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Publié le 5 Décembre 2017

La Bohème (Giacomo Puccini)
Répétition générale du 25 novembre et représentations du 04 et 26 décembre 2017

Mimì, Sonya Yoncheva, Nicole Car (04, 07 et du 16 au 31)
Musetta Aida Garifullina
Rodolfo Atalla Ayan, Benjamin Bernheim
(du 18 au 31)
Marcello Artur Ruciński
Schaunard Alessio Arduini, Andrei Jilihovschi 
(du 23 au 31)
Colline Roberto Tagliavini
Alcindoro Marc Labonnette
Parpignol Antonel Boldan
Sergente dei doganari Florent Mbia
Un doganiere Jian-Hong Zhao
Un venditore ambulante Fernando Velasquez

Le maître de cérémonie Guérassim Dichliev (mime)

 

Direction musicale Gustavo Dudamel, Manuel López-Gómez          Nicole Car (Mimi)      
Mise en scène Claus Guth (2017)

Nouvelle production

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Extrait des Fleurs du mal (1857) de Charles Baudelaire.

Nicole Car (Mimi)

Nicole Car (Mimi)

Le sentiment de dérive et de désespoir de vivre n’est pas le privilège de notre temps puisque, dès la seconde partie du XIXe siècle, l’aspiration à se libérer de l’enfermement d’une réalité ennuyeuse et mortifère trouva en Charles Baudelaire le plus saisissant poète des mouvements de l’âme.

Ainsi, quand les journées de révoltes de juin 1848 saignèrent Paris suite à la décision de l’assemblée constituante de supprimer les ateliers nationaux, la répression qui s’en suivit eut pour conséquence la destruction des quartiers rebelles de la capitale par Haussmann.

Benjamin Bernheim (Rodolfo)

Benjamin Bernheim (Rodolfo)

De ces évènements naquit le spleen baudelairien, mais, prenant le contrepied de cette tendance, Henry Mürger publia en 1851 Scènes de la vie de bohème, une ode à la jeunesse qui voyait en la bohème une façon d’échapper au vide et à l’ennui avant de passer pleinement à la vie d’adulte.

Le livret de Giacomo Puccini, basé sur ce court roman, reprend la même vision nostalgique si prégnante dans la musique, ce qui a convaincu Claus Guth de mettre en scène l’œuvre dans un contexte futuriste où la bohème deviendrait une échappatoire délirante née des images formées par le cerveau d’un astronaute pris dans un voyage stellaire sans aucune chance de retour possible.

Benjamin Bernheim (Rodolfo)

Benjamin Bernheim (Rodolfo)

L’intérieur du vaisseau spatial, magnifiquement conçu et évocateur des lignes que l’on retrouve dans nombre de décors cinématographiques, symbolise la prison mentale du héros dont les défaillances techniques et la prise de conscience d’une mort prochaine vont initier la remémoration de scènes terrestres et la réapparition idéalisée de l’être aimé.

A l’ouverture du rideau, l’effet de surprise est cependant si fort qu’il faut un peu de temps pour comprendre où ce parti-pris va nous mener, tant cet univers croise les images et les problématiques existentielles soulevées par les films cultes de 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick ou d’Interstellar de Christopher Nolan.

Nicole Car (Mimi) et Benjamin Bernheim (Rodolfo)

Nicole Car (Mimi) et Benjamin Bernheim (Rodolfo)

La première réaction du spectateur est alors de faire revivre en lui-même les scènes traditionnelles qu’il connait des productions habituelles de La Bohème, car lui aussi est un peu perdu dans cet univers si décalé à l’opéra.

Puis, c’est au tour de Rodolfo de faire apparaître sur scène le souvenir d’une Mimi évanescente que Nicole Car incarne avec un inoubliable regard lunaire hors du temps.

La Bohème (Yoncheva-Car-Ayan-Bernheim-Garifullina-Rucinski-Guth-Dudamel) Bastille

Ce mélange troublant et fantaisiste s’en suit d’un défilé de figures enfantines qui évoquent les souvenirs d’Hergé et de sa fusée qui nous mena de la terre à la lune, de gamins impertinents vêtus de noir, et d’un cercueil prémonitoire qui traverse l’espace immaculé du vaisseau coloré par la touche rouge et légère de la jeune fille dont le double repose à l’intérieur du linceul.

