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Publié le 23 Mars 2025

Katia Kabanova (Leoš Janáček – Brno, le 23 novembre 1921)
Représentations du 17 mars et 07 juillet 2025
Bayerische Staatsoper - Munich

Dikoj Milan Siljanov
Boris Pavel Černoch
Kabanicha Violeta Urmana
Tichon John Daszak
Káťa Corinne Winters
Kudrjáš James Ley
Varvara Emily Sierra (17 mars)
             Rachael Wilson (07 juillet)
Kuligin Thomas Mole (17 mars)
             Tim Kuypers (07 juillet)
Glaša    Ekaterine Buachidze
Fekluša Elene Gvritishvili
Ein Mann Samuel Stopford
Eine Frau Natalie Lewis

Direction musicale Marc Albrecht (17 mars)
                                Petr Popelka (07 juillet)
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2025)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo  Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

                      Lukas Leipfinger
Bayerisches Staatsorchester, Choeur du Bayerische Staatsoper

Située à 380 km de Prague, Munich défend bien le répertoire tchèque. Mais si le public du Bayerische Staatsoper est familier avec ‘Jenůfa’ – la production de Barbara Frey fut jouée de 2009 à 2018 -, ‘Káťa Kabanová' n’avait plus été représenté depuis 25 ans, la dernière production de David Pountney, avec Catherine Malfitano dans le rôle titre et Paul Daniel à la direction musicale, n’ayant connu que 14 représentations de mars 1999 à juillet 2000.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Pour redonner vie à cette figure féminine sous pression de son environnement social, Serge Dorny s’est tourné naturellement vers Krzysztof Warlikowski qui connaît bien l’univers de Leoš Janáček pour avoir mis en scène deux de ses ouvrages, ‘Věc Makropulos’ (Opéra de Paris, 2007) et 'Z mrtvého domu' (Royal Opera House Covent Garden, 2018). Il s’agit par la même occasion de sa huitième production présentée en ce même lieu depuis ‘Eugen Onegin’ en 2007.

Káťa Kabanova (Winters Černoch Urmana Warlikowski Albrecht Popelka) Munich

Le décor conçu par Małgorzata Szczęśniak peut s’apprécier avant le début du spectacle, car le rideau est déjà levé pour permettre à plusieurs couples de danseurs d’interpréter un tango au centre d’un grand hall. En apparence, les murs sont recouverts d’un bois laqué clair laissant apparaître des nervures aux drapés ondoyants, et une pièce en forme de parallélépipède est encastrée à l’arrière. Cette pièce pourra s’avancer et s’ouvrir pour recréer des scènes d’intérieur plus intimes.

L’idée du tango qui illustre une fête contemporaine autour de laquelle une vie de quartier s’anime, avec nombre de personnages ayant leur propre ligne de vie autonome très précisément articulée, peut au premier abord intriguer, mais il s’agit d’une image sereine et subtile de l’harmonie du couple très agréable à regarder pour le spectateur, et qui d’emblée ne pose pas un univers misérabiliste.

Ces danseurs réapparaîtront au cours de l’interlude du début du second acte en suivant le mouvement chaloupé et fluide de l’orchestre et des bois.

Pavel Černoch (Boris)

Pavel Černoch (Boris)

A l’écart de ce petit monde, Káťa Kabanova est d’abord présentée à travers sa propre joie intérieure. Une vidéo grand champ montre celle-ci chantant dans sa tête comme une jeune adolescente, une image qui pourrait-être celle de la jeune femme heureuse avant qu'elle ne se marie au médiocre Boris que Krzysztof Warlikowski fait entrer en étant jeté à terre avec brutalité sous les humiliations de son oncle Dikoj. 

Mais un peu plus loin, lorsqu’elle est rejointe par Varvara, sa fille adoptive qui joue le rôle de sœur confidente, un habile jeu où on la voit mimer une scarification avant d’ouvrir les bras en croix révèle les pulsions suicidaires de Káťa nées de son environnement religieux. Cette tendance sera à nouveau suggérée de façon subliminale dans la chambre des Kabakov, à travers une mystérieuse séquence de visionnage d’un film en images de synthèse prémonitoires où une jeune femme provoque un accident de voiture et décède sous les regards des badauds.

Ces regards fixes réapparaîtront sous forme d’ombres à la toute fin, lors de l'inéluctable suicide.

Corinne Winters (Káťa)

Corinne Winters (Káťa)

Car à travers la narration et les interactions vives entre protagonistes, le monde imaginaire et étrange de Káťa est aussi projeté à des moments bien choisis par l’insertion sur le décor de séquences vidéos aux teintes irréelles. L'osmose de la jeune femme avec la nature et les champs de fleurs, si bien racontée lors de sa confidence à Varvara au premier acte, recouvrira toute la scène au moment de sa mort, en contraste fort avec la vitrine d’animaux empaillés dressée côté jardin, qui traduit en revanche un rapport à la nature plus mortifère de la part de la société. 

En exposant ainsi le monde intérieur de Káťa, Krzysztof Warlikowski fait ressentir à quel point son esprit vit dans un monde parallèle, et son rapport aux désirs du corps est également décrit avec beaucoup de sensibilité, par exemple lorsqu’en nuisette elle semble vouloir éveiller Tichon.

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Corinne Winters (Káťa) et Emily Sierra (Varvara)

Mais Boris, le futur amant, est dès son entrée décrédibilisé à travers sa perruque orange et bouclée, le metteur en scène choisissant de ne pas l’épargner au troisième acte en masquant son visage afin de pointer la lâcheté de son humanité, et montrer l’aveuglement de l’héroïne. Leur rencontre chez Varvara est ici transposée dans un bar branché, lui aussi incrusté dans la partie mobile et recadrée du décor. Et les variations de couleurs et de lumières (Felice Ross) sont toujours nuancées avec une extrême justesse dans cette alcôve confidentielle.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

S’admire également l’excellente caractérisation de Tichon et de sa mère Kabanicha par deux grands artistes, John Daszak et Violeta Urmana. Le premier, affublé comme une employé tout à fait dans la norme, use de son grand sens déclamatoire claquant et puissant, alors que la mezzo-soprano lituanienne est fascinante par l’expressivité du regard, l’animalité du chant et sa façon flambante d’imposer son autorité et ses attentes sur son entourage. D’ailleurs, loin d’être uniquement froide et cassante, il ressort aussi beaucoup d’ironie dans son personnage très bien joué.

Quant à la relation entre Kabanicha et Dikoj - Milan Siljanov campe un Dikoj redoutable -, elle virera à un rapport purement physique et pragmatique au corps, la disparition de la sensualité solaire de leur jeunesse étant pathétiquement soulignée en mettant en miroir celle d’un couple d’amoureux extrait d’un film glamour.

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

John Daszak (Tichon) et Corinne Winters (Káťa)

Tout au long du spectacle, l’auditeur s’imprègne ainsi de l’âme de Káťa tout en jaugeant le comportement des autres personnages, jusqu’au troisième acte où une fracture nette se forme : toute la communauté se réunit, même les individus les plus anodins, pour s’installer sur plusieurs rangs latéraux, comme lors d’un jury populaire, afin de pointer leur regard sur Káťa Kabanova laissée seule avec sa culpabilité sur une simple chaise située au centre de la scène. 

Cette question du regard des autres traverse toutes les couches sociales, car le conformisme est généralement perçu comme le meilleur moyen de survie de l’homme, surtout qu’il est très confortable de s’afficher dans le camp du ‘bien’.

Dans sa grande scène finale, à la solitude poignante de Káťa Kabanova s’oppose toute une société semblant unie en apparence contre celle qui a osé ignorer les règles.

Violeta Urmana (Kabanicha)

Violeta Urmana (Kabanicha)

Au fur et à mesure que la jeune femme s’enferre dans l’attente de la mort, son rapport spirituel à la nature est sublimé à travers une très belle projection d’un tapis de fleurs, Krzysztof Warlikowski prenant bien soin d’élaguer le conditionnement religieux qui s’entend aussi dans les paroles.

Et c’est à un Boris au visage masqué qu’elle s’adresse, celui-ci étant dans l’impossibilité d’être lui-même. Pavel Černoch, chanteur tchèque d’une grande sincérité expressive, est ici totalement idiomatique dans son répertoire de prédilection qui lui colle à la peau. Les modulations slaves de son chant permettent facilement de l’identifier au-delà du maquillage qui en recouvre les plus beaux traits.

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Corinne Winters (Káťa) - 3e acte (Photo Geoffroy Schied)

Dans le rôle principal qu’elle défend régulièrement – elle en est à sa septième production de 'Kat'a Kabanova' depuis Seattle en 2017 -, Corinne Winters est absolument irradiante avec son apparence si fragile et son beau timbre aux inflexions subtilement sombres et finement filées. Elle peut délier une ligne vocale d’une souplesse très harmonieuse, même dans les moments les plus intenses, sans pour autant exagérer le sentiment de souffrance. Cette unité vocale imperturbable contribue ainsi à affirmer une constance dans sa personnalité.

En Varvara, Emily Sierra est d’une grande fraîcheur, avec des couleurs aux reflets changeants et une pétillance qui contraste avec la nature plus hors du temps de Káťa, et son duo drôle avec James Ley, un éloquent Kudrjáš, est un grand moment de respiration de la soirée.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Krzysztof Warlikowski, Małgorzata Szczęśniak, Claude Bardouil entourés de Milan Siljanov, John Daszak, Corinne Winters et Marc Albrecht.

Et pour lier cet univers à la fois poétique et chaotique, Marc Albrecht insuffle à l’écriture de Leoš Janáček une lecture très sensuelle, tout en restant très souple dans la charge dramatique, ce qui donne l’impression de vivre en phase avec l’intériorité de Káťa Kabanova. Dans cette production qui voit l’héroïne se fondre dans l’absolu de la nature, le sentiment de communion prédomine.

Il sera alors très intéressant de découvrir la lecture qu’en fera le jeune chef d’orchestre tchèque Petr Popelka qui dirigera cette production pour un seul soir le 07 juillet prochain.

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

Krzysztof Warlikowski et Corinne Winters

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Publié le 22 Mars 2025

Der Spieler (Sergueï Prokofiev –
La Monnaie de Bruxelles, le 29 avril 1929)
Représentation du 15 mars 2025
Staatstheater Stuttgart

General Goran Jurić
Polina Aušrine Stundyte
Alexej Daniel Brenna
Babulenka Véronique Gens
Marquis Elmar Gilbertsson
Mr. Astley Shigeo Ishino
Mlle. Blanche Stine Marie Fischer
Fürst Nilski Robin Neck
Baron Wurmerhelm Peter Lobert
Potapytsch Jacobo Ochoa

Direction musicale Alexander Vitlin
Mise en scène Axel Ranisch (2025)
Staatsorchester Stuttgart, Staatsopernchor Stuttgart

Lors du festival d’été 2024, le Festival de Salzbourg avait présenté une version du ‘Joueur’ de Prokofiev qui n’avait franchement pas convaincu, le couple mise en scène / interprétation orchestrale manquant considérablement de souffle.

La nouvelle production proposée par l’opéra Stuttgart en ce début d’année 2025 est cette fois bien plus convaincante même si le premier acte reste difficile à rendre captivant.

Aušrine Stundyte (Polina) et Véronique Gens (Babulenka)

Aušrine Stundyte (Polina) et Véronique Gens (Babulenka)

Axel Ranisch déplace en effet le cadre de la petite ville allemande imaginaire de Roulettenbourg dans une zone désertique qui évoque naturellement le site de Las Vegas entouré de massifs montagneux. Les vestiges d’une roulette géante émergent du sol sablonneux et se soulèvent pour faciliter les entrées et sorties des différents caractères.

L’image de ruine est accentuée par la manière dont le Général et le Marquis sont affublés de façon décadente en shorts courts et collants-résilles – chapeau! à la basse Goran Jurić, d'une imperturbable noirceur monocorde, et à Elmar Gilbertsson, ténor tranchant, pour jouer le jeu avec une telle aisance -, mais le personnage de Polina, incarné par une Aušrine Stundyte toujours aussi physiquement magnétique avec sa noirceur de timbre aux accents fêlés, préserve sa fraîcheur et son humanité.

Daniel Brenna (Alexej) et Shigeo Ishino (Mr. Astley)

Daniel Brenna (Alexej) et Shigeo Ishino (Mr. Astley)

Rare intervenant bien mis en valeur par son soyeux costume jaune, le discret Astley est ennobli par la très belle ligne vocale de Shigeo Ishino, baryton japonais qui est l’une des valeurs très sûres de la troupe de l’opéra depuis 18 ans.

Une touche d’absurde est rajoutée par un ensemble de serviteurs à têtes de snack-cocktail qui interagissent avec les protagonistes, et l’on ne sait dire exactement à ce moment là si ce monde en ruine précède, sous forme de flash-back, la grande scène finale flamboyante qui sera la cause de la perte de cet univers décomposé, où bien si elle est le point de départ d’une nouvelle folie du jeu.

Aušrine Stundyte (Polina)

Aušrine Stundyte (Polina)

Quoi qu’il en soit, l’arrivée de Véronique Gens en Babulenka marque un véritable tournant, non seulement à cause du personnage charismatique imaginé par Dostoïeski, mais parce que la soprano française fait forte impression par les fulgurances de son empreinte vocale et par sa manière d’incarner cette femme délurée et fortement sexualisée avec une gestuelle brillamment stylisée.

