Publié le 16 Février 2014
Kabaret warszawski (Krzysztof Warlikowski)
Représentations du 12 et 14 février 2014
Théâtre National de Chaillot
Durée 4h30 (avec un entracte)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Décor et costumes Malgorzata Szczesniak
Production du Nowy Teatr, Varsovie
Avec Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Maja Ostaszewska, Ewa Dalkowska, Maciej Stuhr, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Magdalena Poplawska, Claude Bardouil, Stanislawa Celinska, Bartosz Gelner, Wojciech Kalarus, Redbad Klijnstra, Zygmunt Malanowicz, Piotr Polak, Jacek Poniedzialek.
Claude Bardouil
Musiciens Pawel Bomert, Piotr Maslanka, Pawel Stankiewicz, Fabian Wlodarek
Avec cette nouvelle pièce spécifiquement imaginée pour le public polonais afin de proposer un espace de liberté qui puisse parler de la résurgence des discours nationalistes, de l’accroissement des discours intolérants aux choix de vie minoritaires – sous prétexte qu’en Démocratie seule compte la voix de la majorité – et de l’oppression de plus en plus agressive des milieux catholiques intégristes d’extrême droite, Krzysztof Warlikowski s’est appuyé sur deux oeuvres principales : La pièce I am a Camera (1951) de John Van Druten, qui est le sujet de sa première partie de spectacle et qui se déroule dans le Berlin des années 30 pendant la montée du nazisme, et le film Shortbus (2005) de John Cameron Mitchell, en deuxième partie de spectacle, qui parle de la sexualité comme remède au mal de vivre dans une ville telle que New-York après les attentats du 11 septembre.
Contrairement à ses pièces précédentes qui s’inspiraient de sources littéraires approchant l’humain dans sa complexité la plus obscure, Shakespeare, Levin, Coetzee, Kushner, Kafka, Krall, Kane ou bien Koltès, Kabaret warszawski ne contient pas la même richesse de texte.
En revanche, la musique est bien plus prépondérante, ce qui est l’apanage du lieu.
Ainsi, quatre musiciens prennent place sur un côté de la scène pour interpréter live des morceaux contemporains, en alternance avec de la musique enregistrée.
Le voyage musical est absolument vaste et évocateur des lieux et des époques mais avec un sens très réfléchi, puisque que l’on entend aussi bien une marche militaire allemande « Oh, du shöner Westerwald », suivie d’un dance israélienne « Halaila » (La nuit est tombée), « Time to say goodbye », « Je t’aime … moi non plus » en première partie, que du Radiohead, dont le magnifique « How to Disappear Completely », en seconde partie.
Derrière l’apparente légèreté de ces airs, se cache en fait une gravité de situation.
Quant aux amateurs de musique lyrique, eux, ils reconnaitront autant l’ouverture de l’Or du Rhin que le « o du, mein holder Abendstern » de Richard Wagner.
Dans I am a Camera, Krzysztof Warlikowski montre Sally Bowles (Magdalena Cielecka) avec une excentricité décoiffante – c’est le mot – mais aussi à travers des rêves illusoires de célébrité et la solitude qu’elle en récoltera au final ( le personnage de Jacqueline Bonbon n’est que le prolongement de Sally). Derrière les paillettes, pointe le désastre d’une vie où elle n’a dû compter que sur elle-même, et son portrait rejoint celui que le metteur en scène avait fait d’Iphigénie dans « Iphigénie en Tauride » au Palais Garnier, c'est-à-dire cette fascination pour ces artistes qui auront connu les heures de gloire, et qui finiront dans l’alcool et l’isolement.
On entend, dans le lointain, rompant avec le silence, les réminiscences des airs qu’elle chantait quand elle était plus jeune.
La montée du nazisme est figurée par la projection du défilé des jeux olympiques de 1936 devant Hitler. A voir toutes ces nationalités, on reste ébahi à se demander, encore aujourd’hui, comment des représentants du monde entier, occidentaux mais aussi africains ou asiatiques, ont pu marcher dans cette propagande, et comment la capacité d’obéissance de l’homme peut l’amener à coopérer aussi loin même avec un tel régime.
Les dernières scènes montrent comment l’individu se déconstruit en se pliant à l’idéologie d’un Hitler de cabaret, alors que les premières violences antisémites, dans un univers de plus en plus glauque, commencent à frapper.
La seconde partie, Short Bus, place l’expression de l’identité sexuelle au cœur du sujet en reprenant des scènes du film, comme l’évolution de Sofia, thérapeute et sexologue qui n’a jamais connu d’orgasme, ou bien la recherche du partenaire idéal qui pourrait aider Jamie et James à résoudre les difficultés sexuelles de leur couple.
A cela, s’ajoute toute une partie, trop longue, sans doute, sur la vie de Justin Vivian Bond, artiste transsexuel, alors que seule une de ses chansons était évoquée à la fin du film au moment de la panne de courant.
Si le film avait pour but de démythifier le sexe – la plupart des actes ne sont pas simulés, et l’actrice Sook-Yin Lee avait même failli être licenciée par son employeur pour cela - Krzysztof Warlikowski le ridiculise plus ou moins consciemment tout en essayant d’en extraire une certaine poésie (voir la dernière scène aquatique).
C’est drôle, les acteurs sont fascinants d’aisance corporelle, et leur langage parlé est d’une plasticité sensuelle troublante, même si le propos est cru. En tout cas, ce rapport à l’être corporel est magnifiquement mis en valeur en mélangeant érotisme, vulgarité, improvisation et liberté de geste qui rendent ce sentiment de libération si prégnant.
Et c’est ce travail de style qui s’admire tant et fait envie. Pour la première fois le comédien Bartosz Gelner apparaît dans une pièce de Warlikowski, comédien d’une aisance physique fine et stupéfiante, dont les traits du visage évoquent étrangement ceux du metteur en scène.
Dans les dernières minutes Warlikowski pose la question du sexe par rapport à la liberté. Cette question n’est absolument pas anodine, car il invite à évaluer toutes les facettes de la vie par rapport aux libertés qu’elles nous font gagner.