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Publié le 10 Août 2013

Madame Butterfly (Giacomo Puccini)
Représentation du 08 août 2013
Festival de Sanxay

Cio-Cio San Lianna Haroutounian
Suzuki Elena Cassian
F.B Pinkerton Thiago Arancam
Sharpless Kosma Ranuer
Goro Xin Wang
L’oncle Bonze Balint Szabo
Le prince Yamadori Florian Sempey
Kate Pinkerton Sarah Vaysset
Le commissaire impérial Fabien Leriche
Le fils de Cio-cio San Robin Mèneteau

Direction musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Mario Pontiggia
Costumes Shizuko Omachi
Lumières Eduardo Bravo
                                                 Lianna Haroutounian (Cio-Cio San) et Thiago Arancam (Pinkerton)


Sur les ruines du théâtre romain d‘Herbord, les intempéries tumultueuses de ce début de mois d’août se sont retirées quelques heures seulement avant que le drame lyrique de Madame Butterfly ne débute au milieu du paysage bucolique embrasé par le Festival de Sanxay chaque été, après les dernières lueurs du soleil couchant.

Elena Cassian (Suzuki) et Robin Mèneteau (L'enfant)

Elena Cassian (Suzuki) et Robin Mèneteau (L'enfant)

Cette nouvelle production est sans doute une des plus abouties de cette manifestation lyrique car, non seulement la distribution vocale est d’une belle musicalité homogène et délicate, mais la mise en scène de Mario Pontiggia forme un tout poétique, sensible et subtilement harmonisé à la musique de Puccini, un raffinement auquel on n’est pas accoutumé dans un tel lieu.

Le décor élégant, composé de seulement trois panneaux japonais finement décorés, et d’un cerisier oriental au second acte, définit les limites entre un espace intime et le monde extérieur symbolique pour lequel les lumières tamisées d’Eduardo Bravo, progressivement changeantes, modifient les couleurs et l’intensité du climat visuel, tout en mettant bien en valeur les différents protagonistes.

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San), Robin Mèneteau (L'enfant) et Kosma Ranuer (Sharpless)

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San), Robin Mèneteau (L'enfant) et Kosma Ranuer (Sharpless)

Ces derniers sont de plus magnifiés par la qualité et la variété des costumes de Shizuko Omachi, d’une blancheur immaculée pour le jeune couple, rose clair, puis noir pour Suzuki, mais, surtout, le metteur en scène prend soin de la disposition expressive de chaque artiste pour en souligner l’existence et la tension qu’il crée avec son entourage.

Il émane également une forme de musicalité de la gestuelle-même, comme si tous faisaient partie d’un tout harmonieux, excepté Pinkerton (mais est-ce volontaire?).

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Les chanteurs se fondent donc naturellement dans cet ensemble, à commencer par Lianna Haroutounian, interprète qui fut la brillante remplaçante d’Anja Hartejos dans Don Carlo à Covent Garden en mai dernier, et qui, dans le rôle de Cio-Cio San, se départit de tout effet dramatique et mélodramatique pour dessiner un portrait infiniment fragile et idéaliste, avec une projection puissante et lumineuse, et une apparente sérénité qui dure jusque dans la mort. Elena Cassian est pour elle une Suzuki confidente et attentive d’une même douceur, son duo avec Butterfly se dénouant dans une intimité un peu trop sage, sans exubérance.
 

Pinkerton notamment gauche, Thiago Arancam apparaît donc comme une figure décalée face à ces deux dames.

Il ne bénéficie pas de la même projection, néglige sa musicalité dans le médium, mais, contre toute attente, sa voix s’épanouit aisément dans les aigus, ce qui lui donne une dimension qu’il cède dès qu’il revient dans un registre moins lyrique.


A son retour, pourtant, il se montre inhabituellement expressif, et il réussit même un coup d’éclat scénique en fuyant ses responsabilités pour laisser sa femme, sous les traits de Sarah Vaysset, se charger de régler la situation filiale.

 

 

  Florian Sempey (Le prince Yamadori)

 

Et tous les rôles secondaires sont très bien distingués pour faire entendre leur charme vocal, le Goro ricanant de Xin Wang, très bon acteur, le noble et précieux Sharpless de Kosma Ranuer, et le magnifique jeune prince Yamadori de Florian Sempey, sombre et royal, avec une fierté qu’il aime afficher, le menton légèrement levé en avant.

Dans la fosse, tout n’est pas parfait. Le naturalisme expressif de Puccini pose des problèmes d’harmonie, le paysage sonore du début du troisième acte en souffre perceptiblement, et c’est dans les passages plus fluides et lents, majestueusement développés, que Didier Lucchesi obtient un lyrisme introspectif qui s’aligne sur l’atmosphère raffinée de toute l’œuvre.

Elena Cassian (Suzuki) et Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Elena Cassian (Suzuki) et Lianna Haroutounian (Cio-Cio San)

Enfin, la nature et la modernité sont venues s’insérer poétiquement dans le spectacle pour conclure le duo d’amour du premier acte. En effet, en levant les yeux, il était possible de suivre, à travers le ciel étoilé, le passage d’un astre artificiel invariablement lumineux, la Station spatiale internationale ISS, qui croisait la Voie lactée pour aller se perdre derrière les arbres vers l’est, juste au moment où les dernières notes s’achevaient.

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Publié le 16 Juillet 2013

Elektra (Richard Strauss)
Représentation du 13 juillet 2013
Grand Théâtre de Provence
Festival d’Aix en Provence

Elektra        Evelyn Herlitzius
Klytämnestra    Waltraud Meier
Chrysothemis    Adrianne Pieczonka
Orest        Mikhail Petrenko
Aegisth    Tom Randle
Der Pfleger des Orest    Franz Mazura
Ein junger Diener    Florian Hoffmann
Ein alter Diener    Sir Donald McIntyre
Die Aufseherin / Die Vertraute    Renate Behle
Erste Magd    Bonita Hyman
Zweite Magd / Die Schleppträgerin    Andrea Hill
Dritte Magd    Silvia Hablowetz
Vierte Magd    Marie-Eve Munger
Fünfte Magd    Roberta Alexander

Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Orchestre de Paris                                                                   Patrice Chéreau et Waltraud Meier
Mise en scène Patrice Chéreau                                                             
Décors Richard Peduzzi

L’amour et la haine sont deux forces émotionnelles qui peuvent être liées aussi fortement que les deux faces inséparables d’un même visage.

