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Publié le 24 Juin 2014

Orphée et Eurydice (Christoph W.Gluck) Version d'Hector Berlioz (1859)
Représentation du 22 juin 2014
Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles

Orphée  Stéphanie d’Oustrac
Eurydice Sabine Devieilhe, Els
Amour Michèle Bréant

Mise en scène Romeo Castellucci
Direction musicale Hervé Niquet


Coproduction avec les Wiener Festwochen

 

 

                                                                                                    Stéphanie d'Oustrac (Orphée)

 

Le 18 janvier 2013 dans l’après-midi, une jeune femme vivant dans la ville flamande de Renaix est prise d’un malaise. Elle a juste le temps de prévenir son mari avant de s’évanouir. Découverte, puis, transportée et recueillie à l’hôpital le plus proche, le diagnostic révèle qu’elle est victime du locked-in syndrome, trouble qui paralyse son corps sans pour autant lui ôter sa conscience et ses facultés sensorielles.

Stéphanie d'Oustrac (Orphée)

Stéphanie d'Oustrac (Orphée)

A partir de son histoire qui pose la question du maintien d’une vie apparemment sans espoir, Romeo Castellucci propose de relier chacune des représentations d’Orphée et Eurydice à la jeune femme, située à 14km du théâtre, grâce à un système de retransmission audio et vidéo sophistiqué.

En retour, le spectateur peut visualiser sur un grand écran le parcours mené par une équipe technique jusqu’à la chambre d’Els à partir d’images vidéographiques.
Les quatre parties se décomposent en une projection du récit de la vie de cette jeune femme, de son voyage entre son domicile et l’hôpital comme si nous étions à sa place dans un véhicule nous transportant les yeux grands ouverts mais floutés, de la traversée d’un jardin au moment le plus paisible, jusqu’à sa chambre où elle vit alitée et immobile.

Stéphanie d'Oustrac (Orphée) et, en arrière plan, Michèle Bréant (L'Amour)

Stéphanie d'Oustrac (Orphée) et, en arrière plan, Michèle Bréant (L'Amour)

L’expérience invite chacun, en son âme et conscience, à poser sa croyance au mystère de la vie auquel s’opposent les assertions directes et incontestables de la médecine scientifique.
Car l’enjeu est de croire, ou pas, en l’influence de ce spectacle sur la malade, alors que les débats sur l’euthanasie sont chaque semaine toujours aussi passionnés.

Ce n’est pourtant pas la vidéographie qui imprègne le plus le spectateur averti, mais la célérité inhabituelle avec laquelle Hervé Niquet dirige cette partition dont il évacue le pathétisme pour le transformer en une fuite désespérée à travers le temps. L’orchestre ne se délite pas pour autant, la fluidité poétique et les couleurs de printemps irriguent cette musique si proche des humeurs fondamentales de la vie, et résonnent comme un évitement inéluctable des abysses dépressifs.

Stéphanie d'Oustrac (Orphée)

Stéphanie d'Oustrac (Orphée)

Nous sommes donc à l’opposé des pleurs infinis de la version chorégraphiée par Pina Bausch pour l’Opéra Garnier, comme s’il ne fallait pas envisager la proximité d’un être cher sur le point de disparaître.

Stéphanie d’Oustrac n’en est pas moins d'un saisissant aplomb, sans doute trop peu affectée pour y croire totalement, mais magnifique par la noble beauté de son chant aussi émouvant que la perfection classique des lignes sculpturales d’une œuvre antique.

L’Amour de Michèle Bréant est d’une charmante candeur, et Sabine Devielhe semble trop lointaine pour laisser entendre toute la fraicheur fragile de son timbre.

Orphée et Eurydice (d'Oustrac-Niquet-Castellucci) Bruxelles

Quant à la vidéographie, elle a un pouvoir de suggestion limité à la fascination artistique de sa lumière défocalisée, mais qui peut induire, en fonction de la prédisposition imprévisible de chacun, des images évocatrices d’un passé qui n’était pas ressurgit depuis longtemps. Et, au moment de la disparition définitive d'Eurydice, la scène tombe soudainement dans l'ombre, pour laisser réapparaître un Eden au creux duquel se baigne une femme nue. L'impression en est seulement apaisante. 

