Articles avec #youn tag

Publié le 5 Avril 2013

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 31 mars 2013
Wiener Staatsoper

Amfortas  Tomasz Konieczny
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Wolfgang Bankl
Kundry Evelyn Herlitzius
Parsifal Christian Elsner

Mise en scène Christine Mielitz (2004)

Direction musicale Franz Welser-Möst
                            James Pearson

                                                                                                              Evelyn Herlitzius (Kundry)

 On ne compte plus les interprétations de Parsifal jouées cette année pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Il est possible de les entendre dans pas moins de douze villes allemandes, Munich, Hambourg, mais aussi Berlin, Cologne, Essen et Freiburg, ces quatre dernières lui consacrant de nouvelles productions, à l’instar de New-York et du Vlaamsopera, Madrid ayant même proposé une version inédite sur instruments anciens.


Enfin, le festival de Pâques de Salzbourg vient de révéler la nouvelle mise en scène de Michael Schulz, dont l’accumulation de statues antiques sur scène a décontenancé bien des spectateurs, et l’Opéra de Vienne reprend, un dimanche de Pâques, la production de Christine Mielitz, en résonnance avec le jour du vendredi Saint au cours duquel se déroule le troisième acte.

L’ampleur orchestrale et le mystère de Parsifal dépassent à ce point l’entendement qu’aucune autre œuvre n’a le pouvoir de faire déplacer des passionnés d’opéra à travers le monde, plusieurs fois au cours d’une même année.

 

                                                                                       Tomasz Koniecsny (Amfortas)

Ainsi, je repense à ce citadin madrilène rencontré au Teatro Real, en janvier dernier, lors du Parsifal en version de concert, rempli d’une joie indéfinissable à l’écoute de son troisième Parsifal en six mois, après celui de Bayreuth, puis celui de Berlin, auquel il avait amené son fils par envie de lui faire partager son engouement pour ce monument musical.

Mais aujourd’hui, alors que la neige tombe sur Vienne en fine pluie sans interruption depuis le matin, dans une blancheur immaculée encore plus irréelle pour un dimanche de Pâques, l’annonce du remplacement de Jonas Kaufmann, souffrant, par un chanteur moins connu, Christian Elsner, crée une déception qui reste cependant toute relative, car la force de l‘œuvre ne repose pas uniquement sur ce rôle, mais surtout sur la structure musicale et l‘habilité artistique des instrumentistes.

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

L’appréhension précède ainsi les premières notes de l’orchestre, comme si tout se jouait dans l’émerveillement des premières minutes de l’ouverture.
Le Wiener Staatsopernorchester ne faillit pas à sa réputation, et entraîne des remous qui s’entrelacent au milieu d’un beauté de son chaleureuse, prononcée par les couleurs sombres des cordes, l’éclat dramatique rougeoyant des cuivres, évoquant la vision d’un fleuve charriant une puissance grondante prête à éclater à tout instant.  Cet emport dramatique, et cette beauté magnifique des lignes, agiles, mais avec de l’épaisseur, donne l’impression d’un déroulement qui va de soi, et d’une aisance évidente.

Christian Elsner (Parsifal) et les filles fleurs

Christian Elsner (Parsifal) et les filles fleurs

A première vue, la mise en scène de Christine Mielitz fait craindre le pire avec ces chevaliers habillés en escrimeurs dans un décor dont on ne sait si la saleté humide est volontaire ou due à une usure prématurée de ses éléments. Mais, dès l’arrivée de Kundry, en voiles noirs, telle une troyenne, puis de Parsifal, la scène prend un aspect très brutal. Des sacrifices à main nue y sont exécutés, et, lors de la cérémonie du Graal, la vision impressionnante du choeur féminin cloisonné sous la grande table ronde renvoie l’image des femmes telles qu’elles étaient considérées en Allemagne jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

On devra attendre le second acte pour découvrir comment Evelyn Herlitzius va donner vie à Kundry, mais ce premier acte offre une chance de réentendre le Gurnemanz inébranlable de Kwangchul Youn, et d‘une impeccable diction. Son allure conquérante, la sagesse autoritaire de tout son être, l‘assurance et la solidité vocale prêchant avec espoir dans un univers de fous est en train de devenir une incontournable interprétation du rôle.

