Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Die Frau ohne Schatten (Richard Strauss) Représentation du 08 octobre 2006 (Capitole de Toulouse)
Der Kaiser Robert Dean Smith Die Kaiserin Ricarda Merbeth Die Amme Doris Soffel Barak Andrew Schroeder Sein Weib Janice Baird
Direction musicale Pinchas Steinberg Mise en scène Nicolas Joel
Avec un timbre presque surnaturel, comme si les transitions même les plus brutales étaient lissées par un effet de voile, Riccarda Merbeth dresse une impératrice majestueuse et désespérée. Sa seule excursion dans un registre très expressif au moment où elle réalise la pétrification de l’empereur bouleverse. Cette chanteuse m’a fasciné de bout en bout.
Janice Baird s’empare du rôle de la teinturière avec une théâtralité et une assurance comparable à ce que Waltraud Meier accomplie dans ces rôles de femmes enflammées. La puissance dans l’émission révèle une dureté un peu limite ? oui, mais quels graves !
On rêve à entendre Robert Dean Smith, tant les ténors cumulant clarté, solidité et aptitude à émouvoir ne courent pas les rues. Doris Soffel se démarque dans un rôle de nourrice protectrice et grande gueule.
Alors au milieu de ces monstres, Andrew Schroeder nous offre un Barak plus humain, à la fois dur et sensible.
Un tel plateau vocal paraît toutefois déséquilibré au regard des dimensions modestes du théâtre et de la lecture toujours aussi fine de Steinberg, orchestre et chanteurs semblant évoluer dans deux dimensions très distinctes. Le chœur des veilleurs à la fin du Ier acte est d’une grâce…………
Avec beaucoup d’ingéniosité, la mise en scène de Nicolas Joël alterne entre un monde glacé aux lumières bleutées et le taudis rougeoyant, fumant et sale de la teinturière avant de s’achever sur un décor dont les motifs fleuris, les couleurs et l’éclat des costumes évoquent une vision idéalisée de l’humanité proche de Klimt.
Idomeneo (Mozart) Répétition générale du lundi 27 novembre 2006 (Opéra Garnier)
Idomeneo Ramon Vargas Idamante Joyce DiDonato Ilia Camilla Tilling Elektra Mireille DeLunsch Arbace Thomas Moser
Direction Thomas Hengelbrock
Mise en scène Luc Bondy
Premières impressions après la dernière répétition.
Quelques réglages seront sans doute nécessaires mais le style de direction que propose Thomas Hengelbrock devrait ravir ceux qui ont été frustrés par la placidité de Gustav Kuhn dans Cosi fan tutte et La Clémence de Titus : attaques vives, sonorités brillantes, motifs qui fusent, aucune lourdeur n’exagère les passages les plus dramatiques.
Le plateau vocal s’annonce plutôt d’une bonne homogénéïté sans forcer sur le volume.
Joyce DiDonato et Camilla Tilling
Charmante, Camilla Tilling exprime beaucoup de fragilité avec son timbre délicat et une émission parfois fluette, amoureuse d’un Idamante dont la clarté vocale de Joyce DiDonato n’a aucun mal à traduire la juvénilité. Sans trop de surprise Ramon Vargas est un Idoménéo décidé et révolté et d’une musicalité remarquable par sa constance dans toute la tessiture. Par ailleurs Thomas Moser touche par la sensibilité de son Arbace.
En revanche Mireille Delunsch déçoit au départ - la première scène d’Elektra est dénuée de toute rage et n’exprime que lassitude – alors qu’au deuxième acte la tendresse de son personnage est convaincante. Les couleurs dans l’aigu restent discutables.
Beaucoup plus sombres que ne le laisse percevoir la retransmission télévisuelle l’année dernière, les couleurs de la scène balayent toutes les variantes du bleu turquoise au bleu Lapis- Lazuli. L’Ile de Crête est plaquée au sol en relief à côté d’une trappe rouge qui s’ouvre à l’apparition du monstre marin.
Enlèvement du décor
Les toiles en arrière-plan sont illuminées par des faisceaux rasants provenant uniquement du plateau, jamais de la salle. Elles évoquent les visages calmes ou agités de la mer d’où surgit même l’œil de Neptune. L’illusion de profondeur est parfois saisissante.
Le sentiment de désolation au troisième acte est poignant.