Le pouvoir de la musique sur le psychisme et la vie est quelque chose d’insondable. Certains d’entre nous – c’est le cas en ce qui me concerne – ont l’exemple de personnes pour lesquelles des médecins avaient affirmé un pronostic vital nul, et qui ne les ont pas pour autant écouté en allant s’imprégner plus que jamais de spectacles lyriques pour combattre la maladie, et finalement s’en sortir.

Cet Orphée et Eurydice expérimental oblige à suivre l’état de santé de l’héroïne qui en a incité la réalisation, comme pour y trouver une réponse à nos propres interrogations.

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Publié le 10 Juillet 2012

Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 08 juillet 2012
Royal Opera House - Covent Garden

Cassandre Anna Caterina Antonacci
Chorèbe Fabio Capitanucci
Panthée Ashley Holland
Hélénus Jy Hyun Kim
Ascagne Barbara Senator
Hécube Pamela Helen Stephen
Priam Robert Lloyd
Polyxène Jenna Sloan
Andromaque Sophia McGregor
Astyanax Sebastian Wright
Enée Bryan Hymel
Fantôme d’Hector Jihoon Kim
Capitaine grec Lukas Jakobski
Didon Eva Maria Westbroek
Anna Hanna Hipp
Iopas Ji-Min Park
Narbal Brindley Sherratt
Mercure Daniel Grice
Hylas Ed Lyon
Soldats Adrian Clarke
            Jeremy White

Mise en scène David McVicar                                    Scène finale des Troyens (Colosse destructeur)
Direction musicale Antonio Pappano

Très attendue, la nouvelle production des Troyens montée par le Royal Opera House a visiblement ravi une grande partie du public impressionnée par le monumental décor de mille et une nuits et la maquette magnifiquement détaillée d’une Carthage imaginaire, la machinerie complexe du cheval de Troie, et la vitalité naïve des figurants.

L’intense et expressionniste direction musicale d’Antonio Pappano fait entendre une importante richesse de coloris, de vives pulsations et les accélérations de cadences d’un cœur battant, des accents fauves et tranchants, mais elle cède de son souffle épique aux passages qui devraient en être soulevés, comme la scène de chasse royale et d’orage, malheureusement plombée par une chorégraphie dont une image - les cerbères en tablier des forges - rappelle l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch, et se révèle d’un non sens absolu qui tue l’accès à l’élan romantique de la musique.

On retrouve ces danseurs dans les musiques de ballets, mais faut-il à tout prix conserver ces passages musicaux s’ils sont associés à des danses anecdotiques sans le moindre intérêt artistique et sans valeur dramaturgique?

Eva-Maria Westbroek (Didon)

Eva-Maria Westbroek (Didon)

Malgré une scénographie lourde, David McVicar inscrit Les Troyens dans une vision de film d’aventure qui souffre la comparaison avec le travail si stylisé, unifié et épuré d’Herbert Wernicke à Salzbourg et Paris, ou bien plus conventionnelle, certes, mais de meilleur goût de Yannis Kokkos à Paris également.

L’engagement certain de tous les chanteurs ne compense pas non plus le dense brouillard dans lequel se noie le chant français, si l’on excepte l’articulation impeccable d’Anna Caterina Antonacci trop impliquée dans l’hystérie de Cassandre, et si loin de la Vénus drapée et tragique que l’on découvrit au Châtelet, neuf ans depuis, une vision anthologique.

Eva-Maria Westbroek domine le rôle de Didon, une endurance dont on ne doute point, mais à aborder tant de rôles différents -elle fut elle-même Cassandre à Amsterdam- ses incarnations se ressemblent toutes, plus démonstratives que profondes.

Alors, de cette importante distribution, on peut remarquer le fragile et touchant Hylas d’Ed Lyon, et saluer Bryan Hymel qui, s’il ne peut se départir d’un timbre ingrat, assure une vaillance et une volonté expansive qui en attire la sympathie de tous au dernier acte.

On serait tenté de penser que Paris a bien eu de la chance de connaître deux interprétations majeures des Troyens, au Châtelet et à Bastille, et d’y voir les deux plus convaincantes de ce début de millénaire.

