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Publié le 5 Novembre 2014

La Khovantchina (Modest Moussorgski)
Représentation du 02 novembre 2014
Opera Ballet Vlaanderen (Antwerpen)

Ivan Khovanski Ante Jerkunica
Andrei Khovanski Dmitry Golovnin
Vassili Golitsine Vsevolod Grivnov
Chakloviti Oleg Bryjak
Dossifei Alexey Antonov
Marfa Julia Gertseva
Susanna Liene Kinca
Le Clerc Michael J.Scott
Emma Aylin Sezer
Varsonofiev Christian Lujan
Kouzka Adam Smith
Strechniev Vesselin Ivanov
Premier Strelets Patrick Cromheeke
Deuxième Strelets Thomas Mürk
Un confident de Golitsine Vesselin Ivanov                         Ante Jerkunica (Ivan Khovanski)

Direction Musicale Dmitri Jurowski
Mise en scène David Alden
Coproduction English National Opera

Deux ans sont passés depuis la dernière reprise du chef-d’œuvre inachevé de Modest Moussorgski, reprise que dirigeait Michael Jurowski pour le public de l’Opéra de Paris.

Et aujourd’hui, c’est au tour de l’un de ses fils prodiges, Dmitri Jurowski, de faire résonner les éclats et les abîmes qu’expriment les lamentations les plus profondes de son peuple d’origine.

Michael J.Scott (Le Clerc)

Michael J.Scott (Le Clerc)

L’Opéra de Flandre a confié la mise en scène de cette nouvelle production à David Alden, artiste voué aux lectures humainement fortes. Il s’écarte ici de la littéralité de l’œuvre évoquant les évènements qui marquèrent l’Empire à l’avènement de Pierre Le Grand, pour se rapprocher de la spiritualité de son texte et de sa musique.
 

Les confrontations entre les différents courants de pensées, les Streltsy, les Boyards, les vieux croyants, le politicien éclairé Golitsine et le peuple - protagoniste central - se déroulent dans une Russie moderne, sans qu’aucun groupe ne puisse se porter garant d’une issue salvatrice pour tous.

Bien au contraire, le régisseur dessine les grands traits caractéristiques des personnages par la représentation de symboles frappants, détachant de façon évidente les forces sombres de chacun.

Ainsi voit-on les membres de la secte des Vieux-croyants se recueillir devant un tableau ésotérique, accroché à un mur vide, avant d’être arrêtés pendant le prélude de l’acte III par des conspirateurs.

 

                                                                               Ante Jerkunica (Ivan Khovanski)

Ou bien assiste-t-on à l’arrivée des partisans d’Ivan Khovanski, casqués et vêtus en treillis rouges et noirs, qui font penser à des groupes de maintien de l’ordre, galvanisés et idolâtrés par de jeunes enfants naïvement idéologisés, à la croisée des jeunesses hitlériennes et des mouvements scouts, image ambigüe inévitablement provocante. 

La Khovantchina (Jerkunica-Antonov-Jurowski-Alden) Anvers

Quant à Vassili Golitsine, reclus dans son palais moscovite, ne lui reste plus qu’à noyer son regard dans le portrait faiblement éclairé de la Grande Catherine, en souvenir d’une époque des lumières définitivement révolue.
 

Au cours du troisième acte et de la scène qui suit l’air de désespérance de Chakloviti, les Streltsy se livrent à une beuverie et une orgie très couramment utilisées dans les scènes de décadences dignes de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, et les femmes apparaissent enlaidies par leur abandon au luxe sans goût d’une société de consommation débridée.

Et peu après, la danse persane chez Ivan Khovanski se transforme en une scène de viol, qui s’achève par le relèvement spectaculaire de la victime, droguée, pour abattre l’agresseur et finir gisante et rampante sur les accords terribles annonçant l’arrestation des Streltsy. Ils seront finalement libérés par d’autres forces tout aussi redoutables et humainement insignifiantes.