Wolfgang Bankl (Klingsor)

Wolfgang Bankl (Klingsor)

Tomasz Konieczny, que nous avions découvert en Rocco dans une version de concert de Fidelio au Théâtre des Champs Elysées, en octobre dernier, interprète un Amfortas écorché vif, point pathétique, mais d’une violence qui l’entraîne à la limite du déséquilibre.
La sauvagerie de son tempérament d’artiste rend la scène du Graal encore plus archaïque et hors du temps.

Les chœurs masculins se fondent de surcroît dans la masse orchestrale avec une pureté d’harmonie d’une magnifique homogénéité, comblant notre besoin de grâce, et raisonnant avec les élévations des Messes Pascal de la matinée.

Lorsque ce premier acte s’est achevé, les spectateurs ont eu la surprise d’apprendre qu’après une telle intensité Franz Welser-Möst s’était effondré, rendant impossible son retour dans la fosse.
Après une attente prolongée, c’est le chef des répétitions, James Pearson, qui a repris en toute improvisation la direction de l’orchestre. Si les tempi se sont un peu ralentis, limitant sensiblement les effets flamboyants de l’ouverture au château de Klingsor, toutes les couleurs de l’orchestre et ses dons d’alliage sont restés intacts.

Christian Elsner (Parsifal)

Christian Elsner (Parsifal)

Suivant le primitivisme des chevaliers du Graal, Christine Mielitz transpose le second acte chromatique de Parsifal dans le monde d’un dictateur, Klingsor, discourant sur son estrade sous une représentation hémisphérique du Globe terrestre vu depuis le Nord.
Les éclairages déforment le visage fantomatique de Wolfgang Bankl, un impressionnant magicien aux inflexions d‘acier, pour lequel les femmes ne sont qu‘objets de plaisirs sensuels.
Les filles fleurs et Kundry apparaissent comme des prostituées de luxe qui font partie du décor des univers politiciens, et toute la scène de séduction est représentée dans des tons lumineux rouges qu’une sphère à facette réfléchit vers la salle de mille éclats tournoyants.

Après son incarnation fortement théâtrale d‘Ortrud à la Scala de Milan, Evelyn Herlitzius était impatiemment attendue dans un rôle tout aussi incendiaire. Rarement, peut-on penser, aura-t-on vu un tel accomplissement, une telle extrémité dans la séduction et l’injonction.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Glissant des attaques extraordinairement perçantes, tout en conservant un éclat magnifique, même dans les aigus les plus élevés, pour passer instantanément à des exclamations très expressives et tirant vers l‘animalité, la soprano allemande nous renvoie une image de la vie poussée au-delà de ses limites, déchargeant des secousses corporelles violentes et hystériques, des regards hallucinés, et c’est cela que l’on aime tant voir et entendre sur scène, avec tout cet excès démesuré d‘émotions.

Dans cette vision, la nature maternelle de Kundry, évoquant Herzeleide, la mère de Parsifal, n’est pas mis en avant, mais pour cet engagement inhumain Evelyn Herlitzius ne mérite que des mots d‘amour, même si un tel don de soi et sa technique d'ouverture vocale très large peuvent inquiéter lorsque l‘on sait qu‘elle interprètera Isolde, Elektra, Brünnhilde, Turandot et Marie au cours des prochains mois. On craint toujours un excès qui pourrait endommager prématurémment sa voix.

Le Parsifal de Christian Elsner, remplaçant émérite de Jonas Kaufmann, laissait planer une interrogation. Elle fut vite levée, car le ténor a fait découvrir un timbre légèrement sombre, une belle tenue de souffle, renvoyant l‘image d‘un homme conscient de la vie et mélancolique. Et malgré son physique enrobé, on voit en lui l‘aisance du corps, la souplesse dans la manière de se mouvoir, qui le rend agréable à suivre.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Après la catastrophe du second acte, un holocauste nucléaire né du geste ultime d’un homme élevé dans un monde où la femme ne détient aucun pouvoir, Christine Mielitz déroule sa logique féministe sur un univers dévasté et lunaire, qui, avec le retour de Parsifal, va renaître sous forme d’un horizon vert-bleu édénique.
La scène est dépouillée, et la beauté des images réside uniquement dans les rapports simples entre les survivants, dont Kundry et Gurnemanz, qui se détachent isolément.

