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Publié le 18 Juin 2023

Roméo et Juliette (Charles Gounod – 1867)
Version de l’Opéra national de Paris du 28 novembre 1888
Répétition générale du 12 juin et représentations du 17, 30 juin et 12 juillet 2023
Opéra Bastille

Roméo Benjamin Bernheim / Francesco Demuro (15/07)
Juliette Elsa Dreisig / Pretty Yende (15/07)
Frère Laurent Jean Teitgen
Mercutio Huw Montague Rendall / Florian Sempey (15/07)
Tybalt Maciej Kwaśnikowski
Benvolio Thomas Ricart
Comte Capulet Laurent Naouri
Pâris Sergio Villegas-Galvain
Le duc de Vérone Jérôme Boutillier
Frère Jean Antoine Foulon
Grégorio Yiorgo Ioannou
Stéphano Léa Desandre / Marina Viotti (15/07)
Gertrude Sylvie Brunet-Grupposo
Manuela So-Hee Lee
Pepita Izabella Wnorowska-Pluchart
Angelo Vincent Morell

Direction musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Thomas Jolly (2023)
Chorégraphie Josépha Madoki
Coproduction Teatro Real de Madrid

Retransmission en direct le 26 juin 2023 sur France.tv/Culturebox, et sur France Musique le 8 juillet 2023 à 20h dans l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

Fin 1864, Charles Gounod accepta de composer un ouvrage pour le Théâtre Lyrique, théâtre qui était situé à l’époque place du Châtelet et dirigé par Léon Carvalho. Il acheva l’orchestration de ‘Roméo et Juliette’ en juillet 1866, et insista pour que l’ouvrage soit donné avec des dialogues parlés.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

La création eut lieu le 27 avril 1867, quelques semaines après l’ouverture de la Grande exposition Universelle qui marquait l’apogée de l’Empire, et elle fut d’emblée un immense succès salué par 102 représentations en 8 mois seulement.

Puis, après l’incendie du Théâtre Lyrique lors de la Commune de 1871, l’ouvrage fit son entrée à l’Opéra Comique le 20 janvier 1873 pour 291 représentations, avant qu’il n’entre au répertoire de l’Opéra de Paris le 28 novembre 1888, un peu plus d’un an après l’incendie de la seconde salle Favart, dans une version remaniée avec ballet – le principal remaniement concernant la fin du IIIe acte qui élargit la présence du Duc en compensation de plusieurs coupures légères à chaque acte -.

Jérôme Boutillier (Le duc de Vérone)

Jérôme Boutillier (Le duc de Vérone)

Depuis, le Palais Garnier lui a dédié 634 représentations, si bien qu’il fait partie des dix opéras les plus joués au sein de ce magnifique bâtiment Second Empire au cours de son premier siècle d’existence.
Mais depuis le 22 décembre 1985, ‘Roméo et Juliette’ n’est plus au répertoire de l’institution nationale.

Le retour à l’Opéra de Paris d’un des grands chefs-d’œuvre de Charles Gounod est donc un évènement historique pour la maison, d’autant plus qu’il survient au cours de la saison 2022/2023 qui a connu le retour d’un autre ouvrage français basé sur une œuvre littéraire de William Shakespeare, ‘Hamlet’ d’Ambroise Thomas, dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski.

Roméo et Juliette (Dreisig Bernheim Yende Demuro Rizzi Jolly) Opéra de Paris

Pour cette renaissance, c’est bien entendu la version de 1888 qui est interprétée sur scène, mais avec uniquement la reprise du dernier des 7 mouvements du ballet, la danse des Bohémiennes.

Toutefois, deux passages de la version du Théâtre Lyrique qui avaient été supprimés lors de la création au Palais Garnier sont rétablis ce soir, la grande scène de Juliette au IVe acte ‘Dieu! Quel frisson court dans mes veines’ qui se conclut par la prise du breuvage, et la petite scène du Ve acte entre frère Laurent et frère Jean qui permet de comprendre que le page de Roméo n’a pu remettre à ce dernier la lettre l’avertissant du subterfuge, ce qui améliore la cohérence dramaturgique.

