Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Ariodante (Georg Friedrich Haendel – 1735)
Version de concert du 07 novembre 2022
Théâtre des Champs-Élysées
Ariodante Franco Fagioli
Ginevra Melissa Petit
Dalinda Sarah Gilford
Polinesso Luciana Mancini
Lurcanio Nicholas Phan
Le Roi d’Ecosse Alex Rosen
Direction musicale George Petrou Il Pomo d’Oro
Melissa Petit (Ginevra)
Après ‘Giulio Cesare’ et ‘Alcina’, ‘Ariodante’ est l’opéra de Georg Friedrich Haendel le plus interprété depuis la production de Pier Luigi Pizzi créée à la Scala de Milan le 24 mars 1981, qui circula à Édimbourg (septembre 1982), Nancy (octobre 1983) et même Genève (février 1986).
Melissa Petit (Ginevra) et Franco Fagioli (Ariodante)
Comme il s’agissait d’une coproduction de l’Opéra de Paris, Pierre Bergé et du Théâtre des Champs-Élysées, ce spectacle fit son entrée sur la scène parisienne de l’avenue Montaigne le 25 mars 1985, pour 5 représentations, sous la direction de Jean-Claude Malgoire.
Dès lors, le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli une seconde production par Lukas Hemleb en mars 2007, avec Angelika Kirchschlager dans le rôle-titre et Christophe Rousset à la direction musicale, et pas moins de deux versions de concert données en mai 2011, avec Joyce DiDonato sous la direction d’Alan Curtis, puis en mai 2017 avec Alice Coote sous la direction d’Harry Bicket qui le dirigera également à l'Opéra de Paris en avril 2023.
Sarah Gilford (Dalinda)
La version de concert dirigée ce soir est cette fois confiée à George Petrou, directeur artistique du Festival Haendel International de Göttingen, qui a débuté cette tournée ‘Ariodante’ à Barcelone pour se poursuivre à Essen, Paris et La Coruña.
Il est associé à dix-neuf musiciens de l’ensemble Il Pomo d’Oro qui jouent sur instruments d’époque avec une ravissante habileté à distiller des sonorités brillantes et raffinées sur un tempo qui engage à l’allégresse, malgré les noirceurs et tristesses de ce drame sentimental.
Les musiciens d'Il Pomo d’Oro
Profiter de cette clarté musicale permet d’apprécier la délicatesse et la volupté de chaque instrument, tel le magnifique lamento sombre et mélancolique du basson (Katrin Lazar), et de créer une impression de sérénité qui saisit l’audience d’autant plus que la distribution réunie fait honneur à la nature belcantiste du chant haendélien.
Le chef d'orchestre veille ainsi à assurer la cohésion entre solistes et instrumentistes tout en insufflant tension, théâtralité et nuances dans un esprit de symbiose très réussi.
Luciana Mancini (Polinesso) et Sarah Gilford (Dalinda)
C’est dans une version pour contre-ténor que le second opéra d’Haendel inspiré par l’’Orlando Furioso’ de l’Arioste – le premier était ‘Orlando’ en 1733 – est chanté, et Franco Fagioli est éblouissant de virtuosité dans les airs purement dédiés à des exercices de grande agilité dont il préserve avec talent la suavité vocale qui naturellement se magnifie dans l’air central ‘Scherza infida’.
Se perd toutefois le charme trouble qui se manifeste lorsque ce rôle est confié à une mezzo-soprano, effet que l’on pourra cependant retrouver dans la prochaine production du Palais Garnier prévue au printemps prochain.
Melissa Petit, qui incarne la fille du Roi d’Écosse, se révèle être une partenaire parfaite de par sa dignité classique un peu austère dont le chant aux teintes ambrées prend aussi des accents d’urgence dramatique qui en font un grand personnage de tragédie.
Nicholas Phan (Lurcanio)
Sarah Gilford, elle, offre un portrait de Dalinda riant, lumineux et juvénile qui a énormément de fraîcheur, pouvant compter sur la pureté de sa voix aux lignes courbes et légères, comme une fleur s'épanouissant, ce qui crée un contraste saisissant avec le Polinesso intrigant et manipulateur que Luciana Mancini fait vivre avec un esprit acéré et charismatique, tout en affichant une aisance à traverser des airs véloces sans que cela ne dénature la texture brune, condensée et très homogène de son timbre de voix.
Nicholas Phan, Alex Rosen, George Petrou et Franco Fagioli
Déjà présent en mai 2011 dans le rôle de Lurcanio, le frère d’Ariodante, Nicholas Phan est un très élégant interprète qui exprime les sentiments avec une subtile profondeur. C’est un ténor qui mêle clarté, maturité des couleurs et très grande souplesse qui lui permettent d’exprimer des élans passionnés très assurés dans les aigus, alliés à une langueur sensiblement mozartienne.
Enfin, Alex Rosen brosse un portrait du Le Roi d’Ecosse posé et réservé avec une belle tessiture qui dépeint gravité, noblesse et jeunesse, ce qui parachève avantageusement ce grand tableau de valeur, défendu par des artistes qui sont une découverte pour beaucoup de spectateurs comblés en ce lundi soir.
