Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Sweeney Todd (Stephen Sondheim) Représentation du 30 avril 2011 Théâtre du Châtelet
Sweeney Todd Rod Gilfry Mrs Lovett Caroline O’Connor Anthony Hope Nicholas Garrett Johanna Rebecca Bottone Tobias Pascal Charbonneau Le Juge Turpin Jonathan Best Le Bailli Bamford John Graham-Hall La mendiante Rebecca de Pont Davies
Direction musicale David Charles Abell Ensemble Orchestral de Paris Mise en scène Lee Blakeley
Caroline O'Connor (Mrs Lovett) et Rod Gilfry (Sweeney Todd)
Pour celles et ceux que l’esthétique horrifiante de Tim Burton avait poussés à bout, le spectacle créé par Lee Blakeley permet de vivre plus sereinement, si l’on peut dire, la comédie musicale de Stephen Sondheim.
La réussite tient au réalisme du lieu, un quartier londonien mal famé et parsemé de sous-sols noyés par la pénombre, le naturel d’une folie jouée sur scène sans que l’apparente spontanéité ne trahisse le professionnalisme qu’elle exige, un orchestre limpide et suggestif - la harpe lancinante rappelle les accords tout aussi obsédants d’Adrienne Lecouvreur -, et une équipe de chanteurs bien caractérisés et excellemment dirigés.
La voix accrocheuse et moqueuse de Caroline O’Connor dynamise fortement Mrs Lovett au point d‘en faire un personnage éclatant de vitalité, mais l’on aurait pu tout aussi bien concevoir une femme charmeuse et langoureuse, alors que Rod Gilfry offre un portrait humain et simple de Sweeney Todd, pas inquiétant du tout au premier abord.
Caroline O'Connor (Mrs Lovett) et Pascal Charbonneau (Tobias)
Bien entendu, les scènes de rasage en profondeur qui s’achèvent sous les jaillissements d’hémoglobine, et s’enchaînent humoristiquement, provoquent un effet de saturation, mais elles renforcent également la tension lorsque la jeune fille d’un citoyen arrive au moment où son père est dans les mains du barbier, ce qui lui épargne la vie, sans le savoir.
On ressent un très étrange sentiment à l’issue de cette comédie qui draine ironie, haine, dégoût et sentimentalisme, mais l’on retient également que le Théâtre du Châtelet est en train de devenir un lieu où tout une société peut se retrouver, un lieu de partage unique à Paris autour de la musique du monde.
Et à l'occasion de cet évènement, Sony vient de rééditer à 500 exemplaires l'enregistrement de la création originale de Sweeney Todd à Broadway (1979).
Il Trovatore (Giuseppe Verdi) Représentation du 23 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Ferrando Stefan Kocan Inez Maria Zifchak Leonora Sondra Radvanovsky Count di Luna Dmitri Hvorostovsky Manrico Marcelo Alvarez / Arnold Rawls Azucena Dolora Zajick
Direction musicale Marco Armiliato Mise en scène David McVicar
Arnold Rawls (Manrico)
Hormis le rôle de Ferrando, la distribution de la reprise d’Il Trovatore est identique à celle de 2009.
Marco Armiliato la dirige avec une telle superficialité, un laisser-aller cacophonique et des motifs lugubres à peine esquissés lorsque Leonore va se recueillir sous la tour du palais de l’Aljaferia, qu’il fait regretter l’art feutré de Gianandrea Noseda.
Après son retrait des dernières représentations de Luisa Miller le mois dernier à Paris, Marcelo Alvarez apparaît en meilleure forme au début, même si le timbre brille peu. Mais le doute s’installe lorsqu’il recourt à des effets fortement affectés pour couper court à un souffle qu’il a du mal à tenir.
Et effectivement, il ne revient pas dans la seconde partie, Manrico devant s’en remettre au solide Arnold Rawls qui, avec une projection rayonnante, des couleurs sombres et métalliques jusque dans le haut médium, et un sensible frémissement, le situe dans les mêmes dimensions vocales que Sondra Radvanovsky.
Sondra Radvanovsky (Leonore)
La soprano américaine, que l’on commence à revoir en Europe, n’a aucun mal à dominer la soirée. Phénoménale, on ne comprend d’ailleurs pas en la regardant chanter comment elle arrive à dégager un tel flot d’ondes nocturnes et minérales, elle est la passion verdienne dans son expression la plus mélancolique et la plus humble.