Quand on ne connaît Véronique Gens qu’à travers des tragédies lyriques, c’est véritablement un choc que de la voir prendre un tel plaisir dans cette production assez radicale. Son arrivée coïncide avec le lever d'un astre planétaire dans le ciel nocturne.

Véronique Gens (Babulenka)

Véronique Gens (Babulenka)

Le personnage d’Alexej, interprété par Daniel Brenna qui le dépeint de toute sa largeur vocale ombrée et animée d’une puissante onde vibrante, n’est, lui, pas ridiculisé, car il porte un amour sincère pour Polina. Mais il restera vêtu de noir tout au long du drame satirique. Le ténor américain donne en effet une présence forte au jeune précepteur, mais c’est surtout dans la seconde partie qu’il va se livrer à la frénésie du jeu dans une débauche d’énergie totalement étourdissante.

Mais avant cela, Axel Ranisch conclura la première partie en sourire par une amusante insertion, en fond de décor, de la fusée d’’Objectif Lune’ du ‘Tintin’ d'Hergé pour montrer la fuite vers un ailleurs sous des au revoir de badauds amusants - une allusion malicieuse à ces milliardaires rêvant de conquérir l'espace, mais que le simple être humain aimerait voir partir pour de bon sur une autre planète -.

Daniel Brenna (Alexej) et Aušrine Stundyte (Polina)

Daniel Brenna (Alexej) et Aušrine Stundyte (Polina)

Une fois quitté cet univers aux lumières martiennes, nous nous retrouvons dans une salle de jeu resplendissante avec un arrière fond sombre bardé d’arcades. Tout le monde est superbement habillé pour faire bonne figure et espérer récupérer beaucoup d’argent. Le monde déchu de la première partie est à nouveau pris dans l’ivresse du jeu pour retourner finalement à sa ruine. L’immense roulette au sol sur laquelle joue et danse Alexej symbolise l’engrenage infernal d’un monde obnubilé par l’argent. A l'instar de la virtuosité du jeu du chœur et des solistes, les jeux de lumières et de couleurs, en dégradés de teintes roses et violettes, sont saisissants et d’une grande complexité afin de restituer un éclat visuel à la hauteur de l’emballement musical si bien imaginé par Prokofiev.

Véronique Gens (Babulenka)

Véronique Gens (Babulenka)

Sur cet inexorable dérèglement des esprits, le metteur en scène illustre sensationnellement la folie qui gagne Alexej en le faisant exposer, au sol et une fois l’argent gagné, une scène sensuelle comme s’il faisait l’amour seul avec la profusion de billets virevoltants dans tous les sens, pensant ainsi s’attacher Polina qui, bien entendu, ne pourra que prendre ses distances avec quelqu'un qui confond le vent de l'argent avec la chaleur du corps humain.

Daniel Brenna (Alexej) et Aušrine Stundyte (Polina)

Daniel Brenna (Alexej) et Aušrine Stundyte (Polina)

Ce spectacle est donc étonnant par l’inversion d’images qu’il engendre en jouant sur le sex-appeal de Daniel Brenna tout en faisant d’Aušrine Stundyte un personnage très sage, et tout en montrant une Véronique Gens au glamour hypnotisant.

Aušrine Stundyte et Daniel Brenna

Aušrine Stundyte et Daniel Brenna

A cela s’ajoute l’interprétation haut en couleur d’Alexander Vitlin qui vitalise l’orchestre de l’opéra de Stuttgart avec une volubilité phénoménale qui dessine des volutes orchestrales rutilantes au rythme acéré, tout en faisant un usage endiablé des percussions sans saturer le son ou écraser sa dynamique.

Il en résulte une version particulièrement incisive qui déclenchera au final l’enthousiasme du public dans une salle comble, prompte à saluer l’ensemble de la distribution pour son énergie et son engagement sans faille.

Stine Marie Fischer, Véronique Gens, Daniel Brenna, Alexander Vitlin et Aušrine Stundyte

Stine Marie Fischer, Véronique Gens, Daniel Brenna, Alexander Vitlin et Aušrine Stundyte

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Publié le 19 Mars 2025

Saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper de Munich (BSO)

Depuis le dimanche 16 mars 2025 10h, la saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper est rendue publique en direct via la chaîne Staatsoper.tv.

Il s'agit de la 5e saison de Serge Dorny à la direction de ce théâtre de référence, saison qui marque une étape intermédiaire puisque le directeur a été prolongé pour 5 saisons de plus jusqu’en 2031.

Cependant, du fait que le Théâtre national sera fermé pour travaux de début août à fin octobre 2025, cette saison lyrique sera un peu plus courte avec seulement 152 représentations pour 36 ouvrages, contre un peu plus de 170 représentations et 40 ouvrages habituellement. Et seules 6 nouvelles productions seront créées dans les grandes salles, et une septième sera donnée par l’Opéra Studio.

Par ailleurs, les opéras des XXe/XXIe siècles (hors Puccini) ne représenteront que 15% des soirées, en net retrait par rapport à l’édition en cours, mais une création mondiale sera à l’affiche, ‘Of one Blood’ de Brett Dean.

Of One Blood - Brett Dean

Of One Blood - Brett Dean

Et comme chaque saison, Serge Dorny propose une nouvelle production d’un grand ouvrage dramatique italien du XIXe siècle, ‘Rigoletto’ de Giuseppe Verdi. 

Mais le fait le plus flagrant est que toutes les reprises concernent des spectacles vus au cours des 3 dernières années (toutes ont été jouées après ‘Der Freischütz’ donné en janvier 2023), et 40% des soirées sont dédiées à des spectacles déjà programmés cette saison.

Toutefois, si seulement 6 ouvrages du XX et XXIe siècles seront présentés sur 23 soirées au total, 2 nouvelles productions leurs seront associées.

'Der Freischütz' - ms Dmitri Tcherniakov

'Der Freischütz' - ms Dmitri Tcherniakov

Après ‘Hamlet’ qui fut créé en 2017 au Festival de Glyndebourne sous la direction de Vladimir Jurowski, ‘Of one Blood’ de Brett Dean est le second opéra du compositeur australien.

A nouveau, le directeur musical du Bayerische Staatsoper dirigera cette nouvelle création mondiale – dont le Garsington Opera et le State Opera South Australia sont également commanditaires -, dans une mise en scène de Claus Guth en coproduction avec le Santa Fe Opera.
Johanni van Oostrum et Vera-Lotte Boecker incarneront respectivement Elizabeth Tudor et Marie Stuart.

Hans Werner Henze - ‘Die englische Katze’

Hans Werner Henze - ‘Die englische Katze’

Par ailleurs, en début de saison, le Théâtre Cuvilliés accueillera une nouvelle production des artistes de l’Opéra Studio, ‘Die englische Katze’ de Hans Werner Henze, ouvrage originellement basé sur un texte en anglais, mais qui fut créé en allemand en juin 1983 au Schwetzingen Festival, puis à l’Opéra de Paris (Salle Favart) en février 1984 dans une traduction française.

Faute de grande salle ouverte avant novembre, ‘Ariane à Naxos’ sera donné en version de concert pour deux soirs en octobre 2025 au Herkulessaal (1270 places assises) au sein du Münchener Residenz, sous la direction de Daniele Rustioni.

'Salome' - ms Krzysztof Warlikowski

'Salome' - ms Krzysztof Warlikowski

Également, deux autres opéras de Richard Strauss seront repris, ‘Salome’ dans la production de Krzysztof Warlikowski, avec Asmik Grigorian sous la direction de Thomas Guggels, et ‘Elektra’ dans la production d’Herbert Wernicke et sous la direction de Vladimir Jurowski.
Enfin, ‘Rusalka’ d’Anton Dvorak sera repris dans la production de Martin Kušej, avec Petr Popelka à la direction et Asmik Grigorian dans le rôle titre.

Barbara Wysocka - 'Rigoletto'

Barbara Wysocka - 'Rigoletto'

Comme chaque saison, le répertoire des compositeurs italiens du XIXe siècle est une composante solide et fondamentale qui va occuper 40% des représentations grâce à 14 ouvrages répartis sur 60 soirées, dont 5 de Giuseppe Verdi (‘La Traviata’, ‘Nabucco’, ‘Macbeth’, ‘Il Trovatore’ et la nouvelle production de ‘Rigoletto’ mise en scène par la réalisatrice polonaise Barbara Wysocka), et 4 de Giacomo Puccini (‘La Bohème’, ‘Tosca’, ‘Madame Butterfly’, ‘Turandot’) déjà repris cette saison

Ces grands classiques italiens seront complétés par la reprise de la ‘La Cenerentola’ de Gioachino Rossini, du diptyque ‘Cavalleria Rusticana / Il Pagliacci’ de Pietro Mascagni et Ruggero Leoncavallo, de ‘Norma’ de Vincenzo Bellini et de ‘L’Elixir d’Amour’ de Gaetano Donizetti.

Clay Hilley - 'Parsifal'

Clay Hilley - 'Parsifal'

Quant à Mozart, toujours bien représenté à Munich, il peut compter sur 4 de ses ouvrages les plus courus, ‘Les Noces de Figaro’, ‘Don Giovanni’, ‘L’enlèvement au Sérail’ et ‘La Flûte enchantée’ pour contribuer à la vitalité du théâtre.

Mais Wagner tombe à un minimum critique avec seulement 8 soirées que devront se partager la reprise de ‘Parsifal’, avec Clay Hilley, Nina Stemme et Sebastian Weigle à la direction, et la nouvelle production de ‘La Walkyrie’ mise en scène par Tobias Kratzer et dirigée par Vladimir Jurowski au cours du festival d’été 2026.

Toutefois, pas moins de 4 compositeurs germanophones du XIXe siècle vont se partager 16 soirées, Johan Strauss avec ‘Die Fledermaus’, Engelbert Humperdinck avec ‘Hänsel und Gretel’, Ludwig von Beethoven avec ‘Fidelio’, et Carl Maria von Weber avec la reprise de ‘Die Freischutz’ mis en scène par Dmitri Tcherniakov.

Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov - 'La Nuit de Noël'' ('Notch pered Rojdestvom')

Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov - 'La Nuit de Noël'' ('Notch pered Rojdestvom')

Et si le répertoire russe n’est représenté que par un seul ouvrage, ce sera une nouvelle production de ‘La nuit de Noël’ de Nikolaï Rimsky-Korsakov, un opéra rarement monté qui vient de connaître une excellente version à l’opéra de Frankfurt. La mise en scène sera confiée à Barrie Kosky en coproduction avec le Komischen Oper Berlin, et Vladimir Jurowski en assurera la réalisation musicale avec une distribution qui réunira Violeta Urmana, Sergei Leiferkus, Dmitry Ulyanov, Elena Tsallagova et Ekaterina Semenchuk.

Deux opéras tchèques compléteront ce portrait de famille slave, ‘Rusalka’ et ‘La fiancée vendue’ (direction Tomáš Hanus) ce qui fera au total 13 soirées dédiées à l’Europe centrale et orientale.

Nathalie Stutzmann - 'Faust'

Nathalie Stutzmann - 'Faust'

A l’instar de cette saison, la langue française sera également bien défendue avec la nouvelle production de ‘Faust’ confiée à la mise en scène de Lotte de Beer et la direction musicale de Nathalie Stutzman, et par les reprises de ‘La Fille du régiment’ de Donizetti sous la direction d’Antonino Fogliani, et de ‘Carmen’ sous la direction de Karel Mark Chichon.

Enfin, les baroqueux auront le plaisir de découvrir la nouvelle production d’’Alcina’ mise en scène par Johanna Wehner et dirigée par Stefano Montanari, ouvrage de Haendel qui n’avait plus été joué depuis juillet 2007 dans la précédente version de Christof Loy.

Jeanine De Bique - 'Alcina'

Jeanine De Bique - 'Alcina'

Cette programmation fait toutefois se détacher le rôle de Vladimir Jurowski, le directeur musical, qui dirigera 5 ouvrages ( les nouvelles productions de ‘La nuit de Noël’, ‘Of one blood’ et ‘La Walkyrie’, et les reprises de ‘Hansel und Gretel’ et ‘Elektra’), et met à nouveau en évidence la confiance accordée à Antonino Fogliani qui se réservera quatre opéras de compositeurs italiens, ‘Cavalleria Rusticana & Il Pagliacci’, ‘La fille du régiment’ et 'La Cenerentola'.

Par ailleurs, cette saison marquera les débuts de Nathalie Stutzmann au Bayerische Staatsoper afin d’assurer la direction de la nouvelle production de ‘Faust’ - le chef-d'œuvre de Charles Gounod n'avait plus été joué à l'opéra de Munich depuis 2005 - , 20 ans après y avoir incarné en tant que contralto le rôle d’Amastre dans l’opéra de Haendel ‘Xerxes’, ainsi que le retour après 8 ans d’absence d’Eun Sun Kim à la direction de ‘Madame Butterfly’.

Autre chef qui fera ses débuts dès l’été 2025 en dirigeant pour un soir ‘Katia Kabanova’ mis en scène par Krzysztof WarlikowskiPetr Popelka assurera la reprise de ‘Rusalka’ au festival d’été 2026.