Le rassemblement des chevaliers est d’une puissance phénoménale, l’orchestre soutenant leur marche en évoquant le poids fatal du jugement dernier. Le chœur impressionne à nouveau par sa noblesse naturelle, et les images de l’enterrement de Titurel, déversé sans ménagement de son cercueil, sont toujours aussi violentes et crues.

Kundry se fond finalement au milieu de la masse des hommes.

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Evelyn Herlitzius (Kundry)

Après une interprétation aussi intense et engagée, l’ensemble des artistes a eu droit à une ovation et des rappels sans fin, jusqu‘au départ des derniers spectateurs, le juste retour pour cette représentation exceptionnelle dont même Dominique Meyer, le directeur de l'opéra, gérant et suivant le spectacle depuis sa loge, n’avait peut-être pas imaginé une telle issue.

Voir les commentaires

Publié le 6 Février 2013

Parsifal (Wagner)
Version de concert du 02 février 2013
Teatro Real de Madrid

Amfortas Matthias Goerne
Titurel Victor von Halem
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor Johannes Martin Kränzle
Kundry Angela Denoke
Parsifal Simon O ‘Neill

Direction Musicale Thomas Hengelbrock
Balthasar-Neumann-Ensemble
Balthasar-Neumann-Chor
Petits chanteurs de la JORCAM
Solistes du choeur des garçons de l’Académie Dortmund Chorale

                                                                                                        Angela Denoke (Kundry)

Réunir pour trois soirées de grands chanteurs et un orchestre aussi typé et coloré que le Balthasar-Neumann-Ensemble, quand la pression financière se fait sentir à son plus fort, est un luxe qui est rendu possible grâce à un accord vertueux entre le Teatro Real, le Konzerthaus de Dortmund et la Philharmonie d’Essen.

Cet orchestre germanique, qui exalte une gamme fabuleuse de sonorités baroques, peut lever une formation de cent musiciens parmi lesquels pas moins de soixante cordes en forment le flot harmonique tendre.

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Kwangchul Youn (Gurnemanz)

Rien qu’à la manière dont il est disposé sur scène, l’ensemble est magnifique pour le regard, avec ses deux flancs de douze violons chacun étagés en pente, sur des gradins, des violoncelles, contrebasses et autres cordes se répartissant en arrière plan devant une phalange de vents et de cuivres, d’où émergent les rondeurs d’un superbe cor doré juxtaposé à un système froid de percussions noires, et les ornements de deux harpes monumentales.

Et, pour accorder le confort visuel et sonore avec une atmosphère chaleureuse et intime, une structure en bois enserre tout l’orchestre latéralement et supérieurement, alors que les éclairages diffusent une lumière ambrée réfléchie par la matière boiseuse, devant une monographie de la forêt environnant le château de Montsalvat.

Angela Denoke (Kundry)

Angela Denoke (Kundry)

A l’écoute, le son à l’ancienne évoque la simplicité harmonieuse de la musique de chambre - on pourrait se croire, parfois, dans quelques passages de la Flûte enchantée - et l’ampleur de l’orchestre renvoie une lumière claire qui fait ressortir les moindres dessins de chaque instrument avec une très belle finesse. Les stries des cordes parcourent en surface le tissu orchestral, les cuivres y fusionnent en sourdine comme une langue rougeoyante, et Thomas Hengelbrock enlace le tout avec un amour visible sur les moindres syllabes qu’il semble prononcer en doublant le texte de chaque chanteur.

L’ensemble est splendide, et l’on peut même remarquer avec quelle belle manière les instrumentistes s’impliquent. Ainsi se lit sur le visage d’une jeune violoncelliste la vie intérieure qu’elle emporte dans son interprétation, comme si le chef n’existait plus, uniquement guidée par son lien intuitif à la musique.

Ce n’est qu’au dernier acte, peut-être, que la volonté d’entendre plus de la profonde noirceur emphatique qui empreint la musique prend un peu le dessus sur la contemplation sensible et auditive que prodigue une telle transparence.