Dmitri Hvorostovsky, malgré certaines séquences qui le couvrent, brosse un portrait noble du comte, et offre une très tendre interprétation de son grand air au second acte.
Si Stefan Kocan est un Ferrando primaire, et Maria Zifchak une bien plus digne dame de compagnie pour Leonore, Dolora Zajick s’appuie sur ses graves impressionnants et l’agressivité de ses aigus pour compenser un vibrato prononcé mais qui n’affaiblit en rien la personnalité rancunière d’Azucena.
Inspirée par les coloris des tableaux de Goya, la mise en scène de David McVicar fait ressortir la violence de ce monde en guerre, et sa tragique diffusion, même dans les rapports mère-fils.
Capriccio (Richard Strauss) Représentation du 23 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Flamand Joseph Kaiser Olivier Russell Braun La Roche Peter Rose La Comtesse Renée Fleming Le Comte Morten Frank Larsen Clairon Sarah Connolly Les chanteurs italiens Olga Makarina Barry Banks
Direction Musicale Andrew Davis Mise en scène John Cox
Renée Fleming (La Comtesse Madeleine)
Il va sans dire que lorsque l’on a vu l’écrin dans lequel Robert Carsen a matérialisé sa vision de Capriccio au Palais Garnier, une fort émouvante ode à notre amour pour l’opéra en tant qu’inspiration musicale et espace de vie théâtrale, et une évocation de ses illusions que l’on ne voudrait pas voir lorsque La Comtesse Madeleine quitte son rôle alors que les techniciens démontent l’ensemble des décors, la production de John Cox se situe un cran en dessous, même si elle insuffle beaucoup de vie dans les rapports entre personnages.
L’esthétique du décor années vingt, les éclairages vifs et fixes, sauf à la toute fin, et son côté pièce de théâtre bourgeois qui idéalise une femme devant choisir entre deux prétendants réduisent le texte à une douce scène amusante. Et surprise, la belle fait même un choix au moment où les dernières lumières s’éteignent, mais dont seul le domestique en prendra connaissance.
Joseph Kaiser (Flamand)
La direction de Andrew Davis se complaît dans une sorte de confort tranquille sans fantaisie, se fait à plusieurs reprises lâcher par les cuivres, ce qui fait reposer toute la vitalité sur les chanteurs.
Toujours aussi glamour dans ses poses, Renée Fleming a conservé la couleur de la crème qui a fait sa notoriété, mais le temps l'a rendue plus femme, et moins douce langueur policée. Morten Frank Larsen conduit le personnage du Comte comme un coureur de jupon encore alerte, pas du genre à laisser son orgueil l’enfermer dans son statut supérieur, avec une solide présence que pourrait lui envier Sarah Connolly, car elle dilue Clairon dans une attitude légère, à moins que ce ne soit la volonté du metteur en scène.
Autre excellent meneur,Peter Rose fait également de La Roche un fin diseur.
Très réservé au risque de créer un certain déséquilibre, Russell Braun laisse le champ libre à un Joseph Kaiser magnifiquement expressif, souffle vaillant et accents mélancoliques qui en font une merveille à écouter lorsque l’on tourne la tête vers l’immensité de la salle envahie par son chant. On ne le croirait pas Canadien, sinon Slave, lui qui est une des splendides découvertes de cette saison à l'Opéra de Paris dans Oneguine.
Les brillants Olga Makarina et Barry Blanks se livrent à un concours d'endurance accrocheur, pour lequel le public, aussi prompt à déclencher les rires comme il le fit dans le Comte Ory, manifeste son enthousiasme le plus sincère.
La Walkyrie (Richard Wagner) Représentation du 22 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Wotan Bryn Terfel Fricka Stéphanie Blythe Siegmund Jonas Kaufmann Sieglinde Eva-Maria Westbroek Brünnhilde Deborah Voigt Hunding Hans-Peter König Gerhilde Kelly Cae Hogan Ortlinde Wendy Bryn Harmer Waltraude Marjorie Elinor Dix Schwertleite Mary Phillips Helmwige Molly Fillmore Siegrune Eve Gigliotti Grimgerde Mary Ann Mc Cormick Rossweisse Lindsay Ammann
Direction Musicale James Levine Mise en scène Robert Lepage
Jonas Kaufmann (Siegmund)
A la vue de la nouvelle production de la Walkyrie, et avant d’en commenter l’interprétation musicale, on ne peut reprocher à Robert Lepage de n’avoir pas compris à quel public il s’adresse. Tout son dispositif s’articule autour d’une armature hélicoïdale, dont les pales se déploient pour former l’élément de décor le plus pertinent pour la scène en cours.