Petr Popelka  - 'Rusalka'

Petr Popelka - 'Rusalka'

Et pour ceux qui scrutent les distributions de grands chanteurs, on pourra entendre cette saison Krassima Stoyaniova (Ariane à Naxos), Elina Garanca (Cavalleria Rusticana), Vittorio Grigolo (Cavalleria Rusticana), Wolfgang Koch (Il Pagliacci, Salome), Lisette Oropesa (La Traviata), Pretty Yende (La Fille du régiment), Xabier Anduaga (La Fille du régiment), Sonya Yoncheva (La Bohème, Norma), Benjamin Bernheim (La Bohème), Bogdan Volkov (La Flûte enchantée), Jessica Pratt (La Flûte enchantée), Rolando Villazon (Die Fledermaus), Rachel Willis-Sørensen (Die Fledermaus, Il Trovatore), Diana Damrau (Die Fledermaus, Les Noces de Figaro), Martin Winkler (Die Fledermaus), Pavol Brelisk (Die Fledermaus, La Fiancée vendue), Georg Zeppenfeld (Nabucco), Eleonora Buratto (Madame Butterfly, Carmen), Gerhard Siegel (Salome), Asmik Grigorian (Salome, Macbeth, Rusalka), Milan Siljanov (Fidelio), Ryan Speedo Green (Fidelio, Carmen), Johanni von Oostrum (Fidelio, Of one Blood), Camilla Nylund (Fidelio), René Pape (Fidelio), Nina Stemme (Elektra, Parsifal), Vida Miknevičiūtė (Elektra), Charles Workman (Elektra), Peter Mattei (Parsifal), Christof Fischesser (Parsifal, Rusalka, Don Giovanni, La Flûte enchantée), Clay Hilley (Parsifal), Ailyn Pérez (Faust, Tosca), Ludovic Tézier (Rigoletto, Tosca), Amartuvshin Enkhbat (Macbeth), Gerald Finley (Macbeth, Les Noces de Figaro), Saioa Hernández (Macbeth), Ambrogio Maestri (L’Elixir d’Amour), Arthur Rucinski (Il Trovatore), Judit Kutasi (Il Trovatore), Piot Beczala (Il Trovatore, Faust), Elena Stikhina (Norma), Aigul Akhmetshina (Norma, Carmen), Sondra Radvanovsky (Turandot), Dmitry Ulyanov (Turandot, La Nuit de Noël), Jonas Kaufmann (Turandot), Ermonela Jaho (Turandot), Golda Schultz (Turandot, Der Freischütz), Charles Castronovo (Carmen), René Barbera (La Cenerentola), Pavel Cernoch (Rusalka), Malyn Biström (Rusalka), Kyle Ketelsen (Der Freischütz, Faust), Stanislas de Barbeyrac (Der Freischütz), Violeta Urmana (La Nuit de Noël), Sergei Leiferkus (La Nuit de Noël), Elena Tsallagova (La Nuit de Noël), Ekaterina Semenchuk (La Nuit de Noël), Jonathan Tetelman (Faust), Florian Sempey (Faust), Nadine Sierra (Rigoletto), Ain Anger (La Walkyrie), Nicholas Brownlee (La Walkyrie), Ekaterina Gubanova (La Walkyrie), Jeanine De Bique (Alcina)

Ludovic Tézier - 'Tosca' et 'Rigoletto'

Ludovic Tézier - 'Tosca' et 'Rigoletto'

Un focus sur les grands chanteurs français invités cette saison permet enfin de mettre en valeur Ludovic Tézier (13 ans de maison en continu depuis ‘Don Carlo’ en juillet 2013), Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey et Benjamin Bernheim.

Enfin, seuls trois spectacles, ‘Hänsel et Gretel’, ‘L’Enlèvement au Sérail’ et ‘La Cenerentola’ auront une tarification qui ne dépassera pas 100 euros en première catégorie (il y en avait 6 au cours de la saison 2023/2024), mais la représentation de 'La Walkyrie' du 04 juillet 2026 sera projetée en direct sur la Max-Joseph Platz, avec saluts des artistes sur le parvis de l'opéra à la fin du spectacle.

Le détail de la saison 2025/2026 du Bayerische Staatsoper peut être consulté sous le lien suivant : Season 2025/2026 : Der Mensch ist, wozu er sich macht.

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Publié le 16 Mars 2025

Phèdre (Jean-Baptiste Lemoyne
26 octobre 1786, Fontainebleau et
21 novembre 1786, Opéra de Paris)
Représentation du 14 mars 2025
Badisches Staatstheater Karlsruhe

Phèdre Ann-Beth Solvang
Hippolyte Krzysztof Lachman
Thésée Armin Kolarczyk
Oenone Anastasiya Taratorkina
Un Grand de l’État Oğulcan Yılmaz
Acamas Phillip Hohner

Direction musicale Attilio Cremonesi
Mise en scène Christoph von Bernuth (2025)
Badischer Staatsopernchor & Badische Staatskapelle

Compositeur français qui ambitionnait d’assurer à travers ses premières tragédies l’héritage de Gluck, Sacchini et Piccinni - ce que ne lui reconnut pas Gluck lui-même -, Jean-Baptiste Lemoyne a cependant obtenu son plus grand succès avec une comédie lyrique, ‘Les Prétendus’, qui sera jouée plus de 220 fois entre 1789 et 1827 à l’Opéra de Paris.

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Sa première tragédie lyrique, ‘Electre’, ne connut qu’une dizaine de représentations en 1782, mais les deux suivantes, ‘Phèdre’ et ‘Nephté’, eurent bien plus de succès et furent reprises.

‘Phèdre’ connut ainsi une soixantaine de représentations de 1786 à 1796, mais ne réapparut que pour deux soirs à la Salle Montansier, rue de Richelieu, en 1813. 

Le librettiste qui s’est inspiré de la célèbre pièce de Racine, François Benoît Hoffmann, sera ultérieurement l’auteur du livret de ‘Médée’ (1797) pour Luigi Cherubini.

Il est ainsi tout à fait étonnant et réjouissant que ce soit la scène de l’opéra de Karlsruhe qui ressuscite scéniquement, en langue originale et avec un plein effectif de 30 musiciens, un ouvrage français oublié depuis plus de 200 ans.

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Certes, la nouvelle production élaborée par Christoph von Bernuth privilégie la lisibilité et l’économie de moyens. Après une première scène suggérant une forêt par quelques piquets ondulants plantés sur la scène dans une ambiance nocturne, le plateau tournant fait alterner deux décors, l’un représentant le grand escalier austère du palais de Trézène, qui sera aussi celui du temple de Neptune, l’autre l’intérieur mental resserré, obsessionnel et recouvert du nom d’’Hippolyte’ où s’enferme Phèdre.

L’espace transitoire entre ces deux plateaux est aussi utilisé pour des scènes de foules, notamment à l’arrivée de Thésée.

Quant à la direction d’acteurs, elle oscille entre convention pour le mouvement du chœur, bien chantant et bien unifié, ainsi que pour les personnages de la cour, et une théâtralité plus expressive dans les grands moments de coups de sang.

Armin Kolarczyk (Thésée)

Armin Kolarczyk (Thésée)

C’est le cas notamment de l’extraordinaire invocation à Neptune que clame Thésée au troisième acte, dont l’écriture vocale rageuse est déployée de façon impressionnante par le baryton italien Armin Kolarczyk, membre de la troupe du Badisches Staatstheater depuis 2007. Ce fantastique chanteur, doué d’un noble métal vocal d’une puissance pénétrante, est capable de s’approprier la salle entière de son charisme autoritaire au point de démontrer comment la théâtralité d’une scène peut puiser toute sa force uniquement à travers le talent d’un artiste auquel est confiée une prosodie nerveuse.

Mais les trois autres interprètes principaux ont eux aussi de très grandes qualités expressives. 
Ann-Beth Solvang, soprano norvégienne qui avait fait une première apparition parisienne au Théâtre du Châtelet en 2012 dans ‘Le Bal’ d’Oscar Strasnoy, possède une voix noire aux graves amples, un solide médium corsé, et des aigus ardents qui lui permettent de dépeindre Phèdre en un torrent passionnel que seule son éducation royale semble pouvoir contenir pour un temps. 

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Cette somptuosité sonore avec laquelle elle enrobe un pathétisme éploré lui permet cependant de laisser émerger l’intelligibilité du verbe, et l’actrice se révèle surtout lors de sa confrontation avec Hippolyte. La scène finale, jouée sur un fond marin déchaîné par le seul moment où la vidéo se projette sur le grand escalier, lui permet de donner ce grand effet dramatique attendu en conclusion tragique.

Sa confidente, Œnone, est elle aussi interprétée par une chanteuse éblouissante, la soprano germano-russe Anastasiya Taratorkina. Elle affiche une fraîcheur rayonnante et de jolies nuances de timbre qui personnalisent avec beaucoup de charme ses interventions, et sa diction est si impeccable qu’elle donne vraiment l’impression d’avoir de très fortes connexions avec la langue française. Par ailleurs, tout en elle évoque la candeur, si bien que sa nature manipulatrice au troisième acte face à Thésée en devient inattendue.

Anastasiya Taratorkina (Oenone)

Anastasiya Taratorkina (Oenone)

Il est celui qui ouvre la première scène avec son premier air ‘Ô Diane, chaste déesse’, le jeune ténor polonais Krzysztof Lachman donne de sa voix homogène, à la fois légère et virile, un phrasé soigné qui rend une image très élégante d’Hippolyte. Étrangement, le metteur en scène le confine dans un jeu très retenu et innocent où rarement on sent le sang monter, sauf dans le duo avec Phèdre où sa gestuelle prend un sens théâtral plus fort.

Ces quatre stupéfiants artistes sont bien entourés et peuvent compter sur la verve d’Attilio Cremonesi qui tire de l’orchestre une vivacité qui ne dépareille jamais les couleurs lustrées des instruments, et qui fait corps avec l'éloquence des solistes. En effet, si elle n’ajoute pas de dimension dramaturgique ou d’expression de sentiments prononcées, l’écriture musicale de Jean-Baptiste Lemoyne colle à l'énergie du texte de façon vivifiante, sans pompe ni trivialité, ce qui entraîne les chanteurs et permet d’aboutir à de grands moments de vérité humaine.

Krzysztof Lachman (Hippolyte) et Ann-Beth Solvang (Phèdre)

Krzysztof Lachman (Hippolyte) et Ann-Beth Solvang (Phèdre)

On sort ainsi de ce spectacle autant impressionné par la profondeur d’engagement de l’ensemble de la distribution que par le temps et l’énergie qu’ils ont consacré à la préparation de cette résurrection, tout en sachant que les chanteurs principaux auront probablement peu d’occasions de revenir à cette œuvre oubliée du répertoire français.

Et le fait que le Badisches Staatstheater bénéficie d’une aide de 508 Millions d’euros, dont la moitié financée par l’État, pour engager sur douze ans des travaux de rénovations dédiés à de nouvelles salles de répétitions et plusieurs scènes de 150 à 400 places, offre une image d’espérance en l’avenir qui fait énormément plaisir à voir.

Anastasiya Taratorkina, Ann-Beth Solvang, Attilio Cremonesi, Krzysztof Lachman et Armin Kolarczyk

Anastasiya Taratorkina, Ann-Beth Solvang, Attilio Cremonesi, Krzysztof Lachman et Armin Kolarczyk

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Publié le 2 Mars 2025

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy –
Opéra Comique, le 30 avril 1902)
Répétition générale du 22 février et représentation du 28 février 2025
Opéra Bastille

Pelléas Huw Montague Rendall
Mélisande Sabine Devieilhe
Golaud Gordon Bintner
Arkel Jean Teitgen
Geneviève Sophie Koch
Yniold Soliste de la Maîtrise de Radio France
Un médecin Amin Ahangaran
Vidéo : Axel Olliet (Pelléas), Delphine Gilquin (Mélisande), Azilis Arhan (Mélisande), Xavier Lenczewski (Golaud), Geneviève (Daria Pisareva)

Direction musicale Antonello Manacorda
Mise en scène Wajdi Mouawad (2025)
Nouvelle production en coproduction avec l’Abu Dhabi Festival

Retransmission en direct le 20 mars 2025 à 19h30 sur POP – Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris, diffusion sur Medici.tv à partir du 20 avril 2025, et diffusion sur France Musique le 26 avril 2025 à 20h dans l’émission de Judith Chaîne ‘Samedi à l’Opéra’.

Après vingt ans de représentations, d’abord sur la scène du Palais Garnier où elle fut créée le 07 février 1997, puis sur la scène Bastille où elle fut reprise à partir de septembre 2004, la production emblématique de ‘Pelléas et Mélisande’ par Robert Wilson se retire du répertoire de l’Opéra national de Paris pour laisser place à une nouvelle vision élaborée par Wajdi Mouawad, homme de théâtre et actuel directeur du Théâtre national de la Colline.

Sabine Devieilhe (Mélisande) et Huw Montague Rendall (Pelléas)

Sabine Devieilhe (Mélisande) et Huw Montague Rendall (Pelléas)

Et ce qu’il propose, lui qui fut l'auteur en septembre 2021 d’une mise en scène d’’Œdipe’ de George Enescu qui remporta le Grand Prix du syndicat de la critique, est une fascinante mise en valeur du texte de Maurice Maeterlinck qui traduit une compréhension extrêmement fine de la symbolique de l’ouvrage au point de réussir à la transmettre au spectateur avec une surprenante sensibilité.