Mayerling (Kenneth MacMillan – 1978)
Représentations du 26 octobre et 04 novembre 2022
Palais Garnier
Prince Rudolf Mathieu Ganio
Baronne Mary Vetsera Ludmila Pagliero
Comtesse Marie Larisch Laura Hecquet
Princesse Stéphanie Eleonore Guérineau
Empereur Franz Joseph Yann Chailloux
Impératrice Elizabeth Héloïse Bourdon
Mitzi Caspar Bleuenn Battistoni
Princesse Louise Charline Giezendanner
Bratfisch Andréa Sarri
Colonel Bay Middleton Jérémy Loup-Quer (26), Pablo Legasa (04)
Les officiers Pablo Legasa (26), Nikolaus Tudorin (04), Mathieu Contat, Guillaume Diop et Grégory Dominiak
Katharina Schratt Juliette Mey
Chorégraphie Kenneth MacMillan (1978)
Direction musicale Martin Yates
Compositeur Franz Liszt
Orchestration John Lanchberry
Extraits de Faust Symphonie S108; Héroïde funèbre S102; Waltzes Soirées de Vienne S427; Cinq petites pièce pour piano S192 (2); Valse mélancolique S210; Festklänge, S101; Morceaux en style de danses anciennes hongrois (S737); Sept portraits hongrois, S205 (1-2, 5, 7); Valse oubliée S215/2; Berceuse, S174; Tasso S96; Études d’exécution transcendante S139 (3-4, 11-12); Weihnachtsbaum, S186/7; ‘Csárdas obstiné’ S225/2; Mephisto Waltz No.1 S110/2; Fleurs mélodiques des Alpes S156/2; Consolation S172/1; Ich Scheide S319; Mephisto Polka S217; Vallée d'Obermann S156/4; Die Ideale S106; Danse hongroise S245/4; Funérailles S173/7
Le drame de Mayerling, petit hameau situé au sud-ouest de Vienne, qui s’est déroulé dans la nuit du 29 au 30 janvier 1889, est un sujet passionnant pour sa dimension historique teintée de mystère irrésolu. Il implique l’archiduc héritier de la couronne des Habsbourg, Rodolphe, dont la disparition aura pour conséquence la désignation, 7 ans plus tard, de François-Ferdinand comme héritier du trône impérial, avant qu’il ne soit assassiné à Sarajevo le 29 juin 1914.
Cette affaire privée est donc un évènement parmi tous ceux qui jalonnent la marche vers le déclin de l’Empire d’Autriche et l’entrée dans la première Guerre Mondiale.
Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)
Le cinéma s’est d’ailleurs emparé assez tôt de cette histoire, d’abord avec la version lumineuse et poétique d’Anatole Litvak, en 1936, qui réunit Danielle Darrieux et Charles Boyer, puis il y eut celle de Jean Delannoy en 1949, ‘Le Secret de Mayerling’, où figurent Jean Marais et Dominique Blanchar, et enfin vint s'imposer la version plus célèbre de Terence Young qui afficha Omar Sharif et Catherine Deneuve en 1968.
Puis, le 14 février 1978, jour de la Saint Valentin, le ballet du Royal Opera House de Londres interpréta une version chorégraphique de ‘Mayerling’ créée par Kenneth MacMillan qui aura connu 146 représentations au 30 novembre 2022 (ce ballet est repris à Londres au même moment qu'il est créé à Paris à l'automne 2022).
Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Laura Hecquet (Marie Larisch)
L’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cette version, dans les décors et costumes issus des ateliers de l’institution parisienne, est donc un grand évènement, salué par le public tous les soirs, parce qu’il permet d’aller à la rencontre d’un profil psychologique noir et très intéressant.
Car la vision que présente Kenneth MacMillan de Rodolphe est celle d’un jeune homme en révolte contre une cour qui l’oppresse, et qui en souffre au point d’être engagé dans une quête suicidaire de la femme avec laquelle il pourra inscrire définitivement leur amour dans la mort.
L’histoire est complexe à suivre et nécessite d’être étudiée en amont, d’autant plus que pas moins de 6 femmes interviennent dans la vie du Prince
Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Héloïse Bourdon (Impératrice Elizabeth)
Il y a d’abord Stéphanie, qu’il a épousé mais qu’il n’aime pas, puis Louise, la sœur de sa femme, qu’il courtise par jeu, puis sa mère, l’Impératrice Elisabeth, plus connue sous le nom de Sissi, qui lui témoigne peu d’amour, voir aucun, la Comtesse Marie Larisch, son ancienne amante qui le comprend le mieux, Mizzi Caspar, la courtisane qui refusera de mourir avec lui, et enfin Mary Vetsera qui, elle, va s’éprendre pour lui d’un amour romantique et dangereux qui aboutira au double suicide final.
Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)
Dans la première partie, toute la pompe et la lourdeur de la cour impériale sont restituées dans les décors sombres où se devinent les colonnes de portraits de la Hofburg de Vienne. Mathieu Ganio incarne un Prince qui se livre à contre cœur aux règles formelles, et dans sa danse transparaissent des petites faiblesses à respecter le classicisme de la chorégraphie initiale. La relation affective à sa mère qui le dédaigne est poignante, au point de clairement faire apparaître qu’elle est un élément d’explication du comportement destructeur qui va suivre.
Ludmila Pagliero (Mary Vetsera) et Mathieu Ganio (Prince Rudolf)
Car à partir du développement de sa relation avec Mary, au second acte, on peut voir le grand tragédien prendre le dessus, se plier à la gestuelle piquée et torturée, et décrire un magnifique portrait d’un homme qui plonge dans le désespoir avec de la détermination et une véritable profondeur.
Il faut dire que Ludmila Pagliero est pour lui une immense partenaire. Tonicité aussi bien dans l’impulsivité que la délicatesse, sens du tragique, perfection du jeu, expressivité de ses torsions, tout est juste dans sa manière de faire vivre Mary et d’en faire une femme forte maîtresse de ses désirs. Une simple robe légère noire suffit à suggérer l’âme de cette femme qui progressivement se révèle.
Eleonore Guérineau (Princesse Stéphanie)
Et les autres partenaires de Mathieu Ganio sont tout aussi signifiantes dans leurs rôles respectifs, Eleonore Guérineau dans le très beau solo aux formes galbées qui se mue en duo faussement joyeux pour en révéler sa tristesse quand Stéphanie finit par ployer sous la violence ironique du Prince, Laura Hecquet, qui incarne une femme blessée mais prévenante, conventionnelle et fluide, et guidée par le souvenir d’un bonheur disparu, ou bien la sophistication de Bleuenn Battistoni, nommée première danseuse quelques jours plus tard le 05 novembre, très assurée et déjà excellente comédienne dans la rôle de Mitzi.
