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Publié le 13 Février 2010

Simon Keenlyside
Récital du 12 février 2010 au Palais Garnier
Piano Malcolm Martineau

Faure
Mandoline op 58/1 (Verlaine) En sourdine op 58/2 (Verlaine) Green op 58/3 (Verlaine) Notre amour op 23/2 (Silvestre) Fleur jetée op 39/2 (Silvestre) Spleen op 51/3 (Verlaine)
Madrigal de Shylock op 57/2 (Haraucourt) Aubade op 6/1 (Pomey) Le papillon et la fleur op1/1 (Hugo)

Ravel                                    Schumann
Histoires naturelles                          Dichterliebe

Bis : Schubert : der Einsame, die Sterne D.939, Nachtviolen, Wanderer an den  Mond, Brahms : Wir wandelten

Touchant, avec une unité d’âme qui nous ramène à notre propre intériorité, et une humilité qui balaye si facilement le souvenir des vaines vanités de la vie, Simon Keenlyside offre un chant aussi marqué de gravité, qu’il peut s’éclaircir pour susurrer le charme subtil de la nature.

Le visage s’exprime, et retrouver ainsi une si pure vérité renvoie à chacun, je le crois, l’idée que la sincérité est une affaire de courage.   

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Publié le 7 Février 2010

La Somnambule (Bellini)
Répétition générale du 03 février et représentation du 06 février 2010
Opéra Bastille

Amina Natalie Dessay
Teresa Cornelia Oncioiu
Il Conte Rodolfo Michele Pertusi
Lisa Marie-Adeline Henry
Elvino Javier Camarena

Direction musicale Evelino Pidò
Mise en scène Marco Arturo Marelli


                                     Cornelia Oncioiu (Teresa)

Fidèle à sa politique d’achat, Nicolas Joel continue à importer des productions européennes de répertoire, souvent sans réelle exigence de direction scénique apte à insuffler vie et crédibilité théâtrales.

Dans son spectacle conçu pour Vienne en 2001, Marco Arturo Marelli se contente de faire une mise en espace peu habitée, plantée au centre d’un hôtel qui pourrait évoquer, par sa situation élevée, La Montagne Magique de Thomas Mann. Cette association d’idée vient naturellement, mais reste gratuite.

Javier Camarena (Elvino) et Natalie Dessay (Amina) - répétition

Javier Camarena (Elvino) et Natalie Dessay (Amina) - répétition

Dans ces circonstances, l’intérêt se fixe sur Evelino Pidò. Car il nous est permis de voir un chef d’orchestre qui se comporte comme un grand architecte, maître d’une structure globale qui inclut les musiciens, les solistes et les chœurs.

Tout en assurant le maintien d’un son luisant, il contrôle précisément les jeux de contrastes entre les piani d’Elvino et les envolées d’Amina, se révèle très attentif à chaque choriste, afin d’obtenir des couleurs encore différentes, et manifeste bien évidemment la même attention à chaque instrumentiste.

Natalie Dessay (Amina) - répétition

Natalie Dessay (Amina) - répétition

On voit donc ici ce qu’est un chef, pas simplement directeur, mais également soutien de chaque artiste, surtout dans la difficulté. Et Natalie Dessay est la première à en bénéficier, car elle a besoin de puiser dans son moral et sa technique les moyens de surmonter le mal de gorge qui la limite depuis la fin des répétitions.

Ah, non credea mirarti s’avère ainsi plus émouvant que l’on ne pourrait s’y attendre, d’autant que les sonorités de la cantatrice restent très françaises, et elle trouve les ressources en une jolie palette de nuances, sans verser toutefois dans le pathétique.

Evelino Pidò

Evelino Pidò

Le duo Son geloso del zefiro errante se situe dans la même veine, bel alliage avec le  timbre doux et sensible de Javier Camarena, ténor pouvant être percutant, et d’une présence plus modeste.

Michele Pertusi a paru terne ce soir, mais touchant lorsqu’il résiste à la tentation, alors que Marie-Adeline Henry étale des moyens vaillants et assurés à la hauteur de son rôle de jalouse, mais qui perdent en force lorsque sa nature malheureuse s’exprime.

Enfin, pleine de vérité, et d’une grande tendresse, la petite Teresa de Cornelia Oncioiu brille d’authenticité.