Il s’agit d’une prouesse technique remarquable, on n’imagine pas tous les problèmes d’équilibres de masse, d’asservissements et de contrôles informatiques temps réel que cela représente, qui permet d’enchaîner dynamiquement les changements de lieu, d’abord la forêt, puis la maison de Hunding, puis le Walhalla.
Les Américains, habitués aux images de synthèses des derniers Star Wars, aux éclairages sous lesquels les structures deviennent vivantes, aux lents mouvements d’impressionnants vaisseaux, retrouvent à l’opéra destextures et des animations importées des effets spéciaux cinématographiques, ou bien des jeux vidéo.
Deborah Voigt (Brünnhilde) et Bryn Terfel (Wotan)
Le troisième acte tourne même au rodéo lorsque les Walkyries chevauchent héroïquement les poutres en balancement, sous couvert de sifflets et d’encouragements de la salle exaltée. Un cirque inimaginable à l’Opéra de Paris.
L’arrivée de Brünnhilde sur les ailes de Grane nous amène dans l’univers du Choc des Titans, et son immolation, spectaculaire cristallisation dans un rocher, le corps renversé, rappelle la cryogénisation de Hans Solo. Mais après tout, Georges Lucas s’est lui même inspiré du Ring dans sa Saga de science fiction.
Néanmoins, si l’on regarde au-delà de tous ces costumes aux couleurs vives et scintillantes, et de cette architecture qui est, répétons le, extraordinaire, Robert Lepage ne fait qu’assurer le service minimum enterme de profondeur de mise en scène.
La psychologie de chaque personnage reste terriblement simplifiée, il arrive que leurs gestes se figent, avec toutefois quelques images recherchées comme l’enlacement de Siegmund autour de Sieglinde, et la mort de celui-ci dans les bras de Wotan.
Mais même là, les poses se prennent de façon visiblement calculées. Tous les symboles, corne, béliers de Fricka et autres casques ailés sont par ailleurs utilisés à titre décoratifs.
Stéphanie Blythe (Fricka)
Onpeut ainsi se moquer de l’attirail artisanal, cordes, rideaux, projecteurs mal cachés, qu’utilise Günter Krämer à Paris, son Ring reste cependant d’une toute autre intelligence de vue, théâtral dans les moments clés - le récit de Wotan et l’avertissement de Brünnhilde à Siegmund à l’acte II de la Walkyrie-, et surtout d’une indéniable humanité.
Mais bien sûr, la musique prime. Lors de son arrivée pour saluer le public, James Levine a reçu une ovation de la salle d’une force telle que peu de chefs peuvent s’en prévaloir. Il est chez lui, et dès que l’ouverture démarre, il offre l’image attendrissante d’un chef qui virevolte au milieu de l’orchestre comme un enfant dans l’eau.
Sa direction est incisive, les traits violents et naturalistes, les gradations en intensité atteignent leur paroxysme plutôt dans la première partie, dans le duo de Siegmund et Sieglinde, profondément chaleureux - notamment le hautbois-, et l’apparition impérieuse de Fricka.
Dans ce rôle ci, Stéphanie Blythe laisse une impression féroce, très assurée, une voix riche et colorée sur laquelle elle assoit une autorité imparable. On croirait entendre Dolora Zajick, mais plus jeune, et sans le vibrato actuel.
Bryn Terfel (Wotan)
Bryn Terfel, un large souffle noir et névrotique, donne l’image d’un Wotan qui se débat avec ses propres contradictions. Il semble brider ses sentiments profonds que ce soit pour Brünnhilde ou Siegmund, mais beaucoup trop d’allers et venues masquent le manque de sens donné au geste. Ni lui, ni aucun autre chanteur, ne laissera une attitude théâtrale marquante. Il n’en est pas moins percutant, surtout quand il clame sa rage.
D’emblée, Deborah Voigt se présente crânement, et lâche sans complexe sa voix tout au long de cette épopée sans le moindre signe de fatigue, et sans rupture brusque. Il faut cependant accepter un timbre qui la vieillit considérablement, et une vision un peu trop survoltée de Brünnhilde.