Dans un tel univers, la sensation de la petite main gelée est celle d’un être irréel, et les lueurs du feu deviennent celles d’une nébuleuse que traverse le vaisseau. Mais le traitement morbide de Benoît, lui, ressemble plutôt à un arrangement artificiel avec le livret. Et lorsque le rêve s’évapore, Mimi quitte seule Rodolfo au son d’aigus filés qui se séparent sur fond d’orchestre intensément chatoyant.

Nicole Car (Mimi) et Atalla Ayan (Rodolfo)

Nicole Car (Mimi) et Atalla Ayan (Rodolfo)

Ces deux premiers actes où l’on voit également éclore Musette dans une lumineuse loge dorée raniment dans cet espace froid un esprit de foire, et l’image la plus poétique est naturellement celle de Mimi posant sur les bords d’une large baie vitrée donnant sur le vide sidéral.

Inévitablement, l’apparition au troisième acte d’un sol lunaire dévasté où s’est écrasé le vaisseau ne manque pas de provoquer des réactions négatives de la part d’une faction du public, et fait étonnamment écho à la réaction qu’avait engendré le troisième acte de Parsifal mis en scène par Krzysztof Warlikowski à Bastille en ouvrant sur les images d’un Berlin détruit par les bombardements de la guerre. L’image de désolation est-elle considérée à l’opéra comme une provocation car opposée à un idéal de beauté ?

La Bohème (Yoncheva-Car-Ayan-Bernheim-Garifullina-Rucinski-Guth-Dudamel) Bastille

Quoiqu’il en soit, le sort de ces astronautes perdus poétiquement sous les flocons de neige prend pour un temps le pas sur le drame humain qui se joue en avant-scène, et le mime au chapeau devient le grand magicien qui fait revivre au dernier acte un spectacle de cabaret sous les reflets d’un rideau d’argent dont l’iridescence bleutée illumine de son ondoyance opaline les spectateurs de la salle entière. C’est très beau à voir depuis les galeries situées en hauteur et de côté.

La mort de Mimi, qu’à nouveau un double d’elle-même fait pressentir au moment où Nicole Car interprète les passages les plus pathétiques, n’est plus que la mort d’un imaginaire qui accompagne le dernier souffle de Rodolfo, ultime survivant du voyage vers la Barrière d’Enfer.

Nicole Car (Mimi), Benjamin Bernheim (Rodolfo) et Guérassim Dichliev (Le maître de cérémonie)

Nicole Car (Mimi), Benjamin Bernheim (Rodolfo) et Guérassim Dichliev (Le maître de cérémonie)

C’est tout le charme de cette mise en scène que de donner un second sens aux mots du livret et d’alléger la fin en faisant mourir Mimi de façon purement allégorique.

Une direction d’acteurs fouillée, des références au music-hall et des apparitions de doubles disparus, sont quelques exemples d’éléments que l’on retrouve dans les mises en scène de Claus Guth telle celle de Rigoletto, et ce spectacle a de quoi enchanter et ramener le public à sa jeunesse sans aucune autre prétention, ce qui est le propre de l’esprit de bohème que concevait Mürger et Puccini.

Nicole Car (Mimi) et Artur Ruciński (Marcello)

Nicole Car (Mimi) et Artur Ruciński (Marcello)

Et quand la direction d’orchestre est confiée à un chef aussi charismatique et talentueux que Gustavo Dudamel, les musiciens font entendre des fondus de lumières scintillants et majestueux, émerger toute une symphonie d’ornements de cordes tressaillantes ou de papillonnements de flûte chantante qui prennent un relief saisissant sur une ample soierie riche en couleurs tchaïkovskiennes, une transcendance de la musique de Puccini que l’on n’entend que rarement à l’opéra.

Par ailleurs, les grandes respirations orchestrales sont à l’unisson des mouvements lents des acteurs et chanteurs de la seconde partie ce qui donne une dimension sidérale à la composition d’ensemble.

Nicole Car (Mimi) et Guérassim Dichliev (Le maître de cérémonie)

Nicole Car (Mimi) et Guérassim Dichliev (Le maître de cérémonie)

Dans cette conception imaginaire, la poésie naturelle et authentique de Nicole Car est d’un charme fou, ce qui ne veut pas dire qu’elle s’abstient d’inflexions écorchées, et ses accents noirs facilement identifiables font la valeur touchante d’un portrait tendre et délicat.

