Articles avec #aldrich tag

Publié le 3 Novembre 2016

Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach)
Répétition générale du 28 octobre et représentations du 06 & 21 novembre 2016
Opéra Bastille

Olympia Nadine Koutcher
Antonia Ermonela Jaho
Giulietta Kate Aldrich
La Muse/Nicklausse Stéphanie d’Oustrac
Hoffmann Stefano Secco (21) / Ramon Vargas (le 18)
Luther/Crespel Paul Gay
Lindorf/Coppelius/Dr. Miracle Roberto Tagliavini
Nathanaël Cyrille Lovighi
Frantz Yann Beuron
La voix de la Mère Doris Soffel

Direction Musicale Philippe Jordan                                 Yann Beuron (Frantz)
Mise en scène Robert Carsen (2000)

Diffusion sur Culturebox à partir du 16 novembre et sur France Musique le 27 novembre 2016.

Les Contes d’Hoffmann est une œuvre représentative du grand mouvement d’ouverture du répertoire de l’Opéra de Paris à celui de l’Opéra-Comique qui s'est propagé à l'après-guerre, et qui s’est généralisé avec l’arrivée de Rolf Liebermann à la direction de l’institution en 1973.

En effet, après Carmen en 1959, puis Tosca en 1960, le célèbre opéra de Jacques Offenbach fut enfin représenté sur la scène du Palais Garnier en 1974 dans une mise en scène de Patrice Chereau.

Régulièrement repris depuis, l’ouvrage a trouvé sa mise en scène de référence dans la production de Robert Carsen créée le 20 mars 2000 sur la scène Bastille.

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

La réussite de ce spectacle provient du captivant voyage dans le monde de l’Opéra qui est proposé au spectateur, afin de donner à celui-ci le sentiment qu’il évolue depuis les coulisses du théâtre vers la salle de spectacle, puis sur la scène de ce même théâtre recouvert des ors et velours rouges bourgeois, avant de revenir au point de départ face à l’immense scène vide et dépouillée, tout en noir.

L’Opéra, qui n’est évoqué que dans le prologue à propos de la salle de Nuremberg où Stella chante Don Giovanni, devient ici une métaphore de la vie et du théâtre.

Les illusions s'y fabriquent et brouillent la perception de la réalité. Une même unité de lieu réunit ainsi les actes de Nuremberg, Munich et Venise.

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

La référence à Don Giovanni réapparaît au premier acte, transposé dans une scène de répétition, et au deuxième acte lorsque la mère d'Antonia survient spectaculairement sous les traits d'une surnaturelle Donna Anna voilée de haillons fantomatiques et illuminés par la Lune aux pieds de la statue d'un Commandeur décapité.

Le décor à l'ancienne fait ici référence à un passé révolu de l'Art lyrique. Une vision mortifère qui rapproche Hoffmann et Antonia dans leur sombre quête romantique.

Philippe Jordan - Répétition des Contes d'Hoffmann

Philippe Jordan - Répétition des Contes d'Hoffmann

Et pour cette série de représentations, le faux orchestre qui se présente sur scène au final de cet acte, dirigé par le docteur Miracle, fait une impression encore plus étrange lorsque l'on sait que Philippe Jordan, aux commandes du véritable orchestre installé dans la vraie fosse, cette fois, a également dirigé Don Giovanni dans cette même salle au printemps 2012.

Enfin, la barcarolle chantée flegmatiquement sur les gradins ondoyants d'un amphithéâtre, où se déroule progressivement la fameuse scène orgiaque le verre de champagne à la main, a préservé un charme coquin et sensuel, à l'image de l'éloignement final de la muse et d'Hoffmann en direction de deux rayons d'espérance, rayons baignés des voix irréelles du chœur qui résonnent dans l'immensité du plateau absolument abandonné.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse) et Kate Aldrich (Giulietta)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse) et Kate Aldrich (Giulietta)

La septième distribution de cette production – déjà ! -  réunie sur la scène Bastille vaut à elle seule le prix de ce spectacle, même en l'absence de Jonas Kaufmann que les connaisseurs regrettent.

Pour la dernière répétition, Stefano Secco est d'ailleurs venu interpréter Hoffmann, bien qu'il ne chantera que les trois dernières représentations.

Il a certes une projection et une vaillance moins brillantes que par le passé, quand il interprétait dans cette même salle d'éclatants rôles italiens plein de fougue, mais son chant est toujours aussi stylisé, et les nuances des phrasés d'une évidente tendresse qui touche droit au cœur.