Natalie Dessay (Amina)

Natalie Dessay (Amina)

L’idée de la cabalette finale chantée sous le rideau de l’Opéra Garnier, à rapprocher de l’aria aérien composé par Philippe Boesmans pour la Reine dans Yvonne princesse de Bourgogne, est un petit clin d’œil humoristique au désir de rêve que représentent les velours rouges de la grande scène lyrique parisienne, et qu’avait su si bien railler un certain Gerard Mortier

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Publié le 24 Janvier 2010

Werther (Massenet)
Représentation du  23 janvier 2010
Opéra Bastille

Werther Jonas Kaufmann
Albert Ludovic Tézier
Charlotte Sophie Koch
Sophie Anne-Catherine Gillet
Le Bailli Alain Vernhes
Schmidt Andreas Jäggi

Direction musicale Michel Plasson
Décors et lumières Charles Edwards
Mise en scène Benoît Jacquot

 

Sophie Koch (Charlotte) et Anne-Catherine Gillet (Sophie)

La saison précédente, la mise en scène de Jürgen Rose faisait de l’univers mental de Werther, obsessionnel et torturé, le centre de l’ouvrage. Le poète était présent en permanence.

Ne pouvant reprendre ce spectacle reparti pour Munich, Nicolas Joël a choisi de monter la production de Benoît Jacquot, créée à Londres en 2004.

Werther ne nous apparaît plus vu de l’intérieur, mais tel que le perçoit Charlotte, une incarnation du poète sensible et intériorisé.

Jonas Kaufmann (Werther)

Jonas Kaufmann (Werther)

Les émois de la jeune fille, dont la force croissante ne lui permet pas de les maîtriser dans le temps, sont subtilement exprimés par des regards détournés, des gestes de repli trahissant la sensibilité au contact physique, et Benoît Jacquot semble très attentif à l’imaginaire féminin.

Cela est d’autant plus facile que Jonas Kaufmann projette une vision parfaite du sombre amoureux, triste mais sans violence apparente. A chacun de considérer à quel point cette image reflète sa propre perception du personnage…

On peut trouver les deux premiers actes ennuyeux, il y a une convergence de retenue entre le style de la direction d’orchestre et le poids des convenances sociales qui se ressent sur le jeu d’acteurs, mais les deux suivants, par leur nature plus dramatique, rappellent l’atmosphère tchékhovienne d’Eugène Onéguine dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov.

Jonas Kaufmann (Werther)

Jonas Kaufmann (Werther)

Théâtralement, le geste reste convenu, les poses sont prises avec un calcul trop apparent, cependant la profondeur humaine que fait vivre la voix de Sophie Koch suffit à nous laisser impressionné.

Anne-Catherine Gillet assume simplement la naïveté de Sophie, et Ludovic Tézier est ici glacial.

Avec un goût pour l'illustration contemplative, les décors en perspective de Charles Edwards couvrent les saisons du printemps à l’hiver.

Jonas Kaufmann (Werther) et Sophie Koch (Charlotte)

Jonas Kaufmann (Werther) et Sophie Koch (Charlotte)

Lente, claire, ne laissant aucun détail s‘échapper trop loin de la masse homogène, la direction de Michel Plasson vire à une noirceur plaintive et discrète à la fois.

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Publié le 17 Janvier 2010

Rosmersholm / Une maison de poupée (Henrik Ibsen)
Représentations du 16 janvier 2010 au Théâtre National de la Colline

Rosmersholm                                             Une maison de poupée

Rosmer Claude Duparfait                          Nora Chloé Réjon
Rebekka West Maud Le Grevellec           Helmer Eric Caruso
Kroll Christophe Brault                             Madame Linde Bénédicte Cerutti
Madame Helseth Annie Mercier                  Krogstad Thierry Paret
Brendel Jean-Marie Winling                     Docteur Rank Philippe Girard
Mortensgard Marc Susini                          Anne-Marie Annie Mercier

Mises en scène Stéphane Braunschweig

Pour son arrivée à la direction du Théâtre de la Colline début janvier 2010, Stéphane Braunschweig met en scène deux pièces d’Henrik Ibsen, jouées dans la même journée.

Rosmersholm (1886) est une véritable réflexion sur l’impossibilité, pour l’individu, d'échapper au poids de son histoire familiale, et aux valeurs transmises.
Pourtant, la manière dont Rosmer et Rebekka tentent de vivre librement, après le décès de la femme de l’ancien pasteur, rappelle ce que fût la vie de Verdi et de la Strepponi devant affronter les ragots, accusations, médisances et leçons de morales de leur entourage à Busseto. Au point qu’ils durent déménager à quelques kilomètres du village.
La comparaison s’arrête là, car l’intrigue révèle que la défunte s’est suicidée en connaissance des sentiments amoureux de Rebekka pour son mari.

Un univers de culpabilité s’ouvre devant nous, puisque l’on prend conscience que chaque protagoniste s’est retrouvé à devoir concilier ses valeurs propres avec la réalité de ses émotions. La vie peut entraîner inconsciemment la perte de l’autre, lorsque l’esprit de ce dernier n’est pas suffisamment fort.
Et c’est ce qu’a fait Rebekka avec sa rivale.