Bien des Hunding ont des intonations rustres, suggérant une nature primitive, mais dans le cas de Hans-Peter König nous pouvons croire qu’il pourrait être un homme accueillant, sage, surtout dans son accoutrement de Père Noël, parce que ce chanteur partage des sonorités souples, amples et d‘une évidente maturité.
Eva-Maria Westbroek (Sieglinde) et Jonas Kaufmann (Siegmund)
Couple très attendu, Jonas Kaufmann et Eva-Maria Westbroek réussissent un duo d’amour passionné à donner le frisson, lui si souple corporellement, si sensible et sombrement rayonnant - mais encore prudent quand il élargit sa voix-, et elle toujours aussi tragiquement humaine et subtilement méditative, dont la méforme passagère est à peine perceptible même dans ce passage là.
Margaret Jane Wray la remplace pourtant au troisième acte, avec vaillance, et même une certaine ressemblance de timbre, sans que cela n’ôte un sentiment de déception, car il s’agit d’une prise de rôle pour la soprano allemande.
Le Comte Ory (Gioachino Rossini) Représentation du 21 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Le Comte Ory Juan Diego Florez La Comtesse Adèle Diana Damrau Isolier Joyce DiDonato Raimbaud Stéphane Degout Le Gouverneur Michele Pertusi Dame Ragonde Susanne Resmark
Mise en scène Bartlett Sher Direction musicale Maurizio Benini
Juan Diego Florez (le Comte Ory) et Stéphane Degout (Raimbaud)
Il paraît surprenant que l’avant dernier opéra de Rossini n’ait pas la notoriété du Barbier de Séville ou bien de l’Italienne à Alger. Il s’agit évidemment d’un divertissement bourgeois haut de gamme, qui comporte un second acte à l’action très serrée.
Bien que cette comédie se déroule vers 1200 - période identique à celle du livret d’Aroldo, un des opéras les moins connus de Verdi -, Bartlett Sher la transpose au XIXème siècle, sans surcharge, et s’appuie habilement sur les ressorts du théâtre de Marivaux, une forme d’élégance sans trivialité, auxquels le public rit de bon cœur.
Il suffit de voir le chouchou de ces Dames, Juan Diego Florez, sautiller de ci de là dans son costume de religieuse, pour que la salle s’esclaffe sans se limiter à un sourire simplement amusé. Et visiblement, il aime cela. Incarnation vocale du classicisme, le ténor péruvien manie la précision de la langue française avec une clarté particulièrement charmeuse.
Diana Damrau (La Comtesse Adèle) et Joyce DiDonato (Isolier)
En véritable princesse un peu capricieuse, Diana Damrau pousse les vocalises aux limites de l’hystérie avec, elle aussi, une excellente diction, et l’on retrouve à nouveau Joyce DiDonato dans un de ces rôles masculins et troublants où elle adore se travestir, et exprimer l’insolence de la fougue adolescente, avec la présence qu’on lui connaît.
La scène finale qui se déroule sur le lit dans une confusion des sentiments et des sexes, alors que le Comte, la Comtesse et Isolier alternent des effusions virtuoses et passionnées, est une petite réussite en soi.
Unique interprète français de la distribution, Stéphane Degout se prête de bon cœur à la farce sans verser dans les excès du cabotinage, mais le souffle et la chaleur de sa voix, qu'il libère généreusement lorsque l'occasion lui en est donnée, le mettent de toute façon mieux en valeur dans un répertoire plus sensible et poétique.
Dans la fosse, Maurizio Benini mène un rythme entraînant, ce qui est l’élément essentiel de la musique de Rossini.
Pelléas et Mélisande (Claude Debussy) Version concert du 17 avril 2011 Théâtre des Champs Elysées
Pelléas Simon Keenlyside Mélisande Natalie Dessay Golaud Laurent Naouri Geneviève Marie-Nicole Lemieux Arkel Alain Vernhes Yniold Khatouna Gadelia Le Médecin Nahuel di Pierro
Direction musicale Louis Langrée Orchestre de Paris
Laurent Naouri (Golaud)
Après Parsifal et Ariane et Barbe-Bleue, c’est avec une version concert de Pelléas et Mélisande que s’achèvent ces quelques jours consacrés, au hasard du calendrier, à Wagner et son influence dans la musique française.
Sous la direction de Louis Langrée, les musiciens de l’Orchestre de Paris livrent une lecture rigoureuse et compacte qui, au fil de soirée, gagne en limpidité. Si dans les passages les plus vivants la poésie se défait sensiblement, la profondeur de la musique, lorsqu’elle travaille les mouvements les plus sombres, devient flot mystérieux et inquiétant, et cela particulièrement lorsque Golaud intervient.