Pour y arriver, Wajdi Mouawad dresse un décor unique représentant en avant-scène un bassin baigné par la brume qui sera autant la fontaine de la forêt au premier acte, que la fontaine des aveugles au second, ou bien le souterrain au troisième, derrière lequel s’élève un talus et un écran sur lequel est projeté en ouverture la forêt d’Allemonde défilant lentement par effet de travelling.

Gordon Bintner (Golaud) et Sabine Devieilhe (Mélisande)

Gordon Bintner (Golaud) et Sabine Devieilhe (Mélisande)

Une étrange créature à tête de sanglier traverse lentement la scène avant que la musique ne débute, la bête traquée par Golaud, représentée comme un mystérieux esprit de la nature.

Mélisande est ce petit être pleurant au sol et perdu dans cette atmosphère nocturne si bien dépeinte par la musique, Golaud est figuré en jeune chasseur sûr de lui et conquérant, tel que décrit dans le texte, alors que Pelléas, son demi-frère, apparaît comme un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, un être encore en construction.

Tout au long du spectacle, la vidéo évolue de simples représentations paysagères à des images où l’eau omniprésente devient l’élément de l’abstraction dans lequel les mots du texte de Maurice Maeterlinck sont utilisés par Wajdi Mouawad pour créer des images poétiques.

Huw Montague Rendall (Pelléas)

Huw Montague Rendall (Pelléas)

Ainsi, la couronne d’or est une lumière vaguement troublée par l’eau d’un étang, plus loin les vagues de la mer visibles depuis le palais balayent une plage, la tour du château et les arbres de la forêt sont montrés sous forme de reflets afin d’ajouter à l’irréalité du moment, l’ombre de Mélisande et Pelléas se détache en surimpression au quatrième acte, et l’hiver du dernier acte est évoqué par la nature recouverte de neige.

Et très régulièrement, le texte du livret s’incruste de toute part sur la vidéo pour mieux en imprégner l’auditeur.

Mais le metteur en scène ne se contente pas d’illustrer, il raconte aussi l’enjeu symbolique à travers des séquences surnaturelles qui montrent d’abord la chute de Mélisande, d’un blanc fantomatique, qui est le point de départ de l’œuvre, puis son aspiration à remonter vers le ciel et la lumière – le moment où elle mime le jet de sa bague en hauteur est très joliment décrit par l’orchestre ce qui renforce cet enjeu vertical qui parcoure les cinq actes -.

Sabine Devieilhe (Mélisande)

Sabine Devieilhe (Mélisande)

On retrouve d’ailleurs une similitude avec les vidéos de Bill Viola créées pour ‘Tristan und Isolde’ sur cette scène dès 2005 pour évoquer le rapport du couple amoureux à l‘infini de l’océan, mais ici l’image ne prend pas le dessus sur l’action théâtrale, car le dispositif est fait de façon à permettre aux chanteurs de traverser l’écran fait de multiples lamelles fixées au sol et en hauteur, et de s’évanouir dans l’ombre alors que de petites vignettes pré-filmées prennent la relève sous forme de traces imaginaires. 

Et quelle splendide scène lorsque Pelléas semble nager et se perdre dans la fantastique chevelure irréelle de Mélisande habilement déployée par l’image autour de Sabine Devieilhe!

Cette façon de faire permet ainsi de percevoir beaucoup plus flagramment ce désir de lumière, et cela change la perception de la scène d’observation du couple par Golaud et Yniold, car il ne s’agit plus d’un simple drame bourgeois et de jalousie amoureuse. La lueur de la fenêtre qu’atteint le jeune garçon est subtilement projetée à l’emplacement de l’écran où il se trouve, une lumière fluette qui reflète la quête existentielle de Mélisande et Pelléas, et donc la raison de ce qui les unit mentalement, c’est à dire sortir de leur condition pour retrouver le Soleil.

Gordon Bintner (Golaud) et un Soliste de la Maîtrise de Radio France (Yniold)

Gordon Bintner (Golaud) et un Soliste de la Maîtrise de Radio France (Yniold)

A l’inverse, l’attirance de Golaud pour le sang et la mort le différencie totalement de ces deux êtres destinés à un ailleurs salvateur. Wajdi Mouawad montre le corps du cheval de Golaud, qui avait été mystérieusement effrayé au milieu de la forêt, descendre vers le sol pour y être éviscéré par des paysans.

Des carcasses de moutons les rejoindront plus tard, l’ensemble dressant un tableau de nature morte qui sera utilisé dans la scène du souterrain pour justifier l’odeur mortelle qui y règne et le malaise qui saisit Pelléas. C’est à cet endroit qu’il perdra la vie.

Et au dernier acte, Wajdi Mouawad met en scène la mort de Mélisande avec sobriété en dissociant la réalité que vit Golaud, effondré sur le lit de mort de sa femme, alors qu’en arrière plan, l’ascension de Mélisande, rejointe par l’âme de Pelléas, parachève, sous la lumière, leur union à la nature.

Huw Montague Rendall (Pelléas) et Sabine Devieilhe (Mélisande)

Huw Montague Rendall (Pelléas) et Sabine Devieilhe (Mélisande)

A cette mise en valeur des mouvements verticaux alternant entre ciel et bas-fond tout au long du texte, un jeu sensible anime les principaux chanteurs en respectant le rythme lent de la musique, mais sans atténuer les moments où la violence surgit, les poses des regards de chacun et leur intensité transmettant toujours des sentiments profonds au spectateur.

Pour faire vivre ce poème dramatique, tous les chanteurs réunis sont des artistes qui ont récemment défendu le répertoire français sur la scène de l’Opéra de Paris, ce qui se ressent sur l’intelligibilité du texte, mais un seul d’entre eux fait une prise de rôle majeure à cette occasion, Gordon Bintner.

Le baryton-basse canadien, qui sera la saison prochaine invité à deux reprises à la Canadian Opera Company de Toronto pour défendre le répertoire français dans ‘Werther’ (Albert) et ‘Roméo et Juliette’ (Mercutio), interprète un Golaud jeune et nerveux, l’arc et les flèches dans le regard. Son élocution acérée, plus vigoureuse que dépressive et ténébreuse, lui donne de l’allure, et il trouve le plus de douceur feutrée dans sa tessiture basse.

Sabine Devieilhe (Mélisande), Gordon Bintner (Golaud) et Huw Montague Rendall (Pelléas)

Sabine Devieilhe (Mélisande), Gordon Bintner (Golaud) et Huw Montague Rendall (Pelléas)

En Mélisande, Sabine Devieilhe fait très forte impression, elle qui fréquente ce rôle depuis 10 ans, car tout le charme coloré de son timbre de voix facilement identifiable s’entend parfaitement dans l’immensité de Bastille, et une telle luminosité fait beaucoup penser à l’Ange du ‘Saint-François d’Assise’ d'Olivier Messiaen. Elle incarne un être gracile mais très expressif qui rend palpable son éphémérité.

Elle forme un magnifique couple avec Huw Montague Rendall, fils de deux artistes qui chantaient à l’Opéra de Paris au début des années 1990, Diana Montague à Garnier (‘Les Noces de Figaro’, ‘Benvenuto Cellini’) et David Rendall à Bastille (‘La Flûte enchantée’, ‘Les Contes d’Hoffmann’).

Le baryton britannique est un Pelléas renversant par l’idéalisme qui en émane, la finesse enjôleuse d’un timbre bien affermi, et l’envoûtant relief du visage qui fait vivre un romantisme à fleur de peau. En outre, il se plie à merveille au caractère très poétique, presque Pierrot lunaire, qu’il est amené à faire évoluer.

Sophie Koch (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Sophie Koch (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Toujours aussi doué d’un métal résonnant d’une solennité splendide, Jean Teitgen offre à Arkel une grandeur excellemment bien tenue, alors que Sophie Koch fait ressentir les tressaillements émotionnels de Geneviève avec des respirations très marquées qui ajoutent de la tension à chacune de ses phrases.

Enfin, Amin Ahangaran, membre de la troupe lyrique, est un médecin chantant avec une parfaite noirceur, et le jeune soliste de la Maîtrise de Radio France est lui aussi très juste et sensible dans son incarnation d’Yniold.

Jean Teitgen (Arkel), Sabine Devieilhe (Mélisande), Amin Ahangaran (Un médecin) et Gordon Bintner (Golaud)

Jean Teitgen (Arkel), Sabine Devieilhe (Mélisande), Amin Ahangaran (Un médecin) et Gordon Bintner (Golaud)

A la direction musicale, Antonello Manacorda s’inscrit pleinement dans cette approche singulière de la poésie de Maurice Maeterlinck. On sent de sa part un plaisir jubilatoire à faire discourir les enchevêtrements de dessins orchestraux avec acuité et une finesse de trait qui respecte la souplesse mélodique.

Il sollicite beaucoup la tension des cordes aiguës, réalise un travail véritablement plastique sur la clarté des cuivres et la légèreté de leur galbe, mais n’assombrit pas trop l’atmosphère générale, si bien qu’il arrive à entretenir un rapport très intime à la scène par l’attention de l’oreille qu’il suscite. On pourrait presque ressentir le caractère charnel de chaque instrument.

Soliste de la Maîtrise de Radio France, Jean Teitgen, Antonello Manacorda, Huw Montague Rendall et Sabine Devieilhe - Répétition générale

Soliste de la Maîtrise de Radio France, Jean Teitgen, Antonello Manacorda, Huw Montague Rendall et Sabine Devieilhe - Répétition générale

Sa signature n’est toutefois pas dénuée de sécheresse dans les instants théâtraux soudains qu’il conclut assez froidement, mais l’osmose avec les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est prégnante pour arriver à développer une peinture paysagiste aussi précise et détaillée.

Huw Montague Rendall (Pelléas)

Huw Montague Rendall (Pelléas)

C’est donc cet alliage réussi entre poésie, matière musicale, incarnation et onirisme scénique qui fait vraiment la valeur de ce spectacle, une très grande réussite sensible et la confirmation des grandes qualités de Wajdi Mouawad à mettre en scène des œuvres lyriques basées sur des textes littéraires.

Une ample reconnaissance du public pour l'ensemble des artistes s'exprime au rideau final, et cela fait plaisir à vivre!

Huw Montague Rendall, Wajdi Mouawad et trois de ses collaborateurs, Antonello Manacorda, Sabine Devieilhe et Gordon Bintner

Huw Montague Rendall, Wajdi Mouawad et trois de ses collaborateurs, Antonello Manacorda, Sabine Devieilhe et Gordon Bintner

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Publié le 22 Février 2025

Dans le contexte difficile que vivent actuellement la plupart des maisons lyriques sous fortes contraintes financières, l’annonce de la saison 2025/2026 du MET est toujours très attendue car elle reste une référence incontournable.
Certes, l’équilibre économique de l’institution américaine reste fragile, mais la bonne nouvelle est que Peter Gelb n’a pas eu cette fois à puiser dans le fond de réserve du MET pour consolider une programmation structurellement semblable à celle de 2024/2025, alors qu’il avait du retirer 40 M$ de ce fond en 2024.

Saison 2025/2026 du New-York Metropolitan Opera (MET)

Il en résulte une programmation stabilisée à 18 titres et une fréquentation qui devrait atteindre 75% pour la saison 2024/2025, mais tout l’enjeu à venir sera de passer d’un esprit d’optimisation financière à une reprise de l’ouverture du répertoire pour dépasser les 20 titres par an et, peut-être, revenir un jour à 25 titres par an.

Il y eut cette saison quelques déceptions - ‘Grounded’ de Jeanine Tesori, avec Emily d’Angelo, ne s’est vendu qu’à 50% et ‘Ainadamar’ d’Osvaldo Golijov à 62% -, mais la nouvelle production d’'Aida’ a atteint 79 %, et la reprise de la ‘Flûte enchantée’, en version anglaise, a obtenu 82% de fréquentation, dans une salle de 3800 places.

Yannick Nézet-Séguin : ’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’, ‘El Último Sueño de Frida y Diego’, ‘Tristan und Isolde’, ‘Don Giovanni’

Yannick Nézet-Séguin : ’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’, ‘El Último Sueño de Frida y Diego’, ‘Tristan und Isolde’, ‘Don Giovanni’

18 spectacles, 6 nouvelles productions, 14 compositeurs dont 3 contemporains (3 œuvres du XXIe siècle)

Avec 196 représentations lyriques au cours de la saison 2025/2026 et 18 spectacles lyriques (dont 6 nouvelles productions), le MET se situe très légèrement au dessus de la saison 2024/2025 (194 représentations et 18 spectacles), 
Il s’agit clairement d’une programmation d’équilibre qui se resserre sur un socle ferme.

14 compositeurs sont représentés (contre 12 la saison dernière), dont 3 sont contemporains, soit 11 % des soirées dédiées à 3 nouvelles productions d’œuvres du XXIe siècle :’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’ du compositeur américain Mason Bates, dont la première mondiale eut lieu le 15 novembre 2024 à l’ Indiana University Jacobs School of Music Opera and Ballet, ‘Innocence’ (‘Festival d’Aix-en-Provence - 2021) de Kaija Saariaho (compositrice finlandaise disparue le 02 juin 2023 à Paris), et ‘El Último Sueño de Frida y Diego’ de la compositrice américaine Gabriela Lena Frank créée au San Diego Opera le 29 octobre 2022.

