich en 2011.
Klaus Florian Vogt (Parsifal)
Remarqué au Festival de Salzbourg lorsque Gerard Mortier lui confia la réalisation scénique de la création mondiale de 'Cronaca del Luogo' (Luciano Berio) en 1999, Claus Guth est devenu un acteur majeur de la théâtralisation de l'Art Lyrique.
Ainsi, cette saison, il est à l'origine de dix productions d'opéras différentes, programmées dans toute l'Europe.
Et sa vision de ‘Parsifal’, largement commentée par les critiques musicales internationales lors de sa première représentation, est l'occasion de découvrir un travail qui s'attache à recréer un univers complexe et refermé sur lui-même, où les rituels servent à donner un sens en l'absence de Dieu.
Franz-Josef Selig (Gurnemanz)
Fascinante première image d'un repas de famille où l'on voit Titurel marquer sa préférence pour Amfortas au point de vexer Klingsor, qui va y trouver un motif sérieux de hargne et de vengeance, le flou théâtral de cette image évoque naturellement l'esthétique 'hors du temps' employée par Roméo Castellucci dans nombre de ses oeuvres.
Toute la dramaturgie de Claus Guth se déroule dans une sorte de manoir-sanatorium ravagé par le temps où l'on soigne des blessés de guerre. Sa lourde structure pivotante établie sur deux niveaux permet de passer d'une pièce à l'autre, des jardins d'une cour à une grande salle d'accueil, puis à des pièces resserrées et isolées du reste du monde.
Detlef Roth (Amfortas)
Très travaillés, les effets lumineux créent des ambiances maladives, nocturnes et inquiétantes - la montée à bout de souffle de Titurel vers la chambre d'Amfortas a ses propres parts d'ombre comme dans le château du Comte Dracula -, mais installent également au second acte des ambiances vives et colorées, comme la polychromie de la musique les suggère.
La vidéo, fortement présente, est régulièrement employée pour signifier l'errance, mais prend une tournure plus contextuelle lorsqu'elle projette, sur le décor de vieilles pierres angoissant, des images de conflits armés et des exodes qu'ils engendrent.
Anja Kampe (Kundry)
Claus Guth nous raconte les tentatives désespérées de Titurel pour soigner son fils - Amfortas n'est donc plus un esclave d'une communauté puisqu’il est aimé d’un père-, et souligne le manque d’amour de Klingsor ainsi que l’aspiration de Kundry à la liberté.
Puis, il montre Parsifal observant sans trop comprendre les scènes qui se déroulent sous ses yeux, mais il n’en fait pas un assassin de Klingsor pour autant, puisqu’il réussit à lui soutirer sa lance par la simple puissance de son aura et de son courage.
Quant à la scène du baiser de Kundry, il en fait une expérience de premier baiser de jeunesse qui semble moins déterminante pour le parcours du jeune homme que pour Kundry, scène d’exorcisme qui la pousse à quitter un groupe qui la considère comme un objet.
Klaus Florian Vogt (Parsifal)
Il n’y a pas remise en question non plus de la progression psychologique du héros, puisque de retour d’un périple harassant, et ayant prouvé son endurance, la mort spectaculairement cérémoniale de Titurel précipite l’élection de Parsifal en chef légitime d’une famille épuisée par ses conflits fratricides, un chef qui a pris les traits et les postures d’un officier nazi.
Cette image nous ramène soudainement à la nouvelle de Thomas Mann, 'La Montagne Magique', qui raconte le parcours initiatique du jeune Hans Castorp pris dans la vie étrange d’un sanatorium, en Suisse, et qui finit par redescendre de la montagne pour se jeter dans la Grande Guerre.
Detlef Roth (Amfortas)
Et l'évocation des années folles, dans la scène des filles fleurs imaginée par Claus Guth, nous situe dans l’entre deux-guerres, quand ‘Parsifal’ rejoignait les aspirations des peuples à l’élection d'un nouveau leader.
Ainsi, c'est à partir de 1914, une fois l'exclusivité de Bayreuth levée, que 'Parsifal' fut joué dans toute l'Europe, dès les premiers jours de cette année prélude à la guerre, à Paris comme à Madrid.
Ante Jerkunica (Titurel)
L’oeuvre testamentaire de Richard Wagner est en réalité problématique, car son message de paix se heurte à l’utilisation qu’en a fait la propagande national-socialiste pour promouvoir la destinée du peuple allemand.
Claus Guth rappelle de fait, à travers une mise en scène théâtralement forte, l’influence dangereuse de ‘Parsifal’, mais l’enferme aussi dans un passé qui ne permet plus de ramener l’œuvre aux valeurs de notre monde.
Seule l’ultime image de réconciliation entre Klingsor et Amfortas, aussi poignante qu’elle soit dans le contexte d’une relation familiale, reste intemporelle.