Or, Laurent Naouri est a lui seul, immensément, naturellement, et en toute évidence, l’interprète choc de la représentation. Il chante magnifiquement, le verbe est précis, superbement lié et détaché à la fois, sur fond d’un timbre mûr et que l'on pourrait croire affectueux au premier abord.
Alors évidemment Simon Keenlyside joue sur deux registres, des étincelles d’innocentes clartés et une assurance virile, Natalie Dessay trouve une lumineuse présence dans "Mes long cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour", mais nulle subtile mélancolie ou sentiment d'urgence ne traverse ce duo par ailleurs tenu à distance sur scène. Rien ne se passe en fait. Même Alain Vernhes paraît trop attentif à soigner son chant.
Ceci est cependant un avant goût de la passionnante confrontation qui s’annonce la saison prochaine entre le Teatro Real de Madrid (L.Naouri-Y.Beuron-C.Tilling direction S.Cambreling) et l’Opéra de Paris (V.Le Texier-S.Degout-E.Tsallagova direction P.Jordan) , le chef d’œuvre de Debussy devant y être représenté dans la même mise en scène de Bob Wilson.
Ariane et Barbe-Bleue (Paul Dukas) Version concert du 15 avril 2011 Salle Pleyel
Ariane Katarina Karnéus La Nourrice Delphine Haidan Sélysette Andrea Hill Mélisande Emmanuelle de Negri Barbe-Bleue Nicolas Cavallier
Direction musicale Jean Deroyer Orchestre Philharmonique de Radio France Choeur de Radio France
Katarina Karnéus (Ariane)
Les hasards heureux de la programmation font qu’il est possible d’entendre Parsifal, Pelléas et Mélisande et Ariane et Barbe-Bleue à quelques jours d’intervalle. Car ces trois oeuvres forment un aboutissement de l’intégration de l’univers symphonique à l’art de l’opéra.
Mais si - dans la recherche d’une réponse à Wagner - Debussy a cherché à se démarquer, la fascination de Paul Dukas pour le maître de Bayreuth, et Parsifal en particulier, est restée intacte.
Sous la direction monumentale de Sylvain Cambreling, l’Opéra de Paris avait présenté l’ouvrage dans une production visuellement dommageable à l’imprégnation de la musique. Ce soir, en version concert, l’immersion dans les vagues lumineuses est totale, et Jean Deroyer anime l’immensité orchestrale en incitant des impulsions parfois un peu trop fracassantes.
Même si les cordes s’éliment dans les filages les plus fins, le plus beau passage s’ouvre au troisième acte, lorsque les ondoyances évoquent l’arrivée des filles fleurs de Parsifal.
La poésie du texte de Maeterlinck trouve ainsi, avec Katarina Karnéus et Dephine Haidan, un art de la diction noble et maîtrisé.
Parsifal (Richard Wagner) Version concert du 14 avril 2011 Théâtre des Champs Elysées
Parsifal Nikolai Schukoff Kundry Angela Denoke Gurnemanz Kwangchul Youn Klingsor John Wegner Amfortas Michael Volle Titurel Steven Humes
Direction Musicale Kent Nagano
Orchestre et Choeur de la Staatsoper de Munich Tölzer Knabenchor (Choeur de garçons de Bad Tölz)
Angela Denoke (Kundry)
Juste avant d'interpréter à Munich deux représentations de Parsifal, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, l'intégralité de l'équipe artistique passe par le Théâtre des Champs Elysées, comme pour offrir à Paris une répétition générale spéciale.
On peut regretter qu'un minimum de mise en espace ne permette aux chanteurs de jouer leur rôle, et de créer de véritables moments de tension, il n'en est pas moins vrai que l'attente porte en grande partie sur Angela Denoke.
Toute l’intériorité torturée de Kundry s’exprime uniquement par les torsions du buste, les traits du visage d’une femme affligée et blessée, mais pas dangereuse.
Le pouvoir magnétique de la soprano allemande, sophistiquée et pourtant si humaine, se manifeste pendant tout le second acte, qu’elle chante ou pas d’ailleurs. Sa voix s’épanouit en s’accordant du temps, des clartés voilées, des angoisses graves et mystérieuses, et des lenteurs envoutantes.
