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Publié le 13 Octobre 2008

Oedipe (George Enescu)

Livret d'Edmond Fleg

Représentation du 12 octobre 2008 au Théâtre du Capitole de Toulouse

Oedipe Franck Ferrari                         Tirésias Arutjun Kotchinian
Créon Vincent le Texier                      Le Berger Emiliano Gonzalez Toro
Le Grand-prêtre Enzo Capuano            Phorbas Harry Peeters
Le veilleur Jérôme Varnier                   Thésée Andrew Schroeder

Laïos Léonard Pezzino                         Jocaste Sylvie Brunet

La Sphinge Marie-Nicole Lemieux     Antigone Amel Brahim-Djelloul

Mérope Maria José Montiel               Une Thébaine Qiu Lin Zhang

Conception scénique Nicolas Joel

Direction musicale Pinchas Steinberg

A un jour près, l'Opéra de Paris et le Théâtre du Capitole ressuscitent deux œuvres jouées une seule fois à Paris sans reprise ultérieure dans leur langue originale.

Ainsi, alors que La Fiancée Vendue fait son apparition à l'Opéra Garnier après sa création parisienne il y a 80 ans, Œdipe réapparaît en France à Toulouse, 72 ans après sa création justement à l'Opéra Garnier en 1936 (le reprise de 1963 à l‘Opéra de Paris ayant été chantée en roumain).

La musique est innovante et pourrait rappeler celle de Debussy et surtout celle de Bloch (d'ailleurs son livret de Macbeth fût écrit par Edmond Fleg également) avec des réminiscences wagnériennes.

La nature du chant déclamé et du texte, plus descriptif des interrogations de l'âme que d'actions scéniques, impose de mettre en valeur avant tout la richesse des motifs orchestraux.

Or la conception scénique choisie à Toulouse s'attache à reconstituer l'architecture de pierre d'une Grèce classique, ancienne et puissante (les colonnes doriques du temple d'Apollon qui surplombe l'Agora de Corinthe par exemple) traduisant surtout le goût de Nicolas Joel pour les architectures figées et colossales.

Les personnages sont de plus dirigés selon des conventions extrêmement prévisibles, de fausses afflictions, des simulations d'étonnements et de surprises, mauvais théâtre exaspérant et souvent ennuyeux détournant en partie l'attention du discours musical.

Indubitablement, il aurait fallu un Bob Wilson. Pas de geste inutile avec lui, on imagine un geste d'horreur simplement symbolisé par un détournement de tête et une main tendue vers l'avant pour maintenir une distance, et surtout un travail sur les ambiances lumineuses qui aurait complètement sublimé la musique.

Au lieu de cela, le final s'achève par la disparition lente d' Œdipe dans une trappe et sous un éclairage fixe et lumineux alors que la musique suggère un progressif retour à la paix. 

Franck Ferrari (Oedipe)

Franck Ferrari (Oedipe)

Ceci dit la scène de La Sphinge, dans la pénombre d'un amphithéâtre rougeoyant, est très mystérieuse et constitue la meilleure réussite visuelle de ce spectacle.

La distribution vocale est riche et se détachent tout de même quelques solistes :

Arutjun Kotchinian, très bon en Tirésias flanqué d'un timbre caverneux et vieilli aux prémonitions effrayantes, et Jérôme Varnier impressionnant dans la scène musicalement la plus marquante de l'ouvrage : la rencontre avec le veilleur sous les murs de Thèbes.

Jérôme Varnier reçoit étrangement un accueil neutre alors qu'il crée un effroi saisissant lors de sa rencontre avec Œdipe.

Hilare lors des applaudissements - il faut dire que La sphinge sortie du sol au milieu de draps immenses semble ici très inspirée de la "Reine de la Nuit" façon Benno Besson - Marie-Nicole Lemieux extirpe des intonations insolites pour restituer les sarcasmes du monstre.