On peut ainsi faire le rapprochement avec le très beau film de Michael Haneke, le Ruban blanc, où un pasteur protestant, croyant à la justesse de ses valeurs, et les reportant sur ses enfants, va faire d'eux des monstres, de la même manière que le poids de la tradition a une responsabilité dans la déshumanisation progressive de Rebekka et Rosmer.

Ainsi, la culpabilité persiste et se renforce même. Le mécanisme de construction mentale poursuit ses ravages, et l’on voit comment Rebekka se persuade que la manière avec laquelle elle s'est débarrassée de ses désirs est une victoire de son idéal d’amour.
Cette paix, c’est en fait la mort. Elle n’a réussi qu’à éteindre toute vie en elle.
Point d’amour ici, et chez Rosmer également, qui ne lui propose pas moins de mettre fin à ses jours, pour qu'elle prouve son amour…

Ce dernier acte, qui ne mérite qu’un climat d’attention totale, est assez étrangement traité par Stéphane Braunschweig. Le ton solennel, employé tout au long de la pièce, est encore plus appuyé, et les exclamations pressantes de Claude Parfait (Rosmer) tournent en ridicule ce passage qui finit sur le suicide du couple. Pourquoi ne pas avoir plutôt figuré les deux amants comme fous, ou hallucinés, et tourné les déclamations de Rosmer vers le public, sans urgence, ce qui aurait rendu un effet d’extinction vitale plus adéquat avec la situation?

Au lieu de cela, le dernier acte devient risible (à moins que cela ne soit l'intention), mais l’utilisation des tableaux de famille montre comment suggérer avec beaucoup de clarté la chape qui écrase le deux personnages.

Cette simplicité efficace du dispositif scénique se retrouve dans la seconde pièce, La Maison de poupée (1879).
Stéphane Braunschweig n’est pas du genre à encombrer inutilement le plateau, et il peut passer du banal quotidien aux atmosphères surréalistes, lorsque l’âme des personnages sort du confort de ses illusions.

Si le sujet de cette œuvre, étonnamment féministe pour son époque, n’a pas la même profondeur humaine que Rosmersholm, il touche un public plus large, car il met en scène un univers petit-bourgeois, attaché à ses valeurs de promotion et d’apparence sociales.

C’est la prise de conscience d’une femme, Nora, de sa propre superficialité, de l’incompréhension et de l’hypocrisie mutuelle au sein de son couple, qui finit par plaquer mari et enfants pour s’éduquer, et devenir une femme qui pourra s’engager plus tard en toute lucidité.

Très spontanée, Chloé Réjon est parfaite en femme-enfant, et il est difficile de dire si le stratagème qui a poussé Nora à falsifier une lettre au nom de son père était motivé par l’amour sincère pour son mari, ou bien par la peur de perdre sa situation sociale, ce qui ne donne pas la même portée à son geste.

L’autre personnage très touchant est le docteur incarné par Philippe Girard, avec beaucoup de naturel et d’humanité. Il est proche de la vie, mais aussi de la mort, ce qui lui permet d’exprimer très simplement ses sentiments à Nora, sans aucune honte ou bien culpabilité parce que c’est ainsi.
Nous avons là un homme totalement présent dans le vrai et la clarté d’esprit.

Finalement plus aboutie que Rosmersholm, Une maison de poupée prend avec Stéphane Braunschweig un visage moderne, qui ne laisse nullement transparaître son âge.

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Publié le 12 Janvier 2010

Blanche Neige (Ballet Preljocaj)
Représentation du 05 janvier 2010
Théâtre National de Chaillot

Blanche Neige Nagisa Shirai
Le Prince Segio Diaz
La Reine Céline Galli
Le Roi Sébastien Durand
La Mère Gaëlle Chappaz
Les chats gargouilles Emilie Lalande, Yurie Tsugawa

Chorégraphie Angelin Preljocaj
Musique Gustav Mahler
Costumes Jean Paul Gaultier
Décors Thierry Leproust
Lumières Patrick Riou                                                 
Nagisa Shirai (Blanche Neige)

La très forte impression que la chorégraphie de Blanche-Neige par Angelin Preljocaj a laissé lors de sa création en 2008 se diffuse encore plus largement via les tournées en France, mais aussi par sa programmation bienvenue sur la chaîne de télévision ARTE.