Simon O'Neill (Parsifal)

Simon O'Neill (Parsifal)

Comme on peut aisément le constater, la précision du phrasé et les couleurs vocales des chanteurs sont avantageusement mises en valeur.
Kwangchul Youn, un maître du rôle de Gurnemanz que l’on a pu entendre à Bayreuth l’été dernier, est un prodige de sagesse, clair et intériorisé, Simon O’ Neill s’investit d’un Parsifal décomplexé, facilement vaillant, mais tout de même plus proche d’un Siegfried primaire car l’émission aigue lui soustrait de la tendresse et le fait apparaître trop fier.

Dés son arrivée, Angela Denoke est magnifique, les couleurs de sa tenue de scène changeant en fonction de la tonalité de la musique de chaque acte, chemisier gris pour le premier et le dernier,  robe rouge longuement effilée sur les chromatismes du second.
Elle conserve une attitude intérieurement torturée et mystérieuse, chante avec un timbre d’une noirceur polie superbement boisée, transpose quelques aigus pour ne pas entraîner de rupture trop saillante et, de bout en bout, la tristesse humaine de son visage est d’une beauté esthétique qui fait d’elle une œuvre d’art vivante.

Angela Denoke (Kundry)

Angela Denoke (Kundry)

Annoncé souffrant, Matthias Goerne en tire partie en appuyant la blessure maladive d’Amfortas. La souplesse de son corps, qui s’étire et se replie tendrement, se retrouve dans le moelleux du timbre, plus sombre que d’habitude, ce qui poétise son personnage avec une innocence retrouvée.

Trop neutre de présence, Johannes Martin Kränzle n’impose pas de stature suffisante à Klingsor, ce qui valorise encore plus, mais qui s’en plaindra, Angela Denoke.
Toujours aussi impressionnant et lugubre, Victor von Halem interprète un Titurel que l’on ne verra qu’au rideau final, car il restera, pour ses quelques apparitions, dissimulé dans l‘ombre supérieure de la loge royale.

Petits chanteurs de la Jorcam et le Balthasar-Neumann-Chor

Petits chanteurs de la Jorcam et le Balthasar-Neumann-Chor

Enfin, tous, sans doute, ont été éblouis par le Balthasar-Neumann-Chor, par les voix claires masculines qui s’allient aux voix féminines pour renvoyer une tonalité à la fois élégiaque et charnelle, par la lumière des petits chanteurs de la Jorcam, situés le plus en hauteur de la scène, sous la gravure embrumée des arbres de la forêt, et par les deux petits solistes du chœur des garçons de l’Académie Dortmund Chorale, pour lesquels on admire la tenue face à une salle entière.

Voir les commentaires

Publié le 2 Août 2012

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 29 juillet 2012
Festival de Bayreuth

Amfortas        Detlef Roth
Titurel             Diógenes Randes
Gurnemanz     Kwangchul Youn
Parsifal           Burkhard Fritz
Klingsor         Thomas Jesatko
Kundry           Susan Maclean

Mise en scène Stefan Herheim
Décors            Heike Scheele
Lumières         Ulrich Niepel
Vidéo              Momme Hinrichs

Direction musicale    Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et trois étapes de la jeunesse allemande (hitlérienne, d'avant guerre et d'après guerre sous les traits d'Edmund)

Quatre ans après sa création, la conception historique et psychanalytique de Parsifal par le norvégien Stefan Herheim reste une des plus intelligentes productions du festival, accordée à une scénographie d’une très grande force visuelle.
Il faut être particulièrement attentif pour pouvoir saisir et traduire tous les symboles au premier coup d‘œil, d’autant plus que le premier acte est conçu comme le rêve d’un jeune aventurier décidé à quitter sa mère, Herzeleide, vu sous l’angle du lien qui attache les Allemands à leur mère patrie et à la religion, depuis le moyen âge jusqu’à l’Empire.

 La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Un impressionnant décor reconstitue la villa Wahnfried, la maison où vécut Richard Wagner, à l’intérieur de laquelle Winifried Wagner accueillit plus tard Adolf Hitler.
En surplomb sur la cheminée, à gauche, un grand portrait de Germania - allégorie féminine et frondeuse de la nation allemande - domine la pièce et oriente le regard sur l’identité des protagonistes lorsqu’ils prennent la même allure d’une femme blessée au flanc, vision christique vêtue tout de blanc, qu’il s’agisse de Kundry, Amfortas, ou Parsifal au dernier acte.
La relation à cette femme est montrée sous un aspect douloureux et pénible.

