Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Le Freischütz (Carl Maria von Weber) Représentation du 9 avril 2011 Opéra Comique
Agathe Sophie Karthäuser Max Andrew Kennedy Annette Virginie Pochon Gaspard Gidon Saks Kouno Matthew Brook Kilian Samuel Evans Ottokar Robert Davies L’Ermite Luc Bertin-Hugault Samiel Christian Pélissier
Mise en scène Dan Jemmett Direction musicale John Eliot Gardiner Chœur The Monteverdi Choir Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Sophie Karthäuser (Agathe)
Depuis l’émergence du ballad opera anglais, au milieu du XVIIIème siècle, les compositeurs allemands s’intéressaient à l’opéra comique allemand : le singspiel.
Mais alors qu’il était encore maître de chapelle national à Prague, Carl Maria von Weber fit entendre Fidelio, l’unique opéra de Beethoven. Il y voyait un archétype de l’opéra romantique allemand.
La création berlinoise du Freischütz (1821), adaptation d’un conte populaire germanique, fut depuis considérée comme le premier grand opéra romantique allemand.
Vingt ans après, Hector Berlioz, qui avait assisté à la création parisienne de l’ouvrage au Théâtre de l’Odéon, en réalisa une traduction française, en passant par une conversion des dialogues parlés en récitatifs, plus adaptés à l‘efficacité théâtrale. Il ajouta également un ballet orchestré à partir de L’invitation à la danse, rondo pour piano composé par Weber.
Bien que l’acoustique intime de la salle Favart ne favorise pas l’épanouissement des grands ensembles, John Eliot Gardiner et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique viennent pourtant d’en donner une interprétation alerte et élégante, traversée d’un souffle permanent et irrésistible.
Le réconfort des solos, impeccablement détachés, renoue avec la profondeur des sentiments.
Matthew Brook (Kouno), et les villageois (The Monteverdi Choir)
Les interprètes d’Agathe, Annette et Max composent à eux trois un cœur vocal délicat, et soigneusement allié aux finesses orchestrales. Sophie Karthäuser joue avec des couleurs mélancoliques et des fragilités expressives, Virginie Pochon révèle une aisance pimpante et une franchise de diction qui font chanter lumineusement les moindres notes, et Andrew Kennedy réussit une composition tendre avec même une appréciable musicalité du texte français.
Gidon Saks profite un peu trop de son sur-dimensionnement à la scène pour forcer inopportunément le trait, mais il se rattrape en assurant du lien aux graves introvertis.
Sans réserve, les seconds rôles s’intègrent agréablement à la vie du village.
Virginie Ponchon (Annette) et Sophie Karthäuser (Agathe)
Le travail de Dan Jemmett, sur un décor d’image d’Epinal, se sort le mieux de la mise en scène du chœur, parfait, même très bien synchronisé lors de sa dispersion dans les hauts couloirs du théâtre, quand s’ouvre la saisissante Gorge du Loup.
La meilleure réalisation musicale de l’Opéra Comique de la saison, pour l'instant.
Luisa Miller (Giuseppe Verdi) Représentations du 26 et 29 mars 2011 Opéra Bastille
Il Conte di Walter Orlin Anastassov Rodolfo Roberto de Biasio Federica Maria José Montiel Wurm Arutjun Kotchinian Miller Frank Ferrari Luisa Krassimira Stoyanova Laura Elisa Cenni Un Contadino Vincent Morell
Mise en scène Gilbert Deflo Décors et costumes William Orlandi Direction musicale Daniel Oren
Krassimira Stoyanova (Luisa Miller)
Luisa Miller est l’unique opéra de Verdi qui contienne la même idéologie que le Tristan et Isolde de Wagner. L’amour ne peut s’accomplir que dans la mort, et ce passage vers l’éternité est provoqué par l’un des deux amants, avec la même symbolique de la coupe et du poison.
On peut même remarquer que Luisa y songe lorsqu'elle rédige la lettre sous la contrainte de Wurm.
Même si la force naturelle des rondeurs montagneuses, qui s’impose à l’arrière plan et profite le mieux aux auditeurs du parterre, n’apparaît pas comme une dimension évidente de l’œuvre, la forme du décor de William Orlandi, un grand arc tourné vers le ciel, répond à l’idéal d’infini qui unit Rodolfo et Luisa, une forme immense et inversée par rapport à celle de la banale coupe.
Pour parfaire la sensation d’unité et de relief scénique, tout en recherchant une impression de mélancolie, les éclairages diffusent une lumière de faible intensité qui oblige toutefois le spectateur à agir sur ses fonctions de maintien en éveil.
Il ne peut compter sur la mise en scène de Gilbert Deflo, puisqu’elle se limite à gérer des entrées et sorties et à préciser les confrontations face au public.
Maria José Montiel (Federica)
En revanche, la distribution artistique permet d’offrir à l’intimisme de cet ouvrage charnière de la vie de Verdi, une rupture définitive avec les opéras patriotiques de jeunesse, des lignes vocales et musicales absolument sublimes.
Sous la direction enthousiaste de Daniel Oren, mais en décalage avec le drame, l’orchestre de l’Opéra de Paris dédie ses plus fines textures, une fusion réussie entre enchainements dramatiques et délicatesse des évanescences. La voix spectaculaire de Krassimira Stoyanova, élancée, fière et surnaturelle, donne une dimension si aristocratique à Luisa que l’on en oublie sa condition villageoise.
Franck Ferrari (Miller) et Krassimira Stoyanova (Luisa Miller)
A côté d’elle, Maria José Montiel interprète une Comtesse superficielle, timbre de chair plus coloré que subtil, et généreuse en décibels.
Avec ses étranges sons baillés et une proximité vocale frappante, Arutjun Kotchinian fait de Wurm un être comique à la gestuelle exagérée, et l’on reconnait en Orlin Anastassov le portrait de l’autorité traditionnelle, monotone solidité, empreinte du temps sur la noirceur du timbre, une ressemblance avec Burt Lancaster, patriarche déchu d’Il Gattoparto, un des chefs-d'oeuvre de Visconti.
