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Publié le 15 Mai 2010

La Bayadère (Marius Petipa)
Pré générale du 14 mai 2010
Palais Garnier

Nikiya Aurélie Dupont
Solor Nicolas Le Riche
Gamzatti Dorothèe Gilbert

 

Musique de Ludwig Minkus adaptée par John Lanchbery

 

Direction musicale Kevin Rhodes
Orchestre Colonne
Chorégraphie Rudolf Noureev

 

                                                             Aurélie Dupont (Nikiya)

 

Alors qu’il n’avait que vingt cinq ans, Rudolf Noureev eut l‘honneur de chorégraphier l’acte des Ombres de la Bayadère pour Covent Garden.

Nourrissant une affection profonde pour un ballet déjà considéré comme passé de mode à l‘époque, en référence à l’exotisme d’Henri Rousseau, il n’en récupèrera des partitions partielles, et une mémoire visuelle, que lors de son voyage à Leningrad en 1989.

Son père ne le vit qu’une fois danser sur scène. C’était en 1960, au Kirov, pour la Bayadère, juste avant que ne débute la tournée occidentale qui emmènera le jeune danseur vers la vie libre.

Nicolas Le Riche (Solor)

Nicolas Le Riche (Solor)

De retour à Paris, Noureev retravaille les pages orchestrales avec John Lanchbery, et c’est seulement le jeudi 8 octobre 1992 que le rideau de Garnier s’ouvre sur un ballet flamboyant.

Ne manque que le quatrième acte, la destruction du temple, qui ne pu être reconstitué à cause des 1,4 millions d’euros (cours 2010) déjà investis dans la production, mais également du fait du décorateur, Ezio Frigerio, qui refusa de toucher à sa belle coupole qui aurait du craquer chaque soir.

Sachant cela, profiter d’une occasion d’aller découvrir la Bayadère, même dans la boite à bijoux du Palais Garnier, relève donc plus d’une sorte de recueillement en hommage à un homme d’exception, comme d’autres vont à Lourdes ou bien à la Kaaba.

Aurélie Dupont (Nikiya)

Aurélie Dupont (Nikiya)

On peut cependant supposer que Noureev aurait finalement eu une préférence pour maintenir son ballet à l’Opéra Bastille (héritage de la fin de l'ère Pierre Bergé en 1994), symbole moderne de liberté, d’ouverture et d‘avenir.

Mais replacer ce spectacle à Garnier est comme vouloir pétrifier un lieu de son histoire et de ses souvenirs d'adieux.

Dans cet univers de costumes fastueux, minutieusement détaillés et intensément colorés, le regard est à l’affût d’évènements qui se détacheront des effets démonstratifs, classiques et routiniers de la chorégraphie.

Violence entre Nikiya et Gamzatti, que seules Adrienne Lecouvreur et la comtesse de Bouillon surpassent dans le monde de l’Opéra, sauts en l’air de Solor, danse triste et humble de Nikiya, et l’irréel Royaume des Ombres avec la souplesse des corps dévalant progressivement les contreforts romantiques des montagnes.

Le Royaume des ombres

Le Royaume des ombres

La musique évoque tour à tour la valse, le cancan, le cirque, mais sous la direction de Kevin Rhodes elle prend une théâtralité dont bénéficie le mieux le premier acte.

Le charisme d’Aurélie Dupont et de Nicolas Le Riche fait merveille, et même si le décalage entre l’œuvre et notre époque est bien grand pour ne pas en sourire, il y a la satisfaction de voir tous ces danseurs y prendre plaisir.

Le site officiel de la Fondation Rudolf Noureev.

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Publié le 11 Mai 2010

Billy Budd (musique Benjamin Britten et livret Edward Morgan Forster)

Représentation du 08 mai 2010

Opéra Bastille

Billy Budd Lucas Meachem
Edward Fairfax Vere Kim Begley
John Claggart Gidon Saks
Mr Redburn Michael Druiett
Mr Flint Paul Gay
Lieutenant Ratcliffe Scott Wilde
Le Novice François Piolino
L’ami du Novice Vladimir Kapshuk
Donald Igor Gnidii
Dansker Yuri Kissin

Direction Musicale Jeffrey Tate
Mise en scène Francesca Zambello

                                                                      Lucas Meachem (Billy Budd) et Gidon Saks (John Claggart)

Avril 1996, pour la première saison d’Hugues Gall, Francesca Zambello réalise une production de Billy Budd récompensée par le Grand Prix français de la critique. Ses lignes de forces s’inscrivent dans l’esthétique d’un décor qui isole, tel un radeau, le pont de l’Indomptable au milieu d’un océan élargi par la profondeur de scène.

Les enchaînements, entrées et sorties par les trappes, levée du plateau principal qui révèle les cales en sous-sol, ne comportent que de rares faiblesses - John Claggart s'éclipsant en rampant après avoir soudoyer le Novice - démontrant une intelligente utilisation de l’espace de Bastille pour suivre le rythme du déroulement musical.