Alors, en admirant le décor qui ressemble tant à celui que Richard Peduzzi conçut également pour Tristan und Isolde à la Scala de Milan, six ans plus tôt, on peut se demander s’il n’y a pas chez Patrice Chéreau une volonté plus ou moins consciente de rapprocher le poème lyrique de Richard Wagner de la tragédie d’Elektra, en lui donnant une forme scénique similaire.

On retrouve le petit escalier, à gauche, qui mène vers un promontoire surplombé par un immense portique en forme de coupole dans sa partie supérieure, et qui suggère, dans l’ombre de celui-ci, un espace sombre et inconnu.

Evelyn Herlitzius (Elektra)

Evelyn Herlitzius (Elektra)

Dans les deux cas, les meurtres sont montrés avec violence sur scène, ce qui n’est pas attendu dans Elektra, car ceux-ci prennent une ampleur fantasmatique que l’invisibilité permet de maintenir jusqu’au bout.

Cependant, si le meurtre de Clytemnestre est aussi impressionnant, ce n’est pas seulement pour sa représentation qui fait surgir de l’ombre la mère d’Elektra reculant dos au spectateur et face à son agresseur, mais parce que l’on y voit une Waltraud Meier bousculée, affaiblie et paniquée, vision qui a quelque chose de profondément poignant quand il s’agit d’une artiste aussi immense et tant aimée depuis plus de deux décennies.

De surcroît, elle n’apparaît pas telle une vieille femme titubant sur sa canne, mais sous les lignes magnifiques d’une aristocrate fière et hautaine, une force de l’esprit qui contrôle son propre corps, et donc, la dignité de son allure.

Dans ce rôle, Waltraud Meier est nécessairement plus retenue que dans ses incarnations d’Ortrud, Kundry ou Isolde, ses états d’âmes cauchemardesques étant plus intériorisés. Son opposition à Elektra, immobiles dos à dos sans le moindre regard, n’en fait pas moins ressortir des intonations noires et torturées, et une humanité terriblement ébranlée.

Evelyn Herlitzius (Elektra)

Evelyn Herlitzius (Elektra)

Mais le rapport au corps, élément fondamental du travail de Patrice Chéreau dans toute son œuvre - au théâtre comme au cinéma ou à l’opéra-, se décline différemment chez les deux autres grandes figures de cette tragédie.

Adrianne Pieczonka est la parfaite expression de la force volontaire, intensément éclatante, une source de vie espérant dans la maternité, et en laquelle sa sœur voit une puissance qu’elle envie. L’éclat est juvénile et rayonnant, parfois même spectaculaire, ce qui, peut-être, écrase la sensibilité et la subtilité du rôle de Chrysothemis. Elle ne semble pas totalement consciente, et horrifiée, de la noirceur qui se dessine chez sa mère et Elektra.

Elektra est, justement, le personnage le plus fascinant à observer, car Patrice Chéreau montre à quel point elle est en prise avec les forces internes de son propre corps. Elle est une victime de sa condition humaine, et nous la découvrons hurlant sa plainte « Agamemnon ! » vers la salle tel un reptile préhistorique arcbouté sur ses pattes avant.
Evelyn Herlitzius transcende cette image qui peut nous hanter à vie avec un étirement invraisemblable de sa chair vocale, et, pour la soutenir, Esa-Pekka Salonen modèle les nappes orchestrales en assouplissant les cors magnifiquement pour imprégner d’un mystère surnaturel les pénombres de cette atmosphère crépusculaire.

Waltraud Meier (Clytemnestre), Marie-Eve Munger (Vierte Magd) et Mikhael Petrenko (Oreste)

Waltraud Meier (Clytemnestre), Marie-Eve Munger (Vierte Magd) et Mikhael Petrenko (Oreste)

On se trouve baignés dans une forme de liquidité vague et éthérée, comme une sorte d’humeur biliaire diffuse, les motifs des instruments se forment et s’évanouissent en fins et nobles mouvements, et toute la violence sous-jacente semble étouffée mais chargée en puissance vénéneuse.

Pour raconter toute cette humanité prise en contradiction, Chéreau montre une Elektra qui étreint de toutes les manières possibles les êtres qui l’entourent, malgré la haine.  Ainsi la voit-on désirer le corps de Chrysothémis amoureusement au sol, s’accrocher à la taille de sa mère, ou de son frère, et Evelyn Herlitzius se laisse aller à des comportements hallucinés fascinants, car il y a quelque chose d’une extrême beauté à voir une artiste s’abandonner ainsi aux spasmes d’un personnage autant en détresse.

Le visage se déforme, se recompose, le regard fou est dans un autre monde, et Evelyn Herlitzius chante cela avec un mordant et des variations de tessiture que des impulsions claires et agressives transforment en signes d’extase déments hallucinants. Son incarnation est immense mais également totalement déraisonnable car, vers la fin, ses excès vocaux atteignent des niveaux de tension dont elle sous-estime le risque pour son engagement vocal. On sait alors, qu’elle n’a pas peur d’embrasser ses propres limites.

Evelyn Herlitzius (Elektra) et Waltraud Meier (Clytemnestre)

Evelyn Herlitzius (Elektra) et Waltraud Meier (Clytemnestre)

Et si dans les passages qui décrivent de violents coups de théâtres, Esa-Pekka Salonen imprègne l’orchestre d’une lente inertie qui, à l’écoute, nous surprend par sa maîtrise, tous les coups d’éclats qui proviennent des éruptions intérieures des personnages sont, eux, beaucoup plus puissamment relâchés, surtout quand Elektra exulte.

Au cœur de ce conflit qui oppose trois femmes surhumaines, Mikhail Petrenko transfigure Oreste en un colosse titanesque. L’éclat de la voix est lumineux et métallique, et le frère d’Elektra apparaît, ainsi, comme une puissante stature superbement soutenue par les structures fusantes des cordes.
Autre force impressionnante, enfin, en forme de clin d’œil, la soudaine apparition de Sir Donald McIntyre, en serviteur immobile couvert d’un manteau qui en accroit la carrure, est une manière, pour Chéreau, de mêler une figure paternelle au souvenir du Wotan que le chanteur interpréta à Bayreuth lors de la création de son Ring en 1976.