Herheim fait à la fois plaisir à l’audience en représentant la procession du Graal selon un ancien rite orthodoxe lumineux et grandiose, mais ironise tout autant en teintant la coupe d’une couleur violacée factice.

Dans ce monde en apparence innocent et marqué par le symbole bienveillant du cygne, mais qui s’est emmuré, Parsifal apparaît comme un élément perturbateur, joueur, mais encore inconscient du mal sous-jacent qui s’est instillé dans la jeunesse allemande du début XXème.

Le second acte est axé sur la perversion de Klingsor et sur la puissance sexuelle tentatrice de Kundry, identifiée à Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu selon le film de Josef von Sternberg.
Il s’agit de montrer ici comment le National Socialisme a instrumentalisé la sexualité des Allemands de manière à les rendre plus combattifs dans les années 30 et 40 (scène avec les infirmières).
Après avoir échoué à séduire Parsifal, Kundry réapparaît en mère nationale, dernière dispute qui atteint le point culminant de l’œuvre avec l’envahissement de la villa par les Nazis, jeunesse hitlérienne, drapeaux et croix gammées recouvrant tout l’espace dans une vision dramatique saisissante.
La destruction de ce monde par la lance du héros d’un blanc étincelant en préserve la pureté, quitte à donner un caractère kitch à cet objet autant symbolique que le Graal.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Le troisième acte ressemble beaucoup à ce que fit pour Paris Krzysztof Warlikowski en 2008.
L’ouverture sur l’ombre des ruines de la villa recoupe les images du film de Rossellini « Allemagne année zéro », les derniers symboles religieux combattants s’abattent (fin de l’ordre des templiers), et, après une spectaculaire désagrégation vidéographique du visage de Wagner dans un brouillard noir intensifiée par la marche menaçante et sinueuse qui précède l’arrivée du chœur installé dans un amphithéâtre, l’avènement d’une république démocratique devient l’issue politique durable d’une nouvelle nation basée sur les valeurs d’une famille recomposée. La nouvelle jeunesse allemande apparaît sous les traits d’Edmund (toujours « Allemagne année zéro » ), et Kundry reste en vie.

 La force de ce discours dramaturgique est de rester constamment lié à la musique, et de s’appuyer autant sur une exigeante direction d’acteurs que sur une occupation totale de l’espace scénique, dans toute sa profondeur de champ, et sur une utilisation des éclairages qui peuvent créer une lumière naturelle, ou bien des ambiances surnaturelles.

 Face à un tel engagement et à la prégnance du visuel, amplifiée par le noir total dans lequel est plongée la salle de par la disposition même de l‘orchestre totalement dissimulé sous la scène, on ne fait même plus attention aux limites d’une distribution convaincante, mais sans être exceptionnelle.
Burkhard Fritz incarne un Parsifal humble et très humain aux couleurs vocales plutôt sombres, Susan Maclean atteint très vite ses limites dans les aigus mais se rattrape par son expressivité dans la tessiture grave, et Kwangchul Youn commence sérieusement à fossiliser sa voix, ce qui augmente sa stature autoritaire d’homme du passé.

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Bien que Klingsor soit très bien défendu par Thomas Jesatko, Detlef Roth devient le chanteur le plus marquant, car il imprime de sa voix claire une humanité complexe et tourmentée, et pourtant énergique, qui donne une vitalité nouvelle à Amfortas.

 Cette première représentation de Parsifal au Festival de Bayreuth 2012 est aussi une première pour le directeur musical de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan.
Son grand sens symphonique évanescent, qui donne des frissons dès l’ouverture, s’accomplit totalement au troisième acte, et même si l’on reconnait toujours cette forme de timidité face au sens théâtral, perceptible au premier acte, on l’oublie vite dans les grandes montées lumineuses, et aussi par la connaissance que l’on a du cœur sincère de cet homme exceptionnel.