Billy Budd (Benjamin Britten - E.M Forster) à Bastille

Cette vastitude tue malgré tout les sensations de confinement inhérentes à l’ouvrage, s’ajoute une volonté d’illustrer par l’imagerie claire et naïve ce que dit le texte - Billy en croix à son poste de vigie, le messager divin - , l’analyse du geste, quasi inexistante, n’enrichit que faiblement la psychologie des protagonistes, le personnage de Vere en reste terne.

Après neuf ans d’absence au répertoire, la troisième reprise de Billy Budd est programmée lors des 40 ans de la disparition d’E.M Forster (l'auteur de Maurice), et elle prouve à quel point la qualité de l’interprétation orchestrale est fondamentale à la construction d’un théâtre immersif.

Lucas Meachem (Billy Budd)

Lucas Meachem (Billy Budd)

Sous la direction de Jeffrey Tate, absent depuis mai 1999 (Wozzeck), les tresses mélodiques semblent se détacher de la fosse d’origine, seuls les cuivres et les flûtes nous y ramènent, opposition entre sentiments supérieurs et impulsions sanguines, au point que toute la scène du jugement ne se vit que par la musique.

Rodney Gilfry a trop marqué le rôle de Billy Budd - fusion idéale de la force et de l’âme innocente - pour que Lucas Meachem l’efface facilement. Costaud comme un bûcheron, voix solide mais qui s’illumine peu sous les faisceaux des projecteurs, l’empathie pour les hommes du vaisseau se ressent trop peu.

François Piolino (Le Novice) et Vladimir Kapshuk (son ami)

François Piolino (Le Novice) et Vladimir Kapshuk (son ami)

Gidon Saks - John Claggart - fascinant quand il pénètre dans les cônes d’ombre d’où ne se dessine plus que sa silhouette, trouve l’aisance à passer de la tenue noble et éduquée au relâchement de la hargne, couleurs vocales les plus suggestives du mal, et nerfs sous tension.

Toute l’humanité de Kim Begley passe dans la clarté d’un chant, si bien qu’il faut être bien attentif au texte pour en mesurer l’ambiguïté - pourquoi si vite considérer la condamnation de Billy Budd comme inéluctable, alors qu’un seul des trois officiers est inflexible?

Très touchant et au jeu naturel, François Piolino fait du jeune Novice l’âme la plus intense de ce petit monde, si bien que son duo avec Vladimir Kapshuk est presque trop sensible.

Lucas Meachem (Billy Budd)

Lucas Meachem (Billy Budd)

Bien au delà du sentiment homosexuel, une des forces du drame, le plus poignant de l’histoire est qu'une confiance totale en la vie, dans un univers oppressant, est une manière de résister au conformisme timoré ambiant et de s’attirer l’attachement des autres, mais comporte également le risque qu’un homme de pouvoir ne vienne briser une vitalité aussi déstabilisatrice.

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Publié le 6 Mai 2010

Rufus Wainwright All Days Are Night : Songs for Lulu

Concert du 03 mai 2010 au Théâtre Mogador

Depuis ce soir d’octobre 2003 où ce jeune chanteur, tout juste trentenaire, avait pris possession du Batofar, péniche branchée flottante au pied de la Grande Bibliothèque de Paris, et touché ainsi le cœur d’un public encore restreint, le parcours de Rufus Wainwright est un jaillissement d’aventures artistiques qui pouvait faire craindre la dilution dans l’ivresse de la célébrité (Arte avait récemment diffusé sa reprise des Sonnets de Shakespeare avec le Berliner Ensemble, que malheureusement je n'ai pu enregistrer).

Rufus Wainwright

Rufus Wainwright

Le ténor pop baroque, qui confia lui même que l’Elektra de Strauss était tout aussi sublime sans ecstasy, a déjà réussi son pari de créer un opéra. Si le Metropolitan Opera de New York a finalement refusé de représenter « Prima Donna » à cause du livret en français, l’ouvrage a déjà été joué en Angleterre, et peut être devrait-il arriver à Paris prochainement.

La sensualité de sa voix caressante, qu’il aime laisser s’étirer pour faire passer ses messages les plus intimes, le piano seul en et le meilleur compagnon.

Rufus Wainwright

Rufus Wainwright

Alors, délaissant l’excès d’orchestration qui constitue habituellement une bonne moitié de ses compositions, la part extravertie de sa personnalité, Rufus consacre son nouvel album à douze airs purement mélodiques, besoin de recueillement qui prolonge la disparition récente de sa mère.

Mais l’exubérance est toujours là, et pour la mise en scène de la première partie du concert, dédiée à l’intégralité de Songs for Lulu, le chanteur se fait plus femme que jamais pour arriver théâtralement et lentement en robe noire (comme Erda dans la mise en scène de l’Or du Rhin à Bastille).

Et, seul, avec sa voix et un simple piano, le transport intérieur est d’autant plus miraculeux qu’il est émouvant de voir et entendre cette solitude s’exprimer d’aussi talentueuse manière. Qui ne souhaiterait pas savoir en faire autant ?

Il peut cependant paraître étrange que la plénitude repose sur une douce tristesse, how could someone so Bright love someone so blue?.