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Publié le 30 Mai 2012

Philippe Jordan et Waltraud Meier
Concert du 23 mai 2012
Opéra Bastille

Claude Debussy Prélude à l'après-midi d'un faune
Hector Berlioz Les Nuits d’été
Igor Stravinsky Le Sacre du printemps

Bis Maurice Ravel Bolero

Mezzo soprano Waltraud Meier
Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre de l’Opéra National de Paris

 

 

                                                           Waltraud Meier

Peut-être en hommage à Claude Debussy, le Prélude à l’après-midi d’un faune s'est substitué à Im Sommerwind, idylle pour grand orchestre d'Anton Webern, qui était prévu dans le programme d'origine.


Pourtant, ce poème contemplatif aurait idéalement évoqué l'osmose évidente qui lie dorénavant les musiciens de l'Opéra National de Paris et leur directeur musical, Philippe Jordan.

En effet, depuis les mouvements profondément voluptueux du Prélude, ondins, surlignés par la souplesse tout autant ondoyante et bien connue du chef, jusqu' aux éclats superbement colorés du Sacre du printemps, ce concert apparaît comme la démonstration d'une dynamique mature et prometteuse pour l'avenir, et l'on songe déjà à la prochaine reprise du Ring.

Quant à l'interprétation des Nuits d'été par Waltraud Meier, très éloignée de le finesse toute fraîche que des musiciennes comme Anne-Catherine Gillet ont récemment gravée, elle est le chant nocturne de la représentante la plus expressive de l'art théâtral wagnérien d'aujourd'hui, et c'est donc cette capacité à maîtriser de tels moyens pour en extraire le plus de délicatesse qui s'apprécie autant que les fragilités de son timbre.

Waltraud Meier

Waltraud Meier

 L'écriture de Berlioz en devient crépusculaire, et il s'agit ainsi d'admirer et de communier avec une immense artiste qui, d'un point de vue personnel, est en train de laisser une empreinte affective forte pour tout ce qu'elle apporte à l'art lyrique et à sa mise en scène.

Mené à la fois avec humour, poigne et un véritable déchainement sauvage dans les dernières minutes, le Bolero de Ravel vient avec surprise conclure cette soirée, où l’on aura finalement entendu trois musiques de ballets ancrées dans la mémoire parisienne.

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Publié le 9 Mai 2012

Roméo & Juliette (Hector Berlioz)
Répétition générale du 05 mai 2012
Opéra Bastille

Roméo Hervé Moreau
Juliette Aurélie Dupont
Père Laurence Nicolas Paul

Chant Stéphanie d'Oustrac, Yann Beuron, Nicolas Cavallier

Chorégraphie Sasha Waltz
Direction musicale Vello Pähn

 

 

                                                                                                       Stéphanie d'Oustrac

Il serait bien dommage de considérer que la version du Roméo et Juliette de Berlioz représentée à l'Opéra Bastille soit destinée exclusivement aux amateurs de ballets.
Car si ce spectacle a été créé en octobre 2007 sous l'impulsion de Gerard Mortier, c'est qu'il allie toutes les forces de l'Opéra de Paris, danseurs, musiciens, chœurs, chanteurs solistes, sur une des plus belles musiques d'Hector Berlioz.

Et, afin de mesurer la modernité d'écriture du compositeur français, on peut rappeler que Verdi venait tout juste de composer son premier opéra, Oberto, une semaine avant la création de ce poème symphonique au Conservatoire de Paris (24 novembre 1839).

Aurélie Dupont (Juliette) et Hervé Moreau (Roméo)

Aurélie Dupont (Juliette) et Hervé Moreau (Roméo)

Il faut donc aller à ce spectacle en premier lieu pour entendre cette musique vive et subtile, qui recouvre en son cœur le duo d'amour de Roméo et Juliette, un mouvement sublime animé par un ensemble de cordes très important pour l'époque.

Vello Pähn en donne, par ailleurs, une interprétation bien rythmée, lumineuse et lisse, mais l’on prend aussi beaucoup de plaisir à l’écoute des motifs plaintifs puis poétiques du hautbois, et surtout du chant rayonnant et noble de Stéphanie d’Oustrac, une beauté de ligne que l’on retrouve dans toute son allure véritablement divine.