Oedipe (Franck Ferrari) et La Sphinge (Marie-Nicole Lemieux)

Oedipe (Franck Ferrari) et La Sphinge (Marie-Nicole Lemieux)

Très à son avantage en Œdipe jeune et beau, Franck Ferrari défend un rôle fait pour lui en référence aux intonations brutes du héros, mais ne réussit pas véritablement sa transformation monstrueuse lorsqu'il perd ses yeux.

Si l'on s'intéresse à ce qui avait motivé Enescu dans la création d' Œdipe, il avait eu une fascination incroyable pour Mounet Sully dans la pièce d'"Œdipe Roi" et pour la manière dont les expressions du visage le défiguraient.

A la direction musicale, Pinchas Steinberg réalise un envoûtant travail de nuances et de théâtralité. Seulement comme pour La Femme sans Ombre, l'équilibre sonore est parfois trop à l'avantage des chanteurs.

Les chœurs sont d'ailleurs une des grandes forces de la représentation et réveillent toute la salle à la fin du IIième acte.

Malgré un sentiment mitigé, il aurait été injuste de ne pas parler de la renaissance de cette œuvre car il reste une marge importante pour lui donner une expression scénique aboutie.

Et sur cette lancée il faut souhaiter que Nicolas Joel étudie la possibilité de lui donner une chance à l'Opéra Bastille.

Coproduit avec le Festival International George Enescu de Bucarest, cette production d'Œdipe en fera l'ouverture le 30 août 2009 avec Franck Ferrari et une distribution différente pour les autres rôles.

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Publié le 11 Octobre 2008

La Fiancée Vendue (Bedrich Smetana)
Répétition générale du 09 octobre 2008 à l’Opéra Garnier
 

Krušina Oleg Bryjak
Ludmila Pippa Longworth
Marenka Christiane Oelze
Mícha Stefan Kocán
Háta Helene Schneiderman
Vašek Christoph Homberger
Jeník Ales Briscein
Kecal
Franz Hawlata

Esmeralda Amanda Squitieri

Mise en scène Gilbert Deflo
Direction musicale Jirí Belohlávek

Jusqu’à présent, l’œuvre n’avait été jouée qu’une seule fois à Paris. Et encore, en 1928 l’Opéra Comique n’avait pu monter « La Fiancée vendue » qu’en français.

C’est donc une première!

L’histoire semble banale et nous conte l’amour de Marenka et Jeník malheureusement entravé par Krušina, père de la jeune fille, qui l'a promise au fils du riche Mícha, Vašek.

Au premier abord les nombreuses danses qui rythment l’ouvrage sur une musique enjouée et fine nous plongent dans une atmosphère légère d’où émergent à partir du second acte des scènes savoureuses.

Le duo charmant entre Marenka et Vašek laisse place à la cadence gaie de l’échange clé entre Kecal (le marieur du village) et Jeník.

Tous les sentiments de Marenka sont peints et gagnent en profondeur quand elle cède au désespoir au cours du 3ième acte.

Christiane Oelze et Ales Briscein

Christiane Oelze et Ales Briscein

Dans ce rôle, Christiane Oelze est tout simplement idéale tant elle libère de sa voix toute légère une grande sensibilité et beaucoup de délicatesse. Ales Briscein se joint à elle avec autant de fraîcheur et une expressivité que les accents slaves caractérisent singulièrement.

Autre valeur de la distribution, Christoph Homberger joue de manière très drôle le bégayant Vašek et en plus se distingue très nettement de Briscein (et oui, nous avons deux ténors sur scène!) par un chant moins gracieux mais très affirmé.

Très en forme (ce sera sa seule apparition cette année à l‘Opéra de Paris), Franz Hawlata se balade dans son personnage pur comique quand la pétillante Amanda Squitieri achève de colorer cet ensemble bardé d’humour.

Pour « La Fiancée vendue » Gilbert Deflo est le metteur en scène qu’il fallait. Sensible au genre de La commedia dell’arte (L’amour des 3 oranges, Le Bal Masqué), tout ce monde est avec lui animé avec beaucoup de finesse et d’humanité.

