Articles avec #petean tag

Publié le 30 Juin 2024

Il Trovatore (Giuseppe Verdi – 19 janvier 1853, Rome)
Représentation du 29 juin 2024

Münchner Opernfestspiele 2024 - Bayerische Staatsoper

Ferrando Tareq Nazmi
Inez Erika Baikoff

Leonora Marina Rebeka
Count di Luna George Petean
Manrico Vittorio Grigolo
Azucena Yulia Matochkina
Ruiz Granit Musliu

Direction musicale Francesco Ivan Ciampa
Mise en scène Olivier Py (2013)

Production qui fit l’ouverture du Festival lyrique de l’Opéra de Munich le 27 juin 2013, et qui est régulièrement reprise tous les 2 ou 3 ans, la vision macabre du 'Trouvère' par Olivier Py a pour elle de laisser planer en permanence la malédiction du meurtre de la mère d’Azucena dans un décor industriel sombre dont la complexité interroge encore, d’autant plus qu’il imbrique une scène théâtrale, l’histoire étant une narration. 

Marina Rebeka (Leonora)

Marina Rebeka (Leonora)

La mort est un acteur omniprésent qui prend la forme de figurants aux têtes d’Anubis, ou bien se revêt d’un corps totalement noir lorsque Leonora songe au suicide.

Manrico est dépeint comme un fanatique dont la ferveur atteindra son paroxysme devant une croix enflammée, et l’on peut dire que Vittorio Grigolo représente à outrance ce personnage animé par une flamme intérieure destructrice. Car le ténor italien affiche un rayonnement, une clarté et une richesse de couleurs d’une très grande insolence qui arrivent à susciter l’admiration malgré un jeu exacerbé et un rythme personnel qui ne doivent sûrement pas faciliter la tâche du chef d’orchestre. Rien ne résiste à son chant sanguin d’une implacable efficacité, comme si le chanteur était en recherche d'une rupture.

Vittorio Grigolo (Manrico) et Marina Rebeka (Leonora)

Vittorio Grigolo (Manrico) et Marina Rebeka (Leonora)

Ainsi, on ne peut pas trouver plus opposé de caractère que celui de Marina Rebeka, dont la technique sophistiquée fait entendre à quel point l’écriture verdienne est d’une grande finesse, parcellée de progressifs changements de teintes toujours chargées d’éclat.

Et comme très souvent chez cette élégante artiste, le panache dans la souffrance ne cède en rien aux effets mélodramatiques, comme si la retenue dans l’expression des tendres sentiments de Leonora était la manifestation d’une inséparable maîtrise de soi.

Yulia Matochkina (Azucena) et Vittorio Grigolo (Manrico)

Yulia Matochkina (Azucena) et Vittorio Grigolo (Manrico)

Grand interprète du style verdien également, George Petean porte avec lui l’essence de la vitalité italienne, un chant chargé d’une terre de caractère, ce qui s’entend le mieux lorsqu’il est en dialogue avec la salle. Toutefois, dans les ensembles où l’orchestre prédomine, son timbre se dilue plus nettement que ses partenaires, ce qui lui fait perdre en impact, notamment lorsqu’il est en duo avec le Manrico galvanisant de Vittorio Grigolo.
Mais cela humanise aussi  le portrait du Conte di Luna.

Et sans sembler trop forcer sur ses moyens, Yulia Matochkina inspire en Azucena un personnage d’un grand raffinement, capable autant de puiser dans une noirceur nobiliaire que d’extérioriser des aigus brillants.

Il Trovatore (Rebeka Grigolo Matochkina Petean Ciampa Py) Munich

Parmi les seconds rôles, Tareq Nazmi n’a aucun problème à donner du corps à ce Ferrando qui se révélera être le meurtrier de Manrico, et si le chant profondément moiré d’Erika Baikoff (Inès) a un contour trop flou, c’est d’une belle prestance et d’une forte coloration de timbre que Granit Musliu dote le personnage de Ruiz. Ce jeune chanteur découvert l’année dernière au Festival de Sanxay en Don Ottavio, n’a pas fini d’imprimer sa marque.