Remplaçant ainsi Sonya Yoncheva pour la seconde représentation, elle est ce soir associée à Atalla Ayan dont le chant ténébreux, moelleux et expressif s’allie chaleureusement à celui de la soprano australienne. En seconde partie de série, on retrouvera Benjamin Bernheim qui joue plus sur l’optimisme héroïque avec toutefois la même sensibilité. Ce sont en tout cas deux ténors différents dont on n’a pas toujours entendu de semblables qualités au cours des précédentes reprises de La Bohème.

Aida Garifullina (Musetta)

Aida Garifullina (Musetta)

Dans la même veine, Artur Ruciński incarne un Marcello classieux et Roberto Tagliavini se donne une allure de chanteur traditionnel dont la profondeur de timbre se charge d’une tristesse russe qui magnifie le rôle de Colline.

On ne peut cependant pas faire plus opposé au rôle innocent de Snegourotchka, qu’elle interprétait au printemps dernier, que le personnage exubérant et provocant de Musetta chanté avec un érotisme piquant, et parfois exaspérant, par Aida Garifullina. Un tel contraste de personnalité trouble en effet totalement l’image de cette jeune artiste dont on ne serait pas étonné d’un goût certain pour l’insaisissable.

Gustavo Dudamel (Répétition générale)

Gustavo Dudamel (Répétition générale)

Lire également la présentation de la nouvelle production de La Bohème par Claus Guth à l'opéra Bastille ici

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Publié le 18 Avril 2017

Snégourotchka (Nikolaï Rimski-Korsakov)
Représentations du 15, 17 et 22 avril 2017
Opéra Bastille

Snégourotchka (La Fille de Neige) Aida Garifullina
Lel Yuriy Mynenko
Kupava Martina Serafin
Le Tzar Berendeï Maxim Paster
Mizguir Thomas Johannes Mayer
La Fée Printemps Elena Manistina
Le Bonhomme Hiver Vladimir Ognovenko
Bermiata Franz Hawlata
Bobyl Bakula Vasily Gorshkov
Bobylicka Carole Wilson
L'Esprit des bois Vasily Efimov
Premier Héraut Vincent Morell
Deuxième Héraut Pierpaolo Palloni
Un Page Olga Oussova

Direction musicale Mikhail Tatarnikov
Mise en scène Dmitri Tcherniakov                          
    Yuriy Mynenko (Lel)
Nouvelle Production

Le retour de Nikolaï Rimski-Korsakov sur la scène lyrique de l’Opéra de Paris, 70 ans après la dernière représentation du Coq d’Or, son ultime chef-d’œuvre, est le point de départ d’un élargissement du répertoire parisien aux compositeurs russes moins représentés que Piotr Ilitch Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Sergueï Prokofiev.

Ainsi, au cours des prochaines saisons, Dmitri Chostakovitch et Alexandre Borodine, compositeurs respectifs de Katerina Ismailova et Prince Igor, seront portés sur notre scène, et on peut imaginer que Mikhaïl Glinka aura, un jour, les honneurs de l’Opéra National pour son adaptation du poème d’Alexandre Pouchkine, Rouslan et Ludmila.

Aida Garifullina (Snégourotchka)

Aida Garifullina (Snégourotchka)

Troisième des quinze opéras de Rimski-Korsakov, Snégourotchka (La Fille de Neige) est un conte sur le pouvoir de la forêt comme source d’inspiration de l’âme humaine. L’imaginaire des forêts est, en effet, un des sujets forts de la littérature ou du cinéma russe, d'Anton Tchekhov à Andreï Tarkovski, pour ne citer qu'eux.

Pour son adaptation à la scène Bastille, Dmitri Tcherniakov reste fidèle à cet élément naturel indispensable à la vie, et lui dédie un magnifique décor parcellé d’arbres réalistes, chacun ayant une ligne unique, mais qui s’élèvent depuis un sol d’un vert synthétique à l’aspect beaucoup plus factice.

Au creux d’une clairière, des mobil-homes en forme de petites maisonnettes vivement colorées, dont une caravane, abritent la communauté de Bérendeï réunie temporairement en ce lieu.

Snégourotchka (Garifullina-Mynenko-Serafin-Paster-Tatarnikov-Tcherniakov) Bastille

Le prologue, seule partie totalement décalée de son lieu d’origine, ne se déroule pas de nuit en pleine nature, mais dans le couloir d’une école où Dame Printemps raconte une histoire à de jeunes élèves déguisés en oiseaux multicolores. Le chœur des enfants en devient particulièrement attachant lorsqu’il entonne la chanson et la danse des oiseaux en les mimant.