Moins puissant, mais d’une variété d’intonations presque chaotique, Franck Ferrari soigne particulièrement bien ses lignes de chant au troisième acte, en duo avec Krassimira Stoyanova, une caractérisation inégale mais sensible du père de Luisa. Il y a de la vérité dans ses expressions, et il vit ses sentiments.
Au cours de ces deux soirées pour lesquelles Roberto de Biasio se substitue à Marcello Alvarez, le ténor engage un personnage d‘une gravité toute romantique, un Werther à l‘italienne, une profondeur humaine et une économie de geste magnifiquement poétisées par un style qui s’inscrit dans la lignée de José Carreras, de la lumière et des ombres, de l’élégance et de l’habilité quand il s’agit de laisser s’atténuer de minces fils de voix. C’est tellement beau que l’on craint que ce ne soit fragile.
Akhmatova (Bruno Mantovani) Création Mondiale Livret Christophe Ghristi Répétition générale du 25 mars 2011 Opéra Bastille
Anna Akhmatova Janina Baechle Lev Goumilev Atilla Kiss-B Nikolai Pounine Lionel Peintre Lydia Tchoukovskaia Varduhi Abrahamyan Faina Ranevskaia Valérie Condoluci Le Représentant de l’Union des écrivains Christophe Dumaux Un sculpteur Fabrice Dalis Olga Marie-Adeline Henry
Mise en scène Nicolas Joel Décors et costumes Wolfgang Gussmann Direction musicale Pascal Rophé
Janina Baechle (Anna Akhmatova)
Sans même savoir ce que sera l’impression scénique et musicale de la nouvelle création lyrique, le fait de choisir une poétesse russe emblématique du XXème siècle, comme sujet d’une œuvre lyrique, assure une ouverture sur un monde littéraire et sensible, et laisse à chacun la liberté de s’y immerger par ailleurs.
Christophe Ghristi, actuel dramaturge de l’Opéra de Paris, a composé un livret en trois actes, en axant chacun d’eux sur une époque précise, tout en accélérant l’échelle du temps.
Le premier acte se situe en 1935 à Leningrad, après l’assassinat de Kirov, et se conclut sur l’arrestation de Pounine et Lev, mari et fils respectifs d’Akhmatova. Le second se situe en 1941 et 1942, pendant le blocus de Leningrad, et se divise en trois scènes de la capitale à Tachkent, qui sera un lieu de repli où la poétesse rencontrera plusieurs artistes. Le troisième se décompose en cinq scènes, l’après guerre à Leningrad en 1946, la nouvelle arrestation de Pounine et Lev en 1949, la mort de Staline en 1953, le retour de Lev en 1956, et la mort d’Akhmatova en 1966.
La rencontre avec Modigliani, à Paris, appartient à un lointain passé, et l’interdiction de publication levée par le comité central envers Akhmatova est toujours en vigueur lorsque l’opéra débute.
Varduhi Abrahamyan (Lydia Tchoukovskaia) et Christophe Dumaux (Représentant de l’Union des écrivains)
Nous avions tellement l’habitude d’associer Nicolas Joel aux décors d’Ezio Frigerio et aux costumes de Franca Squarciapino, que l’épure stylisée en noir, blanc et gris est passée, en premier temps, pour un signe de modernité. C’est à Wolfgang Gussmann, décorateur de Willy Decker, que l’on doit un tel symbolisme, essentiel, construit sur quelques cadres, plans et simples mobilier. Akhmatova, face à son portrait peint par Modigliani, ressemble étonnamment à Senta perdue dans une peinture marine, telle que présentée par Decker dans Le Vaisseau Fantôme, et le comportement de Lev, plein de reproches envers elle, nous rappelle assez facilement Erik.
Fatalisme, lucidité et détachement imprègnent tout le texte, avec cependant une constance de ton que l’on retrouve dans la musique. Bruno Mantovani recherche des effets de grands ensembles, mais souligne chaque point et chaque virgule des phrases par des motifs percutants, et soutenus par des coups de percussions soudains.
La musique n’accentue plus les mots en s‘y superposant, elle les marque une fois qu’ils ont été prononcés, de manière systématique et ainsi prévisible, ce qui entraine une sentiment d’artifice, malgré la complexité des motifs que Pascal Rophé doit restituer.
De l’écriture vocale, Christophe Dumaux en tire le mieux parti, car son rôle fait entendre pour la première fois un contre ténor à l’Opéra Bastille. Naturellement vif, il fait du Représentant de l’Union des écrivains un harceleur impétueux, et passe de tessitures de voix tête à des intonations de ténor absolument fascinantes.
Janina Baechle (Anna Akhmatova) et Valérie Condoluci (Faina Ranevskaia)
Les voix sont effectivement bien mises en valeur par le temps laissé pour qu’elles s’épanouissent. L’endurance, plus que la puissance, est du côté de Janina Baechle, les plus belles couleurs pathétiques, mais ce n’est pas une surprise, sont offertes par Varduhi Abrahamyan, et la frivole Faina Ranevskaia permet à Valérie Condoluci de théâtraliser ses éclats de stupeurs.