La poésie, on la trouve également dans la chorégraphie de Sasha Waltz qui s’appuie sur un décor simple composé d’un plan refermé, et qui s’ouvre progressivement pour devenir le balcon de Juliette, puis les remparts de la ville, seul univers éclairé sur un fond totalement noir.
Elle atteint un moment de grâce fabuleux pendant la scène de la nuit, Aurélie Dupont et Hervé Moreau se livrant à un duo plein de spontanéité et de légèreté, où tous les sentiments, portés par la sensualité de la musique, s‘expriment avec naturel et évidence.

Aurélie Dupont (Juliette), Sasha Waltz et Hervé Moreau (Roméo)

Aurélie Dupont (Juliette), Sasha Waltz et Hervé Moreau (Roméo)

L’ivresse de cette adolescence se retrouve aussi dans les danses heureuses et facétieuses du bal des Capulets.

La dernière partie s’ouvre sur le désespoir de Roméo, banni et solitaire, rendu ici par de vaines tentatives à se hisser sur les murs de Vérone, sans musique, et toute la scène du convoi funèbre, puis du tombeau, s’achève dans une sérénité qui en apaise le poids tragique.

Tout est conçu dans ce spectacle pour renvoyer une énergie traversée de plénitude et de douceur, jusque dans la chaleur des voix du choeur, mais aussi de Yann Beuron et Nicolas Cavallier.

Une très belle reprise musicale.

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Publié le 12 Mars 2011

Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 11 mars 2011
Deutsche Oper Berlin

Cassandre Anna Caterina Antonacci
Didon Daniela Barcellona
Enée Ian Storey
Chorèbe Markus Brück
Panthée Krzysztof Szumanski
Narbal Reinhard Hagen
Iopas Gregory Warren
Ascagne Heidi Stober
Anne Ceri Williams
Priam Lenus Carlson
L’ombre d’Hector Reinhard Hagen
Andromaque Etoile Chaville

Direction Musicale Donald Runnicles                            Anna Caterina Antonacci (Cassandre)
Mise en scène David Pountney
Orchestre, chœurs et ballets du Deutschen Oper Berlin

Huit années se sont écoulées depuis la mémorable prise de rôle de Cassandre par Anna Caterina Antonacci, découverte que fît le public du Théâtre du Châtelet en même temps que l’évènement bénéficiait d‘une retransmission télévisuelle.
Elle renvoyait ainsi l’image transcendante d’une femme sublimement tragique.

Le doute se mêle inévitablement à l’impatience lorsque le Deutsch Oper de Berlin monte pour la première fois les Troyens avec sa participation, car quelque part il y a toujours l’attente d’une émotion à revivre.
 

En réalité, Anna Caterina Antonacci confirme qu’elle est toujours une des plus belles Cassandre de notre époque, avec néanmoins une altération de la pureté des couleurs quand la voix force, car son chant est d’une totale intelligibilité, les mots sont dits avec une frappante précision, et la singularité de son timbre reste intacte.
Trop souvent l’on oublie le pouvoir émotionnel du texte directement compris.

Le visage peint, la robe rouge sang - vision primitive qui était également celle de Pierre Audi l’année dernière à Amsterdam -, la beauté de la prophétesse se magnifie dans le détail du geste, et son expressivité théâtrale se fond dans l’articulation du texte.

Très révélateur d’une évolution, le tempérament de Cassandre devient parfois fortement sanguin, et le personnage de Carmen surgit derrière les accents vifs.

 

Anna Caterina Antonacci trahit ainsi la présence d’une autre héroïne qui l’a récemment investi.

Dans toute la première partie, David Pountney plonge Troie dans un univers apocalyptique, violent, loin d’une vision conventionnelle et aseptisée.
Les combattants se rapprochent de la salle avec des portraits de jeunes soldats, ayant sans doute existés, morts à la guerre, et rien n’est épargné de la vision cauchemardesque d’Hector, portée par la voix solide de Reinhard Hagen, transpercé de lances ensanglantées.