Evelyn Herlitzius (Elektra), Mikhael Petrenko (Oreste) et Adrienne Pieczonka (Chrysothemis)

Evelyn Herlitzius (Elektra), Mikhael Petrenko (Oreste) et Adrienne Pieczonka (Chrysothemis)

Et toute cette histoire est liée à la fois par les variations d’éclairages qui, au fur et à mesure que le drame approche de son dénouement, immergent progressivement les artistes dans une obscurité de clair de lune, en accentuant les zones d’ombres créées par les reliefs des décors, tout autant qu’elle est liée par la recherche d’une théâtralité que la musique puisse décrire, comme ce fabuleux déroulement de la hache mortelle par Elektra, quand elle en retire incessamment, et obsessionnellement, les bandeaux protecteurs.

Ce spectacle puissant, qui commence pourtant par le bruit des servantes balayant humblement la cour du palais de Mycènes avant que l’orchestre n’envoie son premier coup de poing, est naturellement un arc prodigieux sur quarante ans d’intelligence scénique, intelligence et profondeur que l’on redoute de perdre et de ne plus connaître dans les années qui viennent avec l’affaiblissement culturel des nouvelles générations.

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Publié le 25 Avril 2012

Le Rossignol et autres fables (Igor Stravinsky)
Représentation du 22 avril 2012
Opéra de Lyon
 

Petites pièces
Ragtime Orchestre de l’Opéra de Lyon
Trois pièces pour clarinette Jean-Michel Bertelli
Pribaoutki Svetlana Shilova
Deux poèmes de Constantin Balmont Elena Semenova
Berceuse du chat Svetlana Shilova
Quatre chants paysans russes Chœur de femmes de l’Opéra de Lyon

Renard
Ténors Marat Gali et Lothar Odinius
Barytons Nabil Sulinan et Ruslan Rozyev

Rossignol
Le Rossignol Anna Gorbachyova
La Cuisinière Elena Semenova
La Mort Svetlana Shilova
Le Pêcheur Lothar Odinius
Le Chambellan Nabil Sulinan
Le Bonze Michael Uloth
Trois envoyés japonais Philippe Maury, Didier Roussel, Paolo Stupenengo

  Marionnettistes-acrobates Andréanne Joubert, Noam Markus, Vincent Poliquin-Simms, Wellesley Robertson III, Martin Vaillancourt                             Anna Gorbachyova (Le Rossignol)
 
Mise en scène Robert Lepage
Direction musicale Aléjo Perez

 

Lorsque l’on entre dans l’Opéra de Lyon, on est tout d’abord frappé par l’omniprésence d’un noir oppressant, émanation de l’humeur austère de l’architecte ou bien conception excessivement solennelle de l’approche théâtrale qui s‘y déroule.

Heureusement, la vision du bassin en suspend au dessus de l’emplacement de la fosse d’orchestre, flanqué de deux balconnets avec au centre un piédestal pour le chef, présente une première image intime et bucolique inédite.
 

Une quinzaine de musiciens s’installent par la suite sur la scène et interprètent Ragtime, composition inspirée du Jazz qui apparaissait aux Etats-Unis au début du XXème siècle.
L’évocation est en total décalage avec le charme slave des fables qui vont suivre, mais en même temps, l’esprit à la fois populaire et délicat de cette ouverture respire tout autant de couleurs et de joie de vivre presque enfantine. Ce sera une constante de toute la première partie - une incroyable merveille visuelle en ombres chinoises.

Et Robert Lepage, bien entendu assisté par des concepteurs habilles et raffinés, recrée la forme des personnages et animaux héros des petites pièces, grâce à de talentueux animateurs situés sur un des balconnets de la scène.

                     Svetlana Shilova et Elena Semenova

Leurs mains s’entrelacent, s’animent, et une lampe transforment leurs gestes en perdrix, lièvres, serpents, fleurs, ces histoires prennent vie en noir sur un grand bandeau blanc déployé au dessus de l’orchestre.
On est complètement hypnotisé par ce spectacle irréel, et bercé par la tendre poésie d’Elena Semenova et Svetlana Shilova, puis du chœur de femmes, joyeuses paysannes russes toutes souriantes.

Entre chacune de ces pièces, la clarinette malicieuse de Jean-Michel Bertelli joue seule un court interlude, une belle mise en valeur de la vitalité légère de cet instrument.

Scène du Renard

Scène du Renard

Pour Le Renard, chanté par deux ténors et deux barytons aux couleurs vocales tout autant pittoresques, cinq acrobates - on découvrira leur impressionnante musculature au salut final - vêtus de masques finement ciselés recréent un saisissant jeu d’illusions avec leur corps intégral projeté depuis l’arrière de l’écran blanc.
C’est un étonnement permanent, et l’esprit même ne peut s’empêcher de déconstruire l’image pour comprendre comment elle a été formée.

Nul doute que cette féérie mériterait d’être offerte à une salle remplie exclusivement d’enfants, car elle réunit toutes les conditions pour que germent l’amour du chant, de la musique et, plus largement, du spectacle vivant dans le cœur de la jeunesse.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Mais l’émerveillement n’est pas fini.
La seconde partie est dédiée au Rossignol, œuvre véritablement opératique composée d’après le conte Le Rossignol et l’Empereur de Chine d’Hans Christian Andersen.
L’orchestre, beaucoup plus important, est repoussé en arrière scène, un arbre repose sur un des balconnets et se penche sur l’eau du bassin qui sera le lieu principal de toute l’action.
Puis, les chanteurs et animateurs arrivent dans l’eau en poussant les embarcations guidées par des marionnettes expressives, finement détaillées, et toute l’histoire est ainsi racontée avec une poésie, une saturation de couleurs et un mélange magnifique de personnages réels et symboliques.

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

Le Pêcheur (Lothar Odinius)

L’héroïne est évidemment Anna Gorbachyova, une interprète angélique au timbre boisé, mais également brillante colorature, joliment lumineuse et qui respire de désirs de vie.

