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Publié le 11 Septembre 2024

Falstaff (Giuseppe Verdi – 9 février 1893, Milan)
Répétition générale du 07 septembre et représentation du 10 septembre 2024
Opéra Bastille

Sir John Falstaff Ambrogio Maestri
Mrs Alice Ford Olivia Boen
Mrs Meg Page Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Ford Andrii Kymach
Docteur Cajus Gregory Bonfatti
Mrs Quickly Marie-Nicole Lemieux
Fenton Iván Ayón-Rivas
Nannetta Federica Guida
Bardolfo Nicholas Jones
Pistola Alessio Cacciamani

Direction musicale Michael Schønwandt
Mise en scène Dominique Pitoiset (1999)
Cette série de représentations est dédiée au souvenir d’Hugues R. Gall, directeur de l’Opéra national de Paris de 1995 à 2004, qui a fait entrer cette production au répertoire.

Bien que Falstaff s’inspire de Sir John Oldcastle, compagnon fidèle d‘Henry V et leader qui contestait l’ordre social et religieux dans l’Angleterre du début du XVe siècle, il ne subsiste plus grand-chose des origines nobiliaires du chevalier, que ce soit dans la pièce de Shakespeare ou dans l’ultime opéra de Giuseppe Verdi composé à l’âge de 80 ans.

Il est devenu un personnage burlesque vivant de vol et de débauche qui, pour se refaire matériellement, décide de séduire simultanément deux bourgeoises, Alice Ford et Meg Page.

Ces dernières vont se jouer de lui, ce qui finira par le rendre amer après avoir déclenché la jalousie démentielle de Ford.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Mrs Meg Page), Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly), Federica Guida (Nannetta) et Olivia Boen (Mrs Alice Ford)

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Mrs Meg Page), Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly), Federica Guida (Nannetta) et Olivia Boen (Mrs Alice Ford)

Représenté la première fois le 09 février 1893 à la Scala de Milan, puis à l’Opéra Comique dans une version française le 18 avril 1894, cette véritable comédie musicale italienne n’entrera au Palais Garnier que le 3 avril 1922, et ultérieurement à l’opéra Bastille le 10 décembre 1999 dans une production de Dominique Pitoiset qui en est dorénavant à sa quatrième reprise.

Au regard de la forte théâtralité qui innerve aujourd’hui nombre d’œuvres lyriques, cette mise en scène témoigne d’une époque où il s’agissait de présenter un spectacle classique bon enfant, coloré et grand public, sans que ne s’immisce une quelconque résonance contemporaine. Ce spectacle s’apprécie donc avec un regard tendre, mais également un peu distancié.

Falstaff (Maestri Boen Lemieux Schønwandt Pitoiset) Opéra de Paris

Le décor assez imposant dresse une muraille de briques coulissante pour illustrer les lieux et habitations qui se juxtaposent en bord de Tamise au début du XXe siècle, univers aux couleurs austères qu’un modèle de voiture ancienne rehausse par sa seule luxueuse présence.

Comme les costumes le traduisent clairement, notamment ceux portés par les femmes, l’œuvre est traitée à la façon d’une comédie bourgeoise qui confronte un individu seul à une société attachée à ses règles morales, et l’animation scénique est très bien réglée dans ce sens. Mais ces personnalités peu approfondies servent surtout à induire un mouvement qui évolue au gré de la verve musicale extrêmement inventive de Verdi

Et dans cet opéra où les femmes ont un rôle majeur, on pourrait s’attendre à un traitement plus engagé sur leur rapport aux hommes, en abordant la question du corps de façon plus politique, alors que toute dimension physique, voir érotique, est ici absente.

Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff)

Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff)

La virtuosité du traitement musical est donc primordiale car c’est sur elle que repose grandement l’intérêt de cette représentation.

Depuis sa prise de rôle de Falstaff à la Scala de Milan le 27 mars 2001, Ambrogio Maestri l’a interprété chaque année, hormis en 2023, c’est dire si ce personnage est profondément intégré en lui. 