Angela Denoke (Kundry)
En l’apparence, l’attitude si simple de Nikolai Schukoff, Parsifal plein de bonne volonté, n’a pas la présence immédiate répondant au cliché de l’Heldentenor wagnérien, et pourtant, sa technique lui permet de soigner les lignes d’un chant mordant et sombre, dirigé frontalement, d’atteindre les aigus dans un élan soudain mais sans rupture et sans altération, tout cela avec une modestie sympathique. Le timbre ne change pas, mélancolique, mais également un peu austère.
Kwangchul Youn, dont on attend le retour à l’Opéra de Paris dans la Forza del Destino, peut se prévaloir d’une sage autorité charismatique qui humanise fortement Gurnemanz. Il y a en lui un rayonnement et un style chaleureusement mozartiens qui évoquent la conscience éclairée de Sarastro.
L’âme d’Amfortas trouve, en Michael Volle, un gardien de son propre orgueil de roi et de sa dignité, John Wegner exalte sans ambages la brutalité névrosée de Klingsor, et le Titurel de Steven Humes, même disposé en arrière scène, percute très efficacement.
Angela Denoke (Kundry), Kent Nagano et Nikolai Schukoff (Parsifal)
Il y a bien des façons d’interpréter Wagner, et Kent Nagano donne l’impression, dans le premier acte, de privilégier l’avancée du discours, le choix d’une douceur qui s’obtient en étouffant les cuivres sous les cordes, et en ne les laissant jaillir que dans les moments nécessairement spectaculaires. Les frémissements des violons sont encore trop mécaniques, mais l’ensemble reste prenant.
L’ orchestre de la Staatsoper de Munich gagne en intensité au second acte, mais c’est réellement dans la dernière partie, de retour au château du Graal, qu’une magnifique nappe sonore, traversée de fin contrastes, immerge la salle avec une grâce qui évoque la légèreté d’une renaissance.
Le Freischütz (Carl Maria von Weber) Représentation du 9 avril 2011 Opéra Comique
Agathe Sophie Karthäuser Max Andrew Kennedy Annette Virginie Pochon Gaspard Gidon Saks Kouno Matthew Brook Kilian Samuel Evans Ottokar Robert Davies L’Ermite Luc Bertin-Hugault Samiel Christian Pélissier
Mise en scène Dan Jemmett Direction musicale John Eliot Gardiner Chœur The Monteverdi Choir Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Sophie Karthäuser (Agathe)
Depuis l’émergence du ballad opera anglais, au milieu du XVIIIème siècle, les compositeurs allemands s’intéressaient à l’opéra comique allemand : le singspiel.
Mais alors qu’il était encore maître de chapelle national à Prague, Carl Maria von Weber fit entendre Fidelio, l’unique opéra de Beethoven. Il y voyait un archétype de l’opéra romantique allemand.
La création berlinoise du Freischütz (1821), adaptation d’un conte populaire germanique, fut depuis considérée comme le premier grand opéra romantique allemand.
Vingt ans après, Hector Berlioz, qui avait assisté à la création parisienne de l’ouvrage au Théâtre de l’Odéon, en réalisa une traduction française, en passant par une conversion des dialogues parlés en récitatifs, plus adaptés à l‘efficacité théâtrale. Il ajouta également un ballet orchestré à partir de L’invitation à la danse, rondo pour piano composé par Weber.
Bien que l’acoustique intime de la salle Favart ne favorise pas l’épanouissement des grands ensembles, John Eliot Gardiner et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique viennent pourtant d’en donner une interprétation alerte et élégante, traversée d’un souffle permanent et irrésistible.
Le réconfort des solos, impeccablement détachés, renoue avec la profondeur des sentiments.
Matthew Brook (Kouno), et les villageois (The Monteverdi Choir)
Les interprètes d’Agathe, Annette et Max composent à eux trois un cœur vocal délicat, et soigneusement allié aux finesses orchestrales. Sophie Karthäuser joue avec des couleurs mélancoliques et des fragilités expressives, Virginie Pochon révèle une aisance pimpante et une franchise de diction qui font chanter lumineusement les moindres notes, et Andrew Kennedy réussit une composition tendre avec même une appréciable musicalité du texte français.
Gidon Saks profite un peu trop de son sur-dimensionnement à la scène pour forcer inopportunément le trait, mais il se rattrape en assurant du lien aux graves introvertis.
Sans réserve, les seconds rôles s’intègrent agréablement à la vie du village.
