Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Webern-Berg-Zemlinsky Concert du 03 décembre 2010 Salle Pleyel
Anton Webern Six pièces pour orchestre opus 6 (révision 1928)
Alban Berg Suite lyrique (1927)
Alexander von Zemlinsky Symphonie lyrique opus 18 (1924)
Angela Denoke Soprano Peter Mattei Baryton
Peter Hirsch Direction Svetlin Roussev Violon solo
Orchestre Philharmonique de Radio France
Angela Denoke
L’immersion dans l’univers chromatique et abstrait de la seconde école de Vienne serait un luxe, si l’on en juge au public restreint qui a bien voulu en vivre l‘expérience vendredi soir.
Ce vide immense, duquel est monté un papillotement glacial, les accords intimes de la suite lyrique perdus dans la froideur blanche de la salle, furent balayés, un temps, par l’introduction spectaculaire de la symphonie lyrique, avant que le timbre onirique de Peter Mattei n’arrive enfin à se dégager de toutes ces résonances.
Et elle, immuable présence, les yeux baissés et tournés introspectivement vers sa propre solitude, et ensuite, avec un calme aplomb et la voix lumineusement vibrante autant que sombrement inquiétante, Angela Denoke.
Wozzeck (Alban Berg)
Répétition générale du 14 septembre 2009
Opéra Bastille
Direction musicale Harmut Haenchen
Mise en scène Christoph Marthaler
Wozzeck Vincent Le Texier
Marie Waltraud Meier
Le Tambour-major Stefan Margita
Le Capitaine Andreas Conrad
Le Docteur Kurt Rydl
Margret Ursula Hesse von den Steinen
Andres Xavier Moreno
Vous voulez vivre les débordements sentimentaux de la vie. Alors Mireille est pour vous, à condition que vous arriviez à obtenir une entrée à l’Opéra Garnier.
A moins que ce ne soit un autre aspect de la vie qui vous intéresse, sa violence et la manière dont elle se diffuse et se restitue, sans qu’au bout du compte l’on sache qui est victime ou bien bourreau.
Rien que pour vous Harmut Haenchen pousse l’Orchestre de l’Opéra de Paris dans ses dimensions les plus extrêmes, comme un corps grand ouvert d’où battent les pulsations d’un cœur à vif dans une direction, se fracassent ailleurs des matériaux métalliques d‘une intensité qui tente de saturer l‘auditeur, puis émergent des sonorités frémissantes, une pâte sonore large qui vous agrippe et ne cherche nullement à charmer.
Sylvain Cambreling avait paru bien lyrique lors de la création, il y a deux ans.
Aujourd’hui il s’agit également d’harceler le spectateur.
Vincent Le Texier (Wozzeck)
Vincent Le Texier n’est plus un Wozzeck intériorisé. Il renvoie sa souffrance, semble plus proche d’une déchéance spirituelle et physique immédiate, son sort est déjà réglé. Le timbre n’est pas aussi beau que Simon Keenlyside, mais nous avons ici un rôle encore plus crédible, où pitié et malaise se mélangent.
Du côté des méchants, Kurt Rydl est un docteur absolument sordide, lorsque le vibrato de son chant, combiné à la musique, conduit vers le mal au cœur.
Que ce soit Andreas Conrad, aux aigus inhumainement saillants, ou bien Stefan Margita d’une liberté expressive surprenante, c’est un entourage infernal qui enserre le pauvre marginal.
Waltraud Meier est à cette occasion dans une forme vocale que certains n’attendent sans doute pas. Entendez simplement son cri « Rühr’ mich nicht an! (Ne me touche pas!) ». Demain il résonnera encore.
Elle a ici la dimension d’une femme mûre, bien moins inconsciente que ne l’incarnait Angela Denoke à la création, mais paraît aussi un peu étrangère à cette vie sans espoir autour d’elle.
Waltraud Meier (Marie)
Cette reprise de la production de Christoph Marthaler qui repose sur plusieurs points forts - le rapport vitalité des enfants/vitalité de la musique, l’exclusion qui se détermine dès l’enfance, la complexité du décor unique et de ses éclairages, le pianiste qui fuit subitement l'hystérie générale - est à nouveau d’une force phénoménale, un prolongement plus que nécessaire du travail théâtral qu’a effectué Gerard Mortier pendant cinq ans.
Sylvain Cambreling est quand même un chef extraordinaire. Sa direction dansLa Traviataavait été décriée car elle cassait la beauté « bourgeoise » de l’œuvre, pour se plier à une volonté théâtrale.
Avec « Wozzeck » l’impression est tout autre, car ce qu’il nous propose est au contraire un magnifique épanouissement musical, une volonté de faire partager les beautés sonores de l’œuvre, de s’effacer derrière cette musique.
Et cela se comprend. Je me souviens qu’il s’était montré plus lyrique qu’explosif dans l’Amour des 3 Oranges. Cela se retrouve avec une force particulière à travers le personnage de Marie, dont l’humanité est ici sublimée musicalement.
La musique d’Alban Berg est d’ailleurs prenante, et crée une sorte de poids au cœur qui de toute façon ne justifie pas d'en faire des tonnes pour oppresser encore plus l’auditeur.
Simon Keenlyside (Wozzeck) et Angela Denoke (Marie)
Simon Keenlyside se livre à un rôle d’homme obsessionnel qui n’a pas le droit de s’arrêter, et cette manière d’y jeter toute son âme est évidente. En plus de la difficulté vocale, c’est un travail sans relâche sur l’expression du visage qui évoque la souffrance, la bonté et la volonté de faire bien les choses, mais aussi une profonde tristesse.
Angela Denoke incarne, avec cette manière de couvrir légèrement sa voix lorsqu’elle fait appel aux résonances les plus élevées, une sorte d’ange désespéré d’où jaillissent parfois des inflexions véristes poignantes. D’ailleurs chacun sera ému par la relation avec son enfant.
Il va y avoir aussi beaucoup d' étonnés, car Jon Villars est méconnaissable en Tambour Major devenu un voyou de Banlieue très antipathique. Roland Bracht est lui aussi assez marquant en Docteur. David Kuebler et Gerhard Siegel m’auront moins accroché. Hesse von den Steinenen Margret est absolument géniale!
Tout se passe donc dans ce quartier de Gand (la caisse de Bière des Moines d’ Orval est d’ailleurs le seul élément qui permet de situer la scène en Belgique), les adultes sont tristes à voir, les enfants affluent et refluent.
A vrai dire, Marthalern’accentue aucunement le sadisme du Docteur ou du Capitaine à l’égard de Wozzeck, et réduit même au minimum la violence du meurtre de Marie pour donner toute sa force à la dernière scène avec les enfants.
Cette image qui vous prend au cœur suffit à raconter la tragique mécanique de l’exclusion. Nous y retrouvons ce qu'a pu être l'enfance de Wozzeck et nous y imaginons ce que sera l'avenir de son fils et ce qu'il risque de faire.
C'est aussi un appel à la vigilance sur le comportement des jeunes dans leur rapport au plus faible.