Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Le Roi Lear (William Shakespeare)
Représentation du 14 octobre 2015 Théâtre des Gémeaux (Sceaux)
Le Fou Jean-Damien Barbin
Cornouailles Moustafa Benaïbout
Edmond Nazim Boudjenah
Goneril Amira Casar
Régane Céline Chéenne
Kent Eddie Chignara
Edgar Matthieu Dessertine
Bourgogne Emilien Diard-Detoeuf
Lear Philippe Girard
France Damien Lehman
Ecosse Thomas Pouget
Cordelia Laura Ruiz Tamayo
Gloucester Jean-Marie Winling
Mise en scène Olivier Py Philippe Girard (Lear) Création Festival d’Avignon 2015
Coproduction - France Télévisions - National Theater & Concert Hall, Taipei - Célestins, Théâtre de Lyon - anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes - La Criée, Théâtre national de Marseille
Fortement critiquée lors de sa création au Festival d’Avignon, la nouvelle mise en scène du Roi Lear reprise aux Gémeaux ne souffre certainement pas de la vitalité ou de la poésie paillarde que l’on connait parfaitement bien de la part d’Olivier Py.
Il y a cependant plus matière à trouver une connivence avec les personnages d’Edgar et d’Edmond, du Fou et de Kent, qu’avec Goneril et Régane, caricaturalement décervelées, de Cordelia, muette, et même du Roi Lear qui n’est dépeint que sous l’emprise d’une folie qui l’entraîne vers le rien.
Nazim Boudjenah (Edmond)
Car Olivier Py décrypte très rapidement que la profondeur des sentiments d’amour que recherche le Roi est vaine et guignolesque. Son spectacle ne s’attache pas véritablement à poser ces questions affectives, et prend plutôt la forme d’une course vers un néant apocalyptique qui se veut un écho au nihilisme d’un temps qui est désormais le nôtre.
La bataille finale, sur une Lande boueuse où s’entretuent, dans un vacarme d’effets sonores, tous les figurants soutenus par l’appui d’hommes cagoulés avec, en arrière plan, un amoncellement de squelettes, ne laisse aucun doute sur la dimension politique que le directeur souhaite mettre en exergue. Les derniers mots seront dédiés au poète et à la place qu’il lui reste dans le monde d’aujourd’hui.
Céline Chéenne (Régane), Eddie Chignara (Kent) et Moustafa Benaïbout (Cornouailles)
La réécriture du texte bénéficie en premier lieu au Fou, joué par un merveilleux Jean-Damien Barbin, le cœur sur la main, qui observe les mirages des personnalités - il livre, notamment, une amusante réflexion sur ces enfants qui sont si mignons avec leurs parents quand ils savent qu'ils ont du pognon - et les commente avec la sagesse et la lucidité qui s'opposent ainsi à la folie démesurée du Roi.
Philippe Girard est toujours aussi plaintif, il détimbre à plusieurs reprises sa voix dans les premières scènes, et se complet beaucoup dans le misérabilisme. Sa mise à nue, réelle, est courageuse et impressionnante, et il ne nous touche qu’à l’apparition finale de Cordelia, qui évoque la pureté d'un Cygne blessé.
Et comme Olivier Py s'entoure toujours de quelques beaux garçons dont il joue de leur fascination physique, on atteint inévitablement un état d’admiration devant l’Edmond écorché vif de Nazim Boudjenah, moulé dans une combinaison de motard qui en souligne la force virile, libre et solitaire. Il est un homme en manque d’amour paternel et qui en souffre.
Eddie Chignara (Kent), Philippe Girard (Lear) et Matthieu Dessertine (Edgar)
Mais après une première apparition conventionnelle en costume de ville, Matthieu Dessertine,le beau gosse fétiche du metteur en scène, revient sous les traits d’Edgar transformé en mendiant totalement dévêtu, avec comme seul cache sexe une couverture de survie dorée et argentée. Et là, face à ces fesses à croquer – à tous les sens du terme - et à ce corps parfait et splendide qui se bouge avec une aisance crâneuse, il lui suffit de déclamer ce qu'il lui passe par la tête pour que nous en soyons conquis sans réserve. Rien que pour ses yeux, mais pas seulement...