Les Troyens (Antonacci-Barcellona-Storey) Deutsche Oper

Très impressionnante est également l’arrivée du cheval, une gigantesque tête fantomatique en surplomb sur le peuple troyen, qu’un premier sabot, puis un second sabot viennent encercler.

Les chœurs démarrent de façon très chaotique, mais par la suite ils retrouvent une musicalité parfaite, avec beaucoup de finesse dans les terminaisons bouches fermées, et une ampleur naturelle sans véhémence.

Anna Caterina Antonacci (Cassandre) et Markus Brück (Chorèbe)

Anna Caterina Antonacci (Cassandre) et Markus Brück (Chorèbe)

Il y a quelque chose d’incompréhensible à la fin de Troie lorsque Cassandre se suicide au centre d’une forme circulaire portant les restes métalliques et rouillés de lits et de symboles de confort.

On ne le comprend qu’à la toute fin lorsque ces mêmes éléments cernent Didon, consolée par Cassandre, au moment où le destin de ces deux femmes se rejoignent. Elles ont cru à l’amour, et ont été abandonnées par leurs amants respectifs, Chorèbe et Enée.
 

Esthétiquement, les costumes verts et jaunes du peuple carthaginois, la verdure et le soleil, montrent un retour de Pountney aux ambiances soulignées par le texte, mais il perd l’effet réaliste de Troie pour passer à un univers niais.
Tout dans la mise en scène souligne une ligne de force, l’arrivée brutale d’Enée déchirant symboliquement le voile au sol sur lequel vit la reine carthaginoise.

Cette annonce de la découverte physique de l’amour se matérialise au quatrième acte, où pantomime et ballets chorégraphient un peu lourdement la rencontre érotique des corps.
Le concept se tient, mais la réalisation scénique est trop naïve.

La danse des esclaves nubiennes, qui vont enfanter sous forme de bulles transparentes, est conservée, mais pas la danse des esclaves. 

 

Daniella Barcellona (Didon)

Ce n’est pas la seule coupure car tout le duo entre Narbal et Anna est supprimé.

Le rôle de Ceri Williams en est considérablement réduit, mais l’on aura entendu des couleurs vocales communes à celles de Daniella Barcellona qui, en dépit d'une articulation peu soignée, impose une Didon forte, heureuse au milieu de son peuple, et pleine d'espoir.

Elle se départit de son jeu conventionnel seulement à la toute fin, comme débarrassée de ses illusions, et laisse l’empreinte d’une femme révoltée et vengeresse d’une violence inattendue.

Ian Storey a visiblement oublié tout ce que Patrice Chéreau lui a appris à Milan, à l’occasion de Tristan et Isolde avec Waltraud Meier, en particulier l’expressivité du corps, mais l’on ne peut que saluer son endurante implication vocale.
La voix est cependant trop lourde, et les passages les plus furtivement élégiaques sont hors de portée.

Daniella Barcellona (Didon) et Ian Storey (Enée)

Daniella Barcellona (Didon) et Ian Storey (Enée)

Si Markus Brück réussit un portrait sensible de Chorèbe sur une belle ligne de chant, Heidi Stober chante Ascagne avec la diction la plus précise après Anna Caterina Antonacci, et sa spontanéité enthousiaste lui vaut l’un des plus chaleureux accueils au rideau final.

L’orchestre du Deutsch Oper est une découverte. Sous la baguette de Donald Runnicles, la musique de Berlioz prend une teinte allemande où s’hybrident la fluidité du discours et les ondes continues de Wagner, la dynamique théâtrale de Beethoven, et la grâce symphonique de Mozart.
En revanche, ce qui fait la particularité des sonorités du compositeur français, les convolutions très spécifiques des cordes, le piquant des instruments à vents, est volontairement estompé.

On peut relever une légère baisse de souffle au quatrième acte, mais tout cela est dirigé avec une apparence de facilité et un professionnalisme saisissants.