Ce qui frappe également, dans cette production, est à quel point l’Impératrice, jouée avec allure par Héloïse Bourdon, est un personnage froid, manipulateur et bien peu sympathique.
Pablo Legasa (Officier hongrois) - représentation du 26 octobre 2022
Mais il y a aussi les quatre officiers hongrois qui représentent l’inspiration libérale et libertaire nécessaire à l’équilibre de Rodolphe. Le premier d’entre-eux est incarné pour un soir par Pablo Legasa, splendide de tenue et excellent dans son jeu trouble, et un autre soir par Nikolaus Tudorin, d’une vivacité qui en fait tout son panache.
Enfin, impeccable de droiture, le Bratfisch très inspiré d’Andréa Sarri fait tout autant grande impression.
La chorégraphie de Kenneth MacMillan atteint sa plus haute vérité expressive dans les grands pas de deux qui donnent beaucoup de force aux fins des 3 actes, d'autant plus qu’ils sont associés au meilleur de la musique de Franz Liszt extraite des ‘Études d’exécution transcendante’. La réorchestration symphonique de John Lanchberry accroit l'ampleur tragique de ces passages, qui résonne avec des sonorités bien connues de la musique de Tchaikovski ou bien de Rachmaninov.
Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Bleuenn Battistoni (Mitzi Caspar)
On retrouve aussi cette noirceur romantique dans la ‘Faust Symphonie‘, l’ ‘Héroïde funèbre’ et les ‘Funérailles’ qui ouvrent et ferment le ballet sur l’image du corps de Mary amenée vers un cercueil afin d’effacer les traces du drame.
Mais à d’autres moments, la musique est plus triviale, dans la scène de cabaret par exemple, ce qui engendre une traduction chorégraphique un peu trop illustrative, et à d’autres moments, à l’instar de la scène des cartes, elle devient plus inspirée, alors qu’il ne se passe pas grand-chose sur scène. L’épisode de la partie de chasse qui débute le 3e acte reste par ailleurs très convenu sans qu’il ne soit utilisé de manière déterminante dans le discours dramaturgique.
Et au cœur du second acte, quelques minutes de recueillement sont dévouées à l'écoute d'un des lieder de Franz Liszt'Ich Scheide', composé en 1860, qui est interprété par une jeune artiste lyrique, Juliette Mey, qui incarne Katharina Schratt, actrice autrichienne qui fut une amie de l'Empereur Franz Joseph.
Il n’y a donc pas une unité stylistique tout au long du ballet, et Martin Yates tire de la musique de Liszt des sonorités un peu trop rêches sans donner un élan suffisamment enlevé, même si lors de la soirée du 04 novembre l’orchestre a paru plus dense et chaleureux.
Mais un tel sujet est si inspirant que, paradoxalement, l’entrée tardive de ‘Mayerling’ au répertoire de la maison suggère déjà qu’il serait un parfait sujet pour une version moderne de cette histoire, aussi bien sur le plan musical que chorégraphique.
Pablo Legasa, Ludmila Pagliero, Mathieu Ganio et Laura Hecquet
Matinée du 01 novembre 2022
Fortement sollicitant pour les danseuses et danseurs, ‘Mayerling’ est joué tous les soirs , si bien que plusieurs distributions sont prévues.
L’une d’elles fait intervenir dans les deux rôles principaux un couple différent de celui formé par Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio, car bien plus jeune, qui réunit Hohyun Kang et Paul Marque.
Hohyun Kang (Mary Vetsera) et Paul Marque (Prince Rudolf)
Le danseur étoile joue un personnage plus fin et élégant dans la gestuelle classique, mais aussi plus dur de tempérament. L’alliage avec la danseuse coréenne, qui a été promue ‘sujet’ à l’issue du concours annuel du corps de ballet qui s’est tenu au Palais Garnier les 4 et 5 novembre, fonctionne à merveille, et Hohyun Kang renvoie une image de pureté dramatique qui éblouit par sa virtuosité.
L’histoire de ce couple gagne ainsi en fraîcheur et spontanéité, ce qui contraste avec la noirceur perverse plus mortifère de leurs aînés.
Mercredi 02 novembre 2022 sur Arte à 20h55
Match Point (Woody Allen)
Vendredi 04 novembre 2022 sur France 5 à 21h00
Fauteuil d'Orchestre (Anne Sinclair) - Alexandre Kantorow, Jean-Jacques Kantorow, Aurélien Pascal, Alexandra Marcellier, Lucie Leguay - Orchestre de Chambre de Paris
Vendredi 04 novembre 2022 sur France 5 à 23h00
Laurence Equilbey, pour la beauté du geste
Samedi 05 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
La symphonie des jeux vidéo aux Chorégies d'Orange
Dimanche 06 novembre 2022 sur France 3 à 00h20
La Bayadère (Minkus) - Mariinsky
Dimanche 06 novembre 2022 sur Arte à 18h45
Concert pique-nique à Vienne - dm Kaftan
Dimanche 06 novembre 2022 sur Arte à 20h55
Le pianiste (Polanski)
Lundi 07 novembre 2022 sur Arte à 00h10
Heinrich Schütz - À l'origine de la musique baroque allemande
Lundi 07 novembre 2022 sur Arte à 01h05
Heinrich Schütz - Musiques sacrées
Lundi 07 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
Yael Naim à l'église Saint-Eustache
Samedi 12 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
Cosi fan Tutte (Mozart) - Théâtre des Champs-Elysées - dm Haim
Dimanche 13 novembre 2022 sur France 3 à 00h20
La dame Blanche (Boieldieu) - Opéra de Rennes
Dimanche 13 novembre 2022 sur Arte à 18h40
Le West-Eastern Divan Orchestra à Ramallah
Lundi 14 novembre 2022 sur Arte à 00h25
L’académie Barenboim-Saïd - Au-delà de la musique
Lundi 14 novembre 2022 sur Arte à 01h25
Daniel Barenboim dirige Beethoven - Symphonie n°8
Mardi 15 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
L'envolée, les virtuoses de Guadeloupe
Mardi 15 novembre 2022 sur France 4 à 22h00
Christine Salem, une âme maloya
Mardi 15 novembre 2022 sur France 4 à 23h00
Alors on danse (De jeunes personnes handicapées polynésiennes montent un spectacle de danse)
Samedi 19 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
Les clefs de l'orchestre de Jean-François Zygel - Les ouvertures de Mozart
Samedi 19 novembre 2022 sur France 4 à 22h40
Magic Mozart... concert spectaculaire !