Le metteur en scène relate la rencontre entre la Fille de Neige et cette communauté improvisée à travers de multiples saynètes imaginatives qui imitent le mode de vie supposé des communautés païennes. Vêtements mélangeant jeans, baskets et tenues traditionnelles, l’intrigue est jouée parmi le chœur et les figurants qui évoluent comme s’ils menaient une vie totalement autonome dans cette histoire. Dmitri Tcherniakov trouve ici un moyen talentueux d’animer ce monde en impliquant pleinement le potentiel humain du plateau. 

Elena Manistina (La Fée Printemps)

Elena Manistina (La Fée Printemps)

Les postures sont souvent très drôles et outrées, et ce qu’il décrit est en fait un regard tendre et amusé sur les regroupements spontanés de gens dans le monde entier, tels les Rainbow Gathering, tendance qui traduit un désir de se retrouver, pour un temps, en l’harmonie avec la nature et les autres afin d’échapper à l’uniformisation d’un monde économique et politique oppressant.

Le plus drôle est que le spectacle a une apparence traditionnelle parce que le directeur suit la dramaturgie du livret, alors qu’il est joué comme si les rituels étaient un simulacre. 

Snégourotchka (Garifullina-Mynenko-Serafin-Paster-Tatarnikov-Tcherniakov) Bastille

Cependant, Tcherniakov ne perd en aucun cas les qualités sensibles qui font de lui un délicat portraitiste de la psychologie féminine, et la Fille de Neige paraît, sous la finesse de sa peinture, une émanation de Tatiana et Rusalka, à la fois réservée, émouvante et viscérale. 

Il révèle autant que possible les sentiments des protagonistes, tels ceux du Tsar Bérendeï, devenu un artiste peintre rêvant amoureusement à la Dame Printemps, que ceux de Snégourotchka qui, au final, déclare aimer Mizguir, tout en adressant ses derniers mots et ses derniers regards tendres à Lel qui est, en réalité, son réel amour.

Et Tcherniakov est toujours attentif à cette vérité de sentiments qui paraît prendre à contre-pied l'action au premier degré.

Maxim Paster (Le Tzar Berendeï)

Maxim Paster (Le Tzar Berendeï)

Lel, le berger, est chanté par un contre-ténor, au lieu d'une alto, et est affublé de longs cheveux féminins et d’une barbe qui en font un barde Woodstock traité de la même manière que le berger du Roi Roger dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, l’illusion de l’amour indifférente aux sentiments de l’autre.

Enfin, l’âme poétique du metteur en scène atteint son paroxysme au début du quatrième acte, lorsque Snégourotchka retrouve sa mère au milieu d’une forêt magnifiée par les ombres changeantes des éclairages nées du double mouvement lent et circulaire de l’ensemble du décor.

Aida Garifullina (Snégourotchka) et Elena Manistina (La Fée Printemps)

Aida Garifullina (Snégourotchka) et Elena Manistina (La Fée Printemps)

Ce spectacle est une réussite non seulement parce qu’il permet de redécouvrir une musique aussi subtile que flamboyante, mais également parce qu’en s’inspirant d’un phénomène social actuel, Tcherniakov le débarrasse d’une imagerie de folklore stéréotypée.

Et bien qu’il utilise un florilège de symboles pour mieux les parodier, tel le coq perché sur un mât de cocagne ou bien la roue de charrue enflammée brandie pour figurer une roue celtique solaire, l’oeuvre se trouve traversée en permanence d’un humour bienveillant qui peut parfois être en léger décalage avec les circonstances du livret – les joueurs de guzla aveugles réunis en cercle et lisant leur texte sur des pancartes tenues à bout de bras par deux individus. 

Snégourotchka (Garifullina-Mynenko-Serafin-Paster-Tatarnikov-Tcherniakov) Bastille

Sous la direction de Mikhail Tatarnikov, chef principal du Théâtre Mikhailovsky de Saint-Pétersbourg, l’orchestre de l’Opéra réussit avec un allant et un éclat rutilants les nombreuses scènes d’ensemble qui le lient au chœur. Ce son souple et moderne prend même une tonalité d’une tendresse bucolique ouatée lorsqu’il accompagne les cavatines du Tsar.

Et, de-ci de-là, les motifs chantant des instruments en solo se profilent dans la solitude de la salle avec une grâce inspirante. L’orchestration ne révèle qu’une seule faiblesse au cours du tableau qui oppose Mizgir à l’Esprit des bois, au troisième acte, car la tension de la confrontation scénique imaginée par Tcherniakov ne se retrouve pas dans la musique gravée à petites touches par Rimski-Korsakov.