Il y a bien sûr l’acoustique magnifique du Festspielhaus, mais également les qualités d’un chœur capable de donner une force et une unicité à son chant vocal qui nous touchent au plus profond de l’âme.

Pour revoir et réentendre ce spectacle, Arte diffusera en léger différé la troisième représentation prévue le 11 août 2012.

Voir les commentaires

Publié le 15 Avril 2011

Parsifal (Richard Wagner)
Version concert du 14 avril 2011
Théâtre des Champs Elysées

Parsifal Nikolai Schukoff
Kundry Angela Denoke
Gurnemanz Kwangchul Youn
Klingsor John Wegner
Amfortas Michael Volle
Titurel Steven Humes

Direction Musicale Kent Nagano

Orchestre et Choeur de la Staatsoper de Munich
Tölzer Knabenchor (Choeur de garçons de Bad Tölz)

 

                                                                                                        Angela Denoke (Kundry)

Juste avant d'interpréter à Munich deux représentations de Parsifal, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, l'intégralité de l'équipe artistique passe par le Théâtre des Champs Elysées, comme pour offrir à Paris une répétition générale spéciale.

On peut regretter qu'un minimum de mise en espace ne permette aux chanteurs de jouer leur rôle, et de créer de véritables moments de tension, il n'en est pas moins vrai que l'attente porte en grande partie sur Angela Denoke.

Toute l’intériorité torturée de Kundry s’exprime uniquement par les torsions du buste, les traits du visage d’une femme affligée et blessée, mais pas dangereuse.

Le pouvoir magnétique de la soprano allemande, sophistiquée et pourtant si humaine, se manifeste pendant tout le second acte, qu’elle chante ou pas d’ailleurs. Sa voix s’épanouit en s’accordant du temps, des clartés voilées, des angoisses graves et mystérieuses, et des lenteurs envoutantes.

 Angela Denoke (Kundry)

Angela Denoke (Kundry)

En l’apparence, l’attitude si simple de Nikolai Schukoff, Parsifal plein de bonne volonté, n’a pas la présence immédiate répondant au cliché de l’Heldentenor wagnérien, et pourtant, sa technique lui permet de soigner les lignes d’un chant mordant et sombre, dirigé frontalement, d’atteindre les aigus dans un élan soudain mais sans rupture et sans altération, tout cela avec une modestie sympathique.
Le timbre ne change pas, mélancolique, mais également un peu austère.

Kwangchul Youn, dont on attend le retour à l’Opéra de Paris dans la Forza del Destino, peut se prévaloir d’une sage autorité charismatique qui humanise fortement Gurnemanz. Il y a en lui un rayonnement et un style chaleureusement mozartiens qui évoquent la conscience éclairée de Sarastro.

L’âme d’Amfortas trouve, en Michael Volle, un gardien de son propre orgueil de roi et de sa dignité, John Wegner exalte sans ambages la brutalité névrosée de Klingsor, et le Titurel de Steven Humes, même disposé en arrière scène, percute très efficacement.

Angela Denoke (Kundry), Kent Nagano et Nikolai Schukoff (Parsifal)

Angela Denoke (Kundry), Kent Nagano et Nikolai Schukoff (Parsifal)

Il y a bien des façons d’interpréter Wagner, et Kent Nagano donne l’impression, dans le premier acte, de privilégier l’avancée du discours, le choix d’une douceur qui s’obtient en étouffant les cuivres sous les cordes, et en ne les laissant jaillir que dans les moments nécessairement spectaculaires. Les frémissements des violons sont encore trop mécaniques, mais l’ensemble reste prenant.

L’ orchestre de la Staatsoper de Munich gagne en intensité au second acte, mais c’est réellement dans la dernière partie, de retour au château du Graal, qu’une magnifique nappe sonore, traversée de fin contrastes, immerge la salle avec une grâce qui évoque la légèreté d’une renaissance.

Voir les commentaires

Publié le 2 Mars 2009

Le Trouvère (Giuseppe Verdi)
Représentation du 28 février 2009
New York Metropolitan Opera

Direction musicale Gianandrea Noseda
Mise en scène David McVicar

Ferrando Kwangchul Youn
Inez Maria Zifchak
Leonora Sondra Radvanovsky
Count di Luna Dmitri Hvorostovsky
Manrico Marcelo Alvarez
Azucena Dolora Zajick

En déplaçant l’action du début du XVième siècle (guerre de succession au trône d’Aragon entre les Urgels et les Luna) au début du XIXième siècle, au moment de l’occupation française, David McVicar y a vu un moyen d’exploiter les peintures et les couleurs de Goya dans sa description de cette époque.