Rufus Wainwright

Rufus Wainwright

Les feux d’artifices t’appellent, extrait de Prima Donna, est un air en français conçu lors d’un court séjour à Montmartre avec sa mère, face à une vue extraordinaire sur Paris.
Le style musical est totalement inspiré du courant minimaliste similaire à celui de Philip Glass.

L'ensemble des textes sont d'ailleurs assez contemplatifs, se réfèrent souvent au ciel et aux astres, sans la provocation ou la critique qu'on a pu lui connaître, une façon de suspendre le temps tout simplement.

En seconde partie de soirée, Rufus Wainwright reprend les balades de ses précédents albums (Release the stars, Want Two, Want One …), toujours seul au piano, mais cette fois en autorisant les applaudissements et les photographies, dans une atmosphère de détente.

Parmi les anecdotes intimes et réflexions piquantes qu’il aime placer entre chaque air, on apprend que le public parisien n’est pas le meilleur, mais le plus beau.

Flatteur il est, car est beau celui qui sait être soi, comme il l'a si bien montré.

Site officiel de Rufus Wainwright

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Publié le 5 Avril 2010

Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 04 avril 2010
De Nederlandse Opera

Cassandre Eva-Maria Westbroek
Didon Yvonne Naef
Enée Bryan Hymel
Chorèbe Jean-François Lapointe
Panthée Nicolas Testé
Narbal Alastair Miles
Iopas Greg Warren
Ascagne Valérie Gabail
Anne Charlotte Hellekant
Priam Christian Tréguier
L’ombre d’Hector Philippe Fourcade
Andromaque Jennifer Hanna

Direction Musicale John Nelson
Mise en scène Pierre Audi

               Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

 

C’est dans les lueurs rasantes du matin qu’Amsterdam révèle les visions colorées des frontispices bucoliques, lorsque la jeunesse venue réaliser un idéal de liberté, plus conformiste qu’elle ne l’imagine, est encore assoupie.

Au centre de la ville, l’Opéra National incarne un autre art du rituel conventionnel, bourgeois cette fois.

Dans une ambiance feutrée, les plus riches se restaurent au second étage, et chacun peut humer les senteurs des plats les plus raffinés.

Quelques esprits réfractaires se distinguent, car le véritable amateur d’opéra est peut être vêtu en Jean’s et Baskets.

Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

Eva-Maria Westbroek (Cassandre)

Pour en revenir à la première représentation des Troyens, il s’agit toujours d’un événement car l’œuvre a été conçue en parallèle du Ring de Wagner.

A plus forte raison que la présence d’Eva-Maria Westbroek justifie l’attention à cette reprise.
L’artiste a le caractère pour épouser la personnalité archaïque que Pierre Audi n’hésite pas à accentuer. Percutante, dotée d’un timbre aux accents masculins suggérant un tempérament de fer, son alliage à un chœur de femmes exceptionnel d’agressivité transcende la scène la plus réussie, celle où les troyennes se suicident dans une atmosphère infernale.

Belle pantomime d’Andromaque (Jennifer Hanna) se roulant dans les cendres d’Hector, puis reportant sa fierté sur son jeune fils.
 

Après la Prise de Troie, il n’y a plus rien à retenir du travail de Pierre Audi.
A Salzbourg, Herbert Wernicke avait réalisé une adaptation très forte des Troyens, en se reposant sur une vision cyclique du destin des civilisations. La plupart des ballets avaient été supprimés afin de ne pas casser la continuité de l‘action.

Et avec l’aide de Sylvain Cambreling, des réaménagements orchestraux, conformes aux consignes de Berlioz, permirent d’assurer un surcroît de fluidité dramatique.

Ce spectacle fût repris à Paris en 2006 afin de faire encore mieux connaître ce travail d’une épure élégante.

Jennifer Hanna (Andromaque)

Jennifer Hanna (Andromaque)

En revanche, à Amsterdam, Pierre Audi s’est attaché à monter la version intégrale des Troyens, avec toutes les danses et pantomimes.

Le dispositif prend des aspects complexes et fouillis, passerelles, plateaux coulissants, afin de gérer les transitions, obligeant même le chœurs à entrer dans l’empressement pour suivre le rythme de la musique.

Il nous refait le même coup que dans La Juive , en ayant recours à un groupe de danseurs, agissant comme une manifestation du destin, interprètes d’une chorégraphie souvent ridicule qui propulse le spectateur hors du drame.

Il en va de même des mouvements des chœurs, artificiels, au point d’exaspérer par l’image dépassée qu’ils donnent du niveau théâtral des scènes lyriques. On s’aperçoit alors, en fermant les yeux, des richesses des pages de ballets.

Pierre Audi ne trouve aucune solution convaincante pour suppléer à l’exotisme colonial justifiant l’existence de ces danses.

Yvonne Naef (Didon) et Charlotte Hellekant (Anna)

Yvonne Naef (Didon) et Charlotte Hellekant (Anna)

Les couleurs orchestrales ne permettent même pas de compenser les faiblesses scéniques. Souvent pâles, la finesse et la brillance des motifs des cordes sont à peine esquisses, ce qui n’empêche pas une exécution enlevée des passages les plus théâtraux.