George Petean (Le Comte di Luna)

George Petean (Le Comte di Luna)

Avec ces personnalités vocales assez disparates – seules Marina Rebeka et Yulia Matochkina sont les plus proches, stylistiquement parlant -, l’unité d’ensemble est confortée par la direction de Francesco Ivan Ciampa qui, non seulement insuffle un courant orchestral d’une grande puissance, mais combine aussi avec talent les différentes lignes de l’ouvrage afin d’en faire ressortir les traits dramatiques et sombres, comme pour faire ressentir une force sous-jacente à la manœuvre.

Le son de l'Orchestre de l'Opéra de Bavière conserve une excellente souplesse mêlée à une fougue italianisante qui ne vire jamais au vulgaire, et les cuivres sont très chaleureux. Le public n’en est que plus survolté, et avec un chœur d’une grande présence et très bien chantant, tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette soirée une interprétation d’une grande générosité.

Voir les commentaires

Publié le 26 Septembre 2016

Otello (Giuseppe Verdi)
Représentations du 24 et 25 septembre 2016
Teatro Real de Madrid

Otello Gregory Kunde (24) / Alfred Kim (25)
Iago George Petean (24) / Angel Odena (25)
Cassio Alexey Dolgov (24) / Xavier Moreno (25)
Desdemona Ermonela Jaho (24) / Lianna Haroutounian (25)
Roderigo Vicenc Esteve
Ludovico Fernando Rado
Emilia Gemma Coma-Alabert

Mise en scène David Alden (2014)
Direction musicale Renato Palumbo
Choeur et Orchestre Titulaire du Teatro Real
Pequenos Cantores de la Communidad de Madrid

                                                              Gregory Kunde (Otello) et Ermonela Jaho (Desdemona)

Coproduction avec l'English National Opera et le Kungliga Operan de Stockholm

La saison 2016/2017 du Teatro Real de Madrid ouvre fièrement avec une production d''Otello' chantée par deux distributions différentes.

La mise en scène est signée David Alden, un habitué des maisons de répertoire.

Au milieu d'un décor unique qui évoque les ruines d'un ancien palais, une arche délabrée laisse entrevoir un arrière-plan qui se modifie pour évoquer aussi bien un horizon heureux et lumineux, qu'une muraille ornée de quelques traces de peinture dorées témoins d'un passé glorieux.

Le sol, lui, est recouvert de décorations clairsemées qui semblent inspirées des vestiges antiques de Pompeï ou d'Herculanum.

Gregory Kunde (Otello)

Gregory Kunde (Otello)

Cet aspect misérable, qui reflète les sentiments déliquescents intériorisés par Otello, est renforcé par des éclairages latéraux qui créent des zones d'ombre, en phase avec les teintes de la musique.

Chaque personnage, sans exception, est amené à un moment ou à un autre à s'y dissoudre.

Pourtant, ce parti pris visuel pourrait avoir une grande force si David Alden se montrait plus réaliste dans sa manière de faire vivre la foule et les protagonistes.

Agitation surjouée et insensée, mouvements dansés au rythme de la musique mais sans aucune signification dramaturgique, ce type de direction d'acteurs désuète donne l'impression que le Teatro Real a oublié les enseignements de Gerard Mortier, et son corollaire : toujours tenir une grande exigence théâtrale.

George Petean (Iago)

George Petean (Iago)

Néanmoins, le théâtre est dans la musique, et la direction orchestrale volumineuse et colorée de Renato Palumbo, qui n'évite pas toujours une certaine épaisseur, crée une tension permanente impressionnante.

Les noirceurs sont mises en exergue, les solos des vents sont fortement surlignés, et les nuances inquiétantes renforcent l'atmosphère hitchcockienne de l'interprétation.

La fluidité du discours n'est pas sans prudence, mais cela peut traduire une nécessité de ne pas trop presser les chanteurs et leur laisser le souffle suffisant.

Le souffle n'est certainement pas la faiblesse du choeur, qui est le grand héros de la soirée, varié et nuancé de couleurs, volontaire et uni dans les grands moments de force, et magnifiquement stratifié avec un art du fondu enchaîné qui permet d'en apprécier tous les détails.

Les petits chanteurs de la Jorcam sont eux aussi sensiblement élégiaques et joyeux dans la pittoresque scène de la mandore.

Gregory Kunde (Otello) et Ermonela Jaho (Desdemona)

Gregory Kunde (Otello) et Ermonela Jaho (Desdemona)

Deux distributions sont donc à l'affiche.