Remarquablement fluidifiée par un jeu de panneaux coulissants, la mise en scène laisse une très belle image, car tellement simple et dynamique, lors de la fuite en train de Moscou vers Tasckent, avec le défilement de la lumière extérieure à travers les fenêtres. Il est quand même un peu surprenant, en parcourant à nouveau le texte, de lire l’émoi des voyageurs à la vue du Syr-Daria, fleuve majeur du Kazakhstan, quand Akhmatova se réjouit de voir tant de Russie…
Le Messie (Haendel) Représentation du 20 mars 2011
Théâtre du Châtelet
Orchestration de Wolfgang Amadeus Mozart Version allemande
Christina Landshamer Soprano Anna Stéphany Mezzo-soprano Tilman Lichti Ténor Darren Jeffery Basse Andrei Ivanov Danseur soliste du Théâtre Mariinski
Michel Serres Récitant
Direction Musicale Harmut Haenchen Orchestre Philharmonique de Radio France Chœur du Châtelet
Mise en scène Oleg Kulik
La dimension visuelle conçue par Oleg Kulik, complexe enchevêtrement irréel de zones d’ombres et de lumières, pourrait aller à l’encontre de l’intériorité à laquelle nous renvoie la musique et le texte du Messie, et le premier sermon lu par Michel Serres, le constat d’une société bâtie sur des valeurs de compétition, pourrait apparaître comme utopique, tant cette valeur est glorifiée aujourd'hui.
Tout ce spectacle reflète cependant l’essence même du texte, les références à l’ancien testament sont volontairement traduites en hébreu, et exprime la volonté de faire partager un message facilement compréhensible et positif. Il faut reconnaître que la prépondérance de ces robots, qui enserrent chacun un être humain, distrait à cause de l’interprétation et des rapprochements qu’elle déclenche : métaphore de l’homme déshumanisé par la technologie ? Reprise des thèmes de 2001 l’Odyssée de l’Espace?
Mais par la suite, les images s’enchaînent et mettent en rapport les thèmes de l’oratorio avec des chefs-d’œuvre de l’art religieux. La résurrection du retable d’Issenheim, qui ressurgit après l’entrée de Mathis der Maler au répertoire de l’Opéra de Paris cette saison, y est magnifiée par l’animation flamboyante du linceul d’un Christ triomphant, et l’on retrouve cet effet de vivification lorsque son sang irrigue l’arbre de la vie pour triompher de la mort.
Andrei Ivanov (Le Messie)
Ce Messie apparaît sous la forme d’un danseur et d’un bouffon, c’est-à-dire un être de vie à l’écart des hiérarchies sociales. Toute la conception visuelle insiste sur un courant vital qui influe dans nos veines, un mouvement perpétuel signifié, au final, par une spirale infinie.
Il s’agit de la seconde collaboration d’Harmut Haenchen avec un plasticien en moins d‘un mois, après la vision de Parsifal par Romeo Castellucci, et l’on relève une image commune à ces deux spectacles, une traversée du temps à travers les étoiles d’une galaxie qui occupe tout l'espace.
Le chef allemand diffuse un tissu illuminé, dense et très chaleureux, joliment étincelé par le clavecin, et la façon dont les solistes et le chœur, consciencieux, concerné et humain, entourent l’orchestre, met en relief sa dimension ensoleillée.
Les quatre chanteurs sont d’une tenue irréprochable, bien que l'ajout d'un contre ténor aurait sublimé les passages les plus subtiles ("He was despised and rejected of men" dans la version anglaise), et Christina Landshamer se sert le mieux de cette simplicité pour rendre une sage image fascinante.
Assister à la dernière représentation, un dimanche après-midi d’un splendide premier jour de printemps, est une condition idéale, mais pour ne pas en rester à une succession de belles peintures, ce spectacle s’adresse à un public ayant une solide culture chrétienne et artistique pour en lire tous les symboles.
La Finta Giardiniera (Mozart) Représentation du 13 mars 2011 Théâtre de la Monnaie (Bruxelles)
Don Anchise Jeffrey Francis Violante Onetti (Sandrina) Sandrine Piau Belfiore Jeremy Ovenden Arminda Henriette Bonde-Hansen Ramiro Stella Doufexis Serpetta Katerina Knezikova Nardo Adam Plachetka … Mireille Mossé
Direction Musicale John Nelson Mise en scène Karl & Ursel Herrmann Production du Théâtre des Etats de Prague (2008) d’après la production originale de la Monnaie de 1986
Sandrine Piau (Sandrina)
Sous la direction de Gerard Mortier, l’Opéra de Paris a accueilli à deux reprises La Clémence de Titus mis en scène par Karl & Ursel Herrmann. Depuis trente ans, chaque reprise de ce spectacle est l’occasion d’en parfaire la qualité, et d’en faire une œuvre vivante. Il était donc urgent de découvrir un opéra de Mozart peu connu, composé à l’aube de ses dix neuf ans, dans une autre production du couple de scénographes allemands au style raffiné.
Le livret de La Finta Giardiniera est un complexe marivaudage, dont le cœur est un nœud sentimental où s’affrontent trois femmes et quatre hommes, l'un d'eux étant chanté par une mezzo-soprano.
L'intrigue est construite autour d'un couple sur le point de se former (Belfiore-Arminda) à la suite de la séparation de deux couples (Belfiore-Violante et Arminda-Ramiro).
Les deux personnes lésées (Violante et Ramiro) vont alors chercher à reformer leurs couples d'origine, en même temps qu'un serviteur (Nardo) cherche à conquérir une servante (Serpetta) au service de Don Anchise, l’oncle d’Arminda. Pour arriver à ses fins, Violante, sous les traits de Sandrina, devient la jardinière de Don Anchise.
Henriette Bonde-Hansen (Arminda) et Jeremy Ovenden (Belfiore)
On peut parler d’un champ de bataille très resserré sur lequel ces sept personnages se livrent à une guerre amoureuse, où se révèlent les failles cachées, les fluctuations des états d’âmes, et une violence des cœurs sans fard.
Karl & Ursel Herrmann plantent un décor unique, une petite ile peuplée d’arbres bien rangés, dont l’un est penché comme une flèche d’amour décochée au milieu d’un cadre paisible.
L’actrice Mireille Mossé joue un rôle mystérieux, une main du destin qui agit un peu comme Puck, le mauvais esprit de Shakespeare, mais avec une intention positive et tendre. Chaque acte débute avec une réplique de sa part qui questionne le sens de la vie, fascinante par la clarté et le modelé des phrases dites avec une voix enfantine.