Son succès repose un premier lieu sur une convergence d’éléments instaurant un climat tragique, mélancolique mais aussi enchanteur, les lumières trompe-l’œil de Patrick Riou créant une forêt imaginaire, plus loin un miroir sans glace, les costumes de Jean Paul Gaultier décuplant la supériorité sexuelle de la Reine, le décor de roches de Thierry Leproust prétexte aux voltiges des nains, et bien sûr les motifs autant spectaculaires que romantiques, ou bien mystérieux, de la musique de Gustav Mahler n’évitant pas un subtil sentiment de compromission.

Angelin Preljocaj se passionne pour le corps et ses possibilités expressives. Ce travail peut aussi bien aboutir sur une danse abstraite mais peu évocatrice comme dans la scène de bal, que sur des glissements de corps très sensuels, ce qui fait la force du moment crucial où le Prince ramène Blanche-Neige à la vie, en choisissant l‘adagio de la 5ième symphonie qu‘il est difficile de détacher du film Mort à Venise de Visconti.

Cet érotisme « sage » passe également par la taille des costumes, de façon à découvrir les hanches de la jeune princesse, ou la musculature et la robustesse du torse et des cuisses des courtisans de la cour du Roi.

Le Prince, le plus élancé pourtant, n’est pas particulièrement mis en valeur.

 

Céline Galli (la Reine vue de dos) face à son double.

En revanche, le traitement chorégraphique de la Reine est le cœur du ballet.

L’entrée en furie, telle Maléfique dans la Belle au Bois Dormant, a quelque chose de très hollywoodien dans la forme, et ce n’est pas le seul passage suggérant comment des compositeurs de musique de film ont du venir puiser dans les œuvres de Mahler.

Nagisa Shirai (Blanche Neige) et Segio Diaz (le Prince)

Nagisa Shirai (Blanche Neige) et Segio Diaz (le Prince)

La réussite de la scène très narcissique du miroir se mesure à la difficulté à discerner s’il s’agit d’un simple reflet, ou bien d’une autre femme qui imite la Reine.

Car les mouvements sont extrêmement fugaces, et pourtant les décalages sont à peine perceptibles.

Mais la violence avec laquelle la souveraine contraint Blanche Neige à croquer la pomme qu’elle lui tend, est d‘un réalisme poignant.
Cette volonté de briser le corps de l’autre, de le vider de toute sa force sous un regard exalté, de le voir ainsi manipulé par la plus jalouse des belles-mères, comme s’il n’avait plus de masse, témoigne du potentiel théâtral de la chorégraphie de Preljocaj, assez inhabituel dans un ballet.

Les qualités de Nagisa Shirai et Céline Galli offrent en plus deux visages de la féminité assez troubles, l'une queue de cheval au vent et à la musculature solide, l'autre fine, fulgurante et au regard diabolique.

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Publié le 21 Décembre 2009

Les Nouvelles du Jour (Paul Hindemith)
Opéra amusant (lustige Oper) créé au Kroll Oper de Berlin en 1929
Version originale en langue allemande
Représentation du 20 décembre 2009 au Grand Théâtre de Dijon.

 

Laura Tatjana Gazlik
Eduard Josef Wagner
Der schöne Herr Hermann Mark Milhofer
Frau M. Theresa Kronthaler
Herr M. Matthias Aeberhard

Mise en scène Olivier Desbordes

Direction Thomas Rösner

Choeur de l'Opéra de Dijon
Orchestre Dijon Bourgogne

 

                                   Tatjana Gazlik (Laura)

 

Glaciaire et fraîchement enneigée, la ville natale de Jean-Philippe Rameau offre, pour ce premier week-end d'hiver, un opéra de Paul Hindemith jamais joué en France, Les Nouvelles du Jour.

Il y a quatre ans, Gerard Mortier avait créé Cardillac à Bastille dans la luxueuse mise en scène de André Engel, et Nicolas Joel devrait monter dans un an Mathis der Maler (Matthias Le Peintre) à l'Opéra de Paris.

Le compositeur allemand de l'entre deux guerres est donc à l'honneur dans l'hexagone, et c'est d'ailleurs à Dijon qu'il vint pour un court séjour, quelques mois avant sa mort.

Neues vom Tage est une satire sociale qui prend le prétexte d'un couple souhaitant divorcer, afin de railler les travers d'une société qui ne veut laisser chacun libre de sa vie, et qui reste attachée aux étiquettes qu'elle a besoin de fixer à l'autre.

Nous pouvons y voir une irrésistible parodie du duo amoureux entre Laura et son amant Hermann, allusion au duo de La Bohème par exemple, genre de comédie qui se joue tous les jours.

Olivier Desbordes choisit des coloris gris dans toute la première partie, ce qui fait briller d'éclat l'épisode du cabaret dans lequel le couple met en scène son propre divorce meurtrier, pour s'enrichir du voyeurisme des autres.

                                              La statue de Jean Philippe Rameau, place du Grand Théâtre.