Les couleurs vives bleues, oranges, vertes, jaunes dissipent toute la joie de la musique et Deflo nous offre des scènes de danses dont notamment celle du cirque, extraordinairement délurée et hypnotisante, avec ces jeunes danseurs et danseuses accoutrés de salopettes.

C’est toute cette vie qui manquait tant dans Luisa Miller la saison passée.

Franz Hawlata (Kecal), Pippa Longworth et Oleg Bryjak (les Krušina)

Franz Hawlata (Kecal), Pippa Longworth et Oleg Bryjak (les Krušina)

Avec cette nouvelle production, l’Opéra Garnier possède maintenant une œuvre qui est le reflet de L'Elixir d'Amour à Bastille avec poésie et une chaleur humaine entraînante.

Dans l‘enthousiasme de faire partager cette musique, Jirí Belohlávek emmène l’orchestre sur un rythme parfois pas toujours facile à suivre pour les chœurs.

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Publié le 2 Octobre 2008

June Anderson et l’Orchestre National de Bordeaux
Concert du 02 octobre 2008 (Salle Pleyel)

Rossini :     Semiramide - Recit "Bel raggio" - "Dolce pensiero"
                    Le voyage à Reims - "Ouverture"
Bellini :       Norma - Air " Casta Diva "
                    Norma -" Sinfonia"
                    La Sonnambula - Aria "Ah non credea" - Cabaletta "Ah,non giunge"
Verdi :        Otello - Aria "Mia madre" - "Ave Maria"
                    Les Vêpres Siciliennes - musiques de danse
Donizetti :   Anna Bolena - Aria " Al dolce guidami" - Cabaletta " Coppia iniqua"

Direction Paolo Olmi

Le Bel Canto romantique possède une inimaginable capacité à détacher l'esprit de la réalité à condition d'être porté par des voix aux qualités adéquates.

Cela explique cette tension dès le premier air à l'issu duquel l'auditeur sait déjà s'il sera touché par la grâce vocale de l'interprète ou pas.

June Anderson réussit une entrée royale avec "Sémiramide" et pousse encore plus loin ses capacités virtuoses dans un "Casta Diva" aérien et doué de vertigineuses coloratures.
Il y a même une certaine forme d'adéquation visuelle, la souplesse de ses gestes suivant les ondoyances des lignes musicales.

"Ah non credea" dans la Sonnanbula paraît très étrangement discret et peu affecté mais est le seul point creux de la soirée. Desdémone fragile et subtile, l'incarnation évite une dramatisation excessive, les exclamations étant habituellement lâchées avec plus de douleur.

June Anderson

June Anderson

Toute la soirée aura donné l'impression de faire revivre ces concerts où Callas ressuscitait le Bel Canto italien d'autant plus que le répertoire choisi recoupe très largement celui de la "Divina" y compris le bis "Oh mio babbino caro" .

Paolo Olmi et l'Orchestre National de Bordeaux Aquitaine s'illustrent ce soir dans les musiques de danse des "Vêpres siciliennes" pleines d'entrain et de vivacité, les sonorités d'ensemble conservant beaucoup de rondeur et de chaleur.

Avec ce récital d'où émanent maîtrise et humilité à la limite du miracle, June Anderson marque un jalon important : 30 ans de carrière après ses début au New York City Opera en Reine de la Nuit.

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Publié le 22 Septembre 2008

Die Frau ohne Schatten (Richard Strauss)

Représentation du 20 septembre 2008 à l’Opéra d’Amsterdam

Der Kaiser                   Klaus Florian Vogt
Die Kaiserin                 Gabriele Fontana
Die Amme                  
Doris Soffel
Barak der Fäber          Terje Stensvold
Sein Weib                    Evelyn Herlitzius

Mise en scène              Andreas Homoki

Direction musicale        Marc Albrecht

Nederlands Philharmonic Orchestra

                                                                                    De Nederlandse Opera

16 ans après sa création à Genève et un passage au Théâtre du Châtelet, la production d’Andréas Homoki poursuit son parcours international.