Cassandre/Didon Deborah Polaski Enée Jon Villars Chorèbe Frank Ferrari Le fantôme d’Hector Philippe Fourcade Anna Elena Zaremba Narbal Kwangchul Youn Hylas Bernard Richter
Direction Sylvain Cambreling
Mise en scène Herbert Wernicke
On pourra dire ce que l’on veut sur les aspérités vocales de Deborah Polaski, la charpente est solide, l’intensité dramatique telle que Cassandre inquiète et Didon émeut. Jon Villars, à stature égale, campe un Enée en rien héroïque mais pommé et tiraillé, ce que les modulations lyriques sans grandes élégances suggèrent plutôt bien. Mais lorsque la voix de trépassé de Philippe Fourcade se fait entendre, le fantôme d’Hector accapare l’espace sonore et l’emprise psychique rend difficile de ne pas laisser échapper quelques frissons. Les nappes orchestrales se mêlent à cette atmosphère absolument irréelle.
Si le Chorèbe de Frank Ferrari s’efface trop, Kwangchul Youn est toujours aussi classe sans oublier Bernard Richter pour la poésie de son Hylas.
La mise en scène de Herbert Wernicke est magnifique : grandes attitudes figées et nobles, effets sombres, une tristesse diffuse en permanence, et cette façon sobre d’exposer la splendide solitude de Cassandre. En arrière plan de l’enceinte blanche, la faille est suffisamment large pour laisser les chromatismes de l’horizon évoluer en fonction des sentiments en jeu, ou de l’ambiance naturelle, et ainsi nous impressionner. Plusieurs structures monumentales vont se succéder dont un avion de chasse écrasé au sol lors de la guerre de Troie, le fameux cheval ou le buste d’une statue de bronze dont la signification m’échappe.
L’ensemble s’inscrit dans un cadre scénique au format cinémascope, rouge à Troie, bleu à Carthage, teintes que l’on retrouve sur les mains des protagonistes ou sur le rideau lorsque celui-ci est abaissé afin de maintenir un prolongement visuel. Le duo d’amour est d’une très belle mélancolie et Wernicke pousse le chic jusqu’à nous offrir la vision de la constellation de Cassiopé (en forme de W) juste au dessus de l’horizon. C’est très réaliste pour le lieu et permet même de situer la scène une nuit de printemps.
La surprise survient au moment de la grande scène de chasse transformée en une obsession traumatique de ce qu’a vécu Enée. Des scènes de bombardements urbains par des missiles de croisières défilent en boucle tandis que les coups de tonnerre que suggèrent la partition accompagnent les images des tirs d’un croiseur.
Dommage que Sylvain Cambreling n’est pas jugé nécessaire d’accentuer cette violence, mais il semble s’interdire toute exagération théâtrale en général (même lors du présage de Cassandre que sa vie va s’achèver sous les débris de Troie). A ces quelques réserves près, sa direction délicate fourmille de détails fluidifie le drame et reçoit un accueil enthousiaste mérité.
La dernière image de Rome ensanglantée ramène au point de départ. Une autre ville sera réduite, d’autres guerres se poursuivront, fondées sur les anciennes frustrations.
Salomé Catherine Naglestad Herodes Chris Merritt Herodias Jane Henschel Jochanaan Eugeny Nikitin Narraboth Tomislav Mužek
Direction musicale Hartmut Haenchen
Mise en scène Lev Dodin
Est-il si si étonnant que les cinq jours d’éloignement avec la première représentation aient pu favoriser à ce point là un approfondissement et une meilleure homogénéité musicale ?
Au fur et à mesure que l’on se laisse charmer par la suavité de Tomislav Mužek, l’attention se porte sur l’atmosphère éthérée lentement diffusée par l’orchestre. Et lorsque Catherine Naglestad entame son délire face à Eugeny Nikitin, ligne de chant raffinée contre inflexions dignes, l’opéra baigne alors dans un océan de sensualité captivant. La stature divine de Jochanaan s’estompe cependant, un soupçon de puissance supplémentaire n’aurait pas juré.
Chris Merritt et Jane Henschel forment un couple magnifiquement contrasté et crédible, tous deux excellents acteurs. D’une grande clarté de timbre, le ténor exploite les aspects comiques et ridicules du tétrarque, alors que la mezzo prend un plaisir évident à sur-jouer l’hystérie et l’agacement de l’épouse.
Catherine Naglestad entame alors la danse des sept voiles, la fluidité de gestes acquise en fait un temps plein de transport. L’effeuillage s’achève avec l’exposition provocante, lumineuse voir crâneuse de son corps intégralement nu vers Jochanaan.