Il en résulte visuellement un climat oppressant et lugubre qui accentue la mortelle mélancolie de l’ouvrage.

La continuité dans l’enchaînement des tableaux repose sur un plateau tournant, à l’image du dispositif utilisé par Jérôme Savary pour Rigoletto à l’Opéra Bastille.
Ensuite tout dépend des qualités vocales et scéniques des chanteurs.

Dolora Zajick (Azucena)

Dolora Zajick (Azucena)

Pourtant annoncée souffrante, Dolora Zajick investit le personnage d’Azucena avec une justesse qui ne peut être due qu’à son affection pour le rôle.

Tout s’y lit, la rage, l’amour maternel, la douleur, et la voix bascule d’un médium aux harmoniques fulgurants, à la puissante résonance de sa tessiture grave.
 

Très viril, Marcelo Alvarez dépasse très vite quelques attaques un peu ternes pour déployer un timbre charmeur, charnu et lumineux. Les sentiments du héros restent cependant moins crédibles à cause d’une gestuelle un peu inutile, et des effets larmoyants trop systématiques.

Sans doute un de ses meilleurs rôles, Dmitri Hvorostovsky brosse un Comte parfois très émouvant, dramatiquement riche, laisse filer sa voix caressante, ce qui atténue légèrement la noirceur du caractère.

Sondra Radvanovsky joue également à fond le mélodrame, la jeunesse impulsive et maladroite, mais sa voix, mélange de rondeurs et de reflets métalliques, humanisée par une étrange vibration, est l’un des points forts de cette représentation.

Marcelo Alvarez (Manrico) et Sondra Radvanovsky (Leonora)

Kwangchul Youn et Maria Zifchak, tous deux chanteurs raffinés, complètent un ensemble de haut niveau porté par la direction intime et parcourue de noirceurs de Noseda.

Voir les commentaires

Publié le 6 Juillet 2007

Lucia di Lammermoor (Gaetano Donizetti)

Représentation du 09 septembre 2006 à l'Opéra Bastille
 
Mise en scène Andrei Serban
Décors et costumes William Dudley  

Lucia Natalie Dessay
Edgardo di Ravenswood Matthew Polenzani
Enrico Ashton Ludovic Tézier
Raimondo Bidebent Kwangchul Youn
 
Direction musicale Evelino Pidò

 

Dément ! je n’ai pas trouvé d’autres mots pour cette scène de folie qui ne vous arrache pas une seule larme mais vous laisse sans voix si j’ose dire.
Natalie Dessay fait de Lucia une femme se dépassant elle-même, ayant tellement accumulé qu’elle ne peut plus que libérer une énergie folle. L’enchevêtrement de tréteaux en est même escaladé sans y penser.
Cette démonstration d’agilité et de puissance (et ce cri d’effroi !), cet engagement inouï, semblent tellement périlleux pour sa voix que j’en ai eu peur pour elle.
On admire également cette propension à rechercher les situations casse-cou comme si Serban n’en faisait pas assez.

A l’inverse, que de sagesse chez Ludovic Tézier. Tout est beau. Jamais son chant ne risque une petite inflexion expressive histoire d’insuffler un peu plus d’énergie à une action limitée.
Tout est dans le regard et la voix. Un Enrico d’une intelligence froide.

Avec Kwangchul Youn nous avons notre ‘Alain Delon de l’opéra’. D’une classe remarquable, son autorité appuyée par la richesse d’une belle voix de basse capte l’attention à chacune de ses interventions.
 