Le jeu scénique imbrique plusieurs situations, car tous les personnages peuvent être présents en même temps, et l’espace est étendu au cadre qui entoure l’orchestre, ce qui permet de déplacer l’action au milieu de la salle. Ainsi, les protagonistes ne se font pas de cadeaux, et tout est montré de la réalité pulsionnelle de chacun.
La musique de Mozart dévoile des passages d’une absolue poésie, le duo du troisième acte entre le comte Belfiore et Sandrina (« Dove mai son! ») se double du chant des instruments à vents et semble préfigurer l’adagio de la sérénade n°10, mais elle sert aussi d’accompagnement à l’action tout en finesse, sans qu‘il y ait toujours l’intensité que le compositeur développera par la suite. Les longueurs s’en ressentent.
Adam Plachetka (Nardo)
Ainsi en est-il du rôle d’Arminda, présentée comme une bourgeoise exigeante et dominatrice, et défendue par les emportements énergiques d’Henriette Bonde-Hansen, rôle qui n’atteint pas encore la dimension d’une Vitellia.
En revanche, le personnage de Violante-Sandrina offre plusieurs facettes, et Sandrine Piau se montre aussi convaincante en jardinière, excitée comme le serait Cherubin, mais avec une voix plus légère, que dans la scène de la nuit, à la fin du second acte, où elle libère un déferlement d’invocations qui annonce l’Electra d’Idomeneo.
Parmi cette distribution entièrement vouée à l’âme mozartienne, Stella Doufexis possède la voix la plus ronde et la plus noble, un Ramiro d’une sincérité touchante, et Katerina Knezikova donne une image pimpante de Serpetta, la future Despina de Cosi fan tutte.
Pour elle, les Herrmann offrent une périlleuse scène de désespoir lorsqu’elle déambule autour du petit bassin et de l’orchestre, totalement saoule.
Mireille Mossé (...) et Sandrine Piau (Sandrina)
Ce n’est pas la fine musicalité des deux ténors, Jeffrey Francis et Jeremy Ovenden, qui les distingue l'un de l'autre, mais plutôt un moelleux un peu plus prononcé pour le Comte Belfiore, et à l’écoute du jeune Adam Plachetka, on reconnait les ombres des intonations de Don Giovanni, dont il paraît inimaginable qu’il n’envisage un jour ou l’autre d’en incarner le libertinage.
Le timbre de l’orchestre exalte le corps des bois, renforce le caractère restreint et intime du lieu de l’action, et John Nelson accorde beaucoup d’attention à la beauté du détachement des sonorités, lorsque les instruments se répondent.
Les Troyens (Hector Berlioz) Représentation du 11 mars 2011 Deutsche Oper Berlin
Cassandre Anna Caterina Antonacci Didon Daniela Barcellona Enée Ian Storey Chorèbe Markus Brück Panthée Krzysztof Szumanski Narbal Reinhard Hagen Iopas Gregory Warren Ascagne Heidi Stober Anne Ceri Williams Priam Lenus Carlson L’ombre d’Hector Reinhard Hagen Andromaque Etoile Chaville
Direction Musicale Donald Runnicles Anna Caterina Antonacci (Cassandre) Mise en scène David Pountney Orchestre, chœurs et ballets du Deutschen Oper Berlin
Huit années se sont écoulées depuis la mémorable prise de rôle de Cassandre par Anna Caterina Antonacci, découverte que fît le public du Théâtre du Châtelet en même temps que l’évènement bénéficiait d‘une retransmission télévisuelle. Elle renvoyait ainsi l’image transcendante d’une femme sublimement tragique.
Le doute se mêle inévitablement à l’impatience lorsque le Deutsch Oper de Berlin monte pour la première fois les Troyens avec sa participation, car quelque part il y a toujours l’attente d’une émotion à revivre.
En réalité, Anna Caterina Antonacci confirme qu’elle est toujours une des plus belles Cassandre de notre époque, avec néanmoins une altération de la pureté des couleurs quand la voix force, car son chant est d’une totale intelligibilité, les mots sont dits avec une frappante précision, et la singularité de son timbre reste intacte. Trop souvent l’on oublie le pouvoir émotionnel du texte directement compris.
Le visage peint, la robe rouge sang - vision primitive qui était également celle de Pierre Audi l’année dernière à Amsterdam -, la beauté de la prophétesse se magnifie dans le détail du geste, et son expressivité théâtrale se fond dans l’articulation du texte.
Très révélateur d’une évolution, le tempérament de Cassandre devient parfois fortement sanguin, et le personnage de Carmen surgit derrière les accents vifs.
Anna Caterina Antonacci trahit ainsi la présence d’une autre héroïne qui l’a récemment investi.
Dans toute la première partie, David Pountney plonge Troie dans un univers apocalyptique, violent, loin d’une vision conventionnelle et aseptisée. Les combattants se rapprochent de la salle avec des portraits de jeunes soldats, ayant sans doute existés, morts à la guerre, et rien n’est épargné de la vision cauchemardesque d’Hector, portée par la voix solide de Reinhard Hagen, transpercé de lances ensanglantées.
Très impressionnante est également l’arrivée du cheval, une gigantesque tête fantomatique en surplomb sur le peuple troyen, qu’un premier sabot, puis un second sabot viennent encercler.
Les chœurs démarrent de façon très chaotique, mais par la suite ils retrouvent une musicalité parfaite, avec beaucoup de finesse dans les terminaisons bouches fermées, et une ampleur naturelle sans véhémence.
Anna Caterina Antonacci (Cassandre) et Markus Brück (Chorèbe)
Il y a quelque chose d’incompréhensible à la fin de Troie lorsque Cassandre se suicide au centre d’une forme circulaire portant les restes métalliques et rouillés de lits et de symboles de confort.
On ne le comprend qu’à la toute fin lorsque ces mêmes éléments cernent Didon, consolée par Cassandre, au moment où le destin de ces deux femmes se rejoignent. Elles ont cru à l’amour, et ont été abandonnées par leurs amants respectifs, Chorèbe et Enée.