La scénographie nocturne est superbe, avec des zones d’ombres et d’autres comme éclairées par la pleine Lune, les costumes du chœurs - la cour de l’Empereur - sont éblouissants, et tous ces chanteurs ont une belle homogénéité vocale et une projection adaptée à l‘intimité de la salle.

Peut être, un jour, le Théâtre des Champs Elysées, lieu lié intrinsèquement au génie de Stravinsky, aura-t-il l’occasion de l’accueillir.

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Anna Gorbachyova (Le Rossignol)

Du fait de l’absence de réflecteurs acoustiques, le détail des sonorités de l’orchestre, dirigé avec beaucoup de souplesse par Aléjo Perez, a paru un peu tassé dans la masse sonore, mais il faut vraiment chercher à se détacher de l’unité d’ensemble pour y faire attention.

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Publié le 21 Mars 2012

Le Couronnement de Poppée

(Claudio Monteverdi)
Représentation du 18 mars 2012
Opéra de Lille

Poppée    Sonya Yoncheva
Octavie    Ann Hallenberg
Drusilla   Amel Brahim-Djelloul
Néron    Max-Emanuel Cencic
Othon    Tim Mead
Sénèque     Paul Whelan
La Nourrice  Rachid ben Abdeslam
Arnalta    Emiliano Gonzalez Toro
La Fortune   Anna Wall
La Vertue       Khatouna Gadelia
L’Amour / Damigella   Camille Poul

Lucain Mathias Vidal


Mise en scène Jean-François Sivadier
Direction Emmanuelle Haïm
Le Concert d'Astrée                                   Amel Brahim-Djelloul (Drusilla) et Tim Mead (Othon)

On pourrait presque parler de Trilogie du Couronnement de Poppée, car au cours de la renaissante saison de printemps qui s’éveille, pas moins de trois nouvelles productions réalisées dans trois orchestrations différentes du dernier ouvrage de Monteverdi, au moins en partie, sont représentées sur trois grandes scènes lyriques.

A Lille et Dijon la version d’origine réarrangée de Venise et Naples, au Théâtre du Châtelet la version pop de Michael Torke, et enfin au Teatro Real de Madrid la version réorchestrée par Philippe Boesmans au début de l‘été prochain.

Sonya Yoncheva (Poppée) et Tim Mead (Othon)

Sonya Yoncheva (Poppée) et Tim Mead (Othon)

Le travail unitaire de Jean François Sivadier, d’Emmanuelle Haïm, et de tous les acteurs, chanteurs et musiciens offre une image que l’on aime voir, c’est-à-dire une formidable symbiose entre tous ces artistes qui cherchent à inclure dans leur folle joie le public en le prenant à partie et en lui jetant des regards et des sourires complices.
Car l’œuvre est shakespearienne en ce sens qu’elle alterne les moments tragiques et une profusion de scénettes légères, comme le badinage amoureux du Page et de la Demoiselle.

Dès la scène d’ouverture, bien avant que la musique ne commence, les chanteurs arrivent en costumes de ville pour se retrouver avant le spectacle, à l’image du prologue d’Ariane à Naxos. Le spectateur est de fait placé dans une posture distanciée.
 

La mise en scène de Jean François Sivadier s’appuie sur une économie de moyens -ce qui permet une plus facile circulation de ce spectacle de ville en ville-, sur des costumes bigarrés, et surtout sur un jeu d’acteur riche qui, en comparaison des nouvelles productions anémiques et abêtissantes de Nicolas Joel à l’Opéra de Paris, nous emmène loin vers le paradis de la vie.
Le mélange entre pseudo-costumes antiques et tenues actuelles (Othon) ne se comprend pas très bien, mais c’est sans doute sa manière de décrire la variété des formes du désir amoureux, depuis les postures suggestives aux rêves idylliques devant de blanches idoles humaines érotiques, qui touche le plus par sa sincérité. Seul défaut, une tendance à l'agitation qui rappelle un peu trop celle de l'épuisant Laurent Pelly.
Mathias Vidal (Lucain) et Max-Emanuel Cencic (Néron)

La partie vocale est également bien plus qu’agréable. Elle débute avec la douce et caressante Anna Wall, les brillantes Khatouna Gadelia et Camille Poul, et laisse par la suite la place à un couple pas tout à fait en accord.

Sonya Yoncheva n’a pas que le physique du rôle principal, elle en a également la chair, la clarté et l’assurance séductrice. Face à elle, Max-Emanuel Cencic se retrouve poussé dans une tessiture très élevée qui enlaidit son timbre, bien que cette laideur fasse sens dramatiquement en hystérisant Néron.
Mais, lorsqu’il se réapproprie son beau médium sombre et pathétique, et qu’il le fond avec les sonorités profondément religieuse de l‘orgue, l’alliage se transforme en un émouvant moment de grâce.

Son duo final avec Sonya en est absolument vertigineux de beauté.

Max-Emanuel Cencic (Néron) et Sonya Yoncheva (Poppée)

Max-Emanuel Cencic (Néron) et Sonya Yoncheva (Poppée)

Cette profondeur on la trouve aussi en Tim Mead, contre-ténor humble et immédiatement touchant, alors qu’Ann Hallenberg se montre un peu trop attirée par les états larmoyants d’Octavie. Sivadier ne la met pas en valeur, il est vrai, et il la cantonne même dans un rôle de bourgeoise narcissique très superficielle.

Haute stature un peu rude, Paul Whelan investit un Sénèque très sérieux, et Amel Brahim-Djelloul est entièrement la fraicheur de vivre et la fidélité de sentiments incarnée.
Enfin, Rachid ben Abdeslam (travesti en Nourrice) et Emiliano Gonzalez Toro (Arnalata) sont, dans leur rôles respectifs, de joyeux lurons parfaitement à l’aise pour alléger le ton de la matinée.

Emmanuelle Haïm

Emmanuelle Haïm

Mais le plus beau est la chaleureuse tonalité du Concert d’Astrée, composé d’un vingtaine d’instruments anciens, violes de gambes, luths, guitares et dulciane, en totale fusion avec l’action théâtrale, et dirigée par la très belle Emmanuelle Haïm sereine et attentive de tout son cœur. Et cela se ressent.

