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Publié le 26 Mars 2018

Don Carlos (Giuseppe Verdi)
Représentation du 24 mars 2018
Opéra National de Lyon

Philippe II Michele Pertusi
Don Carlos Sergey Romanovsky
Rodrigue Stéphane Degout
Le Grand Inquisiteur Roberto Scandiuzzi
Un Moine Patrick Bolleire
Elisabeth de Valois Sally Matthews
La Princesse Eboli Eve-Maud Hubeaux

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Christophe Honoré (2018)

                                                                                      Sergey Romanovsky (Don Carlos)

Même si l'Opéra National de Lyon est le second théâtre lyrique de France, représenter Don Carlos dans sa version originale la plus complète possible est un défi important aussi bien pour l'ensemble de ses forces techniques et artistiques que pour les artistes invités, car les occasions de l'interpréter sont rares.

C'est donc une chance inespérée que de pouvoir suivre une seconde vision de ce chef d’œuvre après les représentations parisiennes inoubliables d'octobre dernier.

Et si, à Paris, Philippe Jordan et Krzysztof Warlikowski travaillèrent conjointement les dimensions les plus froides et flamboyantes inhérentes au genre du Grand Opéra dans lesquelles se consumèrent les relations de couples et d'amour entre les personnages sujets de ce drame, à Lyon, nous assistons à un véritable spectacle de théâtre sombre, dur, dénué de toute splendeur superflue et hanté par un misérabilisme qui réduit tous les protagonistes à pas grand-chose.

Scène d'autodafé - Photo Jean Louis Fernandez

Scène d'autodafé - Photo Jean Louis Fernandez

Quelques murailles défraichies pour le Palais de l'Escurial, des loges et des passerelles en bois pour la place de la cathédrale et la chambre du roi, des rideaux opaques mobiles pour dissimuler les intrigants et les corps des victimes, la peinture d'un Christ immense et sinistre à l'intérieur d'une chapelle se Saint-Just, du début à la fin la cour de Philippe II vit dans un univers sans jour, un cauchemar intérieur sans espoir.

Le premier acte, un brouillard nocturne comme si l'on ouvrait sur la lande lugubre de Macbeth, s'évertue à gommer la moindre mièvrerie du livret, plus loin on découvre une Eboli en fauteuil roulant, une jambe recouverte par sa robe noire, l'autre nue, pour représenter à la fois son handicap et sa sensualité, et la restitution d'une partie du ballet est utilisée afin de montrer une face détestable de la cour d'Espagne, avec ses jeux d'humiliation envers la part de l'humanité qu'elle estime dépravée, qui aboutiront à l'autodafé.

Incontestablement, une grande force dans la ligne dramaturgique de Christophe Honoré qui, cependant, ne bouscule pas non plus les rapports entre les personnages. Rodrigue n'a donc pas le rôle aussi déterminant et moteur sur lequel il pouvait compter dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski à Paris, et Philippe reste un homme de marbre. Les revendications politiques et le rapport à la liberté des Flamants ne sont pas particulièrement mis en exergue non plus.

Eve-Maud Hubeaux (Eboli) et Sally Matthews (Elisabeth) - Photo Jean Louis Fernandez

Eve-Maud Hubeaux (Eboli) et Sally Matthews (Elisabeth) - Photo Jean Louis Fernandez

Seul le début du dernier acte souffre un peu de cet espace étouffant qui réduit l’impact du basculement vers le néant que le grand air d’Élisabeth représente, l'orchestre ne versant pas dans le spectaculaire à ce moment crucial.

Et à l'instar de Paris à d'octobre dernier, il s'agit bien de la version des répétitions de 1866 à laquelle est ajoutée la première partie du ballet composé en 1867.

Cependant, des 8 coupures opérées par Verdi avant la création de mars 1867 pour insérer le ballet, 2 ne sont pas rétablies : les 9 mesures précédant l'arrivée de la Reine dans le bureau du Roi, et le passage où Eboli annonce qu'elle a poussé le peuple à la révolte 'voyez si je l'aimais' - elle ne revient donc pas sur scène au final de l'acte IV.

Également, la reprise du chœur en coulisse 'mandolines ...', la seule coupure que Jordan n'avait pas rétablie, est insérée après le ballet, fermant ainsi la parenthèse de cette scène macabre.