Vasily Gorshkov (Bobyl Bakula) et Aida Garifullina (Snégourotchka)

Vasily Gorshkov (Bobyl Bakula) et Aida Garifullina (Snégourotchka)

Les chœurs, joyeusement délurés, parmi lesquels viendront se glisser des figurants nus couronnés de fleurs au cours des danses populaires, chantent avec une âme joyeuse et juvénile, une espérance panthéiste qui se diffuse aussi bien en front de scène que loin depuis les coulisses. Et les jeunes interprètes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, que nous entendons dans le prologue, sont l’image même de la pureté légèrement mélancolique de l’enfance, une apaisante admiration pour l’auditeur.

La distribution, elle, révèle une diversité de caractères vocaux qui font la vie de ce théâtre brillamment mis en scène et en musique. 

Aida Garifullina (Snégourotchka)

Aida Garifullina (Snégourotchka)

Aida Garifullina, charmante et d’apparence si fragile, interprète l’héroïne principale avec un tempérament qui mêle sentiments sombres et morbides et expressions percutantes à l’aigu facile. C’est d’ailleurs la clarté de ce timbre aux accents vulnérables, l’impressionnant contraste entre la force de ses expressions de joie et de souffrance, la puissance du souffle et la simplicité de son être, qui semble parfois comme s’anémier, qui la rendent si touchante.

En Fée Printemps, Elena Manistina figure un personnage grandiloquent à la voix glacée anthracite qui, malgré une telle opposition de couleurs avec Aida Garifullina, la rejoint dans l’harmonie du magnifique arioso du quatrième acte, enveloppé d’une orchestration sublimement raffinée.

Martina Serafin (Kupava)

Martina Serafin (Kupava)

Très crédible en Kupava, Martina Serafin trouve dans ce rôle un excellent support à sa voix franche et terrestre, d’autant plus qu’elle joue avec un peu d’exagération un personnage farouche qui lui convient parfaitement.

Et, en bourgeois sûr de lui qui croit plus en l’argent qu’aux grands sentiments, Thomas Johannes Mayer incarne un Mizguir noir et rustre car son emprise vocale ne se libère plus avec autant d’élégance qu’auparavant.

Yuriy Mynenko (Lel)

Yuriy Mynenko (Lel)

Mais la surprise trouble de ce spectacle est la présence de Yuriy Mynenko, un contre-ténor, dans le rôle de Lel. Le choix de modifier la tessiture de ce personnage incarné habituellement par une alto permet simplement de représenter l’amour de Snégourotchka par un homme, aux traits féminins, afin de ne donner aucune ambiguïté à l’orientation dramaturgique de Tcherniakov.  

Nous sommes bien dans un monde où un faux guide spirituel tente de faire croire aux bienfaits de l’amour libre débarrassé de tout attachement.

Martina Serafin (Kupava) et Yuriy Mynenko (Lel)

Martina Serafin (Kupava) et Yuriy Mynenko (Lel)

Il n’est pas habituel d’entendre ce type de chanteur s’accaparer l’espace Bastille, et c’est pour cela que l’accueil de Yuriy Mynenko est aussi dithyrambique que celui réservé à Aida Garifullina. Les sons baillés et enjôleurs de ce timbre ensorceleur insinuent une supercherie malheureusement insurmontable par la Fille de Neige.

Quant au Tzar Berendeï,  Maxim Paster lui rend une humanité bonhomme et suave sans pour autant réduire son autorité naturelle, car son chant a une poésie sincère et immédiate.

Thomas Johannes Mayer (Mizguir )

Thomas Johannes Mayer (Mizguir )

Présents que pour de courts tableaux, le Bonhomme Hiver de Vladimir Ognovenko, inusable basse qui porte en lui-même une émanation slave évidente, l'Esprit des bois ferme et bienveillant de Vasily Efimov, et la personnalité imparable de Vasily Gorshkov en Bobyl Bakula ajoutent des caractères forts à cet ensemble de portraits pittoresques.

Alors pourquoi Snégourotchka ne peut que mourir ? Entre le désir possessif de Mizguir et la fascination pour l’image idéalisée d’un bon à rien tel que Lel, elle ne peut concrétiser un amour véritable et total, ce qui la condamne à disparaître.

Aida Garifullina et Dmitri Tcherniakov

Aida Garifullina et Dmitri Tcherniakov

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