Daniella Barcellona (Didon) et Anna Caterina Antonacci (Cassandre)

Daniella Barcellona (Didon) et Anna Caterina Antonacci (Cassandre)

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Publié le 5 Avril 2010

Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 04 avril 2010
De Nederlandse Opera

Cassandre Eva-Maria Westbroek
Didon Yvonne Naef
Enée Bryan Hymel
Chorèbe Jean-François Lapointe
Panthée Nicolas Testé
Narbal Alastair Miles
Iopas Greg Warren
Ascagne Valérie Gabail
Anne Charlotte Hellekant
Priam Christian Tréguier
L’ombre d’Hector Philippe Fourcade
Andromaque Jennifer Hanna

Direction Musicale John Nelson
Mise en scène Pierre Audi

               Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

 

C’est dans les lueurs rasantes du matin qu’Amsterdam révèle les visions colorées des frontispices bucoliques, lorsque la jeunesse venue réaliser un idéal de liberté, plus conformiste qu’elle ne l’imagine, est encore assoupie.

Au centre de la ville, l’Opéra National incarne un autre art du rituel conventionnel, bourgeois cette fois.

Dans une ambiance feutrée, les plus riches se restaurent au second étage, et chacun peut humer les senteurs des plats les plus raffinés.

Quelques esprits réfractaires se distinguent, car le véritable amateur d’opéra est peut être vêtu en Jean’s et Baskets.

Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

Pour en revenir à la première représentation des Troyens, il s’agit toujours d’un événement car l’œuvre a été conçue en parallèle du Ring de Wagner.

A plus forte raison que la présence d’Eva-Maria Westbroek justifie l’attention à cette reprise.
L’artiste a le caractère pour épouser la personnalité archaïque que Pierre Audi n’hésite pas à accentuer. Percutante, dotée d’un timbre aux accents masculins suggérant un tempérament de fer, son alliage à un chœur de femmes exceptionnel d’agressivité transcende la scène la plus réussie, celle où les troyennes se suicident dans une atmosphère infernale.

Belle pantomime d’Andromaque (Jennifer Hanna) se roulant dans les cendres d’Hector, puis reportant sa fierté sur son jeune fils.
 

Après la Prise de Troie, il n’y a plus rien à retenir du travail de Pierre Audi.
A Salzbourg, Herbert Wernicke avait réalisé une adaptation très forte des Troyens, en se reposant sur une vision cyclique du destin des civilisations. La plupart des ballets avaient été supprimés afin de ne pas casser la continuité de l‘action.

Et avec l’aide de Sylvain Cambreling, des réaménagements orchestraux, conformes aux consignes de Berlioz, permirent d’assurer un surcroît de fluidité dramatique.

Ce spectacle fût repris à Paris en 2006 afin de faire encore mieux connaître ce travail d’une épure élégante.

Jennifer Hanna (Andromaque)

Jennifer Hanna (Andromaque)

En revanche, à Amsterdam, Pierre Audi s’est attaché à monter la version intégrale des Troyens, avec toutes les danses et pantomimes.

Le dispositif prend des aspects complexes et fouillis, passerelles, plateaux coulissants, afin de gérer les transitions, obligeant même le chœurs à entrer dans l’empressement pour suivre le rythme de la musique.

Il nous refait le même coup que dans La Juive , en ayant recours à un groupe de danseurs, agissant comme une manifestation du destin, interprètes d’une chorégraphie souvent ridicule qui propulse le spectateur hors du drame.

Il en va de même des mouvements des chœurs, artificiels, au point d’exaspérer par l’image dépassée qu’ils donnent du niveau théâtral des scènes lyriques. On s’aperçoit alors, en fermant les yeux, des richesses des pages de ballets.

Pierre Audi ne trouve aucune solution convaincante pour suppléer à l’exotisme colonial justifiant l’existence de ces danses.

Yvonne Naef (Didon) et Charlotte Hellekant (Anna)

Yvonne Naef (Didon) et Charlotte Hellekant (Anna)

Les couleurs orchestrales ne permettent même pas de compenser les faiblesses scéniques. Souvent pâles, la finesse et la brillance des motifs des cordes sont à peine esquisses, ce qui n’empêche pas une exécution enlevée des passages les plus théâtraux.

Ou bien John Nelson privilégie une certaine rugosité, ou bien l’auditeur est sensible à plus de sensualité.