En revanche, Rustioni ajoute une coupure tout à fait arbitraire dans le duo entre Philippe et Rodrigue, puis au cours de la première partie orchestrale de l'autodafé, ce qui est bien dommage. Probablement, Christophe Honoré souhaitait resserrer l'action.

Michele Pertusi (Philippe II) et Sally Matthews (Elisabeth) - Photo Jean Louis Fernandez

Michele Pertusi (Philippe II) et Sally Matthews (Elisabeth) - Photo Jean Louis Fernandez

Pour cette version dont l’âpreté pourrait surprendre, Daniele Rustioni joue sur toutes les possibilités en couleurs et textures de l’orchestre sans forcément chercher à préserver une ligne musicale continue tout le long de l’ouvrage. Les traits peuvent être à certains moments sévères, la transparence et la limpidité surgir magnifiquement sur d’autres passages, mais l’allant mélodique est constamment régénéré et ne lâche rien à l’engagement théâtral.

Ensuite, selon les goûts, certaines teintes peuvent se révéler trop mates, comme les couleurs des cuivres, mais elles contribuent à la coloration d’ensemble de ces tableaux austères.

Le premier avantage d’entendre un tel ouvrage dans une salle bien moins volumineuse que celle de l’opéra Bastille est de rendre sensible les moindres nuances vocales, du chœur en particulier. Lors de l’introduction ou de l’autodafé, nous pouvons tous comprendre chaque syllabe prononcée par les différentes strates de choristes créant ainsi une proximité avec ces derniers, ce qui accentue l’emprise théâtrale du spectacle.

Un travail de haute précision impossible à rendre quand l’acoustique devient plus réverbérante.

Eve-Maud Hubeaux (Eboli) - Photo Classiquenews

Eve-Maud Hubeaux (Eboli) - Photo Classiquenews

Tous les solistes s’inscrivent conjointement, sans la moindre faille, dans cette interprétation de caractère, mais celui qui mérite le plus d’éloges est Sergey Romanovsky qui dépeint un Don Carlos romantique et torturé fort émouvant, d’une qualité de diction inouïe de la part d’un chanteur slave. Son personnage est habité par un sens de l’expression juste et sa voix est douée d’un beau medium sensuel est expressif. Ses aigus moins puissants se voilent toujours pour maintenir la douceur du son.

Sally Matthews, en Elisabeth, possède un timbre brun et sauvage et des qualités emphatiques qui théâtralisent à un point que le personnage de Tosca n’est jamais très loin. Cela est particulièrement vrai au dernier acte lorsqu’elle se lamente sur sa vie au pied d’une peinture du Christ. Ses réactions véhémentes envers Philippe et Eboli au quatrième acte prennent alors un relief quasi vériste fort saisissant.

Et La Princesse Eboli d’Eve-Maud Hubeaux, elle qui jouait le rôle du page à Bastille, arbore les traits d’une adolescente écorchée et vindicative au chant volontariste, fulgurante dans les aigus. Elle privilégie ainsi la mise en valeur des noirceurs enflammées de son timbre à la souplesse sensuelle du phrasé, et peut compter sur une présence démonstrative.

Daniele Rustioni - Photo Davide Cerati

Daniele Rustioni - Photo Davide Cerati

Quant au Roi Philippe II, Michel Pertusi en dessine un contour musicalement soigné, autoritaire sans pour autant dresser un caractère inaccessible, qui ne pâlit pas devant l’inquisiteur caverneux et peu inquiétant de Roberto Scandiuzzi.

Stéphane Degout, presque trop chevaleresque, est d’une telle netteté et d’un tel éclat viril, moins velouté qu’à son habitude, qu’il semble comme provenir d’un autre monde. Il représente celui qui a le recul, la vision de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, une jeunesse saine au milieu d’une famille qui dégénère.

Un seul entracte qui sépare deux parties de plus de deux heures, un public qui s'implique face à la représentation de l'obscurantisme décadent qui régit les comportements de la cour d’Espagne, un accueil chaleureux à l'ensemble des artistes engagés, quelque chose de fort s'est joué ce soir.