Autre personnage dont le langage est remanié afin de coller à la vulgarité contemporaine, mais sans s'écarter de l'esprit de Shakespeare, Eddie Chignara rend Kent drôle, entier et attachant, car sa violence est celle qui nait d'un trop plein de façade et d’hypocrisie de la part d’une société qui masque ses petits intérêts et ses rêves mesquins sous des apparences de respectabilité.
Céline Chéenne (Régane) et Amira Casar (Goneril)
Quant à Amira Casar et Céline Chéenne, respectivement en Goneril et Régane, leurs délires hystériques débordent d’excès et manquent de nuances pour pétrir de zones d’ombres leurs personnages.
Et comme nous y sommes habitués, les symboles inhérents au metteur en scène, la statue d’une bête – ici un cerf – pour signifier la force sauvage –, le miroir de scène – côté jardin -, les néons en forme de croix, les panneaux et escaliers qui pivotent au rythme des scènes, nous raccrochent à son univers mental, créant ainsi des liens imaginaires avec ses autres mises en scène.
Le spectateur averti trouve ainsi dans le travail d’Olivier Py une énergie vitale spontanée, à défaut d’originalité, qui rend à chaque fois l’expérience précieuse.
Spectacle à revoir jusqu'au 08 janvier 2016 sur CultureBox.
Orlando ou l’Impatience (Olivier Py) Représentation du 10 avril 2015 Théâtre de la ville
Le fouJean-Damien Barbin
Ambre Laure Calamy
Le Ministre Eddie Chignara
Orlando Matthieu Dessertine
Le Père Philippe Girard
La Grande actrice Mireille Herbstmeyer
Le PianisteStéphane Leach
Gaspard François Michonneau
Mise en scène Olivier Py
ProductionFestival d’Avignon 2014
François Michonneau (Gaspard)
Quelle importance le théâtre a-t-il dans la vie de chacun en tant que spectateur, acteur ou créateur ?
Pourquoi est-il nécessaire, même aujourd’hui, de rappeler aux hommes et femmes publiques le devoir de préserver l’expression artistique vivante dans un environnement qui tend à limiter les engagements financiers publics et à aggraver les inégalités sociales ?
Pour Olivier Py, le théâtre est une recherche de soi, une aide à l’aboutissement humaniste de toute une société.
Matthieu Dessertine (Orlando)
Le personnage romanesque et androgyne d’Orlando décrit par Virginia Wolf devient le souffle inspirant de sa nouvelle pièce.
Sur scène, nous nous retrouvons ainsi face à de larges toiles peintes d’ocre et de noir, qui dessinent l’architecture d’une grande ville moderne, avec ses buildings impersonnels, des ponts et un dense trafic automobile.
Au centre, une plateforme rotative, telle une cage cubique que les acteurs peuvent actionner eux-mêmes pour la faire pivoter, accueille les protagonistes de ce théâtre rudimentaire.
Philippe Girard (le Père) et Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)
Déconnectés des grands espaces de la nature, ils doivent retrouver sens et espoir, malgré le malaise de leur propre vie, dans ce paysage urbain surréaliste.
La sensation d’enfermement est d’autant plus accentuée, qu’en arrière-plan, des néons rectangulaires concentriques créent une illusion de perspective qui tend vers un objectif infini noir et vide.
Matthieu Dessertine (Orlando), Laure Calamy (Ambre) et François Michonneau (Gaspard)
Apparaissent alors les acteurs fidèles au metteur en scène, en premier lieu la géniale et adorable Mireille Herbstmeyer.
Son langage outré bien connu est naturellement excessif quand elle dramatise ses incarnations, mais ce soir, dans un rôle où la comédie reste drôle et sensible, elle est la Reine, qu’elle soit femme de cabaret ou tragédienne shakespearienne.