Elsa Dreisig (Juliette) et Léa Desandre (Stéphano)

Elsa Dreisig (Juliette) et Léa Desandre (Stéphano)

Pour sa seconde mise en scène à l’Opéra de Paris, après Eliogabalo’ de Francesco Cavalli qui avait fait l’ouverture de la saison 2016/2017 au Palais Garnier, Thomas Jolly architecture sa scénographie autour d’une immense maquette inspirée du Grand Escalier du célèbre théâtre baroque, magnifiquement travaillée et qui comprend aussi les multiples torchères qui en font la splendeur.

Ce dispositif unique est installé sur le grand plateau tournant de la scène Bastille, ce qui permet par de lents mouvements de changer en permanence les ambiances, de faire apparaître des recoins sombres, des petits ponts, de varier les élévations, ou de simplement illustrer le célèbre balcon de Vérone.

Jean Teitgen (Frère Laurent), Benjamin Bernheim (Roméo), Elsa Dreisig (Juliette) et Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude)

Jean Teitgen (Frère Laurent), Benjamin Bernheim (Roméo), Elsa Dreisig (Juliette) et Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude)

Vient ensuite se superposer à cet impressionnant dispositif une projection d’une multitude de faisceaux lumineux mobiles situés de toutes parts sur les parois latérales, en surplomb ou en arrière scène, qui contribuent, eux aussi, aux variations d'atmosphères, tout en évoquant les ombres des peintures de la Renaissance, liant également la salle à la scène en projetant les rayons lumineux vers le public.

A cela s’ajoute une richesse de costumes rouges, noirs et blancs, souvent accompagnés de masques eux-mêmes richement décorés, évoquant ainsi la débauche de fantaisies baroques et de scintillements avec laquelle Baz Luhrmann avait réalisé sa version de ‘Roméo et Juliette’ en 1996 avec Leonardo DiCaprio et Claire Danes.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Le tout est enfin animé par une multitude de figurants jouant dans les moindres interstices du décor, parmi lesquels les danseurs de Josépha Madoki - chorégraphe devenue célèbre pour faire revivre le ‘Waacking’, une danse des années 60 issue des clubs LGBTQ+  revenue à la mode dans les années 2000, et qui sert à travers des mouvements de bras très dynamiques à exprimer des caractères forts - viennent tisser de vifs mouvements corporels en lien avec la musique de Gounod.

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Le rétablissement partiel du ballet composé pour la version de 1888, situé juste après que Juliette ne boive son breuvage, permet ainsi d’illustrer son passage dans un autre monde qui peut faire penser, à travers la réalisation scénique, aussi bien à celui de Giselle rejoignant le royaume des Willis qu’à celui de La Bayadère rejoignant le royaume des Ombres.

Il en résulte un effet grand spectacle très vivant et dépoussiéré, mais qui préserve habilement les références qui permettent de s’allier très efficacement la part la plus traditionnelle du public tout en séduisant sa part la plus jeune.

Carlo Rizzi et Elsa Dreisig

Carlo Rizzi et Elsa Dreisig

A cette brillante facture scénique s’ajoute une interprétation musicale galvanisante qui doit autant à la direction orchestrale qu’aux intenses qualités lyriques des chanteurs, et aussi à leur très grand engagement théâtral auquel Thomas Jolly a fortement contribué.

Déjà fort apprécié dans sa lecture de ‘Cendrillon’ jouée à l’opéra Bastille en mars 2022, œuvre de Jules Massenet qui sera reprise en octobre 2023, Carlo Rizzi confirme ses affinités avec le grand répertoire romantique français.

L’ouverture, qui se déroule dans une ambiance nocturne où l’on ramasse des corps inanimés au pied du décor fortement assombri, dominé par une porte où une croix rouge en forme de ‘quatre’ inversé signe la présence mortifère de la peste, est interprétée de façon très majestueuse et avec profondeur. 

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Puis, la narration dramatique est embaumée par une finesse expansive d’où jaillissent avec panache des effets théâtraux colorés par les cuivres, et une grande attention est accordée aux respirations des chanteurs qui sont amenés à beaucoup bouger dans ce décor monumental. Les chœurs, qui bénéficient de dispositions frontales étagées en hauteur, rayonnent d’un resplendissant impact très bien cordonné à la musique, et contribuent évidemment à cet effet grand spectacle voulu dès le départ.

Carlo Rizzi tisse également un filage très poétique des lignes mélodiques avec une fluidité chantante qui incite au rêve, et c’est véritablement avec grand plaisir et bonheur pour lui que s’apprécient sa réussite et son indéniable affection pour ce répertoire.