Samedi 19 novembre 2022 sur France 4 à 23h55
Saint-Georges, le Mozart noir
Dimanche 20 novembre 2022 sur France 3 à 00h20
Don Quichotte (Minkus) - Mariinski
Dimanche 20 novembre 2022 sur Arte à 18h40
Le West-Eastern Divan Orchestra, Daniel Barenboim & Lang Lang
Lundi 21 novembre 2022 sur Arte à 00h05
Dance On! Repousser les limites ?
Lundi 21 novembre 2022 sur Arte à 01h00
Beethoven : "Missa Solemnis" - Kent Nagano
Samedi 26 novembre 2022 sur France 4 à 21h10
Concert de poche - 150 choristes amateurs de toutes les générations et un quatuor de musiciens emblématiques seront sur scène pour interpréter Brahms et Mozart
Samedi 26 novembre 2022 sur France 4 à 22h20
Concert de la maîtrise populaire de l'Opéra-Comique (Bizet, Purcell, Jean-Jacques Goldman, The Platters, Leonard Cohen ...)
Samedi 26 novembre 2022 sur France 4 à 23h05
Concerts de Sergey Khachatryan et l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo
Dimanche 27 novembre 2022 sur France 3 à 00h15
Magic Mozart ... Concert spectaculaire!
Dimanche 27 novembre 2022 sur France 3 à 01h40 Les chœurs des Outre-mer.
Dimanche 27 novembre 2022 sur Arte à 18h45
"Où vais-je ?" - Un voyage musical avec Gustav Mahler
Lundi 28 novembre 2022 sur Arte à 00h35
A Symphony of Noise : une révolution sonore selon Matthew Herbert
Lundi 28 novembre 2022 sur Arte à 01h30
Odessa Classics Tallinn Programme à compléter ultérieurement
Mezzo et Mezzo HD
Mercredi 02 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
Les Noces de Figaro de Mozart au Staatsoper Berlin
Vendredi 04 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
'Salome' de Strauss à l'Opéra national de Paris
Samedi 05 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
Tristan et Isolde de Wagner au Staatsoper de Berlin
Dimanche 06 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
Faust de Gounod au Teatro Real de Madrid
Mercredi 09 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
'Così fan tutte' de Mozart au Staatsoper de Berlin
Vendredi 11 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
Il Trovatore de Verdi au Gran Teatre del Liceu
Samedi 12 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
'Don Giovanni' de Mozart au Staatsoper Berlin
Dimanche 13 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
La meurtrière de Giorgos Koumendakis à l'Opéra National de Grèce
Mercredi 16 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
A Midsummer Night’s Dream de Britten à l'Opéra de Lille
Vendredi 18 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
Un bal masqué de Verdi au Liceu de Barcelone
Samedi 19 novembre 2022 sur Mezzo HD à 20h00
'La Damnation de Faust' de Berlioz au Grimaldi Forum de Monaco
Samedi 19 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
Les Fiançailles au Couvent de Prokofiev au Staatsoper de Berlin
Dimanche 20 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
Un bal masqué de Verdi au Liceu de Barcelone
Mercredi 23 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
'Le Barbier de Séville' de Rossini à La Fenice de Venise
Vendredi 25 novembre 2022 sur Mezzo HD à 22h15
Wozzeck de Berg à l'Opéra National Grec
Samedi 26 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
Aïda de Verdi au Grand Théâtre de Genève
Dimanche 27 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
'Salome' de Strauss à l'Opéra national de Paris
Mardi 29 novembre 2022 sur Mezzo HD à 21h00
Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini : Cavalieri
Mercredi 30 novembre 2022 sur Mezzo à 20h30
La Clémence de Titus de Mozart à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
Sur la Plateforme l'Operachezsoi de l'Opéra de Paris en accès libre (après inscription).
Venise révélée – Grand Palais Immersif à l’Opéra Bastille
Exposition ‘Venise révélée’
Du 21 septembre 2022 au 19 février 2023
Vernissage du 20 septembre et visite du 18 octobre 2022
110, rue de Lyon – Paris 12
Opéra Bastille
L’exposition ‘Venise Révélée’ s’inscrit dans la continuité des expositions ‘Sites éternels’ (14 décembre 2016 au 09 janvier 2017) et ‘Pompéi’ (01 juillet au 29 octobre 2020) qui furent organisées par la Réunion des musées nationaux et le Grand Palais afin de présenter des reconstitutions 3D de sites archéologiques.
Bucentaure et Palais des Doges
Elle se déroule dans un tout nouvel espace qui était originellement prévu pour accueillir de nouvelles formes musicales, la salle modulable de l’Opéra Bastille, projet cher à Pierre Boulez, Massimo Bogianckino et Gerard Mortier initié en 1984.
Les vicissitudes historiques ont reporté ce projet à des horizons inconnus, mais l’espace brut existe toujours, si bien que c’est dans ce volume de 1600 m² et 40 m de hauteur, réservé pour moitié à l’espace d’exposition et pour l’autre moitié à l’accueil du public, que les visiteurs peuvent venir apprécier ce lieu inachevé et profiter dorénavant de la première exposition à s’y dérouler.