Ou bien John Nelson privilégie une certaine rugosité, ou bien l’auditeur est sensible à plus de sensualité.

Dans cette monotonie d’ensemble, Yvonne Naef, interprète passionnée de Berlioz, se fond avec mélancolie, ne contrôle plus aucune justesse au delà d’un certain niveau aigu, mais même Waltraud Meier n’a pas su faire mieux dans Cléopâtre récemment à la salle Pleyel.
Parmi les hommes, Jean François Lapointe offre un Chorèbe retenu et noble, clair et au français nécessairement impeccable, et comme à Paris en 2006, Philippe Fourcade reprend le fantôme d’Hector, presque trop réel.

Il n’apparaît pas nettement de personnalité vocale expressive parmi le autres chanteurs, dont Enée, mais Charlotte Hellekant réussit pas sa personnalité sans réserve à faire que l’on s’intéresse à Anna.

                                Charlotte Hellekant (Anna)

A bien y réfléchir, l’idée du spectacle pourrait être que la destinée errante d’Enée est préférable à une vie aussi bien avec l’hystérique et obscurantiste Cassandre, qu’avec l’ennuyeuse et bourgeoise Didon.

Cinq heures et quarante cinq minutes pour nous expliquer cela est tout de même un peu long.

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Publié le 3 Avril 2010

Treemonisha (Scott Joplin)
Représentation du 31 mars 2010
Théâtre du Châtelet

Treemonisha Adina Aaron
Monisha Grace Bumbry
Ned Willard White
Remus Stanley Jackson
Zodzetrick Stephen Salters

Direction Musicale Kazem Abdullah
Conception scénographique Roland Roure
Mise en scène et chorégraphie Blanca Li

 

                                             Adina Aaron (Treemonisha)

Depuis l’arrivée de Jean Luc Choplin en 2006, le Théâtre du Châtelet est devenu un lieu d’ouverture culturelle international en plein centre de Paris.

A une époque dévolue au repli identitaire, cet esprit d’accueil aux arts du monde entier, profondément humaniste, en est une réponse salutaire.

Grace Bumbry (Monisha)

Grace Bumbry (Monisha)

Treemonisha nous confronte à la vie de son créateur, Scott Joplin (1867-1917), pianiste et compositeur noir-américain, ayant du vivre sous domination blanche.
Il créa une œuvre porteuse d’espoir, car le savoir y est vécu comme un moyen d’échapper à tous les obscurantismes, et de devenir un être libre.

Treemonisha (S.Joplin) Aaron-Bumbry-White au Châtelet

Le livret, naïf et très simple, n’en est pas moins touchant, car finalement que nous montre t’on?  Un homme (Ned, le père de Treemonisha) qui a baissé les bras et qui boit, sa femme (Monisha) plus forte et qui croit aux anges, leur fille (Treemonisha), guidée par des valeurs sincères, qui refuse le mal comme réponse au mal.

Amusez vous, aujourd’hui, à afficher la sincérité comme valeur, vous récupèrerez au mieux de gentils sourires, au pire un mépris insondable.

Grace Bumbry (Monisha) et Willard White (Ned)

Grace Bumbry (Monisha) et Willard White (Ned)

A défaut d’un support dramatique consistant, le plaisir à entendre cette œuvre vient de l’ambiance de communion que l’on ressent à voir et à entendre les chanteurs principaux, les chœurs, le chef et l‘orchestre, une vitalité authentique dans les danses telles Aunt Dinah has blowed the horn où les paroles galopent à un rythme entraînant.

Cela a nettement plus d’allure que la farandole joyeuse et folle de la Mireille mise en scène par Nicolas Joel cette saison à l‘Opéra de Paris.

La musique de Scott Joplin hybride des mouvements de cordes mélodieuses, les cadences pimpantes des cuivres, et la nostalgie du banjo dans les chants de cotons, en souvenir des origines africaines.

Grace Bumbry (Monisha) et Willard White (Ned)

Grace Bumbry (Monisha) et Willard White (Ned)

Puis vient l’émotion à entendre Grace Bumbry, avec l’inévitable croisement des enregistrements passés, les fureurs d’Eboli, les déchirures de Chimène, une énergie vocale encore impactante, un visage si beau, accompagnée par un autre monstre de scène, Willard White, à contre emploi de ses habituels Klingsor, Wotan et Barbe Bleue.

Tous deux forment un couple très naturel dans le rôle des parents de Treemonisha.

La lumière et la rondeur musicale de Adina Aaron, le timbre de Stanley Jackson, si semblable à celui du jeune ténor Paolo Fanale, et les trépidances de Kazem Abdullah parachèvent avec joie un ensemble fait pour extirper les légèretés de l'âme.