Ante Jerkunica (Titurel) et Detlef Roth (Amfortas)
Pour incarner les six grands personnages de l’ouvrage, hors Dieu, le Teatro Real de Madrid a réuni une distribution wagnérienne éprouvée, puisque tous, hormis Ante Jerkunica, sont passés à plusieurs reprises par le Festival de Bayreuth.
Justement, la basse croate est le véritable mystère de la soirée. Car il y a quelque chose d’incompréhensible à entendre ce formidable chanteur, ténébreux mais également franc de timbre, animé par une inspiration humaine entière et un brillant dans le regard qui humanisent ses volumineuses intonations, et regretter qu’il ne soit pas plus présent sur les grandes scènes internationales.
C’est d’autant plus flagrant que Claus Guth lui donne un rôle au départ très affaibli, mais qui révèle une véritable force de la nature buvant le sang de la vie, et méritant un splendide cercueil laqué, lors de son passage vers l’autre monde.
Evgeny Nikitin (Klingsor)
Evgeny Nikitin, qui fut Klingsor dans la mise en scène deKrzysztof Warlikowski à l’Opéra Bastille en 2008, a toujours la même présence charismatique et menaçante, des intonations fières et séduisantes, et une agressivité terrible à encaisser.
Pourtant, on ressent une légère absence, comme si sa puissance dominatrice avait cédé à une forme de lassitude pour les rôles trop noirs, ou trop caricaturaux.
Mais il est vrai qu’il n’est plus, dans ce spectacle, le maître d’un château, sinon un frère exclu et reclus, séparé la plupart du temps de Kundry, avec laquelle les interactions directes sont rares.
Ante Jerkunica (Titurel) et Detlef Roth (Amfortas)
Detlef Roth, en Amfortas, est, comme à Bayreuth, dans la production de‘Parsifal’ par Stefan Herheim, un formidable chanteur torturé et vocalement très clair qui ne ménage aucun effet vériste pour rendre palpable son propre désarroi.
Les expressions de son visage traduisent, comme si elles en étaient le prolongement, la profondeur de cette douleur, complétant ainsi une emprise vocale touchante.
Et l’on ne sait plus que dire, à chacune de ses incarnations, de l’infaillible autorité, parcellée d’intonations caressantes, du Gurnemanz de Franz-Josef Selig. Sérénité des lignes de chant, singularité du caractère vocal, complétude avec sa stature physique bienveillante, il est avec Kwangchul Youn, l’un des deux incontournables baryton-basses wagnériens d’aujourd’hui.
Anja Kampe (Kundry)
En Kundry, Anja Kampe surmonte toutes les extrémités d’un rôle qui met surtout en évidence sa capacité à sur-jouer avec plaisir les tensions internes de cette femme si complexe et contradictoire.
Le timbre est sensuel, envoûtant dans le second acte qui lui permet d’en déployer sa chaleur, mais l’on sent chez cette artiste que son don d’elle-même s’extériorise plus qu’il ne sert à détailler une intégrité psychologique. Sa Kundry n’en devient que plus schizophrène.
Klaus Florian Vogt (Parsifal) et les filles fleurs
Fabuleux Lohengrin depuis une décennie, Klaus Florian Vogt a le physique adéquat pour cette production qui idéalise l’image du sauveur allemand, et conserve précieusement la juvénilité d’un timbre enjôleur qui s’est aussi un peu assombri.
Mais Parsifal n’a pas le romantisme de son fils. Il est surtout beaucoup plus charnel et impulsif, impulsivité qui ne permet pas d'arborer l'ampleur vocale inhérente à ce chanteur allemand exceptionnel.
C’est uniquement dans les passages de recueillement qu’il retrouve un charme surnaturel incomparable.
Ainsi, il ne fait pas oublier le bouleversant couple qu’il forme avec Anja Kampe ces dernières années, dans les rôles de Siegmund et Sieglinde ('La Walkyrie') à l’Opéra d'Etat de Bavière.
Anja Kampe (Kundry) et Evgeny Nikitin (Klingsor)
Les chœurs du Teatro Real de Madrid sont, eux, charnels et nuancés, plus homogènes chez les hommes, mais les femmes, chez qui l'on distingue plus de disparités vocales, donnent aussi une impression de vie très spontanée.
Tous dirigés par un Semyon Bychkov serein, plus bouddhiste que passionné, l’ambiance musicale varie fortement entre passages chambristes faiblement marqués d’intentions, et de superbes déroulés houleux et gonflés par les cuivres, qui soulèvent une texture orchestrale aux couleurs mates.
Avec plus de cent musiciens dans la fosse, dont une dizaine en renfort, un parterre escamoté pour tous les accueillir, les détails instrumentaux émergent peu, mais les imperfections de certains cuivres s’entendent.
Mais même si par moment le liant semble en défaut, d’autres passages emportent l’entière scène dans un flot orchestral dense et noir.
Cependant, aucune de ces irrégularités ne réapparait au dernier acte, mené en un seul trait par de superbes lignes fluides et des effets de submersions subjuguant.