Esthétiquement, les costumes verts et jaunes du peuple carthaginois, la verdure et le soleil, montrent un retour de Pountney aux ambiances soulignées par le texte, mais il perd l’effet réaliste de Troie pour passer à un univers niais. Tout dans la mise en scène souligne une ligne de force, l’arrivée brutale d’Enée déchirant symboliquement le voile au sol sur lequel vit la reine carthaginoise.
Cette annonce de la découverte physique de l’amour se matérialise au quatrième acte, où pantomime et ballets chorégraphient un peu lourdement la rencontre érotique des corps. Le concept se tient, mais la réalisation scénique est trop naïve.
La danse des esclaves nubiennes, qui vont enfanter sous forme de bulles transparentes, est conservée, mais pas la danse des esclaves.
Daniella Barcellona (Didon)
Ce n’est pas la seule coupure car tout le duo entre Narbal et Anna est supprimé.
Le rôle de Ceri Williams en est considérablement réduit, mais l’on aura entendu des couleurs vocales communes à celles de Daniella Barcellona qui, en dépit d'une articulation peu soignée, impose une Didon forte, heureuse au milieu de son peuple, et pleine d'espoir.
Elle se départit de son jeu conventionnel seulement à la toute fin, comme débarrassée de ses illusions, et laisse l’empreinte d’une femme révoltée et vengeresse d’une violence inattendue.
Ian Storey a visiblement oublié tout ce que Patrice Chéreau lui a appris à Milan, à l’occasion de Tristan et Isolde avec Waltraud Meier, en particulier l’expressivité du corps, mais l’on ne peut que saluer son endurante implication vocale. La voix est cependant trop lourde, et les passages les plus furtivement élégiaques sont hors de portée.
Daniella Barcellona (Didon) et Ian Storey (Enée)
Si Markus Brück réussit un portrait sensible de Chorèbe sur une belle ligne de chant, Heidi Stober chante Ascagne avec la diction la plus précise après Anna Caterina Antonacci, et sa spontanéité enthousiaste lui vaut l’un des plus chaleureux accueils au rideau final.
L’orchestre du Deutsch Oper est une découverte. Sous la baguette de Donald Runnicles, la musique de Berlioz prend une teinte allemande où s’hybrident la fluidité du discours et les ondes continues de Wagner, la dynamique théâtrale de Beethoven, et la grâce symphonique de Mozart. En revanche, ce qui fait la particularité des sonorités du compositeur français, les convolutions très spécifiques des cordes, le piquant des instruments à vents, est volontairement estompé.
On peut relever une légère baisse de souffle au quatrième acte, mais tout cela est dirigé avec une apparence de facilité et un professionnalisme saisissants.
Daniella Barcellona (Didon) et Anna Caterina Antonacci (Cassandre)
Katia Kabanova (Janacek) Répétition générale du 05 mars 2011
Katia Angela Denoke Saviol Dikoy Vincent Le Texier Kabanicha Jane Henschel Tichon Kabanov Donald Kaasch Boris Grigorievitch Jorma Silvasti Kudriach Ales Briscein Varvara Andrea Hill Kouliguine Michal Partyra Glacha Virginia Leva-Poncet Fekloucha Sylvia Delaunay
Mise en scène Christoph Marthaler Direction musicale Tomas Netopil
Après la création de la nouvelle mise en scène de Katia Kabanova au Festival de Salzbourg (1998), l’ensemble de la distribution musicale fut réinvitée au Palais Garnier (2004) pour la première saison de Gerard Mortier.
Homme de théâtre, Christoph Marthaler faisait ainsi son entrée à l’Opéra de Paris.
Angela Denoke (Katia Kabanova)
La cour d’un immeuble décrépi sert de cadre unique à un lieu de vie aux allures carcérales. Au centre, un bassin dérisoire est le seul élément de décor en rapport avec la Volga, le flux scintillant que l’on pressent dans toute la musique de Janacek.Un cygne git sous les pompes à eau, la grâce de l’âme, l’aspiration à quelque chose de beau qui n’a aucune chance de survie.
Andrea Hill (Varvara) et Ales Briscein (Kudriach)
Marthaler se concentre sur le décalage complet entre la force émotionnelle de Katia et la pauvreté spirituelle des personnes qui l‘entourent. Kudriach et Varvara se contentent de leur charmante et banale idylle main dans la main au bord de l’étang, relation bien préférable à celle de Kabanicha et Dikoy qui se livrent à un grossier commerce des corps.
Ce style très dynamique entraine les personnages selon des mouvements adhérents à la musique, quitte à en faire des pantins, mais toujours avec beaucoup d’humour. Même l’amour trouve en quelques jets d’eaux intermittents une matérialisation drôle et totalement désillusionnée.
Angela Denoke, la seule avec Jane Henschel à avoir assuré toutes les séries de cette production depuis treize ans, y est d’une profondeur et d’un magnétisme miraculeux. Humanité du regard, séduction des appels de voix intériorisés, si lumineux et purs, beauté de son être, même replié sous un manteau anonyme, font que l’on a le bonheur d’admirer une artiste qui nous marquera à vie.
Angela Denoke (Katia Kabanova)
Les trois rôles de ténors qui l’accompagnent sont distribués avec exacte adéquation au tempérament des personnages. Ales Briscein (Kudriach), la jeunesse contenue dans un timbre frais et des lignes très sûres, séduit aisément Andrea Hill, espiègle Varvara qui cherche à fuir l’ennui, Donald Kaasch possède les couleurs vocales du mari à la fois vieillissant mais encore enfant, et laisse ainsi les expressions les plus mûres, mais aussi les plus troublées, au Boris de Jorma Silvasti.
D’une indiscutable autorité, Jane Henschel compose avec Vincent Le Texier, voix nerveuse et sonore, un couple parfaitement assorti.