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Publié le 28 Mars 2010

Orchestre de l’Opéra National de Paris
Concert du 26 mars 2010 au Palais Garnier

Felix Mendelssohn Meeresstille und glückliche Fart (Mer calme et heureux voyage), op. 27
Ouverture en ré majeur

Ernest Chausson Poème de l’amour et de la mer, op. 19
La Fleur des eaux
Interlude
La Mort de l’amour

Benjamin Britten Four Sea Interludes, op.33 A
Dawn
Sunday Morning

Moolight
Storm

Claude Debussy La Mer, trois esquisses symphoniques
De L’aube à midi sur la mer
Jeux de vagues
Dialogue du vent et de la mer

Sophie Koch Mezzo-soprano
Philippe Jordan Direction musicale

 

Hautement symbolique, le concert de ce soir l’est pour deux raisons : il réunit deux artistes qu’affectionne Nicolas Joel, Philippe Jordan et Sophie Koch, et se construit sur le thème de la Mer, milieu d’ondes vivantes et symphoniques pour lequel on sent que le nouveau directeur de l’Opéra de Paris nourrit une forte sensibilité.

D’où ce goût pour Massenet (la reprise de Werther était dédiée à Sophie Koch) et Wagner (Le Ring est confié à Philippe Jordan), univers marin depuis le Vaisseau Fantôme jusqu’à Tristan.

Concert Philippe Jordan Sophie Koch Opéra National de Paris

Pour l’occasion, des panneaux latéraux et des réflecteurs supérieurs en bois parent la scène de l’Opéra Garnier, l’acoustique est sous contrôle.

Nous sommes dès lors en famille, et il n’y a pas plus significative image que de voir le chef d’orchestre à proximité de la mezzo-soprano face à Philippe Fénelon (le compositeur du Faust de Lenau ,et plus récemment de la Cerisaie), installé au centre du balcon, sous la surveillance paternelle de Nicolas Joel, placé au premier rang de la première loge de face.
En astronomie, on parlerait d‘ « alignement remarquable ».

Le style musical, très homogène, avec lequel dirige Philippe Jordan propage une vitalité faite de tonalités immaculées et d’une tonicité virile, spectaculaire dans le « Storm » de Britten.

Visiblement le chef s’amuse, mène l’orchestre avec hauteur et la même élégance de geste que de son, mais ce sens de la pureté maintient une distance avec les profondeurs romantiques prêtes à surgir.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

C’est grâce au talentueux violoncelliste que Le poème de l’amour et de la mer, débordant de mélodrame, peut prendre une dimension pathétique.

Sophie Koch dégage suffisamment de vagues de tristesse pour palier à un affaiblissement vocal temporaire entre deux représentations de l’Or du Rhin.

Présence et subtiles couleurs obscures ne lui font que peu défaut, la clarté du texte un peu plus car sa voix est essentiellement dramatique.

A l’arrière plan, le timbalier mesure très discrètement la tension des membranes même pendant l’exécution musicale. Il est d’ailleurs un net contributeur à cette impression d’énergie sans lourdeur.

Philippe Jordan avait commencé avec « Mer calme et heureux voyage » joyeux et léger, alors qu’il embrasse La Mer de Debussy avec une ampleur plus contenue.

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Publié le 14 Mars 2010

Der Ring des Nibelungen - Das Rheingold (Wagner)

Représentation du 13 mars 2010
Opéra Bastille

Wotan Falk Struckmann
Fricka Sopkie Koch
Loge Kim Begley
Alberich Peter Sidhom
Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Fasolt Iain Paterson
Fafner Günther Groissböck
Freia Ann Petersen
Erda Qiu Lin Zhang
Donner Samuel Youn
Froh Marcel Reijans
Woglinde Caroline Stein
Wellgunde Daniela Sindram
Flosshilde Nicole Piccolomini

Direction Musicale Philippe Jordan
Mise en scène Günter Krämer

 

Synopsis

Le pacte des géants
Wotan, souverain des dieux, règne sur les géants, les hommes et les nains Nibelungen. Gardien des pactes gravés sur la hampe de sa lance, il a violé un contrat : pour rétribuer les géants Fafner et Fasolt qui lui ont construit le Walhalla, résidence des dieux, il leur a promis la déesse Freia. Mais une fois le Walhalla bâti, désireux de garder Freia dispensatrice aux dieux des pommes de l’éternelle jeunesse, il revient sur sa parole et offre un autre paiement. Les géants acceptent de recevoir le trésor d’Alberich le Nibelung.

Le pouvoir de l’anneau
Alberich a volé l’or gardé par les trois ondines du Rhin ; il en a forgé un anneau qui donne à celui qui le porte, à condition de renoncer à l’amour, la maîtrise du monde. Wotan n’a nulle intention de renoncer à l’amour, mais il veut l’anneau (outre le trésor) et le prend de force à Alberich avec la complicité de Loge, le dieu du Feu.
Le nain lance sur l’anneau une malédiction redoutable.

La malédiction de l’anneau
Wotan remet le trésor aux géants, mais garderait l’anneau si la sage déesse Erda , mère des trois Nornes fileuses du destin, ne l’avertissait du danger que constitue l’anneau, ainsi que de la fin approchante des dieux. Il remet l’anneau aux géants, et la malédiction d’Alberich fait aussitôt son effet : pour avoir la plus grande partie du trésor, Fafner tue son frère Fasolt et s’approprie la totalité. Puis il va entasser le trésor dans une grotte des profondeurs de la forêt et pour le garder se transforme en un monstrueux dragon, grâce au heaume magique forgé par Mime, le frère d’Alberich.
Alors que les dieux entrent dans leur nouvelle demeure, Wotan  songe à la race de demi-dieux qu’il prépare pour vaincre le Nibelung.