Gabriela Lena Frank : ‘El Último Sueño de Frida y Diego’

Gabriela Lena Frank : ‘El Último Sueño de Frida y Diego’

Deux ouvrages composés respectivement par Richard Strauss et George Gershwin représentent le renouvellement musical du XXe siècle.

Présent à deux reprises la saison précédente, Richard Strauss revient avec ‘Arabella’, ouvrage entré au répertoire du MET en 1955 qui n’avait plus été joué depuis avril 2014. Il s’agit d’une reprise de la production d’Otto Schenk (1984) interprétée par Rachel Willis-Sørensen dans le rôle titre et Pavol Breslik en Matteo, sous la direction de Nicholas Carter, le nouveau directeur musical de l’Opéra de Stuttgart à partir de la saison 2026/2027.

La reprise de ‘Porgy and Bess’ de George Gershwin signera la plus remarquable progression d’un titre au répertoire du MET car, après 54 représentations jouées entre 1985 et 1990 dans la production de Nathaniel Merrill, celle de James Robinson totalisera bientôt 43 représentations depuis le 23 septembre 2019.

Kwamé Ryan, chef canadien qui a récemment dirigé ‘The Time of our singing’ de Kris Defoort au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles, fera ses débuts au MET à cette occasion.

Kwamé Ryan : 'Porgy and Bess’

Kwamé Ryan : 'Porgy and Bess’

Le répertoire italien du XIXe siècle et début XXe siècle (Puccini, Bellini, Verdi, Giordano) pilier incontournable du MET

Répertoire fondamental, car le plus immédiatement accessible, les œuvres des compositeurs italiens du XIXe siècle règnent sans partage au MET, comme partout ailleurs, et couvriront cette saison 47% des soirées (45% la saison précédente).

Cependant, Puccini prendra le dessus sur Verdi en alignant trois reprises qui occuperont 26% des soirées, et qui font partie des 12 ouvrages les plus joués de la maison : ‘La Bohème’ par Franco Zeffirelli (1981), qui atteindra, début mai 2026, sa 599e représentation dans cette seule production, avec en alternance Keri-Lynn Wilson et Daniele Rustioni à la direction musicale, ‘Madame Butterfly’ dans la production d’Anthony Minghella (2006), sous la direction, selon les soirs, de Marco Armiliato et Carlo Rizzi, et enfin l’inévitable production de ‘Turandot’ mise en scène par Franco Zeffirelli (il ne s’agit que de la troisième production depuis 1926) qui atteindra sa 250e représentation depuis 1987 sous la direction partagée de Carlo Rizzi et Oksana Lyniv et une pléthore de grands chanteurs tels Angela Mead, Anna Pirozzi, Angel Blue, Michael Fabiano ou bien Roberto Alagna.

Roberto Alagna : 'Turandot'

Roberto Alagna : 'Turandot'

Deux nouvelles productions feront honneur à Vincenzo Bellini, celle d’‘I Puritani’ mise en scène par Charles Edwards qui remplacera celle de Sandro Segui (1976), avec Lisette Oropesa et Lawrence Brownlee, et celle, plus rare, de ‘La Sonnambula’ mise en scène par Rolando Villazon (une coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées vue à Paris en 2021) qui remplacera prématurément celle de Mary Zimmerman (2009), sous la direction de Riccardo Frizza avec Nadine Sierra et Xabier Anduaga dans les rôles principaux.

Enfin, Giuseppe Verdi ne sera représenté que par ‘La Traviata’ dans la production de Michael Mayer (2018), avec en alternance Antonello Manacorda, Marco Armiliato et Michele Spotti à la direction musicale, et pas moins de quatre Violetta (Lisette Oropesa, Amanda Woodbury, Rosa Feola et Ermonela Jaho), tandis que le pur vérisme italien sera incarné par Umberto Giordano et la reprise d’’Andrea Chénier’ dans la production de Nicolas Joel (1996) sous la direction de Daniele Rustioni, avec Sonya Yoncheva, Piotr Beczala et Igor Golovatenko.

Charles Edwards : 'I Puritani'

Charles Edwards : 'I Puritani'

Les répertoires français et russe se maintiennent faiblement

La langue française pourra être entendue à deux reprises cette saison avec ‘Carmen’, dans la production de Carrie Cracknell (2023), sous la direction du chef français Fabien Gabel, et ‘La Fille du régiment’ dans la production internationalement connue de Laurent Pelly, avec Erin Morley et Lawrence Brownlee dans les rôles de Marie et Tonio.

Quant au répertoire russe, il s’appuiera uniquement sur la reprise d’’Eugène Onéguine’ de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Deborah Warner (2013), avec Asmik Grigorian, Igor Golovatenko et Stanislas de Barbeyrac, sous la direction de Timur Zangiev.

Fabien Gabel : 'Carmen'

Fabien Gabel : 'Carmen'

Mozart seul représentant de la période d’avant la révolution française

Avec seulement deux titres, ‘La Flûte enchantée’ en version abrégée et en anglais, et la reprise de ‘Don Giovanni’ dans la production d’Ivo van Hove ( une coproduction avec l’Opéra national de Paris vue à Garnier et Bastille respectivement en 2019 et 2022), Mozart sera donc le seul compositeur d’avant la Révolution française à être représenté sur la scène du MET, avec toutefois 15% des soirées pour lui seul.

Stanislas de Barbeyrac : 'Eugène Onéguine'

Stanislas de Barbeyrac : 'Eugène Onéguine'

Richard Wagner revient au répertoire

Absent de la saison 2024/2025, une première depuis la période 1918-1919, Richard Wagner reprend sa place au MET avec une nouvelle production de ‘Tristan und Isolde’ confiée à Yuval Sharon ('Lohengrin' - Bayreuth 2018), qui se substituera à celle de Mariusz Trelisnki (2016) qui ne sera donc pas reprise.

Yannick Nézet-Séguin en assurera la direction musicale avec Michael Spyres et Lise Davidsen dans les rôles titres.

Lise Davidsen : 'Tristan und Isolde'

Lise Davidsen : 'Tristan und Isolde'

Les répertoires 1900-1980 tchèque et anglais et le répertoire baroque toujours absents de la programmation

Pour la troisième saison consécutive, aucun ouvrage tchèque ou britannique de la période 1900-1980 ne sera représenté (que ce soit Leoš Janáček ou Benjamin Britten), et les œuvres baroques resteront elles aussi absentes.

Cependant, ‘Alcina’, ‘Ariodante’ et ‘Semele’ de Haendel, mis en scène respectivement par Richard Jones, Robert Carsen et Claus Guth, sont toujours programmées pour les prochaines saisons, ainsi qu’une nouvelle production de ‘Jenufa’ de Janáček.

Mason Bates : ’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’

Mason Bates : ’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’

4 ouvrages en 4 langues différentes dont 3 nouvelles productions dirigées par Yannick Nézet-Seguin

Directeur musical attitré du MET, Yannick Nézet-Séguin conduira quatre spectacles dont trois nouvelles productions, ’The Amazing Adventures of Kavalier & Clay’ du compositeur américain Mason Bates (nouvelle production de Bartlett Sher), avec Lauren Snouffer, Sun-Ly Pierce et Miles Mykkanen, ‘El Último Sueño de Frida y Diego’ de la compositrice américaine Gabriela Lena Frank (nouvelle production de Deborah Colker), avec Gabriella Reyes, Isabel Leonard, Nils Wanderer et Carlos Alvarez, ‘Tristan und Isolde’ (nouvelle production de Yuval Sharon), et la reprise de ‘Don Giovanni’ avec Ryan Speedo Green dans le rôle titre.

A ces trois nouvelles productions s’ajouteront celles d’‘Innocence’ de Kaija Saariaho mise en scène par Simon Stone sous la direction de Susanna Mälkki, et les deux nouvelles productions de ‘I Puritani’ et ‘La Sonnambula’ dédiées à Vincenzo Bellini et respectivement dirigées par Marco Armiliato et Riccardo Frizza.

Kaija Saariaho : ‘Innocence’

Kaija Saariaho : ‘Innocence’

8 productions du MET en direct au cinéma en HD

Samedi        18 octobre 2025 - 13h00 (EST) : La Sonnambula (Nouvelle production)
Samedi        08 novembre 2025 - 13h00 (EST) : La Bohème
Samedi        22 novembre 2025 - 13h00 (EST) : Arabella
Samedi        13 décembre 2025 - 13h00 (EST) : Andrea Chénier
Samedi        10 janvier 2026 - 13h00 (EST) : I Puritani (Nouvelle production)
Samedi        21 mars 2026 - 12h00 (EST) : Tristan und Isolde (Nouvelle production)
Samedi        02 mai 2026 - 13h00 (EST) : Eugène Onéguine
Samedi        30 mai 2026 - 13h00 (EST) : El Último Sueño de Frida y Diego (Nouvelle production)

Le détail de la saison 2025/2026 du MET peut être consulté sous le lien suivant : On Stage 2025–26

La présentation de la saison 2024/2025 peut être consultée sous le lien suivant : Saison 2024/2025 du New-York Metropolitan Opera (MET)

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Publié le 10 Février 2025

Médée (Luigi Cherubini – Théâtre Feydeau – Paris, le 13 mars 1787)
Représentation du 08 février 2025
Opéra Comique – Salle Favar
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Médée Joyce El-Khoury
Jason Julien Behr
Créon Edwin Crossley-Mercer
Dircé Lila Dufy
Néris Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Première suivante de Dircé Michèle Bréant
Deuxième suivante de Dircé Fanny Soyer
Comédienne Caroline Frossard
Figurantes Inès Dhahbi, Sira Lenoble N’diaye, Lisa Razniewski et Mirabela Vian
Solistes de l’Académie, des enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique Inès Emara, Félix Lavoix Donadieu et Edna Nancy

Direction musicale Laurence Equilbey
Mise en scène Marie-Ève Signeyrole (2025)
Orchestre Insula orchestra, Chœur Accentus

Coproduction Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie

La légende de Médée imprègne régulièrement les scènes théâtrales – récemment La Comédie Français a confié une interprétation radicale de la pièce d’Euripide à Lisaboa Houbrechts, pour la réalisation, et Séphora Pondi, pour le rôle principal, sur fond de revanche des pays du Sud sur le Nord prospère -, et si la version de Marc Charpentier (1693) a réussi son retour à l’Opéra de Paris au printemps 2024 avec Lea Desandre dans le rôle titre, la version de Luigi Cherubini a connu peu de réalisations scéniques à Paris depuis son entrée au Palais Garnier en 1962 dans la mise en scène de José Beckmans et avec Rita Gorr en écrasante prêtresse.

Il y eut bien la mise en scène de Liliana Cavani en 1986, toujours à Garnier et avec Shirley Verrett en féline Médée, puis celle de Yannis Kokkos au Théâtre du Châtelet en 2005 avec Anna Catarina Antonaci, mais c’est surtout la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, livrée aux griffes de Nadja Michael et reprise en 2012 au Théâtre des Champs-Élysées, qui fait aujourd’hui référence incontestable.

Joyce El-Khoury (Médée)

Joyce El-Khoury (Médée)

Il y a donc grand intérêt à découvrir cette version lyrique de l’ouvrage qui fait son entrée au répertoire de la salle Favart située à 300 mètres de l’ancien Théâtre Feydeau où elle fut originellement créée en 1797.

Le point de vue que propose d’explorer Marie-Ève Signeyrole est de montrer comment Médée est victime d’une société occidentale opulente et bourgeoise - elle qui est une étrangère -, et de dénoncer la violence qui traverse en bas-fond cette société qu’elle subit et qui donne pourtant une image propre et superficielle d’elle-même.

Elle s’attache également à donner de l’existence au regard et à la parole de ses enfants.

Lila Dufy (Dircé) et Edwin Crossley-Mercer (Créon)

Lila Dufy (Dircé) et Edwin Crossley-Mercer (Créon)

Elle introduit également une comédienne (Caroline Frossard) qui représente une mère infanticide contemporaine, dorénavant en prison, de façon à tirer un premier lien entre le personnage mythologique et ces cas de femmes ayant souffert du ‘Syndrome de Médée’ que l’on retrouve dans l’actualité. L’intérêt premier de cet insert est d’enfermer le décor de la scène dans une sorte de cellule sombre aux parois mobiles, qui se referment et font peser à la fois le sentiment de culpabilité et l’état de claustration dans le milieu carcéral.

Par ailleurs, la scène d’ouverture, orchestralement agitée, montre Jason et Dircée emportant dans leur aventure les enfants de Médée sur une forme de radeau symbolique, image qui à elle seule dit tout du désespoir de cette dernière.

Un grand soin est accordé aux détails et lumières chaleureuses qui recréent l’ambiance festive initiale à Corinthe autour des différentes tables des convives qui paraissent tous assez fades et conventionnels.