Les lumières écarlates et les reflets du public dans les glaces, hypnotisants, se retirent à la toute fin sur le théâtre encombré d’ accessoires, ce qui rappellera pour certains le final de Capriccio à Garnier (dirigé par Robert Carsen).

Plus alerte que dans Cardillac, la musique de Neues vom Tage est un flux entraînant qui coule à la vitesse de l'intrigue. Flûtes et clarinettes se font courants d'air, et le banjo pure fantaisie. Elle porte quelque chose de vivifiant, et seuls quelques passages vocaux excessivement forte fatiguent inutilement.

Tatjana Gazlik (Laura) et Mark Milhofer (Der schöne Herr Hermann)

Tatjana Gazlik (Laura) et Mark Milhofer (Der schöne Herr Hermann)

Devant être de bons comédiens de boulevard, les chanteurs font briller l'ouvrage, Mark Milhofer en tête - ténor léger au timbre un peu durci - dans une interprétation débridée de l'amant Hermann. Tatjana Gazdik (Laura) et Josef Wagner (Eduard) sont des partenaires du même niveau, elle excellente actrice, lui vocalement très imposant à la façon d'un Ludovic Tézier.

Dans la fosse, la rigueur et l'enthousiasme règnent, difficile tâche qu'a Thomas Rösner pour maintenir le rythme entre l'orchestre et les chanteurs.

Malgré un livret un peu démodé, l'ouvrage se rapproche de l'esprit d' Yvonne Princesse de Bourgogne créée à Garnier en début d'année, où il s’agit également de se moquer d’un groupe social.

Il est donc un peu dommage que l'initiative d'Olivier Desbordes n'ait pas été plus soutenue, car le Théâtre Dijon n'était pas plein pour l'ultime représentation.
Le spectacle qui devait être repris à l’Opéra de Massy en avril 2010, en langue française cette fois, vient d'être malheureusement annulé.

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Publié le 5 Décembre 2009

Présentation du contexte de création d’Andrea Chénier par Nicolas Joel
Conférence du 01 décembre 2009.

L’article ci dessous reconstitue une partie de la conférence donnée par Nicolas Joel à l’amphithéâtre Bastille.

Nicolas Joel a par trois fois mis en scène Andrea Chénier, d'abord à l'Opéra National du Rhin, puis à Lyon aux arènes de Fourvière en 1989, et enfin au Metropolitan Opera de New York en 1996 pour les débuts de Luciano Pavarotti dans le rôle titre.

Il s'intéresse à Umberto Giordano, compositeur peu connu, pour le débat qu'il suscite : la vérité est-elle gênante à l'Opéra ?

Pour comprendre cette question, resituons Giordano dans son contexte historique.

L’Italie unifiée, devenu pays bourgeois et terre de finance et d’industrie oubliant les valeurs révolutionnaires de Garibaldi,  s’apprête à rentrer dans la modernité pour le meilleur et pour le pire.

Elle sera du côté des Alliés lors de la Première Guerre Mondiale, mais après un long débat.

Milan a ainsi atteint le statut de la capitale économique et culturelle de l’Italie, mais ce pays a surtout le projet de Cavour d’entrer dans l’Europe. Rome devient la capitale politique.

Le concept de "vérisme" naquit de la jeune école italienne qui cherchait à résoudre la question de la suite à donner à Verdi.
Il faut garder à l'esprit que le compositeur était encore vivant, puisqu'il disparut en 1901. Le poids était donc lourd.

Cette école réussit cependant à assurer la survie de l'opéra italien en Italie. Mais c'était un mouvement national qui intéressait peu l'étranger, et lorsque l‘on parlait d‘étranger, Paris en était le représentant.
Tous les compositeurs - Mascagni, Giordano, Cilea, Leoncavallo - étaient d'ailleurs d'origine méridionale et avaient fait leurs études au conservatoire de Naples San Pietro a Majella. Ils montèrent ensuite à Milan.

Leurs valeurs communes provenaient des dernières œuvres de Giuseppe Verdi, des traits de véhémences vocales d’Otello seront repris dans le vérisme, et d’un personnage clé qui va servir de trait d’union entre ce monde établi et celui de l’opéra.  Il s’agit d’Arrigo Boito, librettiste d’Otello et de Falstaff mais aussi de La Gioconda (sous un pseudonyme).
Il sera le professeur de Puccini et Mascagni.

Tous, Boito y compris,  fréquentent la Scapigliatura, mouvement littéraire et artistique anticonformiste nouveau né à Milan dans la seconde moitié du XIXième siècle, à l’image des surréalistes en France.