Benjamin Bernheim (Roméo)

Benjamin Bernheim (Roméo)

Avec un tel soutien, les deux rôles principaux réunis pour cette première représentation, Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig, ne peuvent que donner le meilleur d’eux-mêmes.

Le ténor franco-suisse est absolument fabuleux dans le rôle du jeune aristocrate au costume scintillant. La voix est claire, rayonnante, et lui permet de moduler toutes sortes de nuances caressantes, et même de passer en voix mixte pour exprimer les sentiments les plus subtils.

Mais lorsqu’il implore Juliette d'apparaître au balcon, tout le torse se bombe et sa voix concentre une force virile prodigieuse qui libère un éclat chaleureux sans pareil. C’est absolument formidable à entendre, et il incarne ainsi une jeunesse idéale de verve et d’espérance. Le public en est subjugué.

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig est elle aussi une merveilleuse incarnation de la jeunesse romantique. Douée d’un timbre très clair et vibrant, comme parcellé de petits diamants, qui fuse et s’épanouit avec l’allant de la musique, elle propage une luminosité heureuse avec une grande assurance vocale, et son charisme naturel lui permet de dépeindre un personnage d’une grande intensité cinématographique. 

Maciej Kwaśnikowski (Tybalt) et Sergio Villegas-Galvain (Pâris)

Maciej Kwaśnikowski (Tybalt) et Sergio Villegas-Galvain (Pâris)

Et ces deux très grands artistes sont entourés de chanteurs qui sont pour beaucoup une révélation pour les habitués parisiens. 

Ainsi, Maciej Kwaśnikowski, que l’on connaît bien parce qu’il est issu de l’Académie de l’Opéra de Paris et qu'il fera partie des membres de la troupe la saison prochaine, se voit confier à travers Tybalt un premier rôle conséquent, dont il s’empare avec brio grâce à son incisivité vocale ombrée et aussi son jeu théâtral très dynamique.

Le combat avec Mercutio - il est rare de voir des chanteurs s’engager dans un jeu violent avec un tel réalisme – permet aussi de très bien mettre en valeur la souplesse et le toucher velouté de la voix de Huw Montague Rendall qui fait vivre l’exubérance de l’ami de Roméo avec un charme fou.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Huw Montague Rendall (Mercutio)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Huw Montague Rendall (Mercutio)

Autre découverte également, le duc de Vérone incarné par Jérôme Boutillier qui lui insuffle une magnifique prestance avec une excellente homogénéité de timbre, tout en assurant une allure très jeune à cette figure autoritaire que la version de 1888 de ‘Roméo et Juliette’ renforce.

Entré à l’Académie de l’Opéra de Paris en 2021, Yiorgo Ioannou trouve en Grégorio un premier rôle qui permette d’apprécier son expressivité de caractère en conformité avec l’esprit provocateur de son personnage, et bien que le rôle de Pâris soit très court, Sergio Villegas-Galvain lui offre un véritable charme souriant qui donne envie de le découvrir dans des incarnations plus étoffées.

Laurent Naouri (Le Comte Capulet)

Laurent Naouri (Le Comte Capulet)

De son mezzo ambré joliment projeté, Léa Desandre ne fait que dispenser légèreté et séduction à Stéphano, le page de Roméo, et parmi les vétérans, Jean Teitgen, en Frère Laurent paternaliste, Sylvie Brunet-Grupposo, en Gertrude bienveillante au timbre sensible inimitable, et Laurent Naouri, en Comte Capulet bien sonore, complètent avantageusement ces portraits pittoresques et essentiels au drame.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Cette dernière production de la saison signe ainsi la réussite totale des grands paris artistiques que s’était donné Alexander Neef pour sa seconde saison, réhabilitant avec force et intelligence le grand répertoire historique de la maison, et c’est avec une forte impatience que nous pouvons attendre la seconde distribution partiellement renouvelée qui réunira Francesco Demuro, Pretty Yende, Florian Sempey et Marina Viotti dès la fin du mois de juin.