La première réunit, dans les trois rôles principaux d'Otello, Desdemona et Iago, Gregory Kunde, Ermonela Jaho et George Petean.

Tous trois sont de fins musiciens, soucieux des lignes, ce que les spectateurs de la télédiffusion ont pu apprécier en direct le 24 septembre soir.

En effet, phénoménal chanteur, Gregory Kunde est un Otello dont les inflexions et les nuances rappellent beaucoup celles de Luciano Pavarotti. Il est doué d'une tessiture un peu plus sombre, allie puissance animale et art séducteur de la déclamation, et rayonne d'une énergie virile sans jamais verser dans la caricature.

Ermonela Jaho (Desdemona)

Ermonela Jaho (Desdemona)

Chaque phrasé interpelle par sa netteté d'élocution, et l'élégance avec laquelle il lie son chant lui attache naturellement une essence noble et inaltérable.

Cependant, rôdé aux productions conventionnelles mal dirigées, il ne peut qu'offrir un jeu scénique sommaire qui affaiblit aussi la crédibilité de son incarnation, théâtralement parlant.

Un Jonas Kaufmann pourrait donc, à l'avenir, prendre un avantage s'il se montrait d'une vérité de geste plus grande.

Ermonela Jaho, elle, est sublime aussi bien dans les larges envolées que dans les subtiles expressions filées avec goût et délicatesse. Très à l'aise dans les aigus, son médium est plus tourmenté, et son incarnation penche davantage vers la Violetta mélodramatique imaginée par Verdi pour 'LaTraviata'.

Elle est immédiatement touchante, et les fragilités qu'elle dessine évoquent une forme d'idéalisme de jeunesse aveugle à la réalité qui se présente.

Alexey Dolgov (Cassio)

Alexey Dolgov (Cassio)

Quant à George Petean, ses belles qualités de couleurs et de chant en font un Iago dont on ressent, malgré les noirceurs, le prolongement du coeur sur les lèvres, ce qui le rapproche plus d'un Rigoletto, autre célèbre et complexe personnage verdien.

Car dans le rôle de Iago, priment l'esprit de manipulation, la haine transformée en génie, et la violence éruptive dissimulée sous des accents caressants. Iago est un mauvais, et cela doit se sentir.

En Cassio, Alexey Dolgov se révèle peu séducteur, et fait beaucoup penser à ces personnages populaires bouffes que l'on retrouve dans les opéras de Moussorgski ou Rimski-Korsakov.

Gregory Kunde (Otello)

Gregory Kunde (Otello)

La seconde distribution s'avère dans l'ensemble plus dramatique, mais également plus naturaliste dans ses expressions vocales, si l'on excepte Lianna Haroutounian.

La soprano arménienne est véritablement une grande Desdémone. Avec un impact aussi large qu'Ermonela Jaho, elle fait entendre pourtant, en première partie, un vibrato prononcé, ce qui rend son duo d'amour moins onctueux.

Mais par la suite, sa stature est bien celle d'une femme forte et blessée, et la variété des sentiments colorés de tendresse et de noirceur renvoie l'image d'une femme d'une grande maturité, qui semble avoir dépassé le stade des pleurs pour se réveiller torturée dans l'âme.

Lianna Haroutounian (Desdemona)

Lianna Haroutounian (Desdemona)

Spectaculaire lutte avec Otello à l'acte III, noblesse des incantations - l'Elisabeth de 'Don Carlo' n'est plus très loin -, elle est à tomber à genoux au moment où elle chante seule 'la chanson du saule', avant de se livrer à une prière magnifique et chargée de peines.

Si elle est aussi fortement touchée au salut final, elle le doit à son engagement qui a atteint un public conquis par un tel sens du tragique.

Alfred Kim (Otello)

Alfred Kim (Otello)

Alfred Kim, lui, a la puissance que l'on attend d'Otello, mais pas toutes les nuances. Timbre monolithe et gris, tension hystérique, le Maure apparaît d'emblée vidé de son âme et confiné à un vide misérabiliste.

Acteur de la folie il est, et c'est pourquoi le lamento qu'il verse après avoir violemment accusé Desdémone est si saisissant.

Cette façon de chanter trop froide et peu orthodoxe ne nuit cependant pas trop à son incarnation, car elle s'inscrit dans un vérisme qui peut s'accepter dans une mise en scène où tout est d'avance décrépit.

Lianna Haroutounian (Desdemona)

Lianna Haroutounian (Desdemona)

Et Angel Odena, en Iago, est encore plus vériste, ce qui fait son effet mais lasse vite, alors que Xavier Moreno ne rend pas plus de brillance à Cassio.

Belle tenue de Gemma Coma-Alabert, en Emilia, qui se montre, dans la scène finale, vaillante face à la rage d'Otello.

Voir les commentaires

Publié le 28 Septembre 2009

Le Barbier de Séville (Rossini)
Représentation du 27 septembre 2009

Opéra Bastille

Direction musicale Bruno Campanella
Mise en scène Coline Serreau

Il Conte d’Almaviva Antonino Siragusa
Bartolo Alberto Rinaldi
Rosina Karine Deshayes
Figaro George Petean
Basilio Paata Burchuladze
Fiorello Aimery Lefèvre
Berta Jeannette Fischer
Un Ufficiale Denis Aubry

 

 

                                       Karine Deshayes (Rosine)

 

Créée le 02 avril 2002, on peut regretter que la mise en scène de Coline Serreau aborde sur le ton de la comédie le dénie de liberté qui est fait aux femmes dans des pays où les hommes aiment à porter la barbe.

Mais comment ne pas reconnaître à quel point cette vision est juste, sans remettre en cause une sensibilité personnelle?  En plus les tableaux de ce Séville historiquement islamisé et transposé dans un pays des Milles et une nuits ravissent par leur raffinement, si bien que l’on passe sur quelques passages théâtralement peu inspirés (le final de l’acte I joué au ralenti).

Karine Deshayes (Rosine)

Karine Deshayes (Rosine)

Fraîchement remis de son récital de la veille au Théâtre des Champs Elysées - et remporté les mains dans les poches - Antonino Siragusa se joue des dimensions architecturales des galeries de l’opéra Bastille, pour composer un Comte adorable de douceur et de charme comme nous en entendons bien rarement.

Nous lui accueillons donc en toute complaisance la naïveté d’une gestuelle plus faite pour amuser les petits enfants.

Karine Deshayes méritait bien mieux que les second rôles toujours brillamment interprétés à Paris (le garçon de cuisine de Rusalka, Krista de l‘Affaire Makropoulos), ce que son incarnation de Rosine démontre en toute évidence.
Lyrique, dramatique avec la froide rondeur des chanteuses slaves, l’exubérante mezzo-soprano saisit cette occasion pour déployer l’entendue de ses moyens.

Mais à y regarder de plus près, il manque encore un approfondissement du caractère enragé de la jeune pupille, ce qui transparaît dans les expressions corporelles comme gambader telle une gazelle pour mettre sans dessus-dessous son appartement dans un excès de colère.

Antonino Siragusa (Il Conte Almaviva)

Antonino Siragusa (Il Conte Almaviva)

Visiblement l’équipe scénique fonctionne très bien, puisque George Petean compense les limites de ses subtilités par un style généreux et sans ambages, Paata Burchuladze investit tout l’espace sonore d’une voix semi-caverneuse et agréable, et Alberto Rinaldi réussit le meilleur rôle de composition de la représentation avec Bartolo.

Depuis le temps qu’elle chante Berta avec coeur, Jeannette Fischer profite de son unique air à elle toute seule, « Il vecchiotto cerca moglie », pour s’offrir trois minutes de one woman show qui doivent lui faire un bien fou!

L’ouverture résume assez bien la tonalité d’ensemble de Bruno Campanella : une direction vive et fine laissant le champ libre aux chanteurs.
Il reste pourtant de la marge afin de faire jouer au discours musical un rôle plus stimulant.

Karine Deshayes (Rosine)

Karine Deshayes (Rosine)

Rétabli pour la première fois à cette occasion, l’air « cessa di piu resistere » permet à Antonino Siragusa un dernier jeu de bravoure, considérablement applaudi aussi bien pour sa valeur que pour sa conclusion loufoque, le ténor se métamorphosant en joueur de football numéro 10 (le meneur), et cela sous les yeux de Coline Serreau venue filmer l'ensemble du spectacle.

Voir les commentaires