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Publié le 10 Novembre 2011

Polieukt (Zygmunt Krauze)
Opéra créé le 20 octobre 2010 à Varsovie
Représentations du 05 et 06 novembre 2011
Théâtre du Capitole

Feliks Andrzej Klimczak
Polieukt Jan Jakub Monowid
Sewer Artur Janda
Neark Aleksander Kunach
Paulina Marta Wylomanska
Stratonisa Dorota Lachowicz
Albin Dariusz Gorski
Fabian Mateusz Zajdel

Direction Musicale Rubén Silva
Sinfonietta de Varsovie
Ensemble des solistes de l’Opéra de chambre de Varsovie
                                                                                                          Marta Wylomanska (Pauline)
Mise en scène Jorge Lavelli

La diffusion de la culture théâtrale polonaise en France est comme un souffle revitalisant, qui s'ancre même dans l'art lyrique depuis quelques années.
A Paris, Gerard Mortier en a été un grand défenseur en faisant découvrir des oeuvres comme  Le Roi Roger ou la création d' Yvonne Princesse de Bourgogne, et en confiant pas moins de quatre mises en scène à Krzysztof Warlikowski.
On peut donc se réjouir de voir un théâtre comme celui du Capitole se lancer dans l’avant-garde et accueillir une oeuvre créée l'année dernière par l'Opéra de Chambre de Varsovie.

Charles Gounod et Gaetano Donizetti ont auparavant adapté Polyeucte Martyr à l'Opéra, mais la version composée par Zygmunt Krauze se réfère à un élément historique occulté dans la tragédie de Corneille, la liaison homosexuelle entre Polyeucte et Néarque.

Aleksander Kunach (Néarque) et Jan Jakub Monowid (Polyeucte)

Aleksander Kunach (Néarque) et Jan Jakub Monowid (Polyeucte)

La conversion du chef de la noblesse arménienne au Christianisme prend donc un sens nouveau, car si ses sentiments sont aussi forts pour Pauline, la fille du gouverneur, que pour son ami, il suit ce dernier parce que son Dieu représente, dans une vision totalement idéalisée, un amour universel qui libère l’individu des contraintes du monde.
Autrement dit, il sera totalement lui-même dans l’adoption de cette foi, qu’en restant sous l’emprise des lois du régime impérial romain.

L’opéra ouvre ainsi sur une fascinante image de l’intimité du couple masculin, dans la blancheur d’un espace exigu entouré d’un rideau de perles, puis sur celle de Pauline et Polyeucte, avant la scène du baptême.
La dualité des sentiments de Pauline se révèle avec le retour de Sévère, celui qu‘elle aurait épousé si son père n‘avait pas interféré.
Le livret, assez économe en mots, exprime les tourments du cœur de chacun, les craintes et les questionnements par rapport à la vie et la mort.
A vrai dire, peu importe la profondeur du propos, car cela permet au chant de s’épanouir en prolongeant les sons, toujours souligné par l’atmosphère changeante décrite par la musique, en phase avec le sens des phrases, ce qui laisse à l’auditeur, s’il est dans le bon état d’esprit, de lui-même ressentir les émotions humaines qui vivent à l’intérieur des protagonistes.

Marta Wylomanska (Pauline)

Marta Wylomanska (Pauline)

Jorge Lavelli a réalisé un travail d’épure happant, au centre d’une scène plaquée de dalles en noir partiellement réfléchissantes, en ne disposant que quelques marches, et un miroir qui vient focaliser l’attention sur les retrouvailles de Polyeucte et Néarque, avant qu’ils ne décident de détruire les idoles païennes.

C’est du théâtre à la beauté classique, où chaque geste a un sens, manichéen sans doute - les Chrétiens sont en blancs, les Romains en noir parfois coloré de rouge -, et qui valorise tous les artistes, les solistes autant que le chœur.

Les voix de Jan Jakub Monowid et Aleksander Kunach sont toutes deux sensuelles à leur manière, une tessiture de contre ténor non pas angélique sinon profondément significative des déchirements de l’âme, et une tessiture de ténor très présente qui inspire la confiance en soi.
Tragédienne subtile, Marta Wylomanska interprète une Paulina qui reste noble et vertueuse dans sa douleur, Artur Janda est un Sévère noir et humain, et tous les autres chanteurs ont un savoir être ou des expressions vocales en harmonie avec leurs personnages.

Le tout est dirigé avec une grande sérénité par Rubén Silva, et on peut juste trouver que la morale finale, sur le respect des croyances et l’appel à la tolérance, ne fasse trop appel aux bons sentiments, car c'est l’intelligence humaine qui compte avant tout dans une société.

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Publié le 18 Août 2011

Carmen (Georges Bizet)
Représentation du 15 août 2011
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Géraldine Chauvet
Micaëla Asmik Grigorian
Don José Thiago Arancam
Escamillo Alexander Vinogradov
Frasquita Sarah Vaysset
Mercédès Aline Martin
Zuniga Jean-Marie Delpas
Moralès Florian Sempey
Le Dancäire Philippe Duminy
Le Remendado Paul Rosner

Direction Musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Jack Gervais
Chorégraphie Carlos Ruiz

 

                                                                                                   Thiago Arancam (Don José)

Depuis douze ans, le festival de Sanxay mène toujours vaillamment son existence champêtre dans le creux protecteur des vieux gradins du théâtre gallo-romain, qu’une herbe bucolique adoucit.
Mais nulle couverture médiatique nationale ne semble pour l’instant s’intéresser régulièrement à la vie de ce lieu qui ne se prête, il est vrai, à aucune mondanité. On y accède par de petites routes, à travers la campagne légèrement vallonnée, ce qui rend l’évènement encore plus improbable.
Le public provient très majoritairement de la région, et l’ambiance s’en ressent, relâchée et parsemée d’humour.
 

En harmonie avec cet esprit, on ne s’attend pas ici à des mises en scène novatrices, mais plutôt à découvrir des images charmantes au fil des différents tableaux.

Pour décrire l’univers de Carmen, Jack Gervais n’a disposé que deux éléments de décor significatifs, trois arcades en briques rouges et pierres blanches distinctifs de l’architecture arabe, et les burladeros de l’arène finale où s’achève le drame.
Il était cependant superflu de faire apparaître les refuges à matador dès le prélude, car cela introduit une rupture dans la transition musicale avec la première scène, le temps de les retirer.