Dans cette production, il est amené à jouer avec une dimension enjouée et désabusée un être qui a envie de vivre mais qui est aussi assez las, le chanteur pavesan arborant un accent attachant de bon père verdien au rire rassurant. Il n’a rien perdu de son éloquence bravache, particulièrement en première partie.

Et en même temps, il sait faire sentir dans son monologue du début du troisième acte, ‘Ehi ! Taverniere’, les noirceurs du ‘Credo’ de Iago tout en préservant l’humanité de Falstaff.

Gregory Bonfatti (Docteur Cajus), Alessio Cacciamani (Pistola), Andrii Kymach (Ford), le tavernier et Nicholas Jones (Bardolfo)

Gregory Bonfatti (Docteur Cajus), Alessio Cacciamani (Pistola), Andrii Kymach (Ford), le tavernier et Nicholas Jones (Bardolfo)

A chaque réécoute de cet ouvrage, il y a d’ailleurs toujours de quoi s’étonner des nombreuses réminiscences musicales qui proviennent du précédent opéra du compositeur italien, ’Otello’, dont l’énergie est pourtant si différente et bien plus dramatique. La jalousie est l’un des thèmes communs à ces deux ouvrages, celle d’Otello, d’une part, et celle de Ford, d’autre part.

Ford est interprété par le baryton ukrainien Andrii Kymach qui imprime naturellement un accent slave qui évoque Onéguine, et sonde même les ombres d’un Boris Godounov. Sa tessiture fine et mate combinée à une puissance appréciable lui donnent de la tenue sans verser dans une noirceur névrotique pour autant. Son personnage reste donc digne malgré les déconvenues

Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff) et Olivia Boen (Mrs Alice Ford)

Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff) et Olivia Boen (Mrs Alice Ford)

Son épouse sur scène, Alice, est incarnée par la soprano Olivia Boen pour qui il s’agit aussi d’une prise de rôle importante. De couleur et d’une clarté homogènes, elle peut compter sur une impulsivité qui lui permet d’extérioriser une présence très énergique, d’impressionner par ses modulations de timbre qui changent très souvent la perception de son personnage qui se rapproche autant de Suzanne (‘Les Noces de Figaro’) qu’elle peut tendre vers le dramatisme de Desdemone (‘Otello’). 

Et sa complice, Mrs Meg Page, trouve en Marie-Andrée Bouchard-Lesieur une interprète qui fait entendre des reflets cuivrés un peu plus corsés, dans un style toujours très bien posé, avec la même énergie malicieuse.

Iván Ayón-Rivas (Fenton) et Federica Guida (Nannetta)

Iván Ayón-Rivas (Fenton) et Federica Guida (Nannetta)

Pour entendre un feu d’artifice de couleurs, il faut se tourner vers Marie-Nicole Lemieux qui était déjà de l’aventure avec Ambrogio Maestri lors de la reprise de ce spectacle en 2013.  Avec elle, Mrs Quickly devient un personnage caméléon sondant les graves autant qu’elle peut faire vibrer avec affolement des colorations baroques et virtuoses.

Quant à Federica Guida, sa Nannetta rayonne avec une puissance et une fraîcheur qui obligent Iván Ayón-Rivas à faire chanter Fenton avec ardeur, et une solidité bien assurée qui a du charme. Tous deux jouent ici une comédie de 'Roméo et Juliette' tout à fait innocente.

Et parmi les trois petits rôles qui entourent Falstaff dès la scène d’ouverture, Nicholas Jones offre à Bardolfo une jolie homogénéité.

Federica Guida (Nannetta) et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Mrs Meg Page)

Federica Guida (Nannetta) et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Mrs Meg Page)

‘Falstaff’ est cependant un opéra pour orchestre tant la subtilité d’écriture exige une agilité hors-pair.

L’immense salle Bastille n’est sans doute pas la meilleure scène pour restituer au mieux la finesse d’entrelacement entre les motifs musicaux et le chant-parlé des solistes, mais Michael Schønwandt amène l’orchestre à déployer une théâtralité foisonnante avec une rythmique qui ne lâche pas les chanteurs et les entraîne de manière très fluide. Il arrive parfois que la dynamique des volumes orchestraux enveloppe un peu trop les chanteurs, mais cela est fait avec une envergure lumineuse qui a aussi le pouvoir d’enfiévrer l’auditeur. Les éclatements de cuivres sont par ailleurs très réussis.