Mais tout au long du drame, Marie-Ève Signeyrole utilise la vidéo avec beaucoup de justesse pour décrypter les visages, notamment ceux des garçons, ce qui est toujours source de réflexion esthétique sur les pensées sous-jacentes, d’autant plus que les vidéos temps-réel sont filmées par une camérawomen qui s’immisce avec discrétion parmi les artistes.

Caroline Frossard (Médée)

Caroline Frossard (Médée)

Le second acte prend très vite une tournure polémique, car devant un décor archaïsant et primitif, nous retrouvons Médée entourée de suivantes à la peau mate qui vont devoir supporter les violences de Créon et de sa clique. Il est clairement montré ici une violence raciste et une forme de refoulement de tout ce qui figure les origines païennes de la société bourgeoise blanche.

Même si l’on comprend le message très direct qu’envoie la metteuse en scène, ce tableau arrive de façon inattendue sans être véritablement connecté à la première partie. Car, si avait été appliquée sur le teint de Joyce El-Khoury une coloration brune, comme l’avait fait Andrea Breth dans sa production berlinoise de 2018 avec Sonya Yoncheva, une certaine continuité d’origine se serait tout de suite comprise.

Mais, uniquement affublée d’un costume orientalisant, telle une Sarah Bernhardt jouant dans ‘Bajazet’, Médée paraît ici plus proche du milieu de Jason et donc insuffisamment en décalage, si bien que la dénonciation raciste paraît un peu trop ‘plaquée’, d’autant plus que l’actrice qui joue une Médée moderne est aussi typée occidentale.

Dans le même temps, l’attaque est frontale, et dans les temps politiques que nous vivons, l’image conserve toute sa force.

Michèle Bréant (Première suivante de Dircé)

Michèle Bréant (Première suivante de Dircé)

Autre élément intéressant dans cette mise en scène est de laisser entrevoir le jugement peu flatteur que porte l’un des garçons sur son père et son infidélité à Médée.

En fait, le regard que porte Marie-Ève Signeyrole vise à montrer que malgré ce qu’elle a fait, Médée n’a jamais perdu son amour pour ses enfants, ce que l’on ressent très bien à travers la séquence finale qui montre le regard d’une mère horrifiée et anéantie après avoir noyé la chair de sa chair.

Et c’est parce que la metteuse en scène ne doute jamais de la réalité de cet amour - seulement dépassé par la haine et l’agression qu’a vécu Médée -, qu’elle cherche ainsi à défendre l'héroine quitte à faire passer tous les hommes du plateau pour les pires des ordures.

Julien Behr (Jason)

Julien Behr (Jason)

Justement, Julien Behr incarne avec beaucoup de crédibilité un Jason violent et totalement antipathique. Le chanteur lyonnais détient une ligne vocale intense, conduite avec une coloration fortement ambrée et bien homogène, et son geste nerveux allié à un regard noir omniprésent - même si l’on verra furtivement une tendresse retrouvée avec Médée – guident efficacement son engagement théâtral.

Il se trouve confronté à une Joyce El-Khoury qui peut compter sur un médium sensuel et généreux pour exhaler une prestance qui s’insère plus facilement qu’elle ne tranche avec la société moderne corinthienne. Elle affiche un côté ‘jeu dans le jeu’ quand elle s’impose à ses protagonistes, mais sait aussi se laisser aller à des élans mélodramatiques dans la relation à ses enfants, comme avec Néris.

La dimension incendiaire est, elle, plus atténuée car sa tessiture aigüe, fuselée et corsée, nécessiterait plus d’ampleur et de métal pour qu’elle prenne une présence pleinement tragique.
Elle reste donc très humaine, et c’est peut-être aussi ce que souhaite obtenir Marie-Ève Signeyrole pour défendre sa vision d'une femme victime avant tout.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Néris) et Joyce El-Khoury (Médée)

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Néris) et Joyce El-Khoury (Médée)

C’est cependant Marie-Andrée Bouchard-Lesieur qui dépeint le portrait le plus accompli, car sa richesse de timbre, opulente et composée de mille reflets, exprime une puissance vitale d’une très grande sensibilité qui se lit aussi avec justesse à travers les traits du visage et le regard. Néris est ici une femme enveloppante, maternelle et assurée.

Et si la Dircé de Lila Dufy affiche une fraîcheur qui lui permet de jouer un rôle de femme heureuse d’éprouver un rêve de jeune fille, Edwin Crossley-Mercer, timbre fumé et impénétrable, interprète un Créon d’apparence vieux jeu, mais qui se révélera vulgaire sans attirer la moindre compassion.

Enfin, Michèle Bréant, en suivante de Dircé, fera entendre une légèreté printanière absolument charmante dès le premier tableau.

Joyce El-Khoury (Médée) et les enfants

Joyce El-Khoury (Médée) et les enfants

En fosse, l’orchestre Insula orchestra défend le drame haut en couleur avec ses traits cuivrés expressifs et ses vents qui jaillissent avec panache, et Laurence Equilbey privilégie le caractère fauve de la peinture à une trop forte précipitation rythmique. L’ensemble en tire ainsi une saillante envergure théâtrale, et les chœurs vivifiants sont d’une tonicité à toute épreuve.

Un parti pris scénique, certes, fortement discutable, mais qui soutient l’intérêt jusqu’au bout.

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Publié le 2 Février 2025

Der Ring des Nibelungen - Das Rheingold (Richard Wagner – Munich, le 22 septembre 1869)
Répétition générale du 21 janvier 2025 et représentations du 29 janvier, 11 et 19 février 2025
Opéra Bastille

Wotan Iain Paterson
Fricka Eve-Maud Hubeaux
Loge Simon O’Neill
Alberich Brian Mulligan
Mime Gerhard Siegel
Fasolt Kwangchul Youn
Fafner Mika Kares
Freia Eliza Boom
Erda Marie-Nicole Lemieux
Donner Florent Mbia
Froh Matthew Cairns
Woglinde Margarita Polonskaya
Wellgunde Isabel Signoret
Flosshilde Katharina Magiera

Direction Musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Calixto Bieito (2025)
Nouvelle production

Diffusion sur France Musique le 15 mars 2025 à 20h dans l’émission de Judith Chaîne ‘Samedi à l’Opéra’.

Synopsis                                                                      Marie-Nicole Lemieux (Erda)

Le pacte des géants
Wotan, souverain des dieux, règne sur les géants, les hommes et les nains Nibelungen. Gardien des pactes gravés sur la hampe de sa lance, il a violé un contrat : pour rétribuer les géants Fafner et Fasolt qui lui ont construit le Walhalla, résidence des dieux, il leur a promis la déesse Freia. Mais une fois le Walhalla bâti, désireux de garder Freia dispensatrice aux dieux des pommes de l’éternelle jeunesse, il revient sur sa parole et offre un autre paiement. Les géants acceptent de recevoir le trésor d’Alberich le Nibelung.

Le pouvoir de l’anneau
Alberich a volé l’or gardé par les trois ondines du Rhin ; il en a forgé un anneau qui donne à celui qui le porte, à condition de renoncer à l’amour, la maîtrise du monde. Wotan n’a nulle intention de renoncer à l’amour, mais il veut l’anneau (outre le trésor) et le prend de force à Alberich avec la complicité de Loge, le dieu du Feu.
Le nain lance sur l’anneau une malédiction redoutable.

La malédiction de l’anneau
Wotan remet le trésor aux géants, mais garderait l’anneau si la sage déesse Erda, mère des trois Nornes fileuses du destin, ne l’avertissait du danger que constitue l’anneau, ainsi que de la fin approchante des dieux. Il remet l’anneau aux géants, et la malédiction d’Alberich fait aussitôt son effet : pour avoir la plus grande partie du trésor, Fafner tue son frère Fasolt et s’approprie la totalité. Puis, il va entasser le trésor dans une grotte des profondeurs de la forêt, et pour le garder, se transforme en un monstrueux dragon, grâce au heaume magique forgé par Mime, le frère d’Alberich.
Alors que les dieux entrent dans leur nouvelle demeure, Wotan songe à la race de demi-dieux qu’il prépare pour vaincre le Nibelung.

Iain Paterson (Wotan)

Iain Paterson (Wotan)

Après le Ring de Pierre Strosser, son préféré, donné au Théâtre du Châtelet en 1994, puis celui de Stéphane Braunschweig joué au Festival d’Aix-en-Provence de 2006 à 2009, et enfin celui de Guy Cassier créé pour La Scala de Milan de 2010 à 2013, le nouveau Ring de l’Opéra de Paris confié à Calixto Bieito aurait du être le quatrième monté par Stéphane Lissner au cours de sa carrière de directeur d’opéra.

La pandémie de 2020 ayant entraîné l’annulation scénique de cette nouvelle Tétralogie wagnérienne, Alexander Neef a toutefois réussi à le faire jouer en version de concert à huis clos fin 2020, puis a repris le flambeau en le déclinant sur trois saisons de 2025 à 2027, mais avec une distribution bien différente. Un Ring est toujours l’occasion de fédérer l’ensemble des énergies artistiques et techniques d’une maison lyrique autour d’un projet qui en vaille la peine.

Et à la vision du prologue présenté en ce mois d’hiver, la première question qui se pose est si elle correspond bien au projet initial élaboré par le metteur en scène catalan il y a six ou sept ans.

Katharina Magiera (Flosshilde), Isabel Signoret (Wellgunde), Brian Mulligan (Alberich) et Margarita Polonskaya (Woglinde)

Katharina Magiera (Flosshilde), Isabel Signoret (Wellgunde), Brian Mulligan (Alberich) et Margarita Polonskaya (Woglinde)

Calixto Bieito commence en effet ce Ring par une image assez confuse où l’on voit Alberich, traînant derrière lui un amalgame de câbles numériques et flirtant avec trois plongeuses devant un grand rideau où sont projetées des images fantasmées d’une luxueuse banque remplie de coffres de lingots d’or – la Banque de France a généreusement prêté ses locaux et son matériel de tournage pour monter cette vidéo -. 

Margarita Polonskaya, Isabel Signoret et Katharina Magiera dessinent toutes trois une peinture vocale jeune et lumineuse des ondines, avec une très harmonieuse homogénéité magnifiée par les coloris de l’orchestre.

Mais cette accumulation d’or disparaît subitement lorsque le Nibelung arrache ce rideau et fait tomber l’illusion qui berçait les trois filles, pour faire apparaître un immense monolithe froid et métallique.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Comprendre alors que le grand cube noir recouvert de plaques rectangulaires est un immense centre informatique sur lequel veille Wotan n’est pas forcément immédiat pour qui n’est pas suffisamment familiarisé avec les architectures informatiques, mais une fois ce point de vue accepté, la métaphore du pouvoir par l’accumulation du savoir devient évidente, car nous vivons à une époque où le contrôle de l’information est devenu un enjeu majeur de domination et de survie pour le sociétés.

Et à l’origine du mythe, Wotan perdit un œil pour paiement d’avoir bu à la source de la sagesse qui coule entre les racines du frêne sacré, pour en capter le savoir.

Eliza Boom (Freia), Mika Kares (Fafner), Kwangchul Youn (Fasolt), Iain Paterson (Wotan), Simon O’Neill (Loge) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Eliza Boom (Freia), Mika Kares (Fafner), Kwangchul Youn (Fasolt), Iain Paterson (Wotan), Simon O’Neill (Loge) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

A travers une direction d’acteur très bien tenue et agressive, Calixto Bieito met en scène les relations entre Wotan et Fricka, hystérique, Freia et sa famille, violente et masochiste, Loge et Wotan, complice et presque fraternelle, et celle des géants avec leurs donneurs d’ordres, affairiste et sans loi. 

Ce qui frappe d’emblée est la façon dont tous les chanteurs sont investis à fond dans leur interprétation qui décrit un milieu de bandits violents et survoltés.

Dans ce décor noir, meublé uniquement d’un large canapé de salon, Iain Paterson - en remplacement de Ludovic Tézier qui n'a pu répéter car souffrant - incarne un homme de pouvoir sûr de lui et franchement vulgaire, et son Wotan, dont le chant se déploie facilement dans une tessiture dénuée toutefois de toute noirceur, montre une aisance dans la manière d’être et une véritable maîtrise théâtrale.

Eliza Boom (Freia) et Mika Kares (Fafner)

Eliza Boom (Freia) et Mika Kares (Fafner)

Eve-Maud Hubeaux est absolument fascinante de par la félinité gracile et outrancière avec laquelle elle oppose Fricka à un mari qui semble inébranlable, attitude déchaînée qui pourrait être perçue comme trop exagérée par certains spectateurs, mais dépasser ainsi les limites du comportement contrôlé permet aussi de montrer une personnalité qui ne supporte plus de voir la déconsidération des femmes dans ce milieu, et qui entend bien ne pas se laisser faire. Ses aigus sauvages sont d’ailleurs profilés avec une pleine netteté.

Autre chanteur épatant, malgré un timbre très nasal, Simon O’Neill est loin de décrire un Loge sensuel et amusant, mais bien une sorte de riche collaborateur en casquette de baseball, comme signe de réussite, décomplexé mais parfaitement crédible, qui cherche à tirer intelligemment son épingle du jeu. Ses couleurs de voix acérées et la clarté de son élocution contribuent ainsi à lui donner une nature très forte, et à en faire le véritable manipulateur de ce prologue.