Par la suite, on découvre un sens de l’animation classique, des costumes agréablement colorés, des éclairages qui isolent les moments sombres, et un grand feux, en apparence dangereux, que Micaela devra traverser pour retrouver Don José.

                                                                                         Géraldine Chauvet (Carmen)

L’idée originale repose essentiellement sur les danseuses et danseurs de flamenco, leur attitude impeccablement acérée, meneurs d’une chorégraphie exaltante et intense, que le jeune Carlos Ruiz a réglée pour caractériser la personnalité de Carmen au début de chacun des trois derniers actes, âme surtout ‘dominante’ comme on le comprend bien.

C’est l’influence arabo-musulmane dans la culture andalouse et la musique de Bizet qui est ainsi soulignée.

Pourtant, Géraldine Chauvet n’enferme pas la cigarière sévillane dans un tempérament sanguin.

Son interprétation claire et soignée, presque trop bien tenue si l’on ne décelait quelques inflexions étranges dans les graves, est l’esquisse d’une femme consciente d’elle-même et de son pouvoir de séduction, mais quelque peu indifférente à Don José.

On pourrait le comprendre car Thiago Arancam est plutôt un acteur timide sur scène. Le ténor brésilien ne peut évidemment se départir de son accent naturel, mais il manie la langue française avec la meilleure des précautions possible.

Et, alors que la beauté du désespoir de ‘La fleur que tu m’avais jetée’ a soudainement donné de l’épaisseur à ses sentiments, c’est au tout dernier acte qu’il est apparu avec une noirceur dépressive théâtralement forte, le gouffre dans le regard, comme s’il exprimait une vérité qui le dépasse. Un effet dramatique qui a de quoi marquer.

 Asmik Grigorian (Micaëla)

Sacrifiant également à la précision des mots, Alexander Vinogradov offre cependant un portrait d’Escamillo jovial et heureux, sans le moindre machisme, avec de très beaux effets de déroulés et d’enlacements des lignes musicales, alors qu’Asmik Grigorian s’éloigne de l’image traditionnelle de vierge Marie dévolue à Micaëla, pour en faire une femme qui prend son destin en main, avec risque et passion si cela est nécessaire.

Elle nous éloigne pour autant de l’écriture subtile de Bizet, et use d’effets véristes pour arriver à ses fins.

Alexandre Vinogradov (Escamillo)

Alexandre Vinogradov (Escamillo)

Tous les seconds rôles animent naturellement leurs personnages, Sarah Vaysset, Aline Martin, Philippe Duminy, Paul Rosner, et Jean-Marie Delpas, impeccable de phrasé.

Alors que l’année dernière Marianne Crébassa avait interprété avec raffinement le rôle maternel de Clotilde dans  Norma, c’est au tour de Florian Sempey, lui aussi tout juste entré à l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, de s’exposer sur la scène de Sanxay.

Très à l’aise, le timbre de la voix chaleureusement homogène, le regard malicieux et prodigue en mimiques amusantes, il vit et interagit en permanence avec ses partenaires, même lorsqu'il ne chante pas. Les jeunes talents de Nicolas Joel ont comme le charme d’un printemps lyrique en eux.

 Florian Sempey (Morales)

Florian Sempey (Morales)

Chef attitré du festival, Didier Lucchesi n’a aucun mal à faire ressortir toute la poésie de l’écriture musicale et des sonorités de chaque instrument qui se mêlent au chant nocturne de la nature. Il obtient des violons une texture aérée et des motifs ondoyants raffinés, mais reste mesuré face aux impulsions théâtrales, au profit d’une sagesse toute orientale.
Il a semblé faire ressortir certaines lignes plus marquantes que d’habitude, notamment quand la personnalité forte de Carmen plonge Don José dans un trouble inquiétant.

Les choristes font bonne figure, les particularismes des timbres se distinguent nettement, les décalages sont perceptibles, ce qui fait naître un charme populaire, plutôt qu’un grand souffle lyrique.
Les nombreux enfants venus de toute la région, et qui affrontent les regards des spectateurs de face, au premier plan, font une très belle et touchante interprétation dont ils peuvent être heureux pour la vie.

Choeur des enfants à l'entrée des arènes (acte IV)

Choeur des enfants à l'entrée des arènes (acte IV)

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Publié le 23 Novembre 2010

Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill)
Livret de Bertolt Brecht
Représentation du 21 novembre 2010
Théâtre du Capitole de Toulouse

Leocadia Begbick Marjana Lipovsek
Fatty « Le Fondé de pouvoir » Chris Merritt
Moïse la Trinité Gregg Baker
Jenny Hill Valentina Farcas
Jim Mahonney Nikolai Schukoff
Jack 0’ Brien / Toby Higgins Roger Padullés
Billy Tiroir-Caisse Tommi Hakala
Joe Loup d’Alaska Harry Peeters

Direction Musicale Ilan Volkov
Mise en scène Laurent Pelly

                                                                                                                Nikolai Schukoff (Jim)

La création de deux nouvelles productions de Mahagonny à un mois d’intervalle et à quelques centaines de kilomètres de distance, à Madrid en ouverture du mandat de Gerard Mortier et à Toulouse sous la direction de Frédéric Chambert, est un signe fort de l’emprise d’une situation sociale sur la vie artistique.

La capitale occitane doit cependant composer avec un budget et un espace scénique bien différents des moyens dont dispose la capitale castillane, à charge de Laurent Pelly d’animer par sa verve le petit monde de la capitale du plaisir.

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Chris Merritt (Fatty) et Marjana Lipovsek (Leocadia Begbick)

Au bord d’une autoroute surgissant de l’arrière scène vers la salle, et dans une immuable atmosphère nocturne, les structures à base de néons colorés sertissent chaises, comptoirs, soleil artificiel, compteur boursier qui dégringole, et offrent une petite scène d’une poésie magnifique lorsque Jenny et Jim chantent seuls au premier acte, sous deux flèches, l’une rouge et l’autre bleue, clignotant selon l’interprète, comme un cœur battant.