Reste qu’il s’agit d’une interprétation qui se distancie de lectures plus piquées et mouchetées et qui privilégie l’enveloppement sonore.

Fugue finale

Fugue finale

Au final, ce ‘Falstaff’ d’ouverture de saison déclenche un accueil formidablement enthousiaste alors qu’il s’agit d’une musique dont la complexité n’est absolument pas évidente, ce qui est une joie pour tous, et pour les artistes en particulier.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iván Ayón-Rivas, Federica Guida, Ambrogio Maestri, Michael Schønwandt, Alessandro Di Stefano (Chef des chœurs), Olivia Boen, Andrii Kymach, Dominique Pitoiset, Elena Rivkina (Costumes) et Marie-Nicole Lemieux

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iván Ayón-Rivas, Federica Guida, Ambrogio Maestri, Michael Schønwandt, Alessandro Di Stefano (Chef des chœurs), Olivia Boen, Andrii Kymach, Dominique Pitoiset, Elena Rivkina (Costumes) et Marie-Nicole Lemieux

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Publié le 14 Juillet 2024

Ukrainian Freedom Orchestra – Keri-Lynn Wilson - 9e de Beethoven – St Eustache
Bucha Lacrimosa (Victoria Vita Poleva) et Symphonie n°9 (Ludwig van Beethoven)
Concert du 12 juillet 2024
Eglise Saint-Eustache, Paris

Victoria Vita Polevá
Bucha Lacrimosa (Bonn, le 29 août 2022)
Violon Marko Komonko

Ludwig van Beethoven
Symphonie n°9 (Vienne, le 7 mai 1824)
Olga Bezsmertna (soprano), Nataliia Kukhar (mezzo-soprano), Valentyn Dytiuk (ténor), Andrii Kymach (baryton-basse)

Yuri Shevchenko
We are! / paraphrase sur le thème de l’hymne national d’Ukraine (Kyiv, le 26 février 2022)

Direction musicale Keri-Lynn Wilson
Ukrainian Freedom Orchestra
Chœur uni Ukranien Symbole et Chœur de l’Armée Française

Sous le haut patronage de Madame Olena Zelenska, Première dame d’Ukraine, et de Madame Anne Hidalgo, Maire de Paris
Concert organisé en partenariat avec la ville de Paris, l’Ambassade d’Ukraine et avec le soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères

Peu après le début de l’agression russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022, le New-York Metropolitan Opera et le Grand Théâtre de Varsovie (Teatr Wielki) réunirent des musiciens ukrainiens, réfugiés de guerre pour certains, afin de fonder l’Ukrainian Freedom Orchestra.

The Ukrainian Freedom Orchestra, Chœur uni Ukranien Symbole et Chœur de l’Armée Française

The Ukrainian Freedom Orchestra, Chœur uni Ukranien Symbole et Chœur de l’Armée Française

Destiné à défendre l’art ukrainien et à redistribuer les bénéfices des concerts aux victimes de l’invasion, l’orchestre initia sa première tournée d’été le 28 juillet 2022, sous la direction de la cheffe d’orchestre canado-ukrainienne Keri-Lynn Wilson, artiste ardemment engagée, avec cœur et détermination, dans cette action de résistance, et inspiratrice de ce projet.

Cette année, c’est l’église Saint-Eustache de Paris, lieu d’inhumation de Jean-Philippe Rameau, qui donne le coup d’envoi de la troisième tournée internationale de l’ensemble qui se poursuivra à Varsovie, Londres, New-York et Washington.

Ukrainian Freedom Orchestra Keri-Lynn Wilson 9e Beethoven St Eustache

Au creux de cet édifice dont la première pierre fut posée en 1532, plus de 300 ans après la première paroisse, le sentiment d’intimité créé par la nef centrale entourée d’un double bas-côté est puissant, malgré sa hauteur vertigineuse.