Hartmut Haenchen ne déroge pas à sa ligne musicale pure et sensuelle quand la grande scène finale éclate, noyant littéralement les cuivres pour créer une impression feutrée pleine de vrombissements névrotiques au spectaculaire mesuré. C’est en fait sublime. Après nous avoir joué la jeune fille capricieuse s’enlaçant autour des barreaux de la cellule du prophète, la soprano aborde les intonations sordides et extériorise un chant racé presque trop beau.
Si le jeu d’acteur est relativement conventionnel, je trouve que l’intérêt de la mise en scène résulte dans les variations d’ambiances lumineuses (qui ont l’air d’avoir été retouchées depuis la première). Les tons nocturnes du début (vert bleuté) évoluent vers un jaune lumineux, puis ocre pour retrouver des couleurs froides. La danse est immergée dans une pénombre très réussie.
Accident mécanique ou bien modification volontaire ? il n’empêche que l’effet de l’éclipse qui se produit cette fois totalement à droite du tableau, partiellement cachée par le décor, est d’un point de vue esthétique bien meilleur. Et cela évite la distraction d’un mouvement lunaire improbable en Judée (droite vers gauche).
Lors de la file d’attente au guichet pour le Bal Masqué, le très sympathique Gilbert Deflo nous disait vouloir s’en tenir au livret situé à Boston et donc éviter toute transposition hasardeuse.
Effectivement, jamais nous ne serons pris à contre-pied : tenues guindées, aigle américain aux ailes déployées, élégante statue du gouverneur à l’effigie de Marcelo Alvarez, potence surplombée de deux sinistres vautours, une sorcière noire et trois salamandres constituent des éléments symboliques conformes à l’histoire.
Seulement ces scènes mises bout à bout génèrent un ennui certain lorsqu’elles ne sont liées que par une direction d’acteur minimaliste et qu’aucune recherche de dynamique des effets lumineux ne vient accentuer le discours musical.
Heureusement, le ténor argentin s’impose d’entrée avec aisance et nonchalance enthousiasmantes. Le timbre est généreux, chaleureux même, soufflant une ardeur teintée de sentiments affectés très latins. L’homme joue un gouverneur qui joue dans un monde qu’il ne prend pas au sérieux ; difficile de distinguer si les gesticulations sont celles du Comte ou bien de l’acteur laissé sans consignes.
Face à un tel phénomène, Ludovic Tézier fixe un Renato « droit dans ses bottes », un homme d’honneur, dont la fierté se change en mépris quand se révèle la réalité des émois d’Amélia. La noblesse de ce rôle convient bien au chanteur même si les couleurs de sa tessiture évoquent plus une belle jeunesse qu’une autorité mature.
Le rictus glacial qui accompagne le geste meurtrier rappelle instinctivement Don Giovanni.
Marcelo Alvarez et Angela Brown (Acte II)
Grande voix Angela Brown ? assurément ! bien entendu il faut un certain goût pour les graves gonflés et caverneux, une certaine tolérance aux irrégularités et un vibrato, m’a-t-on dit, qui pourtant ne m’a aucunement gêné.
Je n’aime pas que l’on raille son physique développé (et il faut voir de qui émanent ces critiques) surtout que je trouve beaucoup de beauté dans ce fascinant visage noir et les accents métalliques. « Morro, ma prima in grazia » à l’acte III est par ailleurs riches de nuances.
Ulrica bien tenue, Elena Manistina ne possède cependant pas une personnalité vocale suffisante pour camper une sorcière impressionnante. Mais que de fraîcheur dans cet Oscar espiègle que Camilla Tilling déroule de toute sa légèreté ! Elle est adorable.
Enfin, Semyon Bychkov fait une entrée réussie à l’Opéra de Paris. Il avantage les chanteurs par un choix de tempi mesurés et libère toute l'énergie de l'orchestre dans les moments clés comme l'arrivée spectaculaire du Comte, l'ouverture tourmentée du second acte (digne de Tchaïkovsky) ou bien l'angoissante avancée d'Amélia vers l'urne, tension qui évoque les sombres intrigues de Don Carlo et Otello.
Ludovic Tézier et Camilla Tilling (Acte III)
Saluons la scène du bal masqué et la réussite des danses enlevées exécutées par des personnages de la Commedia dell'Arte.