Dans l’ensemble, la scénographie illustre simplement la séquence des tableaux, ponctuée de gags furtifs (les marqueurs « No » « Sex » des arbitres de tennis par exemple), et ose les images répulsives de la cité permissive (les empilements de hamburgers, de kleenex au sortir des peep show) comme la chaise électrique finale façon « Grand Guignol ».

Très à l’aise dans les mouvements de foule de caractères caricaturés, Laurent Pelly permet au chœur de jouer un rôle très vivant, d’autant plus que ce dernier alterne fortes mises en avant et jolies nuances.

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

Chris Merrit (Fatty) et Gregg Baker (Moïse)

L’humble participation de Chris Merritt, avec un regard si attentionné vis-à-vis de ses partenaires, l’art déclamatoire de Marjana Lipovsek, qui puise dans les richesses d’un médium clair et encore tendre, la haute allure de Gregg Baker, le mordant et la proximité de Nikolai Schukoff, que quelques aigus durcissent un peu plus, et la souplesse du corps de Valentina Farcas, musicale et très légère, sont soutenus par la direction alerte et souvent avantageusement lyrique de Ilan Volkov, variant les volumes mais encline à retenir les effets tranchants et à lisser l’ironie de la langue allemande.

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Publié le 22 Août 2010

Représentation du 15 août 2010
Festival de Sanxay

Norma Sorina Munteanu
Adalgisa Géraldine Chauvet
Clotilde Marianne Crébassa
Pollione Thiago Arancam
Orovesso Wojtek Smilek
Flavio Paul Rosner

Direction musicale Didier Lucchesi
Mise en scène Jack Gervais

 

 

 

Géraldine Chauvet (Adalgisa) et Thiago Arancam (Pollione)

 

Naturellement, il y a un certain rapprochement historique à faire revivre Norma sur la scène d’un ancien théâtre romain.

Cependant, l’extraordinaire apparaît sur une prise de conscience, lorsqu’il se produit quelque chose de poétique.

Il est vrai qu’il y a quelque péril à aborder d’entrée « Casta Diva », lorsque la voix n’a pas encore toute sa souplesse, et Sorina Munteanu ne peut sortir, dans un premier temps, d’une posture un peu trop glaciale, que la rudesse de certaines sonorités tend à figer.

Jusqu’à ce que ne survienne le duo, très intime, « Sola, furtiva at tiempo » où la jeune Adalgisa révèle son amour pour un homme qui s’avère être Pollione.

 Sorina Munteanu (Norma)

Sorina Munteanu (Norma)

Géraldine Chauvet, chanteuse qui possède non seulement les nuances, la finesse des lignes mélodiques, mais aussi la sensibilité dans la voix qui transmet si naturellement la réalité de ses sentiments, répond à la soprano roumaine à travers un échange mis en scène de façon touchante, chacune s’étant assise le long des marches opposées de part et d’autre du temple.

A cet instant, Sorina Munteanu prend une dimension humaine qui va s’accroitre comme si ce qu’elle vivait intérieurement faisait craquer de toutes parts sa position de grande prêtresse. Le jeu est conventionnel, et pourtant, il s’agit d’un conventionnel très habité, émotionnellement crédible qui exploite la force du regard.

Marianne Crébassa (Clotilde)

Marianne Crébassa (Clotilde)

La voix, elle aussi, devient plus colorée et sensuelle, avec de petites coloratures de ci de là.
Et c’est à ce moment précis que l’on songe à ce qu’il y a de fou à écouter un spectacle lyrique d’une telle qualité en pleine campagne.

Encore très jeune, Thiago Arancam joue un Pollione anti-héro, ce qui ne fait que mettre en relief la haute dignité de toutes les femmes du drame. Le timbre fumé a juste besoin d’un peu plus de puissance pour appuyer la virilité du personnage, mais cette manière si prévisible de bouger mériterait un stage de quelques jours dans les mains d’un Tcherniakov ou bien d’un Warlikowski pour acquérir un minimum de potentiel théâtral.

Sorina Munteanu (Norma)

Sorina Munteanu (Norma)

Le rôle est court mais suffisant pour apprécier l’élégance de Marianne Crébassa (Clotilde) tant physique que musicale, élégance qui rejoindra  l’atelier lyrique de l’Opéra National de Paris à la rentrée prochaine.

Wojtek Smilek (Orovesso) et Paul Rosner (Flavio) sont des partenaires irréprochables, le second ayant en plus un timbre fort qui valorise sa présence.

Le travail scénique se distingue par la simplicité du cadre, les colonnes du temples, les marches, relativement peu d’accessoires, un beau rendu des ambiances lumineuses, des jeux d’ombres et des faisceaux de projecteurs qui illuminent des nuages de vapeurs.

L’orchestre, riche d’une soixantaine de musiciens, soutient l’ensemble du spectacle en réalisant de très jolies choses comme, par exemple, ces pulsations des cordes qui flirtent avec la légèreté ondoyante que développera Wagner plus tard dans Tannhäuser.

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Publié le 17 Août 2010

Soirée Haendel
Concert du 12 août 2010
Festival de la Vézère : Cathédrale de Tulle

Philippe Jaroussky contre ténor
Roberta Invernizzi soprano
Ensemble Anima Eterna Brugge

Direction Musicale Jos Van Immerseel

Concertos
Concerto pour orgue et orchestre en sol mineur Op.4/1
Concerto pour harpe et orchestre en si bémol majeur Op.4/6
Concerto pour orgue et orchestre en ré mineur Op.7/4

Rinaldo
Scherzano sul tuo volto (Duetto)
Cara sposa,amante cara (Aria)
Fermati!-no, crudel!-crudel, tu ch'involasti (Duetto)
Dunque i lacci d'un volto (Recitativo)
Ah! Crudel! (Aria)
Venti, turbini, prestate (Aria)

Lotario
Scherza in mar (Aria)

Rodelinda
Io t’abbraccio (Duetto)

Ariodante
Bramo aver mille vite (Duetto finale)

Alors que dans le Lot le Festival de Saint-Céré fête son trentième anniversaire, quelques kilomètres plus au nord, autour d’un triangle Brive-la-Gaillarde - Uzerche - Tulle, le Festival de la Vézère inaugure, lui aussi, ses trente ans de représentations.