Ces artistes ne se coiffent pas, et vivent une sorte de bohème très allègre.
Ils sont en réaction contre l’establishment qui se crée, et vont irriguer le terreau culturel du Nord de l’Italie.
Les éditeurs, Ricordi et Sonzogno, jouent leur rôle en étant leurs promoteurs.
Avec Cavalleria Rusticana, Mascagni remporte d’ailleurs brillamment le premier concours de composition d’opéras en un acte.

De surcroit, deux librettistes viennent constituer le pilier littéraire de ces compositeurs : Illica et Giacosa. Illica dispose d' une culture historique considérable, alors que Giacosa est bien plus poète.

Présentation du contexte de création d'Andrea Chénier par Nicolas Joel

C’est pour Umberto Giordano, protégé par Sonzogno, que Illica va écrire le livret d’Andrea Chénier en 1896.

Alors comment décrire en quelques mots ce qui fait la forme du vérisme?
Il y a tout d’abord l’idée que des sentiments d’opéras existent même dans le milieu terrien. Cavalleria Rusticana, c’est à dire littéralement « Chevalerie Rustique » le signifie très symboliquement.

Ensuite, la véhémence en est un trait fondamental. Elle est une force qui pousse de l’intérieur et se rapproche du cri, ce qui va à l’encontre de la recherche d’académisme.

Enfin, il faut mesurer clairement l’importance de l’influence wagnérienne sur les compositeurs italiens. Avant Otello, l’orchestre sert d’accompagnement chez Verdi.
Avec les véristes, il parle et ne laisse plus toute la place au chant.

D’autres précisions sur cette période peuvent être obtenues dans L’Opéra en Italie de 1770 à 1990. 

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Publié le 3 Décembre 2009

Andrea Chénier (Umberto Giordano)
Répétition générale du  30 novembre 2009
Opéra Bastille

Andrea Chénier Marcelo Alvarez
Maddalena di Coigny Micaela Carosi
Carlo Gérard Sergei Murzaev
La Mulatta Bersi Varduhi Abrahamyan
La Contessa di Coigny Stefania Toczyska
Madelon Maria José Montiel
Roucher André Heyboer
Incredibile Carlo Bosi

Direction musicale Daniel Oren
Mise en scène Giancarlo Del Monaco

"André Chénier" est l'une des rares œuvres de l'art lyrique qui soit consacrée aux évènements de la révolution française, et à la période de la terreur en particulier.

La littérature offre plus précisément matière à réflexion avec "La Mort de Danton" de Georg Büchner (l'auteur de Woyzeck) et "La persécution et l'assassinat de Jean Paul Marat" de Peter Weiss.

Acte I : Château de la Comtesse de Coigny

Acte I : Château de la Comtesse de Coigny

L'idéal révolutionnaire cède le pas à la réalité d'une population affamée, se libérant dans une sorte d'orgie vitale et criminelle où l'âme humaine s'exalte hors de toute moralité.
La vie s'y montre dans son essence même, sans la couverture des oripeaux bourgeois.

Récemment, le théâtre de la Colline mettait en scène "Notre Terreur", création de Sylvain Creuzevault qui s'interrogeait sur Robespierre et la République des Décemvirs.
Qui étaient ces hommes qui choisirent la Terreur comme arme garante de la Vertu, afin de promouvoir un homme nouveau débarrassé de toute médiocrité? Que valaient-ils finalement ?

Marcelo Alvarez (Andrea Chénier)

Marcelo Alvarez (Andrea Chénier)

Une fois cette situation bien imaginée, l’approche de l’opéra de Giordano devient passionnante car Luigi Illica, le librettiste, utilise ses connaissances historiques pour reconstituer un climat révolutionnaire crédible, pas du tout avantageux pour la population française de l’époque. Le peuple se réjouit des décapitations, fornique, répand un désordre inouï parmi lequel les personnages principaux semblent surnager du mieux qu’ils peuvent.

Pour mettre en scène « André Chénier », Nicolas Joel a fait appel à Giancarlo Del Monaco, le fils d‘un des plus grands interprètes du rôle : Mario Del Monaco.

Le spectacle n’est pas une nouveauté, puisqu’il s’agit de la reprise d’un travail qui a parcouru l’Europe de Bologne jusqu’à Helsinki.

Micaela Carosi (Maddalena) et Sergei Murzaev (Gérard). 4 ans plus tard, en 1900, Puccini créera Tosca.

Micaela Carosi (Maddalena) et Sergei Murzaev (Gérard). 4 ans plus tard, en 1900, Puccini créera Tosca.

Les moyens dispendieux de l’Opéra Bastille sont utilisés pour reprendre et enrichir les décors, comme au premier tableau où l’aristocratie de Province est grimée en un monde de morts vivants, sorte de bal des vampires aux costumes outrés. Visuellement, cela sonne plus étrange qu’intéressant.