La Traviata (Verdi)
Représentations du 24 juinet 12 juillet 2007 à l'Opéra Garnier
Mise en scène Christoph Marthaler
Décors et costumes Anna Viebrok
Direction Sylvain Cambreling
Violetta Valery Christine Schäfer
Alfredo Germont Jonas Kaufmann
Giorgio Germont José Van Dam
Sylvain Cambreling dirige l'orchestre de l'Opéra de Paris
Les habitués de l'ONP savent que si Gerard Mortier confie la nouvelle production de Traviata à l'équipeMarthaler - Viebrok - Cambreling - Schäfer - Van Dam, l'attente d'une interprétation traditionnelle est vaine.
Alors pourquoi venir pour finalement chercher à heurter consciemment ces artistes ?
Passons donc sur ces huées pour rendre compte du travail artistique.
Jamais le premier tableau du second acte ne m'aura paru aussi oppressant et pathétique.
Germont affublé d'un costard qui le fige comme sa mentalité dépassée peut l'être vientconvaincre Violetta de quitter son fils.
La scène est relativement déserte et laisse toute libertéà Sylvain Cambreling pour appesantir l'atmosphère non seulement en étirant les tempi de l'orchestre maiségalement en appuyant les accents sinistres des contre-basses.
Seul petit reproche plus loin, la brutalité brouillonne des ensemblesdans les passages destinés à conclure l'action.
José Van Dam s'en tire plutôt bien cet après-midi dans un rôle fantomatique où ses accents un peu trop plaintifset rugueux ne jurent pourtant pas sur le plan dramatique.
Il est bon de rappeler que le Brindisi est une chanson à boire. Alors si Marthaler décide desituer le premier acte au vestiaire d'une salle de spectacle où se retrouve un public tristementsoûl, mécanique, il ne choque que par notre accoutumance à la représentation d'uns scène de fête légère et insouciante.
La dérision vis à vis de cette foule vulgaire est perceptible dans la musique : ainsi au deuxième tableau du second acte le chefse permet même de petites déformations ironiques. A plusieurs reprises dans ce spectacle il nous est effectivement permis d'entendre des sonorités nouvelles.
Alors venons en à Christine Schäfer : Piaf et Violetta, le rapprochement est osé et il fonctionne surtout parceque la chanteuse se glisse sans problème dans un personnage aux allures enfantines (voir Chérubin dansLes Noces de Figarodu même Marthaler).
Ses moyens ne lui permettent pas de rivaliser sur le terrain des grandes Traviata dramatiquesmais une bonne technique, le souffle rigoureusement contrôlé et la douceur du timbre révèlent son intelligence.
Je regrette cependant qu'elle ne puisse déployer un cri plus déchirant de douleur au troisième acte,alors que l'absence du contre-mi bémol à la fin du "sempre libera" surprend uniquement par effet d'habitude.
Qu'elle est pourtant attachante lorsque l'inversion de luminosité focalise sur elle un faisceau lumineux l'isolant telleune chanteuse de cabaret exprimant ses mélodies rêveuses!
Le 12 juillet, Nataliya Kovalova remplace Christine Schäfer. Après quelques difficultés au premier acte, sa belle voix slave s’assouplit pour nous offrir un portrait bouleversant au Bal chez Flora Bervoix et au IIIème acte. Elle ne cherche cependant pas à se rapprocher d'une interprétation plus fragile et maladive.
Nataliya Kovalova
Peu de temps est nécessaire pour réaliser à quel point le spectacle semble adapté à l'ensemble du plateau, carnous découvrons très vite l'Alfredo de Jonas Kaufmann. Jeune, svelte, voix puissante et charmeuse, beau gosse, voici doncl'amoureux parfait de la "Môme", plein de fougue mais aussi d'inconscience.
A dire vrai, les noirceurs de son timbre suggèrent un Don Giovanni adolescent. La timidité, les regards qui n'osent se croiser et la retenue de chacun crédibilise totalement leur rencontre.
Et par dessus tout, le jeune chanteur se plie sans réserve au rôle, exposant de plus en plus une terrible attache pour ce petit bout de femme.
Jonas Kaufmann
Nul doute que la maladie de Violetta est le thème que chef et metteur en scène veulent omniprésent au point de faire des moments festifs un étalage de la bêtise sociale.
C'est une vision forte et décalée, résultat de l'estime et de la confiance qui lient ces artistes dans la durée.