Bien que la majeure partie des œuvres musicales et lyriques animent les soirées des villages situés le long de la Vézère - Saillant, Voutezac, Allassac, Vigeois …-, le chef-lieu de la Corrèze accueille un hommage à Chopin et une Soirée Haendel, tous deux à la cathédrale.

  Philippe Jaroussky (Rinaldo)

Philippe Jaroussky (Rinaldo)

L’architecture de cette Soirée Haendel repose sur des airs et duos principalement tirés de Rinaldo, et flanqués de deux concertos pour orgue et orchestre et d’un concerto pour harpe et orchestre.

L’unité de l’Ensemble Anima Eterna Brugge est manifeste, tout comme la qualité d’un son fondu et harmonieux.Dans le même esprit, le contraste entre la voix de Philippe Jaroussky et celle de Roberta Invernizzi est relativement peu flagrant, lui, jouant avec le temps lorsqu’il laisse sa voix filer vers les hauteurs des voûtes de l’édifice, elle, incarnant de vivants portraits de femmes fortes, sans que les difficultés techniques qu’elle surmonte ne deviennent objet d’attention.
Son caractère dominant, particulièrement vrai, fait un peu pâlir le style plus maniéré et contrit de son partenaire.

Roberta Invernizzi (Armida)

Roberta Invernizzi (Armida)

Mais dans l’acoustique de la Cathédrale, plus réverbérée que la salle Pleyel, pour ne citer qu'elle, les caractères musicaux et vocaux se diluent beaucoup trop, et finissent par entraîner l’âme vers des pensées conciliatrices, rêves de paix avec ceux qui parfois nous blessent, bien qu’il faudra probablement continuer, plus tard, à garder la main sur les armes.

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Publié le 16 Août 2010

La Bohème (Giacomo Puccini)

En version française

Représentation du 07 août 2010

au Château de Castelnau-Bretenoux

Festival de Saint Céré

Mimi Isabelle Philippe
Rodolphe Andrea Giovannini
Marcel Christophe Lacassagne
Colline Jean-Claude Sarragosse
Shaunard Alain Herriau
Musette Eduarda Mello
Benoît Eric Perez

Direction musicale Dominique Trottein
Mise en scène Olivier Desbordes

                                                                                                   Eduarda Mello (Musetta)

Alors que l’année dernière le Festival de Sanxay (Vienne) fêtait ses dix ans d’existence, c’est maintenant au tour du Festival de Saint Céré (Lot) de franchir les trente ans depuis sa création.

Ce festival apporte une touche d’âme à une douzaine de communes du Lot et de la limite sud de la Corrèze, telles Meyssac, Beaulieu sur Dordogne, Labastide-Marnhac, La Chapelle-Auzac, Albiac situées sur le triangle Saint Céré, Souillac, Cahors.

Dans le décor naturel de la cour du Château de Castelnau, cerclé de murs tout en dégradé d’ocre et de rouge, les détails et les couleurs de la voix humaine s’y révèlent avec une intimité difficilement réalisable en grande salle.

Château de Castelnau-Bretenoux

Château de Castelnau-Bretenoux

Il n’est pas nécessaire d’avoir une grande et large voix, car une musicalité et une finesse de diction suffisent à créer un courant direct très émouvant.

Pour cette Bohème, mise en scène par Olivier Desbordes, l’originalité vient de l’indisponibilité de Svetislav Stojanovic, ce qui va permettre, à la surprise des auditeurs, d’entendre l’ouvrage en version française, sauf pour le rôle de Rodolphe, Andrea Giovannini n’ayant pu apprendre le texte dans cette langue.

Le duo entre Marcel et Rodophe au quatrième acte en est alors totalement transformé. Christophe Lacassagne y chante avec une prononciation très debussyste, sans le moindre effet d‘accentuation, alors qu’ Andrea y émet toute l’énergie des sonorités italiennes.

Une véritable joute de styles dont les clivages accroissent la profondeur de l’échange.

Isabelle Philippe (Mimi) et Andrea Giovannini (Rodophe)

Isabelle Philippe (Mimi) et Andrea Giovannini (Rodophe)

La mélancolie de Mimi, cette tristesse si touchante, engendre le coup de cœur immédiat du jeune poète. Cela se comprend, mais lorsque Isabelle Philippe choisit des facettes plus légères, sourires très appuyés dans la première partie de la rencontre, elle prend le risque de donner une trop forte impression de comédie qui, heureusement, est contre balancée par la simplicité qu’elle préserve dans tous ses airs.

Le meilleur acteur est évidemment Eric Perez, de par sa formation, ce qui l’aide à camper des personnages très typés, comme Benoît, le propriétaire, avec une complexité et une précision du geste peu courante dans le monde conventionnel de l’Opéra.
Ses pensionnaires les plus roublards se prennent au jeu, Jean-Claude Saragosse qui chante Colline avec épaisseur, et Alain Herriau que l’on admire pour sa prestance rimbaldienne.

Sous la direction de Dominique Trottein, l’orchestre, composé  de vingt-quatre instruments, dont quatorze cordes, inspire une douceur nostalgique, et les arrangements de la partition, nécessaires pour un tel effectif, contraignent à gommer les sonorités les plus dissonantes, comme cela se repère nettement au deuxième acte.

Eduarda Mello (Musetta)

Eduarda Mello (Musetta)

Afin de magnifier l’humanité du petit monde de Mimi et Rodolphe, Olivier Desbordes les installe dans un petit univers gris composé de seulement deux panneaux tournés vers le public, devant lesquels un lit et un poêle meublent l’espace. Et lorsqu’ils pivotent, ces panneaux se retournent sur un milieu parisien vêtu haut en couleur, mais aux visages blafards, et donc sans âme.

Rarement on aura vu le personnage de Musetta aussi bien mis en valeur. Elle est comme la lueur de vie qui anime cette vie parisienne, et Eduarda Mello se joue avec délice de l’écriture vocale  pleine d’espièglerie et de charme rétro.

Tous ces chanteurs vont entreprendre une tournée nationale pour jouer ce spectacle dans l'Est (Saint-Louis, Grenoble, Lyon), le Centre (Clermont Ferrand), le Sud (Toulouse, Rodez, Carcassonne, Martigues) et l'Ile de France (Massy, Plaisir, Le Chesnay, Juvisy sur Orges, Maison Alfort) de janvier à avril 2011.

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