Changement d’atmosphère par la suite, quatre ans et des poussières plus tard, après l’assassinat de Marat. Les drapeaux français sont encore à bandes horizontales, avant qu’elles ne deviennent verticales selon le dessin de Jacques-Louis David depuis le 15 février 1794.
Chénier est un lecteur assidu de « L’Ami du peuple », journal créé par Jean-Lambert Tallien, défenseur de Marat puis opposant à Robespierre.

Tout le drame se déroule dans la pénombre, sans doute l’élément le plus saisissant que la musique souligne dans cet engrenage de complots.

Cependant, cette richesse de détails qui stimule notre intérêt pour une période clé de l’Histoire de France (un modèle romantique pour l’Italie de Giordano en recherche d’unité) ne masque pas le rendu théâtral peu travaillé par le metteur en scène.

Le malheureux Sergei Murzaev ne peut aucunement réussir son entrée menaçante, coincé dans un costume saugrenu, et cela malgré une présence vocale qui va se déployer avec force au fur et à mesure du déroulé du drame.

Micaela Carosi (Maddalena di Coigny)

Micaela Carosi (Maddalena di Coigny)

Mais quelque part, on sent immédiatement que son personnage va se situer dans un registre plutôt sensible et intériorisé, ce que « Nemico della patria » à l’acte III confirme, tant nous sommes loin de la caricature d’un Scarpia. C’est toujours le passage le plus fort du baryton.

C’est donc une première à l’Opéra de Paris pour Micaela Carosi, et l’interprétation qu’elle fait de Maddalena di Coigny devrait logiquement créer le désir de la réentendre à nouveau.

Voix large et dramatique, riche en couleurs sombres et en aigus amples, la soprano dépasse les instabilités initiales pour brosser un portrait sans doute très conventionnel de la jeune aristocrate, mais qu’elle a le bon goût de tirer de la légèreté vers la tragédie, et non pas vers le mélo larmoyant.
« La mamma morta » est ainsi une pure leçon de dignité finement assurée.

Surtout qu’elle est à la hauteur d’un Marcelo Alvarez vaillant et lumineux, extrêmement nerveux, et auquel ne manqueraient que quelques nuances noires, caractéristiques des personnages romantiques.

Maria José Montiel (Madelon)

Maria José Montiel (Madelon)

Sans trop de surprise, le chanteur est là avant tout pour se mettre en valeur, ses gestes - main sur le cœur, point menaçant, regard questionnant - restent très stéréotypés et ne le rendent pas attachant, ce qui donne une faible impression d' interaction avec les partenaires.

Parmi eux, André Heyboer et Carlo Bosi n’imposent pas véritablement une forte personnalité à Roucher et Incredibile, mais Maria José Montiel s’empare sans complexe de l’air de Madelon fait pour pleurer.

C’est un peu le problème avec l’œuvre de Giordano, l’auditeur est amené d’airs en duo magnifiques du début à la fin, en passant par des phases transitoires où l’action confuse le perd un peu.

 Acte III, tableau 3 : le tribunal révolutionnaire.

Acte III, tableau 3 : le tribunal révolutionnaire.

Ces artistes sont ainsi soutenus par un Daniel Oren très attentif à la finesse du tissu musical qu’il leur offre, quitte à retenir un peu trop prudemment les tensions dans l’acte I.
Soi-disant opéra vériste, « André Chénier » montre ici des facettes teintées de préciosité.

Aujourd'hui, en France, dans le climat douteux « d’identité nationale », la débauche de drapeaux français et de Marseillaise stylisée peut agacer, mais le portrait tyrannique de la Révolution qui sacrifie un poète vient en contrepoint noircir cet héritage.

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Publié le 24 Novembre 2009

Récital du 23 novembre 2009 (Salle Pleyel)

Piano Joseph Breinl

Franz Schubert
Wehmut - Die Forelle - Gretchen am Spinnrade
Nachtstück - Der Erlkönig

Richard Wagner Wesendonck Lieder
Der Engel - Stehe still! - Im Treibhaus
Schmerling - Träume

Richard Strauss
Wie sollten wir geheim sie halten
Morgen! - Die Nacht - Befreit

Vier Letzte Lieder
Frühling - September
Beim Schlefengehen - Im Abendrot

Bis : Richard Strauss  Cäcilie - Zueignung
       Hugo Wolf          Abschied (Mörike-Lieder)

 

                               Waltraud Meier

Au début de l'été dernier, Waltraud Meier interprétait un récital avec l’esprit qui laissait un chant s’échapper comme s’il s’agissait du dernier souffle. Elle était en noir.