Le monde des esprits y est figuré par une agrégation de symboles noirs sur fond blanc se concentrant en fond de scène à la manière d’un amas globulaire abritant un trou noir (on pourrait y voir une référence à l’ « Origine du Monde » de Gustave Courbet).

Les cubes jaunes du monde terrestre contrastent quand à eux avec l’idéal de la sphère des esprits.

Et enfin selon le proverbe kurde « ne lance pas la flèche qui se retournera contre toi »,  l’Empereur devient la cible de la malédiction. Cette malédiction est particulièrement soulignée lorsque des flèches rouges géantes acculent le Prince jusqu’à l’immobilisation totale (faut-il y voir un lien avec le Martyr de Saint Sébastien ou avec une certaine ambiguïté sexuelle ?).

Les yeux bandés, sans pouvoir, il erre à la recherche du faucon et de sa conscience.

Doris Soffel (La Nourrice)

Doris Soffel (La Nourrice)

Cette lecture qui accentue la dimension culpabilisatrice de l'oeuvre ne peut en aucun cas faire oublier le remarquable travail symbolique de Bob Wilson à Bastille beaucoup plus empreint de féminité et d’humanité, ni les astucieux changements de décors au Capitole.

C’est donc sur le plan musical que nous sommes à la fête.

Marc Albrecht et le Nederlands Philharmonic Orchestra se déchaînent en suivant une lecture dynamique, foisonnante de détails, subtile et pleine de fraîcheur quand la tension éclate.

La direction est de plus menée avec entrain et une déconcertante facilité à soulever la masse orchestrale.

De Nederlandse Opera : La Femme sans Ombre

En Impératrice, Gabriele Fontana révèle richesse d’intonations et d’accents et se permet même des effets coloratures au premier acte. De l’aigu facile, franc et large, au médium plus clivé, son engagement est total mais le jeu théâtral type « drame petit bourgeois » vire à l’hystérie ce qui peut fatiguer l’auditeur à la longue.

Surtout qu’ Evelyn Herlitzius en rajoute encore, Teinturière dont l’agitation permanente ne permet pas toujours d’apprécier un timbre plutôt clair, à l’impact et à l’assurance impressionnants.

Fricka de fer à Venise, mais Clairon décevante à Garnier, Doris Soffel retrouve le rôle de la Nourrice interprété un cran au dessus de l’incarnation très vivante qu’elle rendit à l’ouverture de saison du Capitole il y a tout juste deux ans.

Klaus Florian Vogt et Gabriele Fontana

Klaus Florian Vogt et Gabriele Fontana

Elle ne sur joue pas, ajuste gestes et émotions pour étrangement inspirer de très forts sentiments maternels envers l’Impératrice tout en ne lâchant rien de son autorité.

La voix est en plus d’une très grande stabilité.

Beaucoup plus terne malheureusement, Terje Stensvold ne réussit pas à rendre poignant Barak alors qu’il en a pourtant le matériau vocal.

Et comme il est une des motivations du déplacement, Klaus Florian Vogt est sans surprise impérial dans son rôle. Charme d’un timbre juvénile, luminosité d’un regard dont nous prive très vite d’un simple bandeau le metteur en scène, ce chanteur incarne idéalement la « fausse innocence ».

Cette douceur pacifiante est une des plus belles valeurs de l’opéra de notre époque.

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Publié le 14 Septembre 2008

Master Class Maria Callas (Terrence McNally)

Représentation du 13 septembre 2008 au Théâtre de Paris

Maria Callas Marie Laforêt

Avec Leïla Benhamza, Maud Darizcuren, Juan Carlos Echeverry, Frédéric Rubay (pianiste)

Mise en scène Didier Long

Il serait dommage de se rendre au Théâtre de Paris sans passer par l’Opéra Garnier rien que pour la cohérence de la démarche.