Virginie Ponchon (Annette) et Sophie Karthäuser (Agathe)
Le travail de Dan Jemmett, sur un décor d’image d’Epinal, se sort le mieux de la mise en scène du chœur, parfait, même très bien synchronisé lors de sa dispersion dans les hauts couloirs du théâtre, quand s’ouvre la saisissante Gorge du Loup.
La meilleure réalisation musicale de l’Opéra Comique de la saison, pour l'instant.
Luisa Miller (Giuseppe Verdi) Représentations du 26 et 29 mars 2011 Opéra Bastille
Il Conte di Walter Orlin Anastassov Rodolfo Roberto de Biasio Federica Maria José Montiel Wurm Arutjun Kotchinian Miller Frank Ferrari Luisa Krassimira Stoyanova Laura Elisa Cenni Un Contadino Vincent Morell
Mise en scène Gilbert Deflo Décors et costumes William Orlandi Direction musicale Daniel Oren
Krassimira Stoyanova (Luisa Miller)
Luisa Miller est l’unique opéra de Verdi qui contienne la même idéologie que le Tristan et Isolde de Wagner. L’amour ne peut s’accomplir que dans la mort, et ce passage vers l’éternité est provoqué par l’un des deux amants, avec la même symbolique de la coupe et du poison.
On peut même remarquer que Luisa y songe lorsqu'elle rédige la lettre sous la contrainte de Wurm.
Même si la force naturelle des rondeurs montagneuses, qui s’impose à l’arrière plan et profite le mieux aux auditeurs du parterre, n’apparaît pas comme une dimension évidente de l’œuvre, la forme du décor de William Orlandi, un grand arc tourné vers le ciel, répond à l’idéal d’infini qui unit Rodolfo et Luisa, une forme immense et inversée par rapport à celle de la banale coupe.
Pour parfaire la sensation d’unité et de relief scénique, tout en recherchant une impression de mélancolie, les éclairages diffusent une lumière de faible intensité qui oblige toutefois le spectateur à agir sur ses fonctions de maintien en éveil.
Il ne peut compter sur la mise en scène de Gilbert Deflo, puisqu’elle se limite à gérer des entrées et sorties et à préciser les confrontations face au public.
Maria José Montiel (Federica)
En revanche, la distribution artistique permet d’offrir à l’intimisme de cet ouvrage charnière de la vie de Verdi, une rupture définitive avec les opéras patriotiques de jeunesse, des lignes vocales et musicales absolument sublimes.
Sous la direction enthousiaste de Daniel Oren, mais en décalage avec le drame, l’orchestre de l’Opéra de Paris dédie ses plus fines textures, une fusion réussie entre enchainements dramatiques et délicatesse des évanescences. La voix spectaculaire de Krassimira Stoyanova, élancée, fière et surnaturelle, donne une dimension si aristocratique à Luisa que l’on en oublie sa condition villageoise.
Franck Ferrari (Miller) et Krassimira Stoyanova (Luisa Miller)
A côté d’elle, Maria José Montiel interprète une Comtesse superficielle, timbre de chair plus coloré que subtil, et généreuse en décibels.
Avec ses étranges sons baillés et une proximité vocale frappante, Arutjun Kotchinian fait de Wurm un être comique à la gestuelle exagérée, et l’on reconnait en Orlin Anastassov le portrait de l’autorité traditionnelle, monotone solidité, empreinte du temps sur la noirceur du timbre, une ressemblance avec Burt Lancaster, patriarche déchu d’Il Gattoparto, un des chefs-d'oeuvre de Visconti.
Moins puissant, mais d’une variété d’intonations presque chaotique, Franck Ferrari soigne particulièrement bien ses lignes de chant au troisième acte, en duo avec Krassimira Stoyanova, une caractérisation inégale mais sensible du père de Luisa. Il y a de la vérité dans ses expressions, et il vit ses sentiments.
Au cours de ces deux soirées pour lesquelles Roberto de Biasio se substitue à Marcello Alvarez, le ténor engage un personnage d‘une gravité toute romantique, un Werther à l‘italienne, une profondeur humaine et une économie de geste magnifiquement poétisées par un style qui s’inscrit dans la lignée de José Carreras, de la lumière et des ombres, de l’élégance et de l’habilité quand il s’agit de laisser s’atténuer de minces fils de voix. C’est tellement beau que l’on craint que ce ne soit fragile.