Dans cette monotonie d’ensemble, Yvonne Naef, interprète passionnée de Berlioz, se fond avec mélancolie, ne contrôle plus aucune justesse au delà d’un certain niveau aigu, mais même Waltraud Meier n’a pas su faire mieux dans Cléopâtre récemment à la salle Pleyel.
Parmi les hommes, Jean François Lapointe offre un Chorèbe retenu et noble, clair et au français nécessairement impeccable, et comme à Paris en 2006, Philippe Fourcade reprend le fantôme d’Hector, presque trop réel.

Il n’apparaît pas nettement de personnalité vocale expressive parmi le autres chanteurs, dont Enée, mais Charlotte Hellekant réussit pas sa personnalité sans réserve à faire que l’on s’intéresse à Anna.

                                Charlotte Hellekant (Anna)

A bien y réfléchir, l’idée du spectacle pourrait être que la destinée errante d’Enée est préférable à une vie aussi bien avec l’hystérique et obscurantiste Cassandre, qu’avec l’ennuyeuse et bourgeoise Didon.

Cinq heures et quarante cinq minutes pour nous expliquer cela est tout de même un peu long.

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Publié le 4 Octobre 2007

Roméo et Juliette (Hector Berlioz)

Répétition générale du 03 octobre 2007
Opéra Bastille
Chorégraphie Sasha Waltz
Direction Valery Gergiev
 
Juliette Aurélie Dupont
Ekaterina Gubanova
Roméo Hervé Moreau
            Yann Beuron
Frère Laurent Wielfried Romoli
            Mikhail Petrenko
 
Il y a quelques mois, Arte diffusait un reportage ("Le Jardin des Délices") sur la chorégraphe allemande dont les spectacles sont devenus un "Must" à Berlin.
 
Derrière beaucoup de modestie et d'énergie se dévoile alors un sens de la vérité humaine poignant.
C'est dire que ce "Roméo et Juliette" est attendu et le remplissage complet de l'opéra Bastille jusque dans les hautes places des galeries lors de la dernière répétition en témoigne.
 
Dans un univers symbolique, horizon noir infini cernant deux simples dalles, Sasha Waltz exprime dans chaque tableau du drame les effusions amicales, les intimidations mais comme si il y avait quelque chose de vain, de désordonné voir loufoque (ironie qui n'est pas sans rappeler celle de Christoph Marthaler).
 
Valery Gergiev est par ailleurs plus sec et brutal dans la première partie que pendant toute la suite.
 
Le cœur de la représentation reste pour moi la scène du balcon où Juliette et Roméo se retrouvent dans un duo bouleversant d'humanité, de spontanéité et se révèle une irrésistible figuration du bonheur adolescent. Mais ce n'est qu'un songe.
Aurélie Dupont et Hervé Moreau

Aurélie Dupont et Hervé Moreau

Petit à petit l'impossibilité de ce rêve et la tristesse qu'elle déclenche amorcent les premiers mouvements du plateau. Le moment où le filtre est bu par Juliette se cale sur un accord terrible, laissant Roméo en proie à la violence et au désespoir.
 
Le final, peut être moins fort malgré la double veille Roméo sur le corps de Juliette puis Juliette sur le corps de Roméo, est emporté par les chœurs et un Mikhail Petrenko splendides.
 

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Publié le 5 Septembre 2007

La Damnation de Faust (Berlioz)

Concert du 04 septembre 2007 à la salle Pleyel
 
Faust   Marcello Giordani
Marguerite    Yvonne Naef
Méphistophélès    José Van Dam
 
Tanglewood Festival Chorus
Chef de Chœur John Oliver
 
Boston Symphony Orchestra
Direction James Levine
 
Le BSO et les chœurs ont brillamment ouvert la nouvelle saison lyrique parisienne.
Il se dégage ainsi une luxuriance symphonique, des effets ondulatoires d'une très grande légèreté, et de la réussite dans les passages les plus spectaculaires.
C'est sans doute sur ce dernier point que je préfère James Levine. Car la subtilité n'est pas toujours au rendez-vous, marche hongroise bruyante, cuivres toniques mais trop abrupts et des contrastes limités dans les accords les plus graves de la partition.
 
Côté solistes, Marcello Giordani fait honneur à l'harmonie du chant français jusque dans le haut médium. Au delà, nous souffrons avec lui, cette faiblesse dans les aigus étant connue depuis I Pirata au Châtelet en 2002.
 