Et sa présence est captivante tant elle rayonne généreusement d’une énergie vitale gaillarde qui ne se prend pas au sérieux.
Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)
On aime la manière avec laquelle elle joue de son physique et de son travestissement, et de ses déclamations franches.
Elle est surtout une actrice charismatique qui a le don d’imposer sans ambages son être tout entier à la face du monde.
Philippe Girard lui répond avec la même emphase. Il est la voix bienveillante des élans poétiques et désireux de liberté par laquelle Olivier Py s’exprime.
Philippe Girard (le Père) et Matthieu Dessertine (Orlando)
Il ose le désir d’évasion, la sagesse qui veut croire en un absolu d’éternité.
A ces deux comparses qui représentent deux forces parentales jubilatoires, s’ajoute le fou – de multiples professions – joué par Jean-Damien Barbin.
Il est un bouffon ré-enchanteur de la vie, qu’il nourrit de sa voix amusamment enveloppée d’impertinences.
Mireille Herbstmeyer (la Grande actrice)
Le Ministre de la culture, joué brillamment et sans artifices par Eddie Chignara, devient alors une façon de représenter celui qui n’arrive pas à être l’allié des artistes, et encore moins leur protecteur, trop éloigné de lui-même et trop identifié à son propre statut pour pouvoir le faire.
En se révélant à lui-même comme femme, on peut y voir le même leitmotiv identitaire qui a marqué constamment la vie d’Olivier Py depuis son adolescence, mais également une désignation satirique des ministres qui ne l’ont pas suffisamment soutenu.
Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)
Mais le dramaturge flamboyant a aussi le talent de trouver d’excellents acteurs au physique d’éphèbe. Matthieu Dessertine – Orlando – et François Michonneau – Gaspard –forment un couple de garçons que la grâce du corps transforme en langage sensuel, une des lignes de forces permanente de son travail théâtral.
Ce charme omniprésent permet plus facilement de suppléer à la forte dispersion du texte et de ses excès, qui sont l’aveu de la difficulté à faire ressentir cette quête de joie profonde qui dépasse le simple bonheur éphémère.
Matthieu Dessertine (Orlando)
Dans sa définition de l’amour, par le négatif, il invite à ne pas le confondre avec la haine ou l’insatisfaction de soi.
Il y a d’ailleurs, quand les deux jeunes hommes se retrouvent avec Ambre – Laure Calamy cède un optimisme infaillible à ce rôle positif –, l’espérance d’une orgie finale, image osée pour traduire l’idéal d’une fraternité humaine enfin réalisée, en opposition totale avec les représentations picturales anciennes d’une apocalypse sordide.
Laurence Calamy (Ambre), Matthieu Dessertine (Orlando) et François Michonneau (Gaspard)
Orlando apparaît en archange – figure habituelle du metteur en scène -, puis s’identifie à son père saltimbanque triste et multicolore. La chair et les corps entrent en lutte car ils sont une des clés de ce parcours perpétuel.
Olivier Py ne veut pas choisir entre corps et esprit, la provocation du désir est partie intégrante de la réponse, et le théâtre reste, à sa manière, un secoueur de la société pour qu’elle ne perde pas son rapport au divin, et à ce qu’il a de miraculeux.
Roméo et Juliette (Shakespeare) Représentations du 21 et 24 septembre 2011 Odéon-Théâtre de l’Europe
Roméo Matthieu Dessertine Juliette Camille Cobbi Mercutio Frédéric Giroutru Benvolio Benjamin Lavernhe Capulet/Paris Olivier Balazuc Frère Laurent Philippe Girard La Nourrice Mireille Herbstmeyer Tybalt Quentin Faure Le Prince/Clown… Bathélémy Meridjen Le Musicien/Abraham Jérôme Quéron
Mise en scène Olivier Py
Frédéric Giroutru (Mercutio)
Avec une grande économie d’accessoires, un miroir de loge de théâtre serti d’ampoules et de masques de mort, quelques plans noirs, verticaux et usés, qui serviront de support aux dessins et tournures tracés à la craie, une grande toile rouge transparente qui sépare la vie de la mort, un mobilier qui figure la chambre élevée où vit Juliette, le regard d’Olivier Py sur l’émouvante tragédie de Shakespeare prend un immense plaisir à animer un ensemble de personnages frénétiques, exaltés ou même fous.