Gerhard Siegel (Mime)

Gerhard Siegel (Mime)

Scéniquement, la première partie est une présentation condensée des protagonistes puisque tous les conflits s’étalent autour du grand canapé familial. Mais le basculement vers le Nibelheim – à ce moment, le plateau Bastille se surélève pour révéler l’antre d’Alberich – ouvre sur un large champ de questionnements, puisque l’on y voit le Nibelung maîtriser une importante installation informatique qui vise à instiller la vie à travers des humanoïdes féminins.

Nombre de câbles noirs sinueux, d’écrans colorés installés en forme de croix chrétienne et permettant d’observer l’intérieur du vivant reconstitué, et de bustes plus ou moins complets, font surgir toutes les angoisses contemporaines que générèrent aujourd'hui les recherches à base d’intelligence artificielle pour recréer la vie et lui donner une forme d’immortalité.

Nous sommes au cœur de la problématique soulevée récemment par Elon Musk, par exemple, avec son projet Neuralink d’implantation de puces dans le cerveau humain, qui peut être perçu comme une menace pour la vie en fonction de la nature des hommes qui exercent le pouvoir.

Ces technologies sont aujourd’hui poussées par des intérêts privés et des milliardaires mégalomaniaques, avec également tous les risques d’altération sur le vivant qu’elles font peser.

Brian Mulligan (Alberich)

Brian Mulligan (Alberich)

Au sein de ce laboratoire – un inextricable fatras de science numérique -, le métal de la voix de Brian Mulligan donne à Alberich un mordant saisissant, d’autant plus que l’acteur est prodigieux et que c’est lui qui tire la scène la plus forte de ce premier volet, car nous y voyons par quel moyen un Wotan pourrait, en s’emparant de ces moyens, réaliser son emprise sur le monde sans agir directement. 

L’apparition tourmentée de Fricka, en surplomb de cette scène, peut signifier qu’elle a perçu le danger pour elle et les autres femmes de ne plus être à l’origine naturelle du monde.
Mais cette grande scène du Nibelheim montre aussi le poids de multiples asservissements. Il y a d’abord celui de Mime, frère et manœuvre d’Alberich, violenté par ce dernier, qui a fabriqué le Tarnhelm, un casque humanoïde basé sur des technologies de réalité virtuelle, selon l’interprétation de cette production.

Eliza Boom (Freia)

Eliza Boom (Freia)

Non seulement Gerhard Siegel joue avec force la victimisation de Mime à travers toutes ses souffrances, mais il lui offre un rayonnement vocal très percutant avec une projection bien assurée et une plénitude de couleurs.

Il y a ensuite l’asservissement d’Alberich à l’anneau d’or qu’il porte autour du cou de façon pesante, et que Wotan aura encore plus de mal à soutenir quand il le portera devant Fricka, une fois de retour au pied du Walhalla.

Enfin, Loge se permet de tenir le Nibelung en laisse de façon très dominatrice pour lui substituer l’anneau.

C’est le risque de subordination de toute l’humanité qui est ici soulevé avec effroi, les manipulateurs pouvant eux-mêmes devenir les manipulés.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

La dernière partie reprend le cours des échanges conflictuels au sein du clan familial, mais l’on voit cette fois Wotan plier devant l’anneau et les injonctions de Fricka munie de la lance, en geste inversé, et Erda, incarnée par Marie-Nicole Lemieux grimée en mendiante et dont le style déclamatoire fier est étrangement clair pour une contralto, arbore une attitude caressante et séductrice vis-à-vis de celui qui sera le père de ses Walkyries.

C’est le moment où la nature féminine retrouve pour un instant sa place essentielle, car ensuite, Freia, inspirée par la fraîcheur dramatique d’Eliza Boom, s’infligera une automutilation en se recouvrant d’un fluide noir auquel Loge cherchera à mettre le feu, signant de fait la destruction de la vie et de la jeunesse, et la forte responsabilité de celui qui symbolise le mieux l’appât du gain et la destruction de l’environnement naturel.

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Iain Paterson (Wotan) et Eve-Maud Hubeaux (Fricka)

Et, auparavant, la scène de la montée au Walhalla se sera déployée avec l’émergence spectaculaire d’un immense pont recouvert de câbles noirs et tortueux qui permettra à Wotan de prendre le pouvoir sur le savoir universel au sein de son centre d’information.

Le meurtre de Fasolt par Fafner est, lui, joué par un geste d’étranglement afin de n’en faire qu’un acte gratuit et médiocre, les deux frères étant chantés respectivement par la belle prestance nobiliaire de Kwangchul Youn, et les inflexions mélancoliques de Mika Kares. Et même le rapport de Fasolt à Freia, pourtant doté d’un beau motif musical tristanesque, est traité de façon agressive.

Enfin, le baryton camerounais Florent Mbia, actuel membre de la troupe lyrique, développe une ligne très équilibrée ce qui pose un Donner bien présent et perméable à l’ambiance violente qui règne sur scène, alors que Matthew Cairns joue un discret Froh aux apparences de prophète, probablement parce qu’il ne souhaite pas renoncer à l’amour, dans un sens plus chrétien.

Simon O’Neill (Loge) et Eliza Boom (Freia)

Simon O’Neill (Loge) et Eliza Boom (Freia)

Cette première représentation de ‘L’Or du Rhin’ est aussi l’occasion d’assister aux débuts dans la fosse de l’Opéra Bastille de Pablo Heras Casado, principal directeur musical invité du Teatro Real de Madrid depuis 2014, où il a dirigé le Ring dans la production de Robert Carsen.

La scène d’ouverture avec les filles du Rhin est très réussie aussi bien pour la tension orchestrale que pour les flamboiements des motifs qui se mêlent à irradiance des trois chanteuses.

D’un geste qui s’avère fortement théâtralisant, riche en couleurs et en intensité, le chef d’orchestre andalou recherche l’effet en se mettant au service de la dramaturgie incisive de Calixto Bieito, avec une excellente précision rythmique.

Il se permet une certaine massivité du son sans sacrifier à la finesse des détails, impulse aux musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Paris des mouvements galvanisants toujours bien timbrés, si bien que l’ensemble a déjà beaucoup d’allure et laisse penser que cette électrisation du discours risque de se renforcer aux représentations qui vont suivre.

Pablo Heras-Casado

Pablo Heras-Casado

Calixto Bieito achève ce prologue sur une image d’un jeune bébé dont le cerveau est déjà hérissé d’implants numériques, manière aussi bien de s’adresser au spectateur dans son rapport à la société de l’information, que de suggérer ce qui pourrait arriver à l’humanité qui va naître au cours des prochains volets d’un Ring qui intrigue par la ligne qu’il vient d’amorcer.

Mika Kares, Kwangchul Youn, Simon O’Neill, Iain Paterson, Brian Mulligan et Eve-Maud Hubeaux

Mika Kares, Kwangchul Youn, Simon O’Neill, Iain Paterson, Brian Mulligan et Eve-Maud Hubeaux

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Publié le 24 Janvier 2025

La Petite Renarde Rusée (Leoš Janáček  – Brno, le 06 novembre 1924)
Répétition générale du 13 janvier 2025 et représentation du 21 janvier 2025
Opéra Bastille

Le Garde-Chasse Milan Siljanov
La Renarde Elena Tsallagova
Le Renard Paula Murrihy
Le Prêtre Frédéric Caton
L'Instituteur, le Moustique Éric Huchet
Le chien Maria Warenberg
Le Blaireau Slawomir Szychowiak
Le Coq, le Geai Rocio Ruiz Cobarro
La Poule huppée Irina Kopylova
Le vagabond Tadeáš Hoza
Le Pivert Marie-Cécile Chevassus
L'Aubergiste Se-Jin Hwang
La femme de l'Aubergiste Anne-Sophie Ducret
Le Hibou, la femme du Garde-Chasse Marie Gautrot

Direction musicale Juraj Valčuha
Mise en scène André Engel

(Opéra de Lyon 2000 – Opéra de Paris 2008)
Prague Philharmonic Children’s Choir

 

Entrée tardivement au répertoire de l’Opéra national de Paris le 13 octobre 2008, ‘La Petite Renarde Rusée’ (‘Příhody lišky Bystroušky’ en tchèque) est une œuvre qui porte en elle une croyance en la vie, une croyance que tout se renouvelle.

La renarde représente ici la projection de cette jeunesse, de cet éternel féminin pour lequel Leoš Janáček était tombé amoureux sous l’inspiration de Kamila Stösslová, une femme mariée âgée de 38 ans de moins que lui.

Elena Tsallagova (La Renarde)

Elena Tsallagova (La Renarde)

André Engel porta sur la scène de l’opéra de Lyon, au mois d’avril 2000, une production de ‘La Petite Renarde Rusée’ taillée pour une scène d’une quinzaine de mètres d’ouverture, qui fut reprise au Théâtre des Champs-Élysées deux ans plus tard.

Puis, cette production fut adaptée à l’immense scène Bastille en 2008, bien plus vaste, qui est celle présentée encore aujourd’hui. Naturellement, un effet de dilution se ressent, mais l’avantage est que les changements de décors peuvent se dérouler avec une meilleure fluidité derrière un rideau finement décoré des portraits des différents personnages.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le principal tableau comprend un champ de tournesols – en lieu et place de la forêt - traversé par une voie ferroviaire qui représente l’empreinte de l’homme sur la nature, et, au troisième acte, le metteur en scène fait varier les saisons de manière à représenter cet acte en hiver et sous la neige avec des teintes lumineuses subtilement dosées

Ce dernier acte revient en effet au conflit entre l’homme et la nature au moment de la mort brutale de la petite renarde – un choc pour les jeunes spectateurs, qui se trouve amplifié par le silence stupéfiant qui règne sur scène après la violence du coup de fusil tiré par le vagabond -, et l’ouvrage s’achève sur la prise de conscience que le cycle de la nature est bien plus court que celui de l’homme et se régénère plus rapidement. Le Garde-chasse finit par s’effacer sous les tournesols pour laisser la nature reprendre son cours.

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Paula Murrihy (Le Renard) et Elena Tsallagova (La Renarde)

Mais le cœur de l’ouvrage se situe en fait au second acte, à travers le développement de la relation amoureuse entre la renarde et le renard, où la musique évoque si finement les sentiments intérieurs par une mélodie douce et triste-heureuse.

Tout au long de la soirée, les chanteurs et les figurants apparaissent grimés en différents animaux dans des costumes colorés et parfois très inventifs et ludiques, telle la chenille jouant du bandonéon où bien les moustiques opérant des prises de sang sur le Garde-chasse, et les différentes interactions entre les multiples protagonistes en restent à des gestes simples et naturels. 

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse)

Pour cette reprise, la direction musicale est confiée à Juraj Valčuha, musicien slovaque qui a débuté sa carrière en France comme assistant auprès de l’Orchestre et l’Opéra national de Montpellier en 2003, et qui enregistra dès 2005, avec l’Orchestre national de France, ‘Mirra’ de Domenico Alaleona

Et depuis, il est l’invité de grandes scènes lyriques internationales telles le Bayerische Staatsoper, le Deutsche Oper Berlin, l’Houston Opera ou le Teatro di San Carlo.

Ce soir, il offre une lecture luxuriante de cette fable onirique, tissant avec les ensembles de cordes une texture dense aux chromatismes complexes extrêmement prenante et enveloppante dans l’enceinte Bastille. Une profonde respiration se ressent également, et les moindres détails sont dépeints avec vivacité et finesse de geste.

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Jeunes chanteuses du Prague Philharmonic Children’s Choir

Elena Tsallagova incarnait déjà la petite renarde en 2008 sur cette scène, peu après son passage à l’Atelier lyrique de l'Opéra de Paris, mais dorénavant son parcours s’est étoffé et sa voix a acquis une luminosité ombrée et une intensité de projection qui lui permettent de soutenir aisément l’opulence de la direction de Juraj Valčuha. Et elle n’a rien perdu de son allure si svelte !

Elle est opposée au Garde-chasse incarné par Milan Siljanov qui est un jeune baryton-basse issu de l'Ensemble du Bayerische Staatsoper, chanteur doué d’une belle ligne de chant, sombre et noble, qui lui donne aisément la carrure d’un Barbe-Bleue, et donc un charme vocal supplémentaire.

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Milan Siljanov (Le Garde-Chasse) et Tadeáš Hoza (Le Vagabond)

Le Renard, lui, est chanté par Paula Murrihy qui démontre un lyrisme touchant que l’on n’entend pas toujours dans ce rôle, alors que le Chien joué par Maria Warenberg ne manque pas de ressort et d’enthousiasme.

Les nombreux petits rôles sont très bien tenus, notamment un jeune soliste attaché à l'Ensemble du Théâtre national de Brno, Tadeáš Hoza, qui incarne le vagabond avec caractère et noirceur.

Enfin, le Chœur d’enfants du Philharmonique de Prague, qui surprend tout le monde dès son arrivée en famille de petits renardeaux, apporte en seconde partie une vitalité et une touche d’authenticité qui rendent la représentation encore plus attachante.

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

Le Prague Philharmonic Children’s Choir

A observer la salle et les nombreux enfants présents, l’Opéra de Paris a visiblement su attirer un large public grâce à une solide campagne d’annonces et une tarification attractive, ce qui ajoute à l’excellente soirée qu’il est permit de vivre à l’écoute du seul ouvrage lyrique d’Europe centrale et de l’Est programmé cette saison.