Lion de Saint-Marc en bois sculpté et peint de la Chaire de la Basilique Saint-Marc (Bianco Alvise XVIe siècle)
Pour réaliser cette prouesse virtuelle, le Grand Palais s’est associé à la société Iconem qui a développé des technologies de numérisations innovantes à grande échelle éprouvées en 2017 pour évaluer les dommages subis par l’ancienne ville d’Alep, en Syrie, à partir d’images satellites UNOSAT à finalité humanitaire.
En collaboration avec la Fondazione Musei Civici di Venezia, ils ont pu démontrer l’intérêt de ces modèles numériques pour la conservation de la Sérénissime, si bien qu’en plein covid, les équipes techniques ont eu accès à l’intérieur de tous les palais de la ville.
Il en résulte une banque de données de plus de 300 000 images à très haute résolution récoltées en scannant à partir d’avions, de drones, de photos prises au sol, l’ensemble de la ville et le Grand Canal, qui ont ensuite été traitées afin de reconstituer un modèle unique de toute la cité, y compris l’intérieur des Palais principaux, jusqu’aux détails millimétriques des peintures.
Vue 3D dynamique de Venise située à l'entrée de l'exposition
La hauteur sous plafond réservée à la salle modulable permet ainsi de créer de très grandes projections qui invitent chacun à voyager de manière inédite à travers la cité. Pour ce faire, il suffit d’un peu de laisser-aller, et de s’installer sur l’un des bancs de l’espace d’exposition tout en fixant les grands écrans où défilent de splendides façades. Et soudain, le spectateur a alors l’impression que c’est lui-même qui est en mouvement et navigue le long des canaux, des escaliers et des salles des monuments, l’illusion se déstructurant au fil de l’avancée.
L'espace de la salle modulable dédié aux projections 3D des lieux de pouvoir et de leurs œuvres.
Dès l’entrée, d’ailleurs, cette impression de survol au-dessus des toits de la ville peut être expérimentée à partir d’une projection étalée légèrement en contrebas qui s’élève ensuite en arrière-plan.
La disposition de tous les écrans n’est donc pas laissée au hasard, car elle cherche à créer de la perspective et augmenter l’impression d’immersion.
La musique du compositeur David Chalmin, relaxante et parcellée d’effets liquides, aide aussi à se laisser aller à un état d’esprit contemplatif.
Coupe d'un palais avec le double escalier de Léonard de Vinci séparant les espaces de vie imbriqués de deux familles
Certains espaces, plus confinés, permettent d’entrer dans un état d’esprit analytique à partir de tableaux numériques qui aident à comprendre l’architecture de la ville, la construction des rues sur l’eau, l’origine du bois et des matières premières, ou invitent à suivre les différentes étapes de construction des bateaux à l’Arsenal. Une vue ouverte sur un palais comprenant un double escalier qui évite aux deux familles y habitant de se croiser est même montrée. Sa description se trouve dans un manuscrit de Léonard de Vinci datant de 1490.
Le pont du Rialto dans le jeu 'Assassin's Creed' (Ubisoft)
Il est également possible de comparer des peintures de Venise par Francesco Guardi ou Antonio Canaletto avec les modèles réels d’Iconem grâce à des impressions lenticulaires qui permettent, par un simple mouvement de tête de quelques centimètres, de modifier l’image vue.
A cette expérience qui mêle réalité objective et perception artistique, s’ajoute une étonnante section dédiée au jeu d’Ubisoft‘Assassin’s Creed’ qui est une manière interactive de voyager dans la Venise de la Renaissance, telle que les historiens de la société de jeu vidéo ont pu la reconstituer.
Détail de peinture de la salle du Grand Conseil : 'Le Paradis' (Tintoret - 1588 / 1594)
L’analyse des œuvres d’art est également renforcée en mettant à disposition du visiteur des photographies haute résolution de peintures habituellement inaccessibles, car trop éloignées des regards, et qui sont ainsi mises en valeur par l’utilisation de grands écrans digitaux tactiles qui deviennent de formidables outils de navigation à travers les détails les plus fins de ces œuvres, et qui permettent même de s’affranchir de la vue générale.
Les différentes salles du pouvoir au Palais des Doges
L’intérêt scientifique devient mieux palpable, car le but est d’identifier des microfissures dans des toiles perchées à 12 mètres de haut dans les salons du Palais des Doges, ou de voir des phénomènes d’érosion sur les Palais du Grand Canal – on peut remarquer, par exemple, des statues ébréchées lors de la navigation dans les modèles -, ainsi que des caractéristiques topographiques en cas d’inondation.
Le Bucentaure : maquette en bois précieux, incrustation de nacre, feuille d'or et velours ancien (Atelier d'Ivan Ceschin)
Et même si cette exposition rend compte à quel point la cité est un miracle d’architecture qui résiste à tous les changements et les menaces actuelles, et notamment écologiques, la numérisation de la ville est utilisée à des fins artistiques et visionnaires en proposant un voyage à travers une Venise noyée sous les eaux dans une lumière bleuâtre irréelle.
Vue imaginaire du Pont du Rialto sous les eaux
Enfin, un grand espace sert à reconstituer à l’échelle réelle les grands lieux de pouvoir, la Place Saint-Marc et sa Basilique pour le pouvoir religieux, le Palais des Doges pour le pouvoir politique et militaire, afin de montrer l'importance de l’architecture.
Et au pied des trois grands écrans, une maquette du luxueux bateau du Doge (‘Bucintoro’ en italien) reproduit la magnificence de ce vaisseau galérien qui servait aux dignitaires de la Venise afin de parader aux yeux de tous.