Katja Krüger (Collaboration artistique), Bruno de Lavenère (Décors), Thomas Jolly (Mise en scène), Sylvette Dequest (Costumes) et Josépha Madoki (Chorégraphie)

Katja Krüger (Collaboration artistique), Bruno de Lavenère (Décors), Thomas Jolly (Mise en scène), Sylvette Dequest (Costumes) et Josépha Madoki (Chorégraphie)

A revoir sur Culturebox jusqu'au 27 janvier 2024 : Roméo et Juliette

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Publié le 15 Décembre 2021

Roméo et Juliette (Charles Gounod – 1867)
Représentation du 13 décembre 2021
Opéra Comique – Salle Favart

Roméo Pene Pati
Juliette Perrine Madoeuf
Frère Laurent Patrick Bolleire
Mercutio Philippe-Nicolas Martin
Tybalt Yu Shao
Stéphano Adèle Charvet
Pâris Yoann Dubruque
Le Duc Geoffroy Buffière
Gertrude Marie Lenormand
Capulet Jérôme Boutillier

Direction musicale Laurent Campellone
Mise en scène Eric Ruf
Chœur Accentus - Orchestre de l'Opéra de Rouen-Normandie

C’est une soirée de tous les dangers comme on les aime à l’opéra que vient d’offrir Louis Langrée au public de l’Opéra Comique en convoquant deux artistes venus remplacer au pied levé les protagonistes des deux rôles titres que devaient incarner Jean-François Borras et Julie Fuchs, tous deux testés positifs au covid-19 à quelques heures de la première représentation de Roméo et Juliette. Impossible de ne pas penser à cette inoubliable matinée du 10 juillet 2005 où Inva Mula vint de la même manière se substituer à Angela Gheorghiu au Théâtre du Châtelet dans la Rondine, alors qu’elle chantait dans Les Contes d’Hoffmann à Orange la veille.

Perrine Madoeuf (Juliette) et Pene Pati (Roméo)

Perrine Madoeuf (Juliette) et Pene Pati (Roméo)

Ainsi, Pene Pati, qui chantait la veille Alfredo dans La Traviata à l’opéra d’Amsterdam, est arrivé à Paris le matin même pour répéter le rôle de Roméo, rejoint par Perrine Madoeuf qui venait de chanter le rôle de Juliette à l’opéra d’Estonie quatre jours auparavant.

Ce genre d’aléa met évidemment tout le monde sous tension, artistes, équipes de l’opéra, mais aussi les spectateurs qui se trouvent face à l’imprévu.

Extrait du programme de Roméo et Juliette lors de son retour à l'Opéra Comique le 10 septembre 1959

Extrait du programme de Roméo et Juliette lors de son retour à l'Opéra Comique le 10 septembre 1959

Roméo et Juliette fut créé au Théâtre Lyrique le 27 avril 1867, place du Châtelet, et remporta un immense succès (102 représentations en 8 mois). Puis, le 20 janvier 1873, il fit son entrée à l’Opéra Comique où il y sera joué pour 291 représentations avant qu’il n’entre au répertoire de l’Opéra de Paris dans une version remaniée avec ballet, le 28 novembre 1888, un peu plus d’un an après l’incendie de la seconde salle Favart.

Le Palais Garnier lui consacra plus de 600 représentations, puis Roméo et Juliette revint à l’Opéra Comique en septembre 1959 jusqu’en juillet 1994 (avec Roberto Alagna et Nucia Focile dans la production du Théâtre du Capitole). L’Opéra de Paris n’a plus joué ce titre depuis le 22 décembre 1985.

Pene Pati (Roméo)

Pene Pati (Roméo)

Cette nouvelle production n’en est pas tout à fait une car elle reprend les décors qu’avait conçu Eric Ruf pour le Roméo et Juliette de Shakespeare joué à la Comédie Française en 2015.

Dans un univers de vieux palais Renaissance blanc décrépi où murs et colonnes aux corniches effritées sont réagencés au fil des scènes, les éclairages créent des ombres (magnifique vision de Roméo se tenant dans l’ombre au moment de chanter «Ah !, Lève-toi soleil !») et des ambiances chaleureuses (la chambre de Juliette) ou froides (le tombeau dont les momies rappellent la scène finale d'Aida), ce qui brosse une histoire photosensible rien que par la scénographie.

Ce monde semble toutefois bien à l’étroit dans un tel espace restreint, mais la direction d’acteur classique est suffisamment expressive pour donner beaucoup de vérité à la relation entre les êtres, Roméo et Juliette en premier, mais aussi Mercutio et Roméo (bien que la version opératique la réduise fortement). Il y a aussi cette présence périlleuse et suicidaire de Juliette s’agrippant en haut d’une colonne lors de la scène du balcon, comme depuis la tour de Pelléas et Mélisande.