 

 

                                                                                         Aylin Sezer (Emma)

Le savoir-faire dramaturgique indéniable de David Alden trouve sa plus belle expression aussi bien dans la manière d’enchaîner les scènes en liant l’action à la musique, que dans sa façon de combler l’action dans tous les préludes orchestraux. Et c’est avec émoi que l’on assiste, au début du Vème acte, à l’arrestation pathétique de Golitsine, sous les projecteurs affolés d’une chasse à l’homme implacable.

Et même si les moyens consacrés à la scénographie sont limités, tous les tableaux comportent une dimension visuelle impressive, jusqu’au bûcher final représenté par la projection de la montée d’un feu glacial.

Julia Gertseva (Marfa)

Julia Gertseva (Marfa)

Dmitri Jurowski est ainsi dans son élément pour amplifier les noirceurs névrotiques de la partition, et transformer l’orchestre en un acteur dramatique majeur. Les percussions sont d’une urgence impressionnante sans que la musicalité ne soit jamais entachée d’un fracas facile. Le flux est spectaculairement expressif, les respirations amples et profondes, les détails poétiques bien surlignés, et ne manque qu’un déploiement plus large et brillant de la tissure des cordes.
Le son est donc toujours très compact dans la modeste, mais intime, salle de l’Opéra d’Anvers, mais cela fait partie de son charme et de son identité.

 

Et l’ensemble fait corps avec les solistes et le chœur, chœur violemment présent et homogène, mais qui peut difficilement rendre tout le mystère mélancolique de la langue slave. D’autant plus que la taille de la salle ne lui laisse pas suffisamment de place pour se fondre entièrement dans la masse orchestrale.

Au cœur de cette distribution profondément engagée, Ante Jerkunica est un grand Khovanski, un jeune séducteur impressionnant au regard manipulateur, mais sans nuances de caractère, une sorte de Don Giovanni qui n’éprouve aucune compassion pour qui que ce soit. Il a face à lui un Dossifei qui est son parfait contraire humain. Le chant poétique d’Alexey Antonov évoque, en effet, la douceur d’un Wolfram, une sérénité défaite qui ne se fait aucune illusion sur l’évolution de son monde.

                                                                                     Adam Smith (Kouzka)

A ses côtés, la Marfa de Julia Gertseva est une femme décidée et passionnée, mesurée dans ses sentiments, et très impliquée dans sa relation aux autres. Vocalement, elle a pour elle la force de la langue russe, qui ne suffit pas totalement à dépasser les déchirures agressives de ses aigus. Sa gravité est d’abord dans son regard posé sur l’être qui lui est cher sur scène, Andrei Khovanski.

Julia Gertseva (Marfa) et Dmitri Golovnin (Andrei Khovanski)

Julia Gertseva (Marfa) et Dmitri Golovnin (Andrei Khovanski)

Dmitry Golovnin est ainsi un chanteur sans ambages doué d’une puissance viscérale saisissante, qui fonctionne aux coups d’éclats. Le timbre n’est pas séduisant, mais révélateur des tourments de son personnage au caractère d’enfant.

Et parmi les autres interprètes masculins, Oleg Bryjak incarne un Chakloviti conspirateur puissant, Vsevolod Grivnov extériorise la violence de Vassili Golitsine, comme dernier geste de révolte, et Michael J.Scott s'amuse à jouer, d’emblée, un clerc plein d’assurance et d’intelligence.

Dans son rôle court et hystérique, Aylin Sezer rend Emma attachante par ses traits félins et désespérés, mais quel dommage que Liene Kinca ne fasse qu’une apparition succincte en Susanna, car son galbe vocal surdimensionné a hypnotisé plus d’un spectateur.

La version jouée à l’Opéra d’Anvers est semblable à celle de Paris, basée sur l’orchestration de Chostakovitch, et écourtée par le final de Stravinsky.

                                                                                           Alexey Antonov (Dossifei)

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