Ce voyage virtuel peut donner envie à ceux qui ne connaissent pas Venise de s’y rendre, mais il est aussi un intéressant outil qui peut modifier notre regard, le rendre plus acéré, lors de nos visites dans des lieux anciens.
L'espace de la salle modulable (en rouge) de l'Opéra Bastille dédié à l'exposition 'Venise révélée'.
Eclipse Partielle de Soleil sur l’Europe du 25 octobre 2022
L’éclipse partielle de Soleil du mardi 25 octobre 2022 avait pour particularité de circuler uniquement sur l’Europe et pour un temps assez long.
Et c’est au centre de la Russie, dans le Soleil couchant glacé d’Omsk ou de Novossibirsk, qu’elle a pu atteindre sa grandeur maximale avec 82 % du disque solaire éclipsé au raz de l'horizon.
L'éclipse de Soleil du 25 octobre 2022 vue à son maximum depuis Versailles
En France, il fallait être à Strasbourg et près de la frontière avec le Bade-Wurtemberg pour observer la Lune, alors située à 373 455 km de la Terre, recouvrir 20 % de la surface de notre étoile.
Et en région parisienne, c’est 14 % du disque solaire qui s’est progressivement noirci, même si aucune baisse de luminosité n’était perceptible. L’éclipse a ainsi débuté à 11h12 et atteint son maximum à 12h03 pour s’achever à 12h54, soit une durée de 1h42 mesurée depuis Versailles.
Projection au sol de l'éclipse partielle de Soleil du 25 octobre 2022 - (C) http://xjubier.free.fr
Vers l’est, les durées ont été plus longues, avec 2h10 à Vienne pour un maximum de 30 %, 2h20 à Helsinki avec un maximum à 54 %, 2h25 à Moscou avec un maximum à 63 %, 2h27 à Kyiv avec un maximum à 51 %, et même 2h32 à Tbilissi, en Georgie, avec un maximum de couverture du disque solaire à 58 %.
Photomontage de l'éclipse partielle de Soleil de 11h13 à 12h52
On pouvait également observer la présence de plusieurs groupes de tâches solaires bien marqués, ainsi que des ensembles plus diffus vers le centre du disque, ce qui a donné un peu plus de relief à un spectacle qui ne pouvait être suivi qu’avec des lunettes de protection solaire.
Salomé (Richard Strauss – 1905)
Prégénérale du 10 octobre et représentations du 15, 27 octobre et 05 novembre 2022
Opéra Bastille
Salomé Elza van den Heever
Herodes John Daszak
Herodias Karita Mattila
Jochanaan Iain Paterson
Narraboth Tansel Akzeybek
Page der Herodias Katharina Magiera
Erster Jude Matthäus Schmidlechner
Zweiter Jude Éric Huchet
Dritter Jude Maciej Kwaśnikowski
Vierter Jude Mathias Vidal
Fünfter Jude Sava Vemić
Erster Nazarener Luke Stoker
Zweiter Nazarener Yiorgo Ioannou
Erster Soldat Dominic Barberi
Zweiter Soldat Bastian Thomas Kohl
Cappadocier Alejandro Baliñas Vieites
Ein Sklave Marion Grange
Direction musicale Simone Young
Mise en scène Lydia Steier (2022) Nouvelle production Diffusion en direct sur L’Opéra chez soi et medici.tv le jeudi 27 octobre 2022
Diffusion sur France Musique le samedi 19 novembre 2022 à 20h
Bien qu’écrite en 1891, en langue originale française, la pièce ‘Salomé’ d’Oscar Wilde dut affronter la censure lors des premières répétitions londoniennes, si bien qu’elle ne fut créée que cinq ans plus tard au Théâtre de la Comédie-Parisienne, l’actuel Théâtre de l’Athénée, le 11 février 1896.
Elza van den Heever (Salomé)
Fasciné par ‘Salomé’, Richard Strauss composa parallèlement deux versions lyriques musicalement très différentes, l’une authentiquement française dans le style debussyste qu’il acheva le 13 septembre 1905 et qui sera créée à Bruxelles le 25 mars 1907, avant d’être oubliée jusqu’à ce que l’Institut Richard Strauss de Munich ne reconstitue la partition en 1990, et l’une en allemand qui connaîtra sa première à Dresde le 09 décembre 1905.
Par la suite, la création française aura lieu au Théâtre du Châtelet le 08 mai 1907, en langue originale allemande sous la direction de Richard Strauss, et la création à l’Opéra de Paris se déroulera trois ans plus tard, le 06 mai 1910, dans une adaptation française de Jean de Marliave, sous la direction d’André Messager.
Bastian Thomas Kohl (2d soldat), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Le page) et Dominic Barberi (1er soldat)
Il faudra finalement attendre le 26 octobre 1951 pour que ‘Salomé’ connaisse sa première au Palais Garnier en langue originale allemande. Et depuis l’ouverture de l’Opéra Bastille, tous les directeurs de l’Opéra de Paris ont programmé les deux premiers chefs-d’œuvre de Richard Strauss, ‘Salomé’ et ‘Elektra’, au cours de leur mandat, à l’exception notable de Stéphane Lissner.
Ainsi, après ‘Elektra’ repris au printemps dernier, Alexander Neef offre à ‘Salomé’ la première nouvelle production de sa seconde saison qu’il confie à Lydia Steier, metteuse en scène américaine qui travaille principalement en Allemagne et en Autriche depuis 20 ans, et qui fait ses débuts au sein de l’institution parisienne.
L’enjeu de cette réalisation est important, car le niveau de violence qui est montré est supérieur à ce qui est généralement accepté sur une scène connue pour être habituellement très consensuelle.
Iain Paterson (Jochanaan) et Elza van den Heever (Salomé)
La cour d’Hérode Antipas est ainsi dépeinte dans tout ce qu’elle pouvait avoir de sordide et de dépravé au sein d’un imposant décor, unique, qui représente une cour de palais profonde dominée par une large baie laissant entrevoir une salle où le tétrarque et son épouse, Hérodias, se livrent avec leur cour à des scènes de débauche d’un malsain extrême.