Le rouge devient alors manière à concordance avec la passion qu’elle choisit de rayonner ce soir.

Les lieder de Franz Schubert ne sont pas ornés de couleurs azurées, ils sont au contraire incarnés par la force d’un élan vital, tant de présence que l'on contemple.

Isolde est si étroitement liée à la musicienne allemande, que les Wesendonck Lieder plus sombres et parsemés de plaintes effilées nous mènent là où son âme semble pleinement se fondre.

Les lumières et la poésie des Vier Letzte Lieder ne se diffusent cependant pas suffisamment, pour magnifier cette si belle façon d'exprimer par le corps et par l'articulation des mots, les sentiments intérieurs.

Waltraud Meier

Waltraud Meier

Cela n'ote rien à cette démonstration que la vérité est un élément fondamental de ce qui est beau dans la vie, et que c'est ainsi que les difficultés que nous rencontrons le jour, peuvent en une soirée y trouver l'oubli.

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Publié le 11 Novembre 2009

Apollonia au Théâtre National de Chaillot
Représentation du 08 novembre 2009
Durée 4h30 (avec un entracte)

Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Décor et costumes Malgorzata Szczesniak

Héraclès Andrzej Chyra
Alceste/Apolonia Magdalena Cielecka
Elisabeth Costello Maja Ostaszewska
Ryfka Goldfinger Ewa Dalkowska
Agamemmon/Oreste/Amal Maciej Stuhr
Clytemnestre/La tante Malgorzata Hajewska-Krzysztofik
Iphigénie Magdalena Poplawska
Apollon Adam Nawojczyk
Le petit fils Tomask Tyndyk
Musique et voix Renate Jett

 

Une mère, Apolonia Machczynska, cache vingt cinq enfants pour les épargner de la barbarie nazie. Dénoncée, puis réfugiée chez son père, elle est exécutée après avoir pu sauver une enfant juive.

                                                  

                                                                                         Magdalena Cielecka (Alceste)

A partir de ce drame là, Krzysztof Warlikowski explore une diversité de voies qui nous amène vers des réflexions dont on ne comprend pas toujours l’émergence.
L’analyse n’est pas immédiate, le temps fait son travail après le spectacle, surtout que le metteur en scène se passionne pour les motivations sexuelles, la force et la violence érigées comme part de l’identité masculine au delà de son imbécillité, le patriotisme, l’hérédité et la relation aux parents, le refus de conscience de chacun, pour confronter à la nouvelle d’Hanna Krall, le mythe du sacrifice.

Il aboutit ainsi à une scène profondément marquante, Alceste y apparaît comme une femme souffrant de n’avoir un homme intelligent capable de lui apporter la chaleur dont elle a besoin, et présente cela avec beaucoup d’ironie - l’histoire étrange et merveilleuse d’une relation amoureuse entre un dauphin et un homme - lors d’un repas en présence de convives insipides. A plusieurs reprises elle se lève, puis revient, entretenant ainsi de bien mystérieux moments de silence.

La situation dégénère en séance d’incisions du corps au milieu d’une cage de verre, cette belle femme se meurt en se tordant de douleur sur les paroles du Mépris de Godard Et mes pieds, tu les aimes, mes pieds ? Et mes jambes ? Et mes fesses ? Et mes seins ?.

Pourquoi se sacrifier pour un type pareil?

Il y a également ces magnifiques visages de femmes, très bien mis en valeur par la vidéo, sur lesquels se lisent des vies dures et la résistance au temps.

Renate Jett

A cette langue polonaise si directe, se mélangent la musique de Chopin, des balades et du rock, et ceux qui ont assisté à Iphigénie en Tauride et Parsifal à l’Opéra National de Paris découvrent que Renate Jett, interprète des Rôles muets d’Iphigénie et de Dave Bowman dans ces productions, est une chanteuse attachante.

Après le long discours d’Elisabeth Costello, assimilant extermination des juifs et abattage d’animaux, fort par son interprétation plus que par son analyse, les conséquences révèlent que Ryfka Goldfinger a pu être sauvée par Apolonia, mais que son petit fils est devenu un soldat de l’armée israélienne.

Ewa Dalkowska (Ryfka Goldfinger) et Krzysztof Warlikowski

Ewa Dalkowska (Ryfka Goldfinger) et Krzysztof Warlikowski

Krzysztof Warlikowski est dans une démarche qui paraît sans fin, et chacune de ses œuvres tisse des liens avec les précédentes, Agamemnon et le Parsifal guerrier, Iphigénie et Apolonia, Clytemnestre et la mère de Krum. Un théâtre désinhibé, douloureux, feutré et tendre mais aussi très agressif en réaction aux esprits consensuels et bornés.

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