Perrine Madoeuf (Juliette)

Perrine Madoeuf (Juliette)

L’interprétation que fait Pene Pati de Roméo est de bout en bout phénoménale. Il a une fraîcheur de timbre éclatante et un souffle qui lui permet d’exprimer mille nuances. Cette clarté chantante si immédiatement séductrice par son naturel apparent a aussi ses reflets plus sombres et introvertis, et quand il ouvre sa voix progressivement puissante et enjôleuse, on ne peut s’empêcher de ressentir une forme d’émerveillement face à une telle expression de grâce humaine. Son phrasé est par ailleurs d’une parfaite limpidité.

Et son personnage est complexe, pas seulement rêveur, mais aussi joueur et manipulateur par des petits accents sauvages pour tenir Juliette, et sa rage intérieure lors du combat avec Tybalt est suffisamment saisissante malgré l’exiguïté de l’espace scénique.

Philippe-Nicolas Martin (Mercutio) et Pene Pati (Roméo)

Philippe-Nicolas Martin (Mercutio) et Pene Pati (Roméo)

Perrine Madoeuf est auprès de lui une Juliette de caractère, dramatique et sanguine, avec des aigus qui sont parfois un peu trop jetés soudainement. Sa voix ambrée dépeint une jeune femme au cœur intense et fortement volontaire, et cela se ressent au moment de la scène du poison.

De plus, la relation avec Roméo fonctionne très bien de par les jeux de regards et l’attention des gestes, et on peut même se demander si la situation exceptionnelle dans laquelle les deux artistes sont plongés ne rend pas leur jeu encore plus instinctif. 

Yu Shao (Tybalt) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Yu Shao (Tybalt) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Le Tybalt de Yu Shao est brillamment stylé. Timbre doux, diction impeccable, il rend le cousin de Juliette sensuellement fort agréable, mais on ressent aussi qu’il donne une image trop parfaite d’un être qui est quand même provocateur et noir intérieurement. A l’inverse, Philippe-Nicolas Martin brosse un portrait vif, précis et moderne de Mercutio, une maturité qui est ici renforcée chez un être qui a l’inconscience de la jeunesse. 

Et l’équipe artistique est riche d’un Frère Laurent débonnaire sous les traits de Patrick Bolleire, un Stéphano d’Adèle Charvet qui joue crânement et habilement de façon très assurée, une Gertrude bienveillante et lumineuse aux couleurs claires dans la voix de Marie Lenormand, un Capulet moins figé dans ses conventions quand il est incarné par Jérôme Boutillier, et un Duc tressaillant de Geoffroy Buffière.

Adèle Charvet (Stéphano)

Adèle Charvet (Stéphano)

Laurent Campellone, actuellement directeur général de l’Opéra de Tours, est à la tête des musiciens de l'Opéra de Rouen-Normandie et imprime d’emblée une grande célérité à l’orchestration, trépidante au point de ne pas laisser suffisamment de temps à l’épanouissement du son, ce qui évite clairement tout effet pompeux, tout en lui donnant beaucoup de moelleux. On sent là aussi que la musique de Gounod aurait besoin d’un espace plus large pour étendre sa majesté, mais c’est ici le sens du drame qui l’emporte où dominent la brillance, la densité orchestrale, les élans romantiques des cuivres qui sonnent magnifiquement dans la salle, et une puissance qui permet d’apprécier l’orfèvrerie musicale tout autant que les très belles qualités d’alliage de couleurs et de matières. Berlioz n'est plus très loin.

Pene Pati (Roméo) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Pene Pati (Roméo) et Perrine Madoeuf (Juliette)

Le chœur Accentus, bien que masqué, forme une âme vitale qui s’interpénètre tout au long de l’intrigue de façon très étroite aux solistes, et après cette version qui revient à l’esprit de la création à l'Opéra Comique, la présence parmi le public de plusieurs grandes personnalités managériales de l’Opéra de Paris telles Alexander Neef, Martin Ajdari ou Brigitte Lefèvre, pourrait être vue comme un présage que la version grand opéra du drame shakespearien de Gounod fera peut-être bientôt son entrée sur la scène Bastille.

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