Face à ces trois grand artistes, Matthew Polenzani peine un peu à s’affirmer et la grâce des premières notes de l’air final ‘Tombe degli avi miei’ semblent indiquer que Mozart pourrait être un répertoire qui le mettrait plus en valeur.
Edgar est un ténor un peu plus héroïque et soutenu par un registre suffisamment grave pour exprimer une force qui ici fait parfois défaut.
Cependant la scène de colère à la fin du IIième acte est très convaincante.
Natalie Dessay, Matthew Polenzani et Kwangchul Youn

Natalie Dessay, Matthew Polenzani et Kwangchul Youn

Etant un inconditionnel de Evelino Pido, un mot suffira : flamboyant.

Au rideau final, André Serban récolte les salutations bruyantes habituelles pour les mises en scènes décalées et qui doivent être aussi une forme d’expression de « bonne rentrée » adressée à Gerard Mortier.

Très habile, le metteur en scène revient une deuxième fois saluer seul rejoint alors par Natalie Dessay dont l’enthousiasme à son égard et les gestes moqueurs dirigés vers le public agité sont fort drôles : Quel ringard ce public parisien tout de même.

Voir les commentaires

Publié le 6 Juillet 2007

Les Troyens (Hector Berlioz)

Représentation du 21 octobre 2006

Opéra Bastille

Cassandre/Didon Deborah Polaski
Enée Jon Villars
Chorèbe Frank Ferrari
Le fantôme d’Hector Philippe Fourcade
Anna Elena Zaremba
Narbal Kwangchul Youn
Hylas Bernard Richter

 
Direction Sylvain Cambreling

Mise en scène Herbert Wernicke

 

On pourra dire ce que l’on veut sur les aspérités vocales de Deborah Polaski, la charpente est solide, l’intensité dramatique telle que Cassandre inquiète et Didon émeut.
Jon Villars, à stature égale, campe un Enée en rien héroïque mais pommé et tiraillé, ce que les modulations lyriques sans grandes élégances suggèrent plutôt bien.
Mais lorsque la voix de trépassé de Philippe Fourcade se fait entendre, le fantôme d’Hector accapare l’espace sonore et l’emprise psychique rend difficile de ne pas laisser échapper quelques frissons.
Les nappes orchestrales se mêlent à cette atmosphère absolument irréelle.

Si le Chorèbe de Frank Ferrari s’efface trop, Kwangchul Youn est toujours aussi classe sans oublier Bernard Richter pour la poésie de son Hylas.

La mise en scène de Herbert Wernicke est magnifique : grandes attitudes figées et nobles, effets sombres, une tristesse diffuse en permanence, et cette façon sobre d’exposer la splendide solitude de Cassandre.
En arrière plan de l’enceinte blanche, la faille est suffisamment large pour laisser les chromatismes de l’horizon évoluer en fonction des sentiments en jeu, ou de l’ambiance naturelle, et ainsi nous impressionner.
Plusieurs structures monumentales vont se succéder dont un avion de chasse écrasé au sol lors de la guerre de Troie, le fameux cheval ou le buste d’une statue de bronze dont la signification m’échappe. 

L’ensemble s’inscrit dans un cadre scénique au format cinémascope, rouge à Troie, bleu à Carthage, teintes que l’on retrouve sur les mains des protagonistes ou sur le rideau lorsque celui-ci est abaissé afin de maintenir un prolongement visuel.
Le duo d’amour est d’une très belle mélancolie et Wernicke pousse le chic jusqu’à nous offrir la vision de la constellation de Cassiopé (en forme de W) juste au dessus de l’horizon.
C’est très réaliste pour le lieu et permet même de situer la scène une nuit de printemps.

La surprise survient au moment de la grande scène de chasse transformée en une obsession traumatique de ce qu’a vécu Enée.
Des scènes de bombardements urbains par des missiles de croisières défilent en boucle tandis que les coups de tonnerre que suggèrent la partition accompagnent les images des tirs d’un croiseur. 
 
Dommage que Sylvain Cambreling n’est pas jugé nécessaire d’accentuer cette violence, mais il semble s’interdire toute exagération théâtrale en général (même lors du présage de Cassandre que sa vie va s’achèver sous les débris de Troie).
A ces quelques réserves près, sa direction délicate fourmille de détails fluidifie le drame et reçoit un accueil enthousiaste mérité. 

La dernière image de Rome ensanglantée ramène au point de départ. Une autre ville sera réduite, d’autres guerres se poursuivront, fondées sur les anciennes frustrations.

Voir les commentaires