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Publié le 27 Juillet 2023

Semele (Georg Friedrich Haendel - 10 février 1744, Théâtre Royal in Covent Garden)
Représentation du 22 juillet 2023
Prinzregententheater, Munich

Semele Brenda Rae
Jupiter Michael Spyres
Apollo Jonas Hacker
Athamas Jakub Józef Orliński
Juno Emily D'Angelo
Ino Nadezhda Karyazina
Iris Jessica Niles
Cadmus/Somnus Philippe Sly
Hohepriester Milan Siljanov

Direction musicale Gianluca Capuano
Mise en scène Claus Guth (2023)                               
 Michael Spyres (Jupiter)
Coproduction Metropolitan Opera de New-York

Opéra créé sous forme d'oratorio anglais à un moment où les opéras seria italiens étaient passés de mode, 'Semele' ne connut pas de grand succès du vivant de Haendel.

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Il est donc tout à fait remarquable de constater qu'en ce mois de juillet 2023 deux nouvelles productions de cette œuvre font leur apparition sur les scènes lyriques, l'une à Glyndebourne dans la mise en scène d'Adele Thomas et sous la direction de Václav Luks, l'autre à Munich dans la mise en scène de Claus Guth et sous la direction de Gianluca Capuano.

Et c'est à un véritable enchantement que les spectateurs du Prinzregententheater se sont laissés aller au point d'offrir une mémorable standing ovation à toute l'équipe de la production.

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Il faut dire que le spectacle proposé dans le cadre du festival d'opéras de Munich réussit à vaincre toutes les difficultés qui font la force du genre opératique, en ce sens qu'il conjugue une lecture dramaturgique claire qui varie les points de vue et qui est pertinemment évocatrice pour la société d'aujourd'hui, évite les surcharges inutiles, notamment au niveau des décors, exige un engagement scénique sans égal de la part des artistes, alors que ces derniers font montre d'une diversité de couleurs et de lignes vocales très expressives, et que l'orchestre et les chœurs se fondent à l'ensemble avec richesse de coloris et un liant d'une très harmonieuse fluidité.

Et par dessus tout, c'est avec un opéra issu du baroque tardif que cette proposition remporte l'adhésion générale, ce qui n'est pas une mince affaire.

Brenda Rae (Semele), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Brenda Rae (Semele), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Le travail de Claus Guth se distingue ainsi par la façon dont il permet de bien identifier les différents protagonistes en jeu, avec des costumes qui traduisent très bien l'intériorité de chacun d'eux, Semele passant du blanc au noir, Athamas invariablement en blanc et passe-partout, Ino, la sœur de Semele, bien plus complexe qui se dédouble avec une Juno en vamp dangereuse et très séductrice, tout en mettant en valeur ce qui fait la beauté de chacun des chanteurs.

Il ne s'attarde pas sur une représentation au premier degré des références mythologiques contenues dans le livret, et fait osciller les différents lieux entre la grande salle de cérémonie de mariage, où se déroulent des jeux de mises en scène volontairement kitchs et superficiels dans un univers blanc, d'une part, et l'intériorité névrosée de l'héroïne représentée par des méandres de décorations noires de plus en plus envahissantes, d'autre part.

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

Brenda Rae (Semele) et Michael Spyres (Jupiter)

L'humour, omniprésent, côtoie la gravité de situation d'une femme qui, progressivement, se marginalise tout en détruisant sa vie. Car Claus Guth raconte avec une brillante acuité imaginative le désir d'une femme d'échapper à une société corsetée, obnubilée par son positionnement social. Le symbole est aussi lisible quand Semele s'évade d'une robe de mariage rigide que lorsqu'elle détruit à coups de hache le mur de la salle cérémonielle.

L'une des scènes les plus drôles et les plus significatives fait d'abord intervenir Jupiter, l'idéal masculin auquel rêve Semele, qui pousse Michael Spyres à se livrer à un amusant numéro de cabaret avec les danseurs afin de répondre au désir d'illusion de la jeune femme, et qui, par la suite, fait réapparaitre Athamas qui se voit contraint de sortir de sa fadeur en se livrant devant sa fiancée à un splendide numéro de break dance, défi que seul un artiste tel Jakub Józef Orliński, champion dans ce domaine également, peut relever.

Brenda Rae (Semele) et Nadezhda Karyazina (Ino)

Brenda Rae (Semele) et Nadezhda Karyazina (Ino)

Malheureusement pour Semele, au fur et à mesure que le piège tendu par Junon et Ino se referme sur elle, elle s'enfonce elle aussi dans sa fantasmagorie, perd pied, et c'est finalement sa sœur qui gagne, même si finalement, dans cette société, personne n'est irremplaçable, et qu'un amour peut en remplacer un autre. Le miroir est bien plus grinçant qu'il n'y paraît.