L’Or du Rhin (Philippe Jordan-Günter Krämer) à Bastille

Le premier volet du Ring, dans la vision de Günter Krämer, se regarde comme une bande dessinée au gros trait, dont les ambiances lumineuses constituent l’élément le plus impressionnant.

Le metteur en scène ne cherche pas à révolutionner la lecture philosophique du livret, mais à en proposer une vision très claire, exempte de symboles mythologiques et magiques, et décomplexée dans la représentation factice des dieux (on finit par s’habituer à leurs bustes fabriqués).

La première scène d’Alberich et les filles du Rhin, dont les robes évoquent autant le corps écaillé des sirènes que l’éclat des prostituées de luxe, semble comme un prolongement de celle des filles fleurs telles que Warlikowski les avait représentées dans Parsifal en 2008.

Ce premier tableau, avec ces bras rouges et ondoyants, est une bonne illustration du travail de Krämer pour restituer le désir sexuel en jeu, tout en s’appuyant sur la dynamique des éléments musicaux.

Sophie Koch (Fricka)

Sophie Koch (Fricka)

Tout au long de l’ouvrage, l’on est assez admiratif devant son pragmatisme dans la gestion des enchaînements visuels (les cordes qui retiennent Alberich sont également celles qui retiennent plus loin en otage Freia, la Terre fertile dont l‘avenir est en jeu, et celles qui tirent l’arc-en-ciel du Walhalla), l’utilisation des éléments fantastiques pour appuyer sa vision (la transformation d’Alberich, en serpent et en crapaud, souligne le niveau d’aliénation du peuple Nibelung), quitte à assumer les lourdeurs de la représentation des luttes de classes (les géants devenant des travailleurs en guérilla contre leur patron).

Avec ce même sens de la continuité, l’arrivée d’Erda est pressentie dès la transition vers la quatrième scène, mais son impact théâtral est moindre que l’arrivée des géants à la seconde scène, alors que son enjeu est plus fort.

Le thème de la malédiction d’Albérich est également moins marquant.

En revanche, la transformation finale du Walhalla en monumental escalier, d’où surgit la jeune hitlérienne que Wotan prépare à lancer contre le Nibelung, se réalise dans une illusion visuelle inoubliable.

Enfin, le travail théâtral, dont bénéficient le plus Alberich et Loge, cherche à rendre visible les forces qui animent les protagonistes (la haine de Mime qui le pousse à révéler à Loge où se cache Albérich transformé en crapaud).
Certains auront même remarqué comment Krämer résout une faiblesse du livret de Wagner, en laissant Wotan s’emparer d’une dernière pomme avant de suivre Loge.
Comment expliquer sinon qu’il ne soit pas plus affaibli lorsque qu‘il entame sa descente dans les mines?

Kim Begley (Loge)

Kim Begley (Loge)

Sous la direction de Philippe Jordan, l’orchestre de l’Opéra National de Paris porte une merveilleuse vision musicale fine et agile (il faut entendre la grâce du motif de l‘amour lorsque Fasolt rêve de la beauté de la femme), plus évocatrice des nébulosités célestes que des remous pervers et agressifs du Nibelung. Cette atténuation dramatique est relative, surtout que la théâtralité est visuelle.

Sur scène, l’implication de l’ensemble des chanteurs est captivante, clownesque et manipulateur Loge de Kim Begley, acéré Alberich de Peter Sidhom sans état d’âme quand il s’agit de se plier à la vulgarité de son personnage, et émouvante noirceur de Qiu Lin Zhang à l'apparition d'Erda.

A l’autorité un peu brute de Falk Struckmann répond la voix la plus noble du plateau en Sophie Koch, et les deux géants, Iain Paterson et Günther Groissböck, se distinguent plus visuellement que vocalement.

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke laisse présager, dans Siegfried, un Mime très revanchard.

Rien de vocalement monstrueux dans ces personnages, tous très humains.

Reste à savoir, après le plaisir quasi enfantin que suscite ce prologue, dans quel univers va nous entraîner la Walkyrie, et quelle suite Günter Krämer va t-il donner à ses idées (Erda, avec qui Wotan eut les Walkyries, apparait en voiles noirs, alors que Freia, en voiles blancs, suit de force Wotan sur les marches du Walhalla)?

L'entrée au Walhalla

L'entrée au Walhalla

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Publié le 8 Mars 2010

Emilie (Kaija Saariaho)
Représentation du 07 mars 2010
Opéra National de Lyon

Création Mondiale
Reprise en juillet 2012 à l’Opéra Comique

Emilie du Châtelet Karita Mattila

Livret Amin Maalouf

Direction Musicale Kazushi Ono

Mise en scène François Girard

 

Dix ans après la création de L’amour de loin au festival de Salzbourg, sous la direction de Gerard Mortier, et après celle d’ Adriana Mater à l’Opéra Bastille en 2006, toujours sous la direction de Gerard Mortier, Kaija Saariaho crée à Lyon son nouvel opéra pour la soprano finlandaise Karita Mattila.