Naturellement, on va voir cette pièce en ayant la tête chargée des élans épiques et des cavatines éthérées de l’opéra de Charles Gounod, des pulsations soupirantes de la musique d’Hector Berlioz, et des voix consolatrices écrites par Vincenzo Bellini.
Matthieu Dessertine (Roméo)
On en oublie, et la relecture du texte lors de l’entracte permet de s’en assurer, que le discours sensible et les allusions licencieuses sont intimement liés, comme dans la vie. La traduction en français introduit donc des éléments de langage moderne, et Olivier Py explicite clairement les jeux de mots et des situations obscènes qui aboutissent à une scène remplie de mimiques homosexuelles, lorsque Roméo retrouve Benvolio et Mercutio après sa rencontre avec Juliette. C’est tellement excessif, et pourtant le texte de Shakespeare peut se lire ainsi, que l’on en rit autant que l’on en admire le courage des acteurs, Frédéric Giroutru en particulier. Il y a chez ce comédien un naturel impulsif très fortement en prise avec le spectateur.
La façon dont est représenté Roméo est également captivante. Sa démarche évoque la femme dans un corps d'homme telle que Frère Laurent en fait l'observation, mais sans que l'élément féminin ne prenne pour autant le dessus. Cela enrichit son humanité, en souligne les faiblesses, et lui apporte une légèreté fantaisiste lorsqu'il devient amoureux. Même si sa voix n'est pas aussi suave, elle jaillit comme extirpée d'un abdomen qui revendique en force son désir de vivre, et Matthieu Dessertine se révèle un interprète furieusement vivant, physiquement idéal dans la logique de perfection classique si chère à Olivier Py.
Camille Cobbi (Juliette)
Plus réaliste, le portrait de Juliette évoque celui d'une jeune femme lucide qui recherche l'exaltation du corps à corps, une personnalité entière pour laquelle Camille Cobbi prète une interprétation très spontanée, et un peu extérieure.
Il manque cependant quelque chose dans ce couple de jeunes amants, il manque cette force impalpable qui les unit, la subtilité dans la rencontre qui devrait donner un sens profond à leur rapprochement, et faire que l'on croit à leur amour. En tout cas, quelque chose dans le jeu scénique du metteur en scène peine à traduire cette émotion.
Il semble plutôt vouloir traiter leur rapport à la religion face aux obstacles qui les séparent, comme cette croix noire qui reflète le tempérament mélancolique et suicidaire de Roméo. D'où sa défiante exaltation dans les derniers instants avant la mort, qui rappelle l‘attente impatiente de Kirsten Dunst face à la planète Melancholia, dans le dernier film de Lars von Triers.
Parmi tous ces acteurs et actrices qui forment une troupe engagée et en osmose, au point d’interpréter eux-mêmes les passages choraux, on peut remarquer Olivier Balazuc, Capulet dont la violence détraquée s’emballe crescendo contre sa propre fille sur les accords pianistiques de l’Appel de Hagen (Le Crépuscule des Dieux-Wagner), mais aussi la bienveillante parole de Philippe Girard, et l’énergie déjantée de Mireille Herbstmeyer, au service d’un emploi comique cette fois ci.
Au piano, Jérôme Quéron charge l’atmosphère d’airs nostalgiques (Valse du Chevalier à la Rose), autant qu’il évoque les états d’âme les plus sombres (Introduction du second acte du Crépuscule des Dieux), toujours dans l’esprit d’appuyer et d’amplifier le sens des mots.