Isolée, Semele a cependant le temps de mettre au monde un enfant, Dyonisos, alors que des plumes noires, celles de Jupiter, se mettent aussi à pleuvoir sur les nouveaux mariés, la malédiction étant prête à se réenclencher. 

Face à cette excellente construction dramaturgique parcellée de nombreux moments de respirations, le spectateur a ainsi la possibilité de se projeter dans cette histoire et ces personnages de manière concrète, et de vivre plus intensément cette rencontre avec une très belle œuvre.

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Brenda Rae (Semele) et Jakub Józef Orliński (Athamas)

Bien qu'annoncée souffrante, Brenda Rae a accepté d'assurer la représentation, et l'énergie et la virtuosité théâtrales qu'elle y consacre sont absolument phénoménales. Actrice née, elle doit aussi composer avec des airs très difficiles, fait preuve d'une extrême finesse, d'une grande attention aux nuances, avec une coloration très claire, ne déployant une luminosité ample et très intense qu'à des moments bien choisis. On imagine bien qu'à travailler avec une telle artiste, un metteur en scène tel Claus Guth doit se régaler.

Michael Spyres (Jupiter)

Michael Spyres (Jupiter)

Irradiant dès sa première apparition, Michael Spyres est fabuleux par sa façon hors du commun de passer en toute fluidité du registre barytonant à la légèreté caressante du ténor, avec une excellente homogénéité de timbre et une souplesse expressive qui justifie la fascination de Semele pour lui.

Emily d'Angelo (Junon)

Emily d'Angelo (Junon)

Jakub Józef Orliński est évidemment égal à lui même, avec cette luminosité angélique pleinement timbrée et subtilement ambrée qui, sur la durée, libère l'auditeur du temps présent, alors que la superbe Emily d'Angelo trouve sa séduction non seulement dans son physique de garçonne magnifié par Claus Guth, mais également dans cette voix grave au grain perlé de noirceurs minérales, conduite avec une animalité un peu sauvage.

Emily d'Angelo (Junon) et Brenda Rae (Semele)

Emily d'Angelo (Junon) et Brenda Rae (Semele)

Et quels contrastes dans la voix de Nadezhda Karyazina, que l'on retrouvera dans 'Die Passagierin' au Teatro Real de Madrid la saison prochaine, capable de traits de noirceur abyssaux bien appuyés, et de passer de la douceur à la passion échevelée qui montre que finalement Ino n'est pas meilleure que Semele, juste plus calculatrice.

Dans ce monde de fous, Jessica Niles apporte aussi une fraicheur splendide et joyeuse en Iris, et Philippe Sly s'amuse beaucoup à dépeindre le tempérament débonnaire et flegmatique de Cadmus et Somnus.

Jakub Józef Orliński (Athamas), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Jakub Józef Orliński (Athamas), Nadezhda Karyazina (Ino) et Philippe Sly (Cadmus)

Chœurs d'une magnifique élégie spirituelle, orchestre doué d'une plénitude de timbres qui enveloppe avec une grande harmonie les galbes des voix, Gianluca Capuano, en toute modestie, dirige ces ensembles afin de donner une patine qui saisisse avec esprit la scénographie et ses ambiances lumineuses.

Emily d'Angelo, Michael Spyres, Brenda Rae et Jakub Józef Orliński

Emily d'Angelo, Michael Spyres, Brenda Rae et Jakub Józef Orliński

Si l'on peut s'interroger sur le passage de cette grande réussite d'une salle de 1400 places aux 3700 places de l'Opéra de New-York, il faut aussi espérer que cette production soit reprise prochainement dans la salle principale du Bayerische Staatsoper, tel que c'est envisagé actuellement face à un tel engouement public qui n'a, pour l'instant, été partagé que par 7000 spectateurs seulement.

Michael Spyres, Brenda Rae, Claus Guth et Gianluca Capuano

Michael Spyres, Brenda Rae, Claus Guth et Gianluca Capuano

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Publié le 13 Octobre 2016

Norma (Vincenzo Bellini)
Edition de Maurizio Bondi et Riccardo Minasi
Représentation du 12 octobre 2016

Théâtre des Champs-Elysées

Norma Cecilia Bartoli
Adalgisa Rebeca Olvera
Polione Norman Reinhardt
Oroveso Péter Kálmán
Clotilde Rosa Bove
Flavio Reinaldo Macias
Direction musicale Gianluca Capuano
Mise en scène Patrice Caurier, Moshe Leiser
Orchestre I Barocchisti
Coro della Radiotelevisione svizzera, Lugano
Production Festival de Salzbourg (2013)

                                                                                      Cecilia Bartoli (Norma)

En provenance du Festival de la Pentecôte de Salzbourg et de la 'maison de Mozart', salle d’opéra inaugurée en 1925 et rénovée afin d’y entendre dans les meilleures conditions possibles des instruments anciens, la production de ‘Norma’ conçue par Patrice Caurier et Moshe Leiser est invitée pour quatre soirées par le Théâtre des Champs-Elysées.