Après un court discours introductif de la part de Vadym Omelchenko, ambassadeur d’Ukraine, et d’Arnaud Ngatcha, adjoint à la Maire de Paris en charge de l'Europe, des relations internationales et de la francophonie, le chœur, qui réunit chanteurs ukrainiens de la capitale et choristes de l’Armée Française, s’installe en premier, suivi des musiciens. Sont présents parmi les premiers rangs d’honneur, Peter Gelb, directeur du New-York Metropolitan Opera et époux de Keri-Lynn Wilson, et Alexander Neef, directeur de l’Opéra national de Paris.

Keri-Lynn Wilson

Keri-Lynn Wilson

Le concert ouvre avec ‘Bucha Lacrimosa’, pièce de Victoria Vita Polevá créée suite au massacre perpétré par les Russes au nord-ouest de Kyiv au début de la guerre. Les accords finement aigus du violon solo, Marko Komonko, flottant au dessus de l’évanescence orchestrale, évoquent la légèreté d’une âme slave qui finit par être rattrapée par la menace.

La rythmique devient de plus en plus stridente, et les vents assombrissent l’atmosphère jusqu’à ce qu’une fureur d'une lourdeur d'acier, fortement martelée par Keri-Lynn Wilson, balaye la clarté insouciante initiale, pour ne laisser place qu’à un dernier souffle abattu qui s’évanouit dans le silence.

La compositrice remerciera avec beaucoup de gratitude tous les musiciens pour cette interprétation très forte, sous le regard heureux et bienveillant de la cheffe d’orchestre.

The Ukrainian Freedom Orchestra, Chœur uni Ukranien Symbole et Chœur de l’Armée Française

The Ukrainian Freedom Orchestra, Chœur uni Ukranien Symbole et Chœur de l’Armée Française

Puis, la pièce centrale, la ‘9e symphonie’ de Beethoven, poème en musique universellement célèbre qui fête ses 200 ans d’existence, développe son premier mouvement avec un dramatisme d’emblée implacable. A plusieurs reprises se fera entendre un alliage de cordes et de cuivres à l’explosivité éclatante, alors que le sentiment d’harmonie s’installe très rapidement dans l’acoustique de cette église qui instille inévitablement un certain sentiment d’irréalité.

Contrebasses et violoncelles manœuvrent puissamment, mais le détail des phrases les plus vivaces se dissout également du fait du temps de réverbération qui règne à l'intérieur du transept.

Keri-Lynn Wilson

Keri-Lynn Wilson

Chaleur et luminosité de fin de jour irriguent l’ensemble de l’interprétation dont le troisième mouvement, un très bel adagio, prend en ce lieu tout son pouvoir de suspension temporelle, les mélodies des vents se réfléchissant avec enchantement à travers la complexité architecturale des volumes de l’édifice.

Andrii Kymach (Baryton-Basse)

Andrii Kymach (Baryton-Basse)

Le tant attendu final choral prend une tournure plus politique à travers un ’Ode à la Joie’ qui remplace ‘Freude’ par ‘Slava’, et réinterprète en ukrainien la partie chantée des quatre solistes.

Le chant de l’ensemble des chœurs reste très doux, porté par l’élégance de Keri-Lynn Wilson, et les accents slaves des chanteurs (Olga Bezsmertna, Nataliia Kukhar, Valentyn Dytiuk et Andrii Kymach) transmettent un esprit qui est un véritable appel à embrasser le cœur de tout un peuple.

Keri-Lynn Wilson et l'ensemble des musiciens

Keri-Lynn Wilson et l'ensemble des musiciens

Ovation sans retenue de la part des auditeurs, grand moment de joie pour tous les artistes, nous aurons aussi la chance d’entendre en bis l’adaptation de l’hymne national d’Ukraine que composa Yuri Shevchenko, désormais décédé, quelques jours après le début de l’invasion, ‘We are !’, une mélopée traversée de réminiscences nostalgiques.

Grande fierté et grande unité se dégagent de l’Ukrainian Freedom Orchestra, l’âme de ce concert en fait toute son humble puissance!

Le site de l'Ukrainian Freedom Orchestra.

The Ukrainian Freedom Orchestra - Eglise Saint-Eustache, 12 juillet 2024

The Ukrainian Freedom Orchestra - Eglise Saint-Eustache, 12 juillet 2024

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