Jorma Silvasti (Boris) et Angela Denoke (Katia Kabanova)
Tomas Netopil privilégie une grande constance, un équilibre théâtral qui se fond dans une solide vision d’ensemble, sans coup d’éclat, avec des insistances sur les détails sombres des cordes.
Der Ring des Nibelungen - Siegfried (Wagner) Répétition générale du 26 février 2011 et Représentation du 27 mars 2011
Opéra Bastille
Siegfried Torsten Kerl Mime Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Der Wanderer Juha Uusitalo Alberich Peter Sidom Fafner Stephen Milling Erda Qiu Lin Zhang Waldvogel Elena Tsallagova Brünnhilde Brigitte Pinter (26/02) Katarina Dalayman (27/03)
Direction Musicale Philippe Jordan Mise en scèneGünter Krämer
Synopsis
Notung Mime élève Siegfried dans le secret espoir que le jeune homme, un jour, tuera Fafner pour lui procurer l’anneau. Wotan, sous le déguisement du Voyageur, a suivi de près les évènements, sans intervenir lui-même. Grâce à un jeu de questions et de réponses, Mime comprend que seul Siegfried reforgera Notung, l’épée capable de tuer Fafner.
Siegfried et le Dragon Au lieu de ressouder les tronçons ensemble, Siegfried les brise, les fond et les coule à nouveau, refaisant entièrement Notung. Il tue Fafner. Pénétrant les pensées homicides de Mime, il le tue à son tour. Il prend possession de l’anneau et du heaume magique, ainsi que de tout le trésor de Fafner. Ayant accidentellement goûté le sang du dragon, Siegfried comprend le chant d’un oiseau qui lui révèle l’existence de la vierge du roc, Brünnhilde, plongée dans son sommeil et entourée de flammes. Siegfried décide d’éveiller la Walkyrie endormie et de la prendre pour épouse.
La lance brisée De son côté, Wotan tire Erda du sommeil tellurique qu’elle a poursuivi depuis la naissance de Brünnhilde, afin de découvrir s’il existe un moyen d’éviter la fin imminente de son règne. Mais même Erda ne peut l’aider et Wotan s’apprête sans rancœur à céder son pouvoir à son petit-fils qu’il voit approcher. Mais l’attitude de Siegfried est si offensante que Wotan, dans un dernier sursaut de révolte, lui barre le chemin de sa lance. L’épée Notung brise la lance, symbole du pouvoir du dieu.
Le réveil de Brünnhilde Siegfried, traversant le cercle de feu, gravit le rocher de la Walkyrie où il éveille la vierge guerrière. La joie de Brünnhilde à sa vue est suivie de l’amer regret de n’être plus une inviolable déité, mais une simple mortelle. Elle va toutefois trouver dans les bras de Siegfried de nouvelles et humaines passions.
Comme l’on pouvait s’y attendre, les choix esthétiques de Günter Krämer pour ce troisième volet du Ring s’inscrivent dans la continuité de l’Or du Rhin et de la Walkyrie. Si certaines images sont fortes, il arrive qu’elles soient entrecoupées de passages à vide devant un simple tableau noir - signe de capitulation ? -, et que nombre d’objets renvoient sciemment à la laideur des artifices, signes d'humour. Il apparaît également plus clairement que le metteur en scène dénonce dans le cycle complet, à partir d’un ensemble de tableaux, la responsabilité de l’homme dans la destruction de son propre monde, qu‘elle soit active ou bien passive.
Le premier acte de Siegfried s’ouvre sur l’univers de Mime, le frère d’Alberich, nain représenté en ménagère évoluant en sous-sol dans un lieu de vie grossier et aménagé de quelques éléments de simili-verdure.
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke se glisse dans ce personnage vulgaire avec une aisance vocale et corporelle irrésistible au plus haut point.
Son chant répercute brillamment chaque phonème avec un sens du discours théâtral tranchant, agilité qui va de pair avec la souplesse dont il fait preuve pour contrôler son propre corps.
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)
Il n’est pas le seul à se lâcher sur scène, Günter Krämer tourne en dérision tout ce passage.
Le premier tableau plante en effet un décor d’enfance, sapin de noël, nounours et autres nains de jardin, dans lequel a été élevé le fils de Siegmund. En salopette pendant tout son parcours, Torsten Kerl n’a sans doute pas les talents comiques de son partenaire, ni la même projection, mais le timbre est attachant et son rôle gauche reste plutôt distrayant.
Torsten Kerl (Siegfried) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime)
Il est présenté comme l’homme sur lequel compte Mime pour le sortir de sa médiocre condition, et c’est en regardant sur un écran de télévision le film de Fritz Lang, Siegfried, qu’il trouve un exemple à suivre.
La rencontre entre Mime et le Voyageur est présentée de façon amusante, une leçon d'école, d'où un seul mot est à retenir : Furcht, la peur dont Wotan est devenu le vecteur, la peur qui asservit les hommes à des leaders, la peur que Siegfried ne connaît pas.
Juha Uusitalo (Der Wanderer - Wotan)
Après la remarquable interprétation humaine de Thomas Johannes Mayer lors de l'épisode précédent, Juha Uusitalo reprend le rôle de Wotan avec une conception plus brute, une présence physique forte mais vocalement plus uniforme.
La transition vers la scène de la forge se fait naturellement en utilisant la machinerie hydraulique de Bastille, prétexte assez simpliste pour montrer progressivement l’effacement de la symbolique verte, naturelle, devant le feu destructeur et rougeoyant du à la fabrication de l‘arme ultime : Notung.
Mais contrairement à l’ouverture sur la maison de Hunding dansDie Walküre, l’exécution musicale de Philippe Jordan et de l’Orchestre de l’Opéra de Paris prend dès le départ un élan nerveux, lumineux, avec un soucis de révéler nettement tous les thèmes de la musique de Wagner, et de rechercher une perfection des formes qui se fond dans la fluidité d‘ensemble.