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Publié le 17 Septembre 2014

Daphné (Richard Strauss)
Représentation du 14 septembre 2014
Théâtre Royal de la Monnaie

Peneios Iain Paterson
Gaea Birgit Remmert
Daphne Sally Matthews
Leukippos Peter Lodahl
Apollo Eric Cutler
Erste Magd Tineke Van Ingelgem
Zweite Magd Maria Fiselier

Mise en scène Guy Joosten
Décors Alfons Flores
Video Franc Aleu

Direction Musicale Lothar Koenigs

Orchestre et chœur de la Monnaie
                                                                                  Sally Matthews (Daphné)

 

Plus rarement représentée que Salomé, Ariane à Naxos, Der Rosenkavalier ou Elektra, Daphné fut pourtant composée plus d’un quart de siècle après les premiers chefs-d’œuvre de Richard Strauss. Sa musique est d’une luxuriance envahissante, peu dramatique, et d’une luminosité vivifiante.


Et cette lumière s’apprécie d’autant mieux, quand on la vit en ayant une vue large sur l’impressionnante phalange de musiciens baignée par les lueurs chaudes de leurs pupitres.

Birgit Remmert (Gaea) et Iain Paterson (Peneios)

Birgit Remmert (Gaea) et Iain Paterson (Peneios)

Lothar Koenigs réussit à saisir la finesse du tissu musical, en tenant sous contrôle l’ondoyance diffuse et sensuelle d’un orchestre dont il polit méticuleusement les moindres clivages de couleurs.

Nous sommes ainsi pris dans un flot sonore généreux - parcellé de quelques incertitudes instrumentales isolées – qui ne cède pas aux débordements que l’ampleur orchestrale suggère pourtant.

L’interprétation scénique qu’en réalise Guy Joosten oppose, dans notre monde d’aujourd’hui, l’univers dématérialisé des salles de marchés où coulent des fleuves charriant d'innombrables valeurs numériques, et la Nature originelle de l’homme symbolisée par un gigantesque arbre déployé sur un tronc massif qui en perfore le cœur glacé. Un conflit intérieur de la vie moderne qui paraît bien réel.

Sally Matthews (Daphné)

Sally Matthews (Daphné)

Un immense escalier conçu selon une architecture qui rappelle celle de l’Opéra Garnier devient alors le théâtre des rapports intimes entre les principaux protagonistes.

Et les chanteurs sont tous contraints à incarner fortement leurs rôles.

Magnifique et émouvante Daphné aux inflexions d’oiseau sauvage, Sally Matthews se distancie avec bonheur d’une incarnation simplement précieuse et délicate, pour faire ressortir l’originalité de son timbre animal. Son souffle long s’épanouit naturellement avec une homogénéité sensible qui préserve toute la fragilité de son personnage.

Eric Cutler (Apollon)

Eric Cutler (Apollon)

Eric Cutler, en splendide Apollon, est également très convaincant par les détails expressifs qu’il accorde pour traduire les émotions légères, la détermination, la montée de la colère jusqu’aux emportements passionnels qui le poussent au meurtre. Sa voix est franche, mature et virile, et nous tenons là une vision de l’Amour non idéalisée, puisqu’il tue.

A ses côtés, le Leukippos de Peter Lodahl semble plus pâle, mais l’homme est touchant et très impliqué dans ce rôle dévalorisé.

Iain Paterson et Birgit Remmert forment enfin un couple très bien assorti, drôlement décadent, elle ivre et sans barrière apparente, et douée d’un jeu parfois physiquement périlleux – la chute dans l’escalier -, lui tout autant bouffi d’orgueil mais au timbre plus séducteur.

Eric Cutler (Apollon)

Eric Cutler (Apollon)

Restant relativement fidèles au texte du livret sans chercher à en élargir la vision symbolique – une réflexion sur l’Art et la Société -, Guy Joosten et Franc Aleu – le vidéaste de La Fura Dels Baus – ont ainsi composé des palettes d’images dynamiques qui incluent le flux coloré des valeurs financières, les ondes qui glissent sur le grand escalier, et l’incendie final, rougeoyant et grandiose, du grand arbre.

Et lorsqu’on l’associe à la scène allégorique et dionysiaque des bergers, très vite lassante après le premier effet de surprise à la vue des satyres à têtes de béliers – le chœur est par ailleurs moins saisissant dans cette scène que dans l’introduction élégiaque -, on ne peut s’empêcher d’y voir une allusion inconsciente au Buisson Ardent, l’expression d’un Dieu impuissant face à la décadence de ses fidèles.

Daphné (S.Matthews-E.Cutler-L.Koenigs-G.Joosten) La Monnaie

Cette image est en fait fortement revitalisante, combinée au postlude orchestral, et le Théâtre de La Monnaie débute donc sa saison sur une rareté musicale incontournable et visuellement impressive.

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