Si la scénographie a été fraîchement accueillie lors de la première représentation, l’interprétation musicale, elle, a surpris plus d’un auditeur.

Car on peut effectivement entendre, à travers cette lecture par un orchestre baroque, une continuité avec le ‘Tristan und Isolde’ intimiste que Daniele Gatti avait dirigé ici même, la saison passée, à la tête de l’Orchestre National de France. 

Cecilia Bartoli (Norma)

Cecilia Bartoli (Norma)

Épure du tissu orchestral, qui confine parfois à la discrétion la plus absolue, célérité haletante des enchaînements, qui ne laissent qu’un bref instant de reprise aux chanteurs, timbres automnaux des bois et des vents, rugueux et brillants à la fois, flûtes fuyantes telles des fusées, cuivres qui crachent des paillettes d’argent, les tourbillons de cordes ainsi colorés reproduisent la folie et les impertinences de la vie sans rechercher la moindre emphase.

C’est caractéristique de l’ensemble ‘I Barocchisti’ qui, sous la direction de Gianluca Capuano, nerveuse mais très attentive aux chanteurs, évolue habituellement dans le répertoire du XVIIème et XVIIIème siècle, mais est totalement inattendu dans la musique romantique de Bellini, qui semble comme happée par une spontanéité rythmique décalée.

Les solistes, pourtant, se fondent entièrement dans cette musique, que son atmosphère soit mélancolique ou dithyrambique.

Rebeca Olvera (Adalgisa)

Rebeca Olvera (Adalgisa)

Et pour qui les vocalises de Cecilia Bartoli peuvent paraître excessivement techniques, l’interprétation qu’elle rend de la prêtresse, totalement différente de celles de Maria Callas ou Shirley Verrett, est une merveille de délicatesse musicale, d’agilité étourdissante et d’effets de styles théâtraux, quelques fois exagérés, mais qui réservent aussi de très belles images élégiaques et éphémères. 

Elle n’est pas pathétique, ressemble plus à un personnage mozartien ou rossinien, mais ses qualités de comédiennes sont réalistes et très bien mises en valeur.

A cette Norma baroque est associée une partenaire d’une très belle fraîcheur musicale, Rebeca Olvera. Son Adalgisa est chantée avec une telle netteté et une telle jeunesse qu’elle évoque les héroïnes naïves du répertoire français, et offre de très touchants tableaux joués avec une vérité expressive qui se devine sous les clairs obscurs de la scénographie. 

Et il en va de même pour Norman Reinhardt, en Polione, ténor de charme au style superbement soigné et séducteur, l’antithèse de la version rude et puissante de Marco Berti, la saison passée.

Rebeca Olvera (Adalgisa) et Cecilia Bartoli (Norma)

Rebeca Olvera (Adalgisa) et Cecilia Bartoli (Norma)

C’est bien évidemment l’unité stylistique entre ces trois chanteurs qui fait le prix artistique de cette ‘Norma’ atypique, certes dénuée de sentiments tragiques, mais d’une musicalité vivifiante miraculeuse.

Péter Kálmán, Oroveso d’une naturelle autorité, Rosa Bove et Reinaldo Macias, respectivement en Clotilde et Flavio, complètent une équipe liée par l’unité chaleureuse d’un chœur compact et dramatiquement engagé.

Reste l’acceptation du parti-pris scénique qui assimile le contexte de la Guerre des Gaules à celui de l’occupation allemande. 

La première scène qui s’ouvre sur le décor d’une salle de classe à l’ancienne, illuminée avec naturel et sens de l’émotion, où l’autorité s’impose à des élèves disciplinés, renvoie à une image d’Epinal tellement nostalgique, que l’on peut y voir le rêve d’un monde disparu qui ne correspond plus à la réalité d'aujourd’hui.

Cecilia Bartoli (Norma) et  Norman Reinhardt (Polione)

Cecilia Bartoli (Norma) et Norman Reinhardt (Polione)

On ne peut donc pas parler d’actualisation, mais d’un effort pour recréer un monde cohérent et auquel on puisse croire, s’il n’y avait manifestement un décalage indépassable avec le contenu de l’histoire. 

La direction théâtrale est travaillée et recherche autant l’exaltation de grands sentiments poétiques que la traduction des violences nées de l’oppression des dominants.

On pourrait même y voir une inspiration des climats et des comportements intimes que sait si bien mettre en scène Dmitri Tcherniakov, par exemple dans ‘Eugène Onéguine’ ou ‘Dialogues des Carmélites’, sans toutefois réussir à dégager une interprétation qui révolutionne le sens de l’ouvrage.

Et la dernière scène où l’école s’enflamme autour des deux amants est très impressionnante à voir sur les planches d'un théâtre par la manière de lui donner une progression dramatique en même temps que la musique s’amplifie, et ne cesse définitivement.

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