Emilie du Châtelet (1706-1749) permet d’approcher la psychologie de celle qui est reconnue comme la première femme scientifique européenne, mais aussi pour sa nature amoureuse qui rappelle celle d’Edit Piaf.

Il est fascinant de voir dans une même âme la rigueur scientifique, le sens du raisonnement sur lequel se construit la structure de l’esprit, et un bouillonnement de sentiments qui risque de la consumer.

Karita Mattila (Emilie)

Karita Mattila (Emilie)

Kazushi Ono semble parfaitement maître de l’ensemble orchestral, les nappes sonores évoquent le mystère, des pulsations répétitives, les réminiscences du clavecin de l’époque, il émerge même des cordes des couleurs glacées et intemporelles.

Ce discours musical n’est pas théâtral, et prédispose l’auditeur à une atmosphère de détente et de concentration.

Karita Mattila (Emilie)

Karita Mattila (Emilie)

Il y a adéquation avec l’aspect visuel de la mise en scène, architecturée autour d’une armature reconstituant la mécanique céleste des sept premières planètes du système solaire, en révolution autour du soleil figuré par le bureau sur lequel étudie Emilie.

Uranus n’ayant été découverte qu’en 1781, par William Herschel, un brillant spectateur a vu dans cet anachronisme une nécessité dramaturgique, lorsque ces sept planètes s’alignent pour illustrer les sept couleurs de l’arc en ciel, tel que Newton l’avait envisagé.

Chacun de ces globes porte le nom d’un personnage important de la vie d’Emilie, Saint Lambert (son dernier amour), Newton, le Baron de Breteuil, le Marquis du Châtelet, et Voltaire.

Si elle a pu trouver son indépendance dans son goût pour la science, elle s’est tout autant complu dans ses passions amoureuses, notamment pour Voltaire, avec un intense attachement.

Karita Mattila (Emilie)

Karita Mattila (Emilie)

Cette force ne se trouve pas dans la musique, mais dans le chant.
Karita Mattila interprète Emilie, enceinte de Saint Lambert à la fin de sa vie, avec une conviction et un relief vocal dramatiques, mordante dans les monologues parlés et violente dans ses supplications.

L’extrême aigu se détimbre parfois, sans que cela ne trouble les couleurs très contrastées de ses expressions.

On peut critiquer l’absence de légèreté dans ce portrait testamentaire, mais il s’agit d’un thème fort sur la dualité entre liberté et recherche du bonheur, avec les souffrances qu’elle engendre dans le rapport à l‘autre.

Emilie ne voulait pas qu’on se souvienne d’elle pour sa liaison avec Voltaire, alors c’est ce dernier qui publia en 1759 sa traduction de Principia mathematica de Newton, en profitant de l’engouement que suscita le passage de la comète de Halley.

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Publié le 22 Février 2010

Don Carlo (Verdi)
Représentation du 20 février 2010
Opéra Bastille

Don Carlo Stefano Secco
Elisabeth de Valois Sondra Radvanovsky
Rodrigo Ludovic Tézier
Philippe II Giacomo Prestia
L’inquisiteur Victor Von Halem
La princesse Eboli Luciana d’Intino

Direction musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Graham Vick

                         
                                    Luciana d'Intino (La princesse Eboli)

 

Après l’excitante direction de Teodor Currentzis en 2008, la reprise de la production de Graham Vick, sous la sage exécution de Carlo Rizzi, paraissait bien partie pour virer à un spectacle de routine.

Mais visiblement, les solistes sont venus pour en démontrer autrement. Car ils ont les voix pour accrocher et faire ressortir chez chacun de nous les émotions sous-jacentes.

Il en va ainsi de Luciana d’Intino, qui est une mezzo-soprano spectaculaire par l’ampleur et la masculinité de ses expressions, et qui très facilement reprend des couleurs sauvagement féminines quand s’élèvent ses aigus violents et si richement entretenus.
Elle met ainsi un tel engagement dans sa scène de regrets auprès d’Elisabeth, que l‘air « O Don fatale » prend une profondeur douloureuse rarement ressentie.

Sondra Radvanovsky (Elisabeth de Valois)

Sondra Radvanovsky (Elisabeth de Valois)

Sondra Radvanovsky n’était plus venue à l’Opéra National de Paris depuis l’automne 2003, à l’occasion de la nouvelle production du Trouvère. Cette américaine, formée à l’école du Metropolitan Opera, est une des plus belles interprètes verdiennes de notre époque.

Ses étranges enchevêtrements de vibrations, enveloppés par l’ampleur d’une voix aux éclats métalliques, lui donnent une dimension mélancolique à la mesure de la musique du maître italien.

Stefano Secco, dans le prolongement de son interprétation de 2008, poursuit son approfondissement du rôle, plus sombre et désespéré, mais aussi plus nuancé, quand il s’agit de chuchoter son étonnement lors de sa méprise avec Eboli.

Il se dégage chez ce chanteur une vie intérieure réellement touchante.