Stephen Milling (Fafner)
Cette élégance quasi féminine, et finement sculptée, est peut être à l’origine des critiques de ceux qui préfèrent un Wagner plus noir, lourd et violent. Même les timbales sonnent à la fois puissamment et vivement, et les motifs des solistes s’élèvent et s’évanouissent dans une continuité harmonieuse toujours aussi poétique.
Ces qualités sont une constante de toute la représentation.
Acte II : la grotte de Fafner
Nous nous retrouvons au second acte dans des profondeurs où aboutit un rail menant à la grotte de Fafner, profondeurs dominées par la toile d’une forêt respirant au rythme des pulsations de la musique, dans une lumière sombre mixant or et verdure. Wotan et Alberich, tels des hommes d'affaires reflets l’un de l’autre, en surveillent l’entrée. Peter Sidom est aussi percutant que brillant acteur.
Krämer substitue par la suite le dragon à un chef mafieux, impressionnant Stephen Milling, qui dispose d’une bande d’hommes armés et chargés d’amasser les richesses, le rêve de pouvoir tel que Mime l’envisage pour lui-même. La nudité des figurants ne se justifie que lorsque leurs corps, terrassés après le meurtre de Fafner et de Mime, se mêlent aux feuilles mortes, à la délicatesse des rideaux peints, et que la nature reprend le dessus.
Qiu Lin Zhang (Erda)
A nouveau il s’agit d’insérer, comme les ouvriers des géants, les mineurs d'Alberich, les héros du Walhalla, la tribu de Hunding, une forme d’aliénation de masse autour d’un leader.
Le monde est toujours en flamme, depuis l’immolation de Brünnhilde, mais faut-il comprendre que l’écran plasma - procédé décalé et peu spectaculaire - situé dans la bibliothèque d’Erda souligne son inaction et sa contemplation devant le désastre en cours?
Le timbre d’ébène de Qiu Lin Zhang, profondément pathétique, fait à nouveau forte impression.
Torsten Kerl (Siegfried)
Nous ne verrons pas comment Siegfried traverse les flammes pour atteindre la Walkyrie, et nous nous contenterons d’un large tableau gris à l’avant scène lors de la lutte entre Siegfried le Comique et Wotan la Star.
La dernière scène, sur laquelle monte un long accord sidéral, s’ouvre sur le grand escalier du Walhalla, sous une lueur crépusculaire qui crée des effets de crénelages fascinants.
Les restes de la colère de Wotan - deuxième acte de la Walkyrie - s’éparpillent sur les marches, et les gardiens du palais, image magnifique de ces casques ailés bienveillants, veillent sur le corps de Brünnhilde.
Par peur, elle s'était réfugiée sous la table au moment où Loge allumait un feu ravageur.
On peut supposer qu'une fois endormie, les gardiens l'ont déposée au milieu du grand escalier pour préparer sa transition d'une vie éternelle vers la vie humaine, à la surface de la Terre.
Brigitte Pinter (Brünnhilde)
Son réveil par Siegfried est celui d’un enfant maladroit retrouvant sa mère, et Brigitte Pinter, lors de la répétition, impose petit à petit sa noble allure, femme désabusée mais encore vaillante lors de son ultime cri d’amour.
Les autres soirs, Katarina Dalayman apparaît plus sauvage, voix de métal avec une tendance à précipiter de brusques éclats, regard lumineux, et quelques limites compensées par un enthousiasme communicatif.
Katarina Dalayman (Brünnhilde).
La dernière minute de l’opéra se déroule sur un soleil grandissant, à la fois étoile Siegfried et étoile de Brünnhilde, alors que Wotan s’écroule.
Il y a quelque chose de frustrant et d' attachant dans l’approche de Günter Krämer. Son travail du mouvement d'acteur en reste au premier degré, il utilise des procédés datés, mais en même temps il peut créer des tableaux singulièrement poétiques car il ne perd pas de vue la dimension humaine.
La pagina en blanco (Pilar Jurado) Représentation du 18 février 2011 Création Mondiale au Teatro Real de Madrid
Ricardo Estapé Otto Katzameier Xavi Novarro Nikolai Schukoff Aisha Djarou Pilar Jurado Marta Stewart Natascha Petrinky Gérard Musy Hernan Iturralde KobayashiAndrew Watts Ramon Delgado José Luis Sola
Direction Musicale Titus Engel Mise en scène David Hermann
Nikolai Schukoff (Xavi Novarro)
La création Mondiale de La pagina en blanco est un aboutissement musical pour Pilar Jurado, qui à la fois soprano, chef d’orchestre et compositrice, car non seulement il s’agit du premier opéra qui lui a été commandé au cours des mois qui précédèrent la nomination de Gerard Mortier à la direction artistique du Teatro Real, mais également parce qu’elle s’est réservée un rôle scénique et la charge la rédaction du livret.
Le texte, prosaïque et purement narratif, raconte l’histoire fantastique d’un compositeur qui a perdu sa flamme inspiratrice. Un directeur de théâtre, Gérard Musy (contraction malicieuse de Gerard Mortier et deJean-Marie Musy, un conseiller musical de Pilar Jurado), une cantatrice, Aisha Djarou (anagramme de Jurado) et un ami possédant un robot chanteur, Xavi Novarro, se mettent dans l’idée de faire revivre les émotions créatrices de l’artiste, notamment en misant sur la nouvelle histoire d’amour qui se noue entre lui et la chanteuse.
Mais le compositeur perd la vie dans un accident de voiture, et son corps est alors porté dans un laboratoire pour que soit récupérée l’énergie lyrique de l’opéra qu’il a imaginé.
Pilar Jurado (Aisha Djarou)
On ne peut pas dire que le thème de l’influence des technologies sur notre espace mental soit abordé de la manière la plus convaincante qui soit, le passage du monde réel au monde imaginaire ne se percevant pas, surtout que les solutions théâtrales deDavid Hermann insistent sur les expressions corporelles des artistes, sourires étranges, convulsions, et sur un jeu un peu trop calculé.