Un simple escalier latéral permet de passer de la cour extérieure à cette salle, et Jokanaan se trouve enfermé dans une cage enfoncée dans le sous-sol de cette cour, seule convention en apparence respectée.
Le spectacle du défilé des corps des jeunes hommes et jeunes femmes violés et assassinés au sein du palais, pour ensuite être jetés dans une fosse commune, se développe de manière répétitive. Et au fur et à mesure que le temps s'écoule, ce qui se déroule en hauteur se trouve relégué au second plan, l’attention se recentrant dorénavant sur l’action menée à l’avant-scène.
Il faut dire que ce décor massif d’apparence minérale, illuminé par des éclairages bleu-vert, est fort beau.
Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)
Dans cet univers qui reconstitue une époque romaine décadente, mais dans des costumes tout à fait fantaisistes et délirants, et avec une maitrise des éclairages qui peuvent tout autant suggérer la présence de la lune glaciale que cerner les personnages dans leur solitude, on pense beaucoup à la cruauté de l’Empereur Caligula, même s’il on reste bien loin de l’horreur du célèbre film baroque et sulfureux de Tinto Brass.
Cheveux longs et noirs, habits blancs, allure terne, Salomé ressemble beaucoup plus à Elektra. Il s’agit d’une jeune femme vierge qui ne s’est pas compromise. Parfaitement représenté comme le livret le décrit, sale et souillé - les soldats carapacés en noir lui infligent des coups de décharges électriques blessants -, Jokanaan est effrayant et plus menaçant que moralisateur.
John Daszak (Hérode) et Katharina Magiera (Le page)
Ensuite, Salomé découvre le pouvoir de la sexualité, non comme une fin mais comme un moyen, d’abord à travers une scène masturbatoire jouée au moment où le prophète retourne dans les entrailles souterraines – le rapport à la musique est assez convaincant et fait écho aux allusions érotiques que Chostakovitch décrira plus tard avec force dans ‘Lady Macbeth de Mzensk’ -, puis lors de la danse des sept voiles où elle offre délibérément son corps d’abord à Hérode puis à toute sa cour, non par plaisir – elle n’y accorde aucune importance en soi -, mais parce qu’elle a compris que c’est par le sexe qu’elle pourra obtenir ce qu’elle souhaite de la part de ceux qui en dépendent.
John Daszak (Hérode) et la cour décadente du Palais
Mais quel magnifique coup de théâtre lors de la scène finale où émerge d'abord la crainte, lorsque le bourreau se présente en contrejour dans l’interstice d’une porte, qu’elle soit jouée classiquement !
Pourtant, dans un effet de surprise saisissant, Salomé disparaît subitement avec lui et réapparaît en un double qui se dissocie entre une actrice rampant au sol tout en protégeant progressivement la tête de Jokanaan, alors qu’Elza van den Heever reste dans l’ombre avant de rejoindre le prophète dans la cage et s’élever dans une étreinte amoureuse splendide.
Karita Mattila (Hérodias)
La force théâtrale de ce moment est de distinguer d’un côté l’acte écœurant, et de l’autre l’illusion que vit Salomé qui souffrait tant de ne pouvoir embrasser cette figure emblématique, ce qui permet d’avoir accès à l’âme de l’héroïne.
Aller au-delà des apparences est l’une des forces de l’opéra en tant que forme artistique, et la luxuriance finale de la musique trouve dans cette représentation d’une élévation, une concordance, voir une justification, qui n’était pas évidente à priori.
Hérode, horrifié par le massacre d’un homme qu’il sait adulé par un peuple qu’il craint, comprend que pour lui-même tout est fini.
Elza van den Heever (Salomé)
On aperçoit ainsi, au début de cette scène, le page se précipiter vers les marches du palais, armé pour détruire la cour royale et Hérode en personne. Ce page, incarné avec force par le timbre puissamment noir de Katharina Magiera, est omniprésent et très bien mis en valeur, d’autant plus que cela permet de donner aux femmes, dans ce monde masculin cruel et finissant, une fonction déterminante, même si elles n’évitent pas la catastrophe finale.
Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)
Face à une telle dramaturgie, Simone Young tire de l’orchestre de l’Opéra de Paris une interprétation tout aussi abrupte et alignée sur la direction de la mise en scène. Déluge sonore exacerbé, cuivres agressifs et éclatants, la musique de Richard Strauss est entraînée dans une outrance démonstrative comme s’il s’agissait de suggérer une situation de guerre. Ce choix tranché est à apprécier par chaque auditeur, mais quand un parti pris choisit une voix radicale, il semble opportun de l’assumer totalement - ce qui est le cas ici - et de ne pas l’affadir par un esprit de contre-pied ou de compris.
La sensualité orientalisante de la musique n’est donc pas l’élément fondamental qui est développé, et il règne un esprit de décision, voir de prise de liberté sans état d’âme qui a de quoi impressionner. L’orchestre est somptueux, mais peu invité à la nuance, et sans discours instrumental sous-jacent (Harmut Haenchen, en 2006, avait mieux dessiné des ondes insidieuses incrustées dans la luxuriance orchestrale).
Et rarement aura-t-on ressenti à quel point cette représentation, dans son ensemble, symbolise à tous les niveaux la prise en main par les femmes d’une histoire dont elles entendent maîtriser le langage.
Elza van den Heever (Salomé)
On ne peut ainsi qu’admirer d’avantage les solistes qui sont fatalement repoussés dans leur absolus retranchements. Elza van den Heever, pour qui il s’agit d’une prise de rôle ardue, s’en tire remarquablement. De ses moirures fantomatiques, elle laisse surgir une vaillance expressive sensationnelle qui atteint son paroxysme à la scène finale vécue comme un grand réveil qui va tout bouleverser.