Ludovic Tézier (Rodrigo)

Ludovic Tézier (Rodrigo)

l y a quelques temps, il était assez fréquent de remarquer une certaine paresse scénique chez Ludovic Tézier. Aujourd’hui l’artiste atteint une plénitude vocale, « A me il ferro! » pourrait paralyser l’entier parvis de la basilique Notre-Dame d’Atocha , mais aussi une densité humaine pleine de noblesse. Très attentif à ses partenaires, il ne semble jamais vouloir céder à l’affectation prononcée.

Sans doute mieux tenu musicalement que Ferruccio Furlanetto, sans atteindre le même charisme scénique, Giacomo Prestia réussit le mieux à rendre la faiblesse de l’Empereur, et dans un moment de grâce orchestrale, nous offre une des interprétations les plus sensibles d’ « Ella giammai m’amo ». S’en suit une confrontation pleine d’aplomb face à l’inquisiteur, mais un peu trop déséquilibrée par le souffle court de Victor von Halem.

Il y a un certain sentiment de nostalgie, mais aussi une joie émouvante à sentir à quel point l’un des ouvrages que tenait le plus à cœur Verdi, soi même y tient autant.

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Publié le 16 Février 2010

« Un Tramway » nommé désir (mise en scène Krzysztof Warlikowski)
Représentation du 13 février 2010
Théâtre de l’Odéon

Texte français : Wajdi Mouawad
Adaptation : Krzysztof Warlikowski

Blanche Isabelle Huppert   Stanley Andrzej Chyra    Stella Florence Thomassin
Mitch Yann Collette            Eunice Renate Jett         Un jeune homme Cristián Soto

 

Entrer dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski, c’est reconnaître d’avance que dans la tête de chacun peut régner un bordel inextricable. En tout cas, il s’agit d’aimer cette approche confuse et intuitive de la vie, qui est comme un grand bol d’air afin d’échapper à la bien-pensance et au conformisme sociaux avec lesquels il faut pourtant vivre, et pire, parfois participer.

En partant de la pièce de Tennessee Williams, et tel un explorateur de l’âme en souffrance, le réalisateur polonais aborde le thème de l’attirance vers ce qui peut nous être néfaste.

De l’univers mental de Blanche Du Bois, devenue folle, Krzysztof Warlikowski en dissèque les plaintes, les violences subies, les réactions d’orgueil, et mélange, sans respecter une chronologie linéaire, tous les évènements et les personnages de sa vie, le choc du suicide de son mari homosexuel, l’attachement à Stanley Kowalski, malgré le viol.

Sur la forme, l'utilisation de la vidéo est à nouveau forte pour magnifier l'humanité des personnages (Blanche Du Bois et Stella principalement), les poses peuvent être très expressives (voir d'entrée Isabelle Huppert, assise jambes écartées, réduite à la prostitution et à un corps sensuel en attente), et l'on retrouve le fond musical feutré qui met le spectateur en état de réceptivité et de détente, avant le passage au grill.

Warlikowski n'évite pas certaines lourdeurs, l'étudiant avec lequel Blanche eut une liaison se transforme en boxeur, et le texte d'Oscar Wilde, Salomé désirant baiser la bouche de Jochanaan, souligne de manière appuyée et étrangement douce la perversité de Blanche.

Si les choix musicaux interprétés par Renate Jett paraissent trop tape-à-l'œil (le très populaire « All by myself! »  par exemple), le défilement du texte du Combat de Tancrède et Clorinde, sur un fond noir musicalement violent en lieu et place de la musique délicate de Monteverdi, prend une puissance décapante, surtout lorsque la traduction de "darsi volse vita con l'acqua" devient "il se leva pour donner la vie avec son onde".

Blanche est une idéaliste, par conséquent le metteur en scène en profite pour laisser transparaître ses propres idéaux. D'où des réflexions sur le couple, "what is compromising?", qui montrent bien son attachement à la relation humaine du moment qu'elle n'induit pas de marchandage avec l'autre.
Reste à savoir dans quelle mesure cet idéalisme n’est pas à l’origine de tant de souffrance…

Dans "Un Tramway", la langue française ne remplace pas le charme de la langue polonaise, et si Isabelle Huppert joue avec une aisance passionnante, le plaisir démonstratif qu'elle prend crée parfois un détachement émotionnel, ce qui ne permet plus de retrouver la profondeur d'âme des acteurs si poignante dans les précédentes pièces de Krzysztof Warlikowski.

Andrzej Chyra, Isabelle Huppert et Krzysztof Warlikowski lors d'une rencontre avec le public.

Andrzej Chyra, Isabelle Huppert et Krzysztof Warlikowski lors d'une rencontre avec le public.

Avec cinquante et une représentations en deux mois, et cela se perçoit dans la salle, le public parisien vient en grande majorité pour voir Isabelle Huppert.
C'est une bonne chose pour la notoriété de l'élève du nouveau théâtre polonais, pourvu que cela ne se fasse pas au détriment de l'authenticité.

Mais pour l‘instant, Krzysztof Warlikowski est un artiste indispensable dont il est hors de question de passer à côté.
Prochain arrêt : Macbeth de Verdi au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles.

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