 Yvonne Naef se livre régulièrement à de petites désynchronisations dans l'expression du texte, c'est donc plutôt de l'étendue de la voix et de ses couleurs claires qu'il faut profiter.
"D'Amour, l'ardente flamme" reste néanmoins monotone.
 
Sacré José Van dam! Dans une même phrase il s'amuse à varier des graves poitrinés puis des graves retentissants. Ce n'est pas très élégant mais le caractère y est. Au moins l'on peut dire qu'il vit son Mephisto.


Acoustiquement bien mises en valeur, la fulgurance et les nuances du chœur font à elles seules l'âme de cette première soirée vécue pour ma part avec une certaine distance.
    Yvonne Naef (Marguerite)

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Publié le 6 Juillet 2007

Les Troyens (Hector Berlioz)

Représentation du 21 octobre 2006

Opéra Bastille

Cassandre/Didon Deborah Polaski
Enée Jon Villars
Chorèbe Frank Ferrari
Le fantôme d’Hector Philippe Fourcade
Anna Elena Zaremba
Narbal Kwangchul Youn
Hylas Bernard Richter

 
Direction Sylvain Cambreling

Mise en scène Herbert Wernicke

 

On pourra dire ce que l’on veut sur les aspérités vocales de Deborah Polaski, la charpente est solide, l’intensité dramatique telle que Cassandre inquiète et Didon émeut.
Jon Villars, à stature égale, campe un Enée en rien héroïque mais pommé et tiraillé, ce que les modulations lyriques sans grandes élégances suggèrent plutôt bien.
Mais lorsque la voix de trépassé de Philippe Fourcade se fait entendre, le fantôme d’Hector accapare l’espace sonore et l’emprise psychique rend difficile de ne pas laisser échapper quelques frissons.
Les nappes orchestrales se mêlent à cette atmosphère absolument irréelle.

Si le Chorèbe de Frank Ferrari s’efface trop, Kwangchul Youn est toujours aussi classe sans oublier Bernard Richter pour la poésie de son Hylas.

La mise en scène de Herbert Wernicke est magnifique : grandes attitudes figées et nobles, effets sombres, une tristesse diffuse en permanence, et cette façon sobre d’exposer la splendide solitude de Cassandre.
En arrière plan de l’enceinte blanche, la faille est suffisamment large pour laisser les chromatismes de l’horizon évoluer en fonction des sentiments en jeu, ou de l’ambiance naturelle, et ainsi nous impressionner.
Plusieurs structures monumentales vont se succéder dont un avion de chasse écrasé au sol lors de la guerre de Troie, le fameux cheval ou le buste d’une statue de bronze dont la signification m’échappe. 

L’ensemble s’inscrit dans un cadre scénique au format cinémascope, rouge à Troie, bleu à Carthage, teintes que l’on retrouve sur les mains des protagonistes ou sur le rideau lorsque celui-ci est abaissé afin de maintenir un prolongement visuel.
Le duo d’amour est d’une très belle mélancolie et Wernicke pousse le chic jusqu’à nous offrir la vision de la constellation de Cassiopé (en forme de W) juste au dessus de l’horizon.
C’est très réaliste pour le lieu et permet même de situer la scène une nuit de printemps.

La surprise survient au moment de la grande scène de chasse transformée en une obsession traumatique de ce qu’a vécu Enée.
Des scènes de bombardements urbains par des missiles de croisières défilent en boucle tandis que les coups de tonnerre que suggèrent la partition accompagnent les images des tirs d’un croiseur. 
 
Dommage que Sylvain Cambreling n’est pas jugé nécessaire d’accentuer cette violence, mais il semble s’interdire toute exagération théâtrale en général (même lors du présage de Cassandre que sa vie va s’achèver sous les débris de Troie).
A ces quelques réserves près, sa direction délicate fourmille de détails fluidifie le drame et reçoit un accueil enthousiaste mérité. 

La dernière image de Rome ensanglantée ramène au point de départ. Une autre ville sera réduite, d’autres guerres se poursuivront, fondées sur les anciennes frustrations.

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