Stefano Secco (Hoffmann) - répétition du 28 octobre

Stefano Secco (Hoffmann) - répétition du 28 octobre

Ainsi, ce ne sont pas les cadences mordantes de la chanson de Kleinzach qui lui correspondent le mieux, même s'il joue avec un entrain jovial, mais la seconde partie de l'air 'Ah! sa figure charmante!... je la vois belle comme le jour', plus délicate et tendue, qui révèle la noble candeur de sa ligne de chant parcellée d'accents solaires.

Les passages les plus lyriques prennent une musicalité mélancolique verdienne qui rappelle, avec nostalgie, les désespérances de Don Carlo.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Et cette musicalité s'harmonise avec la direction musicale de Philippe Jordan qui ranime, elle aussi, les plus belles lignes symphoniques de la partition en soignant les effets de clair-obscur.

Ces lignes orchestrales s'insèrent d'emblée au premier acte dans une forme aux tempi rapides finement modulés très proches de la sinfonietta qui, comme toujours chez ce chef d'orchestre, libère un espace sonore pour les ornements superbement filés pars les solistes instrumentaux.

Aucun concession aux effets faciles, les jaillissements théâtraux des percussions sont contenus, mais une attention aux respirations musicales aérées qui se fondent subtilement à l'art des chanteurs et s'amplifient au cours de la représentation.

Ramon Vargas (Hoffmann) - le 06 novembre

Ramon Vargas (Hoffmann) - le 06 novembre

Par comparaison avec Stefano SeccoRamon Vargas, qui interprète le rôle d'Hoffmann au cours des six premières représentations, alors que les premiers jours de froid parisien apparaissent, inscrit son chant, un peu moins puissant, dans une ligne très homogène au grain perceptible, qui lui donne une belle dignité.

Aigus couverts, afin de préserver cette forte impression d'intégrité qu'il dégage, paroles soignées, couleurs grisonnantes dans le médium, son expressivité a quelque chose d'austère mais de profondément sincère.

Doris Soffel (La Mère)

Doris Soffel (La Mère)

Une fois l'ouverture jouée sur la rêverie du chœur, Stéphanie d'Oustrac approche depuis l'arrière-scène vers Hoffmann, une muse exaltée, volontaire au timbre mat, qui impose une personnalité forte aux commandes de la destinée du poète.

Diction impeccable, tout au long de la représentation - elle est le seul personnage féminin présent à tous les actes sous les traits de Nicklausse - ses fulgurances comme ses couleurs ambrées font ressortir une impression de liberté et d’assurance presque hautaine. Une grande incarnation.

Nadine Koutcher (Olympia)

Nadine Koutcher (Olympia)

Des trois rencontres féminines d'Hoffmann, la première, Olympia, est incarnée par Nadine Koutcher qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris. Artiste associée à Teodor Currentzis, cet ébouriffant chef d'orchestre russe que l'on attend de revoir sur les scènes de la capitale, elle fut révélée au Teatro Real de Madrid par l'œuvre de Purcell The Indian Queen, où le rôle de Doña Isabel lui offrit des airs d'une magnifique spiritualité.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

C'est donc une très grande surprise de la retrouver dans le rôle aussi artificiel de la poupée mécanique, d'autant plus qu'elle réussit tout, aussi bien les pyrotechnies vocales d'une pure clarté et les aigus hystériques extrêmement effilés, que l’appropriation immédiate et totalement libre de la nature nymphomane que le metteur en scène a projeté sur son personnage. 

Une réjouissante aisance dans la folie qui n'a rien à envier à celle qui a marqué ce rôle à la création de ce spectacle, Natalie Dessay.

Ermonela Jaho (Antonia)

Ermonela Jaho (Antonia)

Après Violetta et Cio-Cio San, Ermonela Jaho est de retour sur la scène Bastille pour reprendre le rôle d'Antonia que sa compatriote albanaise, Inva Mula, a également chanté pour cette production. Charme mélodramatique touchant, texture des aigus qui vibrent d'une légèreté presque surnaturelle, sa délicatesse musicale teintée de dolorisme ôte aussi un peu de puissance charnelle à cette femme passionnée.

Le contraste avec Doris Soffel, voix bien plus sombre et plus irrégulière, trop présente pour incarner un fantôme revenant d'un passé révolu, n'en est que plus marqué.

Kate Aldrich (Giulietta)

Kate Aldrich (Giulietta)

Enfin, pour compléter cet ensemble de portraits féminins, Kate Aldrich dépeint une Giulietta d'une jeunesse et d'une fraîcheur glamour séduisante, sans suggérer toutefois un danger qu'une voix encore plus richement noire pourrait le faire.

Cette distribution d'un très haut niveau musical a aussi ses qualités masculines en plus de celles d'Hoffmann.