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

Paula Murrihy, Elena Tsallagova, une jeune choriste du Prague Philharmonic Children’s Choir, Juraj Valčuha, Petr Louženský (chef du chœur d'enfants) et Milan Siljanov

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Publié le 21 Janvier 2025

Castor et Pollux (Jean-Philippe Rameau – Palais Royal à Paris, le 24 octobre 1737)
Répétition générale du 16 janvier 2025 et représentations du 20 et 28 janvier 2025
Palais Garnier

Castor Reinoud Van Mechelen
Pollux Marc Mauillon
Télaïre Jeanine De Bique
Phébé Stéphanie d'Oustrac
Grand Prêtre de Jupiter, Un Athlète, L'Amour Laurence Kilsby
Minerve, Une suivante d'Hébé Claire Antoine
Une Ombre heureuse, Vénus Natalia Smirnova
Jupiter, Un Athlète, Mars Nicholas Newton

Direction musicale Teodor Currentzis
Mise en scène Peter Sellars (2025)
Chorégraphie Cal Hunt
Orchestre et Chœur Utopia
Nouvelle Production

Retransmission en direct le 01 février 2025 sur POP – Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris
Diffusion le 22 février 2025 sur France Musique dans l’émission ‘Samedi à l’Opéra’ de Judith Chaine

Héros antiques des poèmes d’Homère et d’Hésiode, les enfants de Léda, Castor et Pollux, le premier fils de Tyndare et frère de Clytemnestre, le second fils de Zeus et frère d’Hélène, ont inspiré à Jean-Philippe Rameau l’un de ses chefs-d’œuvre incontestés.

Reinoud Van Mechelen (Castor) et Jeanine De Bique (Télaïre)

Reinoud Van Mechelen (Castor) et Jeanine De Bique (Télaïre)

La première version, créée au Théâtre du Palais Royal en 1737, eut un succès d’estime, mais la version révisée de 1754, qui supprimait le prologue (une commémoration de la fin de la Guerre de Succession de Pologne) et réécrivait le premier acte tout en raccourcissant les récitatifs, fut jouée en continu jusqu’en 1785 au point de faire partie des cinq ouvrages les plus représentés de l’Académie Royale de Musique, auprès des grands succès de Christoph Willibald Gluck, jusqu’à la Révolution française.

Puis, après 133 ans d’absence, l’ouvrage réapparut au Palais Garnier en 1918 dans une mise en scène de Jacques Rouché, selon une orchestration d’Alfred Bachelet et une chorégraphie de Nicolas Guerra qui seront reprises jusqu’au 26 octobre 1940.

Chœur Utopia,  Laurence Kilsby (L'Amour) et Natalia Smirnova (Vénus)

Chœur Utopia, Laurence Kilsby (L'Amour) et Natalia Smirnova (Vénus)

A Paris, la version de 1754 connut ensuite par deux fois les honneurs de la scène au Théâtre des Champs-Élysées, d’abord dans une production de l’English Bach Festival en 1982, puis en 2014 dans une mise en scène de Christian Schiaretti et l’interprétation du Concert Spirituel, avec Reinoud van Mechelen en Mercure.

Et en cette même année où l’on célébrait les 250 ans de la disparition de Jean-Philippe Rameau, Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion s’arrêtaient pour un soir à la salle Favart afin de jouer une version de concert de ‘Castor et Pollux’, tandis que le chef d’orchestre Teodor Currentzis éditait, pour sa part, un album hommage au compositeur français intitulé ‘The sound of light’ (Sony Classical).

Danseurs de FlexN devant Jupiter

Danseurs de FlexN devant Jupiter

Le retour de ‘Castor et Pollux’ au répertoire de l’Opéra de Paris dans la version de 1737 est donc un évènement historique pour l’institution puisqu’il s’agit d’une véritable renaissance, d’autant plus que la direction artistique est confiée à Peter Sellars et Teodor Currentzis, deux compagnons de route qui laissèrent un mémorable souvenir de leur interprétation de ‘The Indian Queen’ d’Henry Purcell, jouée en 2013 au Teatro Real de Madrid.

Pour la scène Garnier, Peter Sellars s’est associé au chorégraphe Cal Hunt qui avait interprété en 2019 un magnifique mouvement avec Sabine Devieilhe dans la production des ‘Indes Galantes’ mise en scène par Clément Cogitore et Bintou Dembélé à l’Opéra Bastille, un immense succès public qui avait fortement ringardisé la critique française passée complètement à côté du sens de ce spectacle.

Natalia Smirnova (Vénus), Claire Antoine (Minerve) et Laurence Kilsby (L'Amour)

Natalia Smirnova (Vénus), Claire Antoine (Minerve) et Laurence Kilsby (L'Amour)

A nouveau, l’univers de la rue et sa violence sont le point de départ narratif choisi par les deux artistes nord-américains qui se sont entourés de treize danseuses et danseurs, dont le mannequin Ablaye Birahim Diop, qui, tout au long du spectacle, vont insérer des mouvements chorégraphiques de style FlexN dont les sinuosités et l’agilité représenteront la dynamique musicale de l’écriture ramiste souvent parcellée de danses.

Ainsi, en choisissant la version de 1737, Peter Sellars développe une analyse intemporelle d’une œuvre qui invite l’esprit de guerre à s’incliner face à un sentiment d’amour humain relié à l’univers.

Cal Hunt (Castor), Jeanine De Bique (Télaïre), Stéphanie d'Oustrac (Phébé) et Marc Mauillon (Pollux)

Cal Hunt (Castor), Jeanine De Bique (Télaïre), Stéphanie d'Oustrac (Phébé) et Marc Mauillon (Pollux)

Le prologue met en scène de façon allégorique l’Amour qui cherche à vaincre Mars - Laurence Kilsby interprète dans cette version les rôles du Grand Prêtre de Jupiter, d’un Athlète et de l’Amour avec une sublime sensibilité céleste, alors que le dieu de la guerre est incarné par le timbre de basse épais mais aux accents doucereux de Nicholas Newton -, et les morts respectives de Castor et Lyncée vont découler de rixes interprétées dans l’esprit des combats de rues new-yorkais de ‘West Side Story’, mais dans un espace très restreint sur scène.

 Laurence Kilsby (L'Amour), Nicholas Newton (Jupiter) et Marc Mauillon (Pollux)

Laurence Kilsby (L'Amour), Nicholas Newton (Jupiter) et Marc Mauillon (Pollux)

En fond d’écran, une vidéo en plan fixe montre des images de cet environnement urbain rude et sans charme, puis, tout au long de l’ouvrage, ces films vont prendre de la distance avec la réalité terrestre pour amener le spectateur à contempler les chapelets de lumières des villes vues depuis l’espace, les aurores boréales et météores de l’atmosphère et, plus loin, les superbes images de la planète Jupiter, du Soleil et de l’univers interstellaire, comme une réponse poétique aux nombreuses allusions aux dieux et sources lumineuses invoquées dans le livret du début à la fin. 

Marc Mauillon (Pollux) et Stéphanie d'Oustrac (Phébé)

Marc Mauillon (Pollux) et Stéphanie d'Oustrac (Phébé)

Et au final, le retour à la réalité met en perspective tout ce que l’environnement immédiat de l’homme aura occulté de sa place dans l’univers, la vidéo revenant à la banalité du quotidien sous un ciel sans étoiles.

Et comme Peter Sellars s’inscrit dans une approche très spirituelle et onirique, il n’éprouve pas le besoin de changer de lieux – quelques éléments de décors concrets décrivent un petit appartement de ville -, préférant jouer sur la subtilité et la délicatesse des éclairages, ainsi que sur l’expressivité émotionnelle des chanteurs par un travail fin et précis sur le rendu de leurs émotions.

Jeanine De Bique (Télaïre) et Marc Mauillon (Pollux)

Jeanine De Bique (Télaïre) et Marc Mauillon (Pollux)

Ainsi, l’air de Télaïre ‘Tristes apprêts’ du premier acte condense à lui seul toutes les qualités de ce très beau spectacle où l’on peut entendre Jeanine De Bique chanter une souffrance indiciblement intériorisée d’un sombre souffle de voix à la somptueuse sensualité de velours, prolongée par la peinture orchestrale irrésistible de l’ensemble Utopia dont Teodor Currentzis mixe les couleurs avec une finesse qui vise à l’imperceptibilité de l’expression du sentiment, le tout sous un merveilleux fond d’étoiles et des lumières intimes qui effleurent de leur chaleur la sensibilité du cœur.

On pourrait prendre une place pour chaque soirée rien que pour revivre ce moment de grâce qui est une fusion poignante de tant de talents artistiques.

Cal Hunt (Castor) et Jeanine De Bique (Télaïre)

Cal Hunt (Castor) et Jeanine De Bique (Télaïre)

Le passage aux enfers de Pollux et le retour éphémère de Castor, sortant d’un cercueil, auprès de Télaïre se jouent donc dans ce même appartement sous des lumières encore plus sombres qui évoquent le songe, les danseurs évoluant pour un moment dans des costumes constellés de lueurs stellaires.

Pollux n’a clairement pas le beau rôle, affublé d’un treillis pour souligner sa nature belliqueuse, et Marc Mauillon use d’un timbre déclamatoire très franc, tout en étant plaintif, pour ne revenir à la tendresse qu’au dernier acte afin de manifester un changement intérieur en lui-même.

Stéphanie d'Oustrac (Phébé) et les danseurs de FlexN

Stéphanie d'Oustrac (Phébé) et les danseurs de FlexN

Stéphanie d'Oustrac – l’inaltérable et aérienne Argie dans ‘Les Paladins’ chorégraphié en 2006 au Théâtre du Châtelet par José Montalvo - dépeint également une Phébé farouche douée de la présence éclatante qu’on lui connaît, avec dorénavant des variations de couleurs plus tourmentées qui, finalement, donnent un portrait plutôt terrestre qui s’accorde bien avec celui de Pollux, en fort contraste avec celui formé par Télaïre et Castor qui représentent l’harmonie amoureuse dans ce qu’elle a de plus pur.

Taya König-Tarasevich (Flûte), Jeanine De Bique (Télaïre) et Reinoud Van Mechelen (Castor)

Taya König-Tarasevich (Flûte), Jeanine De Bique (Télaïre) et Reinoud Van Mechelen (Castor)

Et dans le rôle de Castor, Reinoud Van Mechelen envoûte d’emblée l’auditeur en chantant ‘Séjour de l’éternel paix’ avec une suavité enjôleuse dont il ne va jamais se départir, mais aussi à travers un naturel des poses travaillées avec Peter Sellars pour transmettre les émotions les plus justes.

Tout le jeu amoureux avec Jeanine De Bique est d’une extrême sensibilité jusqu’au final où leur relation devient tendre et joueuse, Peter Sellars choisissant exclusivement la lumière comme issue possible – même la salle Garnier s’illuminera sur les dernières mesures – de façon à rendre une forme de rédemption à Phébé et Pollux qui partageront, eux aussi, leur bonheur convivial.

Enfin, deux sopranos, Natalia Smirnova et Claire Antoine, se distinguent au fil de l'ouvrage, la première dans le prologue en offrant à Vénus un timbre dramatique et vibrant, alors que la seconde, en ombre heureuse, inscrit en seconde partie son chant dans une ornementation qui fleure la légèreté malicieuse de l’amour.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

Dans cette version donnée quasiment sans coupures majeures – la fin du prologue entre Vénus, L’Amour, Mars et Mercure est toutefois simplifiée –, Teodor Currentzis prend beaucoup de soin à polir le son en lui induisant une rondeur sensuelle et une noirceur crépusculaire dans les passages lents, mêlant aux récitatifs le scintillement chaleureux du clavecin et les sonorités médiévales des luths, tout en insufflant une vie pétillante aux danses qui préserve les couleurs des instruments de l’orchestre Utopia.

Le chœur, lui, apparaissant aussi bien sur scène pour jouer de manière démonstrative sa joie et ses inquiétudes, qu’au milieu des musiciens pour mieux fondre ses voix aux cordes plaintives, est d’une impeccable éloquence, doublée d’une expressivité humaine agréablement authentique.

Chœur Utopia

Chœur Utopia

Dès son arrivée en fosse, Teodor Currentzis fut chaleureusement accueilli, prémisses à des réactions qui se montreront dithyrambiques dès la fin de la première partie, avant même qu’au rideau final une standing ovation submerge l’ensemble des artistes dans une joie exubérante. 

Encore une première à laquelle il fallait être, pour constater aussi le plaisir et l’intérêt que ce spectacle a su créer en salle!

Nicholas Newton , Reinoud Van Mechelen, Cal Hunt, Peter Sellars, Jeanine De Bique, Ablaye Birahim Diop, Kenza Kabisso, Edwin Saco, Teodor Currentzis, Marc Mauillon, Océane Valence, Stéphanie d'Oustrac et l'Orchestre Utopia

Nicholas Newton , Reinoud Van Mechelen, Cal Hunt, Peter Sellars, Jeanine De Bique, Ablaye Birahim Diop, Kenza Kabisso, Edwin Saco, Teodor Currentzis, Marc Mauillon, Océane Valence, Stéphanie d'Oustrac et l'Orchestre Utopia

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