En revanche, la chambre du compositeur, stylisée et d’un blanc immaculé, surplombant un monde souterrain médiocrement réel, est disposée à l’intérieur d’un cube qui s’ouvre pour présenter sur ses faces des vidéographies colorées d’oiseaux et de poissons évoluant dans un univers angoissant (L'univers du Jardin des délices de Jérôme Bosch, Triptyque exposé au musée du Prado). Il en ressort une impression d'espace hors du temps.
Cet ensemble a de quoi déstabiliser, surtout que l’écriture vocale reste assez monotone pour la plupart des chanteurs et se limite à un crescendo de la voix humaine, excepté pour les vocalises un peu trop vite expédiées de Pilar Jurado, et pour la puissance impressionnante du contre ténor héroïque Andrew Watts, d’une carrure inhabituelle pour cette tessiture.
Le caractère incisif de Nikolai Schukoff est ici sous employé, contrairement l'interprétation qu'il avait faite de Jim dans Mahagonny au Capitole de Toulouse.
Comme très souvent, on sent que Gerard Mortiera essayé de diffuser dans le texte quelques petits messages qui ne sont pas anodins : Nous pensons que nous contrôlons notre propre vie. Peut-être nous limitons nous seulement à suivre un jeu, le misérable jeu de la vie et le grandiose jeu de la mort.
La partition de Pilar Juradoest en revanche d‘une haute valeur musicale. Le tissu des structures des cordes est d’une beauté rare, expressionniste, les reflets s’y éclaircissent, frissonnent, alors que les percussions viennent soutenir l’action sans que l’on ressente l’agressivité que nous avait fait subir Bruno Mantovanidans Siddharta la saison dernière à Bastille.
Les chœurs, stimulants et vivifiants, sonnent comme la tempête qui brasse l‘énergie créative du compositeur, mais aussi comme un violent maelstrom qui emporte tous les chanteurs dans la scène finale, une sorte de chute vertigineuse que précipite un Phoenix au regard inquiétant, dans un feu infernal.
Parsifal (Richard Wagner) Représentation du 06 février 2011 Théâtre de la Monnaie de Bruxelles
Amfortas Thomas Johannes Mayer Titurel Victor von Halem Gurnemanz Jan-Hendrik Rootering KlingsorTomas Tomason Kundry Anna Larsson Parsifal Andrew Richards
Mise en scène Romeo Castellucci
Direction musicale Hartmut Haenchen
Dorothée Daffy - Figurante de l'exode (Acte III)
Au premier acte, nous sommes au milieu d’une forêt dense et obscure, symbole primitif bien connu de l’inconscient où se cachent les hommes, où se perdent les voix. Il en résulte une constante sensation de malaise pénible à soutenir, car les chanteurs restent la plupart du temps invisibles, sensation accentuée par de fréquentes dissonances au sein de l’orchestre.
La vision de Romeo Castelluccidémarre plutôt mal, et Harmut Haenchenpeine à tenir les musiciens à leur meilleur, créant une déception inévitable lorsque l’on se remémore le Parsifal transcendant qu’il dirigea à l’Opéra Bastille en 2008, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski.
Andrew Richard (Parsifal)
Il faut attendre, et rien ne laisse imaginer un changement d’univers aussi radical, l’arrivée au château de Klingsor pour tomber dans une sorte de fascination à la vue de la chambre sacrificielle blanche, brumeuse, illuminée irréellement, parcourue de danseuses nues se contorsionnant sur les convolutions de la musique.
Tomas Tomason ne laisse aucune ambigüité transparaitre, aucune pitié pour les corps qu’il tord froidement, un maître du domaine qui s’efface pourtant à l’apparition magistrale de Kundry. Andrew Richarda déjà investi l’humanité frondeuse de Parsifal, mais il se révèlera encore plus puissant au troisième acte.
Anna Larsson (Kundry)
Car ce second acte est avant tout celui d’Anna Larsson. Elle ôte à Kundry son agressivité naturelle pour lui donner une intensité tragique et épouvantée, avec une voix d’une complexité rare qui creuse des abysses et libère des appels tourmentés. La maîtrise avec laquelle elle assume son rôle, tout en maniant les enroulements du serpent blanc autour de son bras, est l’élément clé de cette vision angoissante, et non heureuse, de la sexualité dont se détourne Parsifal.
L’ensemble du travail plastique de Castellucciest visuellement d’une beauté impressionnante et déstabilisante, et Haenchen- tout comme l’orchestre - est ici à son aise dans les chromatismes dynamiques et sinueux.
Anna Larsson (Kundry)
De retour au domaine du Graal, tristement sombre et désolé, Parsifal retrouve un Gurnemanz vieillissant, Jan-Hendrik Rootering l‘incarne avec une usure juste, et y rallie tout un peuple pour le conduire on ne sait où.
L’ensemble de figurants réunis pour l’occasion -vêtus ordinairement- entame une marche sans fin, face au public, mené par la démarche fluide d’Andrew Richard. L’homme est un leader naturellement humble, vocalement d’une force sereine.
A nouveau l’image est superbe lorsque ce peuple d’hommes et de femmes poursuit son exode au cœur d’une galaxie, eux-mêmes distants les uns des autres comme le sont chacune de ces étoiles, jusqu’à sa dispersion dans une cité moderne et froide.
Thomas Johannes Mayerdessine un Amfortas aussi humain que Wotan à l’Opéra Bastille, bien que son rôle scénique n’exploite pas autant de potentiel théâtral.
Thomas Johannes Mayer (Amfortas) et Andrew Richard (Parsifal)
Malgré sa démarche intuitive et visuelle, Castelluccine tisse pas de lien évident entre chaque acte, mais les thèmes des deux derniers - d’une réussite artistique totale - croisent l’errance de ces jeunes qui lient sexualité et mal de vivre urbain dans Shortbus, film de John Cameron Mitchell.