Roberto Tagliavini (Lindorf / Dr Miracle)

Roberto Tagliavini (Lindorf / Dr Miracle)

Roberto Tagliavini n'a certes rien d'un méchant tel que Bryn Terfel saurait le jouer d'un rire sarcastique, mais il exagère tellement l'impulsivité de Lindorf qu'il en fait un diable sympathique. Lignes vocales profondes, sombres et homogènes, cette constance de tenue crée de la séduction inattendue chez un personnage qui fascine habituellement pour son machiavélisme.

Stefano Secco (Hoffmann) et Kate Aldrich (Giulietta)

Stefano Secco (Hoffmann) et Kate Aldrich (Giulietta)

Il y aura aussi un instant de rêve, au second acte, quand Yann Beuron, luxueusement distribué dans le petit rôle de Frantz, viendra chanter ses illusions d'une voix généreuse et caressante.

Le chœur, dans une production qui profite de toutes ses facettes de jeux et de chant jusqu'à l'adieu céleste final, est sur un terrain qu'il connait bien, un soin que mérite cette belle reprise.

A revoir jusqu'au 22 mai 2017 sur Culturebox : Les Contes d'Hoffmann.

Voir les commentaires

Publié le 14 Janvier 2016

Partenope (Georg Friedrich Haendel)
Version de concert du 13 janvier 2016
Théâtre des Champs Elysées

Arsace Lawrence Zazzo
Partenope Karina Gauvin
Emile John Mark Ainsley
Armindo Emöke Baráth
Rosmira Kate Aldrich
Ormonte Victor Sicard

Direction musicale Maxim  Emelyanychev
Ensemble Il Pomo d’Oro
                                                 Karina Gauvin (Partenope)

Comédie psychologique évoquant les intrigues ingénues de Marivaux, Partenope n’en est pas moins un ouvrage qui comporte de grands airs sensibles et émouvants dans sa première partie, musicalement la plus prenante.

Et ce soir, la fine soprano Emöke Baráth est à l’honneur de cette partition dans le rôle d’Armindo, jouant naturellement sur des airs qui exaltent la grâce de l’âme, une légèreté de nuances qui triomphe le cœur sur les lèvres, et une tendre modestie qui accueille d’un touchant sourire la clameur du public.

Elle n’est pourtant pas l’artiste la plus médiatisée, et c’est ce qui fait la beauté de sa découverte.

Kate Aldrich (Rosmira), Lawrence Zazzo (Arsace), Emöke Baráth (Armindo)

Kate Aldrich (Rosmira), Lawrence Zazzo (Arsace), Emöke Baráth (Armindo)

Lawrence Zazzo, somptueux remplaçant de Philippe Jaroussky, affiche, lui, une fierté épique dans ses airs vaillants, et déjoue toutes les difficultés d’une écriture qui magnifie à la fois le galbe épuré de sa voix et la profondeur de ses graves nerveux. Le tout unifié par un timbre sombre et boisé.

Kate Aldrich, agréable actrice à la voix mate et subtilement vibrante, provoque ses partenaires avec aplomb, et Karina Gauvin arrive à subjuguer les spectateurs dans des airs très dynamiques où l’adresse technique prend le dessus sur la vérité humaine, avec une complexité de vibrations et des éclats vrillés qui ornent étrangement les lignes de son chant.

Lawrence Zazzo (Arsace)

Lawrence Zazzo (Arsace)

John Mark Ainsley et Victor Sicard ajoutent une tonalité mozartienne à cet ensemble de chanteurs, tous voués à la gaité de l’ouvrage.

Mais la grande stupéfaction de la soirée provient de l’orchestre Il Pomo d’Oro. Dix-huit brillants musiciens sont emportés par une verve fluide, les cordes vibrent dans une chaleur de son mâtinée de couleurs vivantes et expressives, et leur relief chaloupé s’exacerbe sous l’embrassement fou de Maxim Emelyanychev, dont l’exubérance volubile évoque la fougue géniale d’un autre chef russe qu’il a déjà côtoyé, Teodor Currentzis.

Voir les commentaires

Publié le 29 Janvier 2015

Idomeneo (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 25 janvier 2015
Opéra National de Lyon

Idomeneo Lothar Odinius
Ilia Elena Galitskaya
Idamante Kate Aldrich
Elektra Ingela Brimberg
Arbace Julien Behr
Le Grand Prêtre Didier Roussel
La Voix de Neptune Lukas Jakobski

Direction Musicale Gérard Korsten
Mise en scène Martin Kusej (2014)

                                                                                                Kate Aldrich (Idamante) et Ingela Brimberg (Elektra)

Coproduction Royal Opera House Londres, Opéra des Flandres

Martin Kusej n’est pas n’importe quel metteur en scène. Sa vision de l’homme est féroce, car il sait que ce sont les épreuves de la vie qui révèlent le véritable visage de celui-ci.