John Daszak s’affiche également dans une forme éblouissante. Sous ses traits, Hérode ne déroge pas à l’esprit d’abus exubérant qui parcoure la représentation, son style de déclamation retentissant lui donnant une présence implacable. Karita Mattila, elle qui fut Salomé sur cette même scène 19 ans plus tôt, se régale à jouer dans une mise en scène qui la maintient présente en permanence. Elle en fait des tonnes sans limites pour montrer l’esprit de jouissance d’Hérodias, et sa voix est un univers de chaleur feutrée inimitable.
Simone Young
S’il est physiquement fort marquant, le Jochanaan de Iain Paterson affiche un mordant et une rudesse expressive engagés qui, toutefois, pourraient être portés par une plus grande ampleur afin de surpasser la galvanisation orchestrale.
Le très bon Narraboth de Tansel Akzeybek, entendu dans ‘Wozzeck’ la saison dernière, excelle par sa viscéralité dramatique, et l’on ne peut que rappeler à quel point Katharina Magiera fait forte impression dans le rôle du page, de par sa noirceur et son appropriation de l’espace sonore.
Lydia Steier et son équipe artistique
Il ne faut pas s’y tromper, l’approche de cette production, que Lydia Steier a fortement enrichi d'une foule d'acteurs aux costumes bigarrés, est de s’élever contre la violence du monde sans lui chercher la moindre indulgence. Mais il y a un fatalisme très clair : cette violence ne peut être annihilée que par la violence.
Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić, John Daszak, Elza van den Heever, Iain Paterson, Karita Mattila et Tansel Akzeybek
Giselle (Akram Khan – 2016)
Représentation du 12 octobre 2022
Théâtre des Champs-Elysées
Giselle Tamara Rojo
Albrecht Isaac Hernández
Hilarion Ken Saruhashi
Myrtha Stina Quagebeur
Chorégraphie Akram Khan (2016)
Conception sonore Vincenzo Lamagna English National Ballet d’après la trame originale d’Adolphe Adam
La venue de l’English National Ballet au Théâtre des Champs-Elysées est une occasion de découvrir comment une référence du ballet romantique de la première moitié du XIXe siècle peut être adaptée pour séduire un public d’aujourd’hui.
Tamara Rojo (Giselle)
‘Giselle’ d’Adolphe Adam a été créé à la salle Le Peletier de l’Académie Royale de Musique le 28 juin 1841 sur une chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot qui est toujours au répertoire de l’Opéra national de Paris. Il s’agit toutefois d’une version qui fut adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov au moment où ce ballet mythique fit son retour sur la scène du Palais Garnier, le 25 avril 1991, et elle enregistre dorénavant 170 représentations sur les 30 dernières années.
La version de ‘Giselle’ qu’a imaginé Akram Khan pour l’English National Ballet a été créée au Palace Theatre de Manchester le 27 septembre 2016. La musique a été composée par un musicien italien installé à Londres, Vincenzo Lamagna, musique électronique répétitive qui s’avère souvent dure et monumentale, comme pour évoquer la lourde machinerie du monde industriel moderne.
Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)
On se retrouve ainsi saisi par un univers sonore qui rappelle celui de grands films épiques ou d’anticipation (‘Blade Runner’, ‘Dune’), mais des motifs de la musique d’Adolphe Adam s’insèrent également avec un traitement acoustique et spatial grandiose qui leur donne une dimension futuriste obsédante.
Le mystère et la méditation sont loin d’être absents, surtout en seconde partie, et c’est un plaisir béat que de se laisser porter par les rythmes et la gestuelle orientalisantes du Kathak, danse indienne dont Akram Khan est un interprète reconnu, qui s’immiscent dans la chorégraphie pour mettre en valeur la vitalité et les magnifiques mouvements d’ensembles ornementaux et plein d’allant du corps de ballet.
Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)
Le décor se limite à un immense mur pivotant autour d’un axe central situé en hauteur et parallèle à la longueur de la scène, sur lequel sont imprimées les traces des mains des danseurs. L’ambiance est sombre, et l’on ressent que ces femmes et hommes avec lesquels Giselle vit sont enfermés dans un monde oppressant qui restreint leur liberté.
Ken Saruhashi (Hilarion) et les danseurs de l'English National Ballet
Tamara Rojo dessine une Giselle aux émotions parfaitement contrôlées, souple et naturelle dans ses poses arquées, forte et déterminée sur pointes au royaume des Willis. En Albrecht, le riche noble, Isaac Hernández est un partenaire bienveillant mais aussi assez lisse, moins marquant que le redoutable Ken Saruhashi qui brosse un portrait remarquablement anguleux, fort et sincère d’Hilarion par son amour sombre pour la jeune fille, avec une célérité et une précision de mouvement splendides.
Tamara Rojo (Giselle) et Ken Saruhashi (Hilarion)
Stina Quagebeur, très sollicitée sur ses pointes omniprésentes qui traduisent bien la nature acérée du tempérament de Myrtha, offre une vision insaisissable de cette créature vengeresse, sous des lumières bleutées, comme dans le ballet classique. Toutefois, dans cette seconde partie, la musique n’exprime pas la même délicatesse à fleur de peau que celle d’Adolphe Adam, et les affectations se ressentent moins. La chorégraphie, très épurée, esthétise surtout une danse de la mort entre Albrecht et Giselle pour sublimer l’harmonie qui lie les deux êtres.
Tamara Rojo (Giselle) et les Willis
Et si la modernité de la musique associée à un univers fantastique est un facteur immersif important capable d’emporter l’adhésion d’une large audience, et que la chorégraphie use de langages très divers pour exprimer les sentiments des personnages, on retrouve dans ce spectacle un défaut qui parcoure beaucoup d’œuvres cinématographiques aujourd’hui en ce qu’il ne représente pas de personnