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Publié le 5 Mars 2022

El Abrecartas (Luis de Pablo – 2015)
Livret de Vicente Molina Foix, basé sur la nouvelle éponyme (2006)
Représentation du 26 février 2022

Federico García Lorca Airam Hernández
Vicente Aleixandre Borja Quiza
Miguel Hernández José Antonio López
Rafael José Manuel Montero
Alfonso Mikeldi Atxalandabaso
Andrés Acero Jorge Rodríguez-Norton
Salvador / Setefilla Ana Ibarra
Ramiro Vicenç Esteve
Comisario Gabriel Díaz
Eugenio d’Ors David Sánchez
Sombra Laura Vila

Direction musicale Fabián Panisello
Mise en scène Xavier Albertí (2022)
Chœur et orchestre titulaires du Teatro Real de Madrid 
          
Vicenç Esteve (Ramiro)
Petits Chanteurs de la JORCAM

La création mondiale d’'El Abrecartas' parachève le legs important de Gerard Mortier à la rénovation musicale du Teatro Real de Madrid entrepris dès 2009. Joan Matabosch, le directeur actuel de l’institution madrilène, aura ainsi tenu jusqu’au bout ses engagements envers son prédécesseur, 8 ans après sa disparition.

Jorge Rodríguez-Norton (Andrés Acero)

Jorge Rodríguez-Norton (Andrés Acero)

C’est en effet en 2010 que Gerard Mortier passa commande d’’El Abrecartas’ à Luis de Pablo (Bilbao, 1930 – Madrid, 2021) qui eut le projet d’adapter la nouvelle éponyme de Vicente Molina Foix récompensée en 2007 ‘Premio Nacional de Literatura en la modalitad de Narrativa’

Il s’agit de la troisième coopération entre les deux créateurs dans le domaine du théâtre musical après ‘El viajero indiscreto’ (Madrid, Teatro de la Zarzuela - 1990) et ‘La madre invite a comer’ (Biennale de Venise, Théâtre Goldoni - 1993).

Mais après plusieurs reports, il aura fallu attendre le 16 février 2022 pour que cette nouvelle création puisse avoir lieu, un an après la disparition du compositeur.

Airam Hernández (Federico García Lorca)

Airam Hernández (Federico García Lorca)

L’opéra adapte les 220 premières pages de ce roman (450 pages au total) à travers la représentation de six scènes qui se déroulent de 1932 à 1956, de la Seconde République qui précéda la Guerre d’Espagne jusqu’aux années les plus dures du régime de Franco.

Il s’agit moins d’une histoire qui est racontée que d’un assemblage de souvenirs qui permettent de donner une prégnance visuelle et auditive à des sensations intérieures accumulées au cours du temps.

La scénographie est ainsi à la fois épurée avec des éléments de décors simples, lits, armoires, tableaux, aux contours lissés et subtilement éclairés par des lumières changeantes en fonction des atmosphères et des jeux d’ombres savamment calculés. Et même de simples parallélépipèdes peuvent évoquer, selon leur orientation, des bureaux ou, plus loin, des pierres tombales au cours de la guerre.

Rues de Madrid (1932)

Rues de Madrid (1932)

Le chant, monotone et parfois lugubre, est surtout l’expression de lamentations et de souffrances exaltées qui montrent un désir de vivre qui se heurte au monde existant. Toutes les tessitures de voix sont représentées dans des couleurs bien timbrées qu’elles soient rossinienne, comme celle d’Airam Hernández qui incarne Federico Garcia Lorca évoquant son enfance, écorchée, quand José Antonio Lopez pleure la perte du poète sous les traits de Miguel Hernandez, ambrée et intense pour la nature révoltée d’Andres Acero portée par Jorge Rodríguez-Norton, plus mate et oscillante sous les lèvres de Borja Quiza qui joue ici Vicente Aleixandre, l’ami et poète homosexuel de Federico.

L’informateur Ramiro est la figure la plus forte et la mieux dessinée aussi bien dramatiquement qu'en terme d’interprétation par Vicenç Esteve, charismatique et tout autant diabolique.

José Manuel Montero (Rafael) - Au théâtre à Grenade (1932)

José Manuel Montero (Rafael) - Au théâtre à Grenade (1932)

Mais c’est véritablement la musique qui fait le prix de cet ouvrage car elle est employée comme une peinture raffinée des différents climats des lieux et des époques, toujours changeants, pouvant autant comprendre uniquement des ornements à base de bois solo pour accompagner le chant mélancolique, que s’enrichir de tous les timbres, cuivres racés et cordes en tissus vibrionnants inclus, pour dépeindre des atmosphères amusantes, mystérieuses, inquiétantes, voir stressantes, avec une originalité telle qu’il paraît difficile d’en comprendre toute la logique en une seule écoute.

On pourrait y voir un croisement entre l’écriture de Berg, Britten et Webern, mais cela n’en est que réducteur. Luis de Pablo introduit aussi des motifs populaires de la musique espagnole réarrangés, sans que cela ne soit qu’une simple imitation, pour rester dans l’esprit d’ensemble de sa composition.

Pour Fabián Panisello, le chef d’orchestre, il s’agit d’un plaisir de tous les instants à tisser la structure complexe d’une œuvre vivante aux multiples convulsions, une musique qui serpente en permanence avec un vrai sens des atmosphères.

Scène 5 : écrivains, auteurs et personnalités anonymes sous le Franquisme

Scène 5 : écrivains, auteurs et personnalités anonymes sous le Franquisme

Les impressions qui dominent ce voyage de 30 ans à travers l’Espagne du milieu du XXe siècle mêlent des images du désir, qu’il soit homosexuel ou somptueusement sensualisé par ‘La Vénus d’Urbin’, de l’inspiration religieuse et de sa compromission avec le régime, de la folklorisation factice de l’art, ainsi que des portraits d’intellectuels mêlés à des personnalités anonymes.

Xavier Albertí, le metteur en scène, se révèle habile peintre, économe, et en osmose avec la musique.
Et si les Petits Chanteurs de la JORCAM décrivent des chants fins et estompés par les souvenirs du temps au début de l’ouvrage, le chœur féminin, lui, fait entendre un magnifique chant liturgique au charme fleuri dans la dernière partie, une splendide trouvaille du compositeur.

Vicenç Esteve (Ramiro)

Vicenç Esteve (Ramiro)

Pour la dernière des six représentations, le Teatro Real était bien rempli. Et même si une partie du public s’est vite levée au final, la grande majorité est restée à saluer sincèrement et chaleureusement, ce qui montre qu’il y a dans cet ouvrage une force, ou une incompréhension, qui peut diviser le public madrilène de manière assez nette. 

Mikeldi Atxalandabaso (Alfonso)

Mikeldi Atxalandabaso (Alfonso)

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Publié le 12 Décembre 2018

Turandot (Giacomo Puccini)
Représentations du 08 et 09 décembre 2018
Teatro Real de Madrid

La princesa Turandot Oksana Dyka (le 08), Irene Theorin (le 09)
El emperador Altoum Raúl Giménez            
Timur Giorgi Kirof (le 08), Andrea Mastroni (le 09)
Calaf Roberto Aronica (le 08), Gregory Kunde (le 09)       
Liù Miren Urbieta-Vega (le 08), Yolanda Auyanet (le 09)
Ping Joan Martín-Royo         
Pang Vicenç Esteve  
Pong Juan Antonio Sanabria 
Un mandarín Gerardo Bullón

Direction Musicale Nicola Luisotti                                       Gregory Kunde (Calaf)
Mise en scène Robert Wilson (2018)
Coproduction Opera Company de Toronto, Théâtre National de Lituanie et Houston Grand Opera

Si Turandot est l’ultime opéra de Giacomo Puccini, inachevé et complété par Franco Alfano après la mort du compositeur, il constitue également une transition vers la musique du XXe siècle. Et la direction musicale qu’insuffle Nicola Luisotti à la nouvelle production du Teatro Real de Madrid tend à renforcer ses aspects les plus violents. Lyrisme contenu, mais coloration cuivrée aux accents primitifs, on se surprend à entendre des éclats à vifs qui percutent les compositions abruptes et froides d’un Michael Tippett.

Gregory Kunde (Calaf) et Irene Theorin (Turandot)

Gregory Kunde (Calaf) et Irene Theorin (Turandot)

Pourtant, le chef italien, né dans la même province toscane que Puccini, est surtout connu pour ses affinités quasi-exclusives avec le répertoire italien verdien et post-verdien, si bien qu’à l’écoute d’une telle lecture, qui donne tant d’importance à l’impact d’une multitude de traits saillants plutôt qu’à la finition ornementale, son sens dramatique tranchant en devient stupéfiant.

Par ailleurs, l’alchimie avec la mise en scène stylisée de Robert Wilson fonctionne à merveille, notamment à travers le trio de ministres Ping, Pang et Pong où l’on retrouve avec un plaisir enfantin jubilatoire les personnages de clowns, qui sont animés ici par plein de petits détails gestuels induits par les motifs fantaisistes et délicats de la musique.

Joan Martín-Royo  (Ping) et Juan Antonio Sanabria (Pong)

Joan Martín-Royo (Ping) et Juan Antonio Sanabria (Pong)

Avec une prépondérance pour le bleu luminescent et un panachage de costumes aux teintes violettes, rouge-sang pour Turandot, noires pour ses gardes tortionnaires aux bras arqués, surmontés d’un fin liseré symbolisant leur arme de tir, ou bien blanc-gris pour le peuple, la scénographie a pourtant simplement recours à quelques panneaux coulissants pour donner du relief, un enchevêtrement de ronces et l’ombre d’un disque noir sur fond rouge au dernier acte, et de très beaux maquillages et costumes effilés figurant l’esthétique chinoise impériale.

Le spectateur a ainsi tout le temps de scruter du regard les moindres détails des figures qui le marquent, et de s’imprégner des effets d’ombres et de lumières, d’un sens du théâtre oriental wilsonien idéal dans cette œuvre, bien que les personnages principaux se figent un peu trop. Mais nul pathos ni sentimentalisme ne sont discernables, même avec l'esclave Liù qui meurt poétiquement, tétanisée sous une lumière bleue-glacée venue du ciel.

Oksana Dyka (Turandot)

Oksana Dyka (Turandot)

Pour cette longue série de représentations jouées à la veille de Noël, deux distributions principales alternent quasiment chaque soir, devant une salle comble.

Les deux Turandot sont assez différentes. La première, Oksana Dyka, est une très belle femme mais également une excellente actrice, ce que nous avions découvert à Paris en 2013 à travers son interprétation d’Aida. Sous son maquillage opulent et sous une direction d’acteur statique, cela n’est malheureusement pas suffisamment mis en valeur.

Et si son chant est peu coloré dans le médium et le grave, il s’épanouit dans les aigus avec une technique fuselée profondément projetée qui a la pureté d’une pointe de cristal. A contrario, dans les tonalités basses, la justesse fluctue, mais cela s’accompagne d’une expressivité qui la rend touchante comme si sa personnalité vacillait.

Miren Urbieta-Vega (Liù)

Miren Urbieta-Vega (Liù)

La seconde, Irène Theorin, remplaçant Nina Stemme souffrante, possède un spectre vocal plus large et plus riche en couleurs, une très grande solidité qui maintient cependant son incarnation dans une posture monolithique invariante.

Et des deux Calaf entendus, Roberto Aronica et Gregory Kunde, tous deux semblables en puissance, ce dernier a l’avantage de disposer d’une belle homogénéité de timbre et de vibrations matures, du médium jusqu’aux aigus, avec la petite touche charismatique qui consiste à dé-timbrer ses fins de phrases. Mais aucun ne force non plus son souffle, et tous deux restent raisonnables lorsqu’il s’agit de tenir vaillamment des sonorités effilées.

Les gardes de Turandot tenant la tête du prince Perse.

Les gardes de Turandot tenant la tête du prince Perse.

Quant à la jeune fille Liù, les deux mezzo-sopranos du pays, Miren Urbieta-Vega et Yolanda Auyanet, lui offrent une identique sensibilité, la seconde paraissant un peu plus corsée de timbre. Physiquement, elles sont indiscernables sous leur masque et leur parure.
Néanmoins, le Timur d’Andrea Mastroni prend le dessus sur Giorgi Kirof, avec une meilleure projection.

Enfin, des trois ministres, le Ping de Joan Martín-Royo se détache vocalement pas une noble émission de timbre, jeune et bien affirmée, mais il n’est pas l’acteur le plus souple et le plus mobile, car ses deux partenaires, Vicenç Esteve et Juan Antonio Sanabria, montrent une plus grande aisance de jeu pour suivre les accords ludiques que leur dédie Puccini. Les grimaces du large visage de Vicenç Esteve sont elles-mêmes un spectacle en soi.

Yolanda Auyanet (Liù)

Yolanda Auyanet (Liù)

Le chœur est devenu une valeur très sûre du Teatro Real de Madrid, et nous en avons la démonstration aussi bien chez les voix d’hommes, avec ce bel orgueil que l’on ressent dans leur chant, que chez les femmes et les voix d’enfants d’une grâce véritablement adoucissante.

Le Teatro Real vu depuis la plaza de Oriente

Le Teatro Real vu depuis la plaza de Oriente

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