Il est également un homme de théâtre qui traite le chœur comme un personnage à part entière, et le transforme en symbole d’une société dont il observe avec acuité le rapport aux événements, aux superstitions et au pouvoir.

Ainsi, dans sa production de Macbeth pour l’Opéra de Munich, arrive-t-il à montrer comment un peuple aveugle peut encenser ses nouveaux dirigeants, avant d’en devenir ses victimes.

Kate Aldrich (Idamante) et Elena Galitskaya (Ilia)

Kate Aldrich (Idamante) et Elena Galitskaya (Ilia)

Dès l’ouverture d’Idomeneo, dans un climat de tempête et de trombes d’eau, le chœur a de nouveau un rôle majeur. Il est autant le peuple Troyen échoué sur les bords d’un pays étranger, que les forces crétoises fascistes qui le martyrisent. Le monstre issu de la colère de Neptune devient alors le révélateur des peurs collectives.

L’image de ces gens brandissant un requin et agitant des petits poissons à offrir en sacrifice est bon enfant, mais lorsque le drame arrive, ces personnes en apparence inoffensives sont prises de panique et prennent haches et couteaux sans que l’on sache exactement vers qui leur violence va se retourner : le monstre responsable du massacre ? Idamante ? Son père peut-être ? Tout le monde est sur ses gardes.

Lothar Odinius (Idomeneo)

Lothar Odinius (Idomeneo)

La réaction de certains spectateurs face à une immense langue sanglante de vêtements et de chairs en lambeaux est assez étonnante, car Kusej ne fait que montrer ce que dit le texte : « Ah ! regarde ces rues noyées sous le sang ! ». Est-ce une méconnaissance du livret, ou alors un refoulement d’une image qui renvoie aux actes d’horreur qu’ont connu les New-Yorkais ou bien les Parisiens plus récemment ?

Il ressort en tout cas de ce travail le pressentiment que les démocraties peuvent très vite se retourner en dictatures militaires sous l’emprise de religieux dans un monde de plus en plus dangereux. Et, à la toute fin, le règne d’Idamante et Ilia débute mal.

Mais s’il y a bien une ligne directrice et cohérente qui augmente l’importance de certains personnages comme le Grand Prêtre qui apparaît sous la forme d’un rôle muet au premier acte, le metteur en scène délaisse les caractères, rend Idoménée, Elektra et Idamante monolithiques – les scènes de confrontations manquent d’intensité -, et ne réussit qu’à renforcer le rôle d’Ilia. Jamais n’est-elle parue aussi humaine et déterminante.

Elena Galitskaya (Ilia)

Elena Galitskaya (Ilia)

Car Elena Galitskaya est le véritable cœur saignant de la soirée, une voix dramatiquement romantique débordante de grâce mozartienne. Et l’harmonie entre cette délicatesse et la finesse des expressions fragiles tant de son regard que de ses bras si souples est d’une beauté extrêmement touchante.

A contrario, Kate Aldrich, en Idamante, n’utilise pas suffisamment son corps pour exprimer son intériorité, ce qui est dommage, car au cours de la représentation son chant prend une tonalité de plus en plus sombre et sensuelle sans qu’elle n’arrive à se sentir à l’aise avec le travestissement de son personnage. Même sentiment pour Ingela Brimberg dont les moyens impressionnants ne suffisent pas à traduire les failles d’Elektra et lui donner une épaisseur humaine en laquelle l’on puisse se refléter.

Kate Aldrich (Idamante)

Kate Aldrich (Idamante)

Et Lothar Odinius est certes un Idoménée théâtralement crédible, appuyé par une voix présente et lyrique, sans faille, qui ne traduit cependant pas toute la sensibilité musicale que ce rôle peut offrir.

Les chœurs sont très bons, une force vitale déterminée et tragique, et la direction de Gérard Korsten redéploie les lignes mozartiennes pour leur donner une ampleur inhabituelle, séduisante autant que prenante. L’orchestre de l’Opéra de Lyon est entraîné dans un magnifique continuum marin, comme s’il était la mer baignant le drame.

La transparence des sonorités, la grâce avec laquelle les cordes s’effacent en douceur pour laisser les notes scintillantes du clavecin prolonger le mouvement musical, sont impressionnantes de bout en bout, même si l’on a bien conscience que cette noirceur est une beauté en soi qui se détache du pathétisme des caractères humains.

Voir les commentaires