Bien sûr les fous de Callas auront relu les multiples biographies, peut être revu le tragique « Maria Callas Assoluta » de Philippe Kohly tout en se demandant ce que la pièce « Master Class » pourra leur apprendre de plus.

Marie Laforêt (Maria Callas)

Marie Laforêt (Maria Callas)

Car il y a de quoi être perplexe à retrouver la Diva dans ce qui ressemble à une comédie de boulevard. Tout le monde en a pour son grade, le public, le pianiste, les techniciens et surtout les élèves. Callas n’épargne décidément personne de ses répliques piquantes et drôles.

Présentée comme un professeur qui se met exagérément en scène, cela nous remémore l’abattage de Teresa Berganza lors des master classes de l’Opéra Bastille en 2003, elle aussi partisane d'un franc-parler très direct pour tenter de transmettre ce qu'elle sait.

Seulement cela ne colle pas avec ce que nous savons de l’artiste lorsque qu’elle participa à ces Master Classes fin 1971, telle une tentative cachée de préparer un éventuel retour et de prendre le dessus sur les souffrances de sa séparation avec Onassis et sur son déclin vocal.

Les propos deviennent parfois incroyablement immodestes lorsque Callas affirme qu'elle n'a pas de rivale car pour être sa rivale il faudrait être capable de chanter aussi bien qu'elle.

Ce passage de la pièce délicieusement amusant est en fait inspiré d'une interview bien réelle donnée à Milan en septembre 1957 où elle explique même qu'il faudrait qu'une chanteuse se sacrifie autant qu'elle pour être sa rivale.

Seulement, l'inconvénient de restituer ses propos avec l'intention de faire rire le public est de contredire le ton absolument sérieux et la précision de ses justifications dans l'interview, ce qui donne un sentiment d'exagération.

C'est donc au moment de l’interprétation des airs par les jeunes chanteurs que la pièce atteint une réelle profondeur.

Le masque tombe, et la leçon de chant devient alors une leçon d’art qui expose les blessures de Callas comme la matière précieuse qui lui permet de donner sa propre interprétation aux mots. Blessures qui commencèrent dès l’enfance.

Le souvenir des échanges entre Onassis et Callas est d'ailleurs rapporté de manière particulièrement crue.

Les chanteurs sont de qualité, Leïla Benhamza dans « La Somnanbule », Juan Carlos Echeverry dans « Tosca » et Maud Darizcuren dans une interprétation très réussie de « Lady Macbeth ».

Standing ovation méritée pour une Marie Laforêt parfois étrangement proche des intonations de Brigitte Bardot, et pour un spectacle qui place le spectateur face aux réalités intimes de l’Opéra.

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Publié le 7 Septembre 2008

Eugène Onéguine (Piotr Ilyitch Tchaikovski)

Représentations du 04 et du 06 septembre 2008
O
péra Garnier

Madame Larina        Makvala Kasrashvili
Tatiana                     Ekaterina Shcherbachenko
Olga                         Margarita Mamsirova
La Nourrice              Emma Sarkisyan
Lenski                      Andrey Dunaev
Eugène Onéguine      Mariusz Kwiecen
Le Prince Grémine    Anatolij Kotscherga
Zaretski                    Valery Gilmanov

Mise en scène          Dmitri Tcherniakov

Direction musicale    Alexander Vedernikov

Solistes, Orchestre et Choeurs du Théâtre Bolchoï

Avec cette histoire de sentiments piétinés et méprisés qui conduisent Tatiana à trouver dans sa douleur la force de bâtir sa personnalité sociale, la sensibilité et l'intelligence d'un réalisateur comme Dmitri Tcherniakov étaient le gage d'une représentation qui mette l'âme à vif.

C'est bien ce qui s'est produit.           M.Mamsirova (Olga) et E.Shcherbachenko (Tatiana)

Partant d'un décor unique construit autour d'une large table circulaire, de costumes élégamment dessinés en camaïeu beige pour la campagne ou bien gris pour la haute société, c'est tout l'univers d'un monde conventionnel qui est animé et détaillé afin d'en exposer l'agitation et l'insensibilité.

Ainsi lui est opposé l'attitude apparemment réservée de la jeune fille derrière laquelle se dissimule une violente affection.

Tout est rituel ici, même les pleurs de la mère de Tatiana pensant à son mari défunt et qui revient à la joie automatiquement pour reprendre son rôle de femme maîtresse des lieux.

 

 

Makvala Kasrashvili (Madame Larina)

 

La caractérisation du milieu social est donc un des points forts. On pourra citer cette idée ingénieuse de réunir le chœur autour de la même table au premier tableau comme une grande réunion de famille, ou bien la scène festive chez madame Larine qui aboutit à un summum du délire collectif.

Pour accentuer l'état d'esprit des convives, s'ajoute la célébration de l'anniversaire de Tatiana par des gens qui n'ont comme seule envie que d'en profiter, pour s'offrir un peu de divertissement sans connaître et encore moins comprendre la personne vers laquelle convergent les cadeaux.

Cette scène atteint son paroxysme lorsque Lenski se met à imiter Monsieur Triquet (tout en trafiquant sa voix) pour amuser grassement la galerie, petite entorse au livret mais à fin dramatique, et marquer encore plus le malaise de Tatiana face à cette ambiance insensée.
Car quelque part, le poète va au suicide en se comportant ainsi.
Et l’on appréciera le baiser consolateur de Tatiana pour Lenski adressé à celui qui, comme elle, est authentique dans ses sentiments et doit le rester.    Chez madame Larine

La description de la haute bourgeoisie au 3ième acte est d’ailleurs très intéressante car finalement elle montre un milieu qui n’a de différent avec le milieu rural que son faste.

Ekaterina Shcherbachenko (scène de la lettre)

Ekaterina Shcherbachenko (scène de la lettre)

Le même rituel, le même attachement au respect du patriarche (Grémine joue le même rôle que Madame Larine car ils ont un pouvoir sur leur entourage) et cette table qui maintient toujours une distance infranchissable entre chacun.  

 

Cependant, l’autre force de cette interprétation est tout entièrement contenue dans le rôle de Tatiana magnifiquement porté par Ekaterina Shcherbachenko

 

Pas de simagrées inutiles ici, au calme que la convenance sociale attend d’elle se substitue, lorsque qu’elle se trouve seule, de soudaines décharges d’émotions suivies de vaines tentatives de reprises.

Ekaterina Shcherbachenko

Ekaterina Shcherbachenko

Elle écarte même violemment la table et monte dessus pour enfin approcher en songe celui qu’elle aime.

Tous les gestes sont justes pour atteindre la vérité d’une adolescente qui cherche les mots et la manière de communiquer sa passion à Onéguine.

 

Qui a vécu cela sincèrement dans sa vie ne peut qu’être impliqué et attentif à la moindre expression car cela réveille ce qu’il y a de plus vital en soi.

Ekaterina Shcherbachenko

Ekaterina Shcherbachenko

Et c’est un fort ressenti qui surgit lorsque les lumières rayonnent d’une puissance équivalente à ce que cette jeune amoureuse vit intérieurement, le lustre surplombant la scène brillant alors avec une intensité telle qu’elle perce l’œil comme la douleur perce son cœur.

La transformation au dernier acte est tout aussi spectaculaire que fragile, les furtives compulsions de Tatiana ne laissant aucun doute sur l’existence réelle de ses sentiments envers Onéguine malgré l’effort tragique avec lequel elle les étouffe.

 

Dmitri Tcherniakov ne semble avoir qu’une petite difficulté : convaincre de sa transposition de la scène de duel (très belle lumière hivernale) qui devient une bagarre un peu confuse entre Onéguine et Lenski.

 

Cependant là aussi, la mort du poète s’approche du crédible par sa soudaineté.

Ekaterina Shcherbachenko

Ekaterina Shcherbachenko

Alors il est vrai que face à ce travail théâtral remarquable, l’oreille est plus distraite.

Alexander Vedernikov dirige l’orchestre du Bolchoï avec punch mais aussi un sens de l’intime dans la mise en valeur des solistes.

 

Il concourt impeccablement au concept d’ensemble d’un milieu clos que renforce la petite bonbonnière de l’opéra Garnier.

Ekaterina Shcherbachenko

Ekaterina Shcherbachenko

Ekaterina Shcherbachenko, voix très pure, fascine par la perfection de son visage de cire et contribue à ajouter une impressionnante sophistication qui la distancie encore plus d’Onéguine au dernier tableau.

 

C’est un plaisir également immense que de voir et entendre Makvala Kasrashvili s’en donner à cœur joie dans son rôle de matriarche, et Emma Sarkisyan est très touchante en nourrice.

 

La distribution masculine est particulièrement soignée pour la première représentation que ce soit l’élégance vocale de Mariusz Kwiecen, la clarté et la sensibilité d’Andrey Dunaev ou bien l’autorité incontestable d’Anatolij Kotscherga.

 

Le scandale levé par madame Galina Vishnevskaya et rapporté par le New York Times n’est finalement que cinéma inutile.

 

Vivement la sortie du DVD à Noël et la retransmission sur Arte, afin de fixer la représentation du 10 septembre 2008!

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Publié le 26 Août 2008

West-Eastern Divan Orchestra

Concert du 25 août 2008 à la salle Pleyel

Variations op. 31, de Schoenberg

Ier acte de la Walkyrie

Siegmund Simon O'Neill   Sieglinde Waltraud Meier    Hunding René Pape

Direction Daniel Barenboim

Nul doute que les variations de Schoenberg n’étaient pas le clou de la soirée, pourtant force est de constater que cette musique est réellement inspiratrice tant elle donne le sentiment de décrire une action complexe faite d’intenses séquences, un peu à la manière des films d’Hitchcock, et d’ambiances plus frivoles, flûte et clarinette souplement libérées.

Waltraud Meier (Sieglinde)

Waltraud Meier (Sieglinde)

Très intéressante ouverture de la Walkyrie, tendue et plutôt sèche, qui s’ouvre sur un univers où les multiples ondes orchestrales s’entrelacent admirablement sous la direction efficace de Daniel Barenboim mais tout en laissant les cuivres à des éclats un peu plus pâles.

 

L’ impressionnant Hunding de René Pape emplit la salle entière en toute facilité, et le valeureux Siegmund de Simon O’Neill, voix bien dirigée, très claire et souple, donne un côté saillant plus proche du guerrier héroïque que de l’amoureux romantique.

 

Et en toute évidence, Waltraud Meier est toujours aussi épatante, crédible même en version concert, passant de la résignation au ravissement extatique d’une manière belle à pleurer car rien ne trahit la moindre faiblesse après tant d’années d’engagement scénique. Ces moments là comptent, et nous le savons.

 

Après ce premier concert parisien de la saison, parisien mais pas avec la superficialité de certains concerts qu’il est parfois vital de fuir, Daniel Barenboim profite de la fin de la tournée estivale du West-Eastern Divan Orchestra pour rappeler que c’est aujourd’hui l'un des rares cadres qui permette à ces musiciens du Moyen Orient de se rencontrer, politiquement inacceptable dans cette région.

Le West-Eastern Divan Orchestra, Simon O'Neill, Daniel Barenboim, Waltraud Meier

Le West-Eastern Divan Orchestra, Simon O'Neill, Daniel Barenboim, Waltraud Meier

Mais qui peut croire aujourd’hui que la politique est l’art d’améliorer le cadre de vie des peuples de manière équitable, et qui peut croire réellement que les citoyens des sociétés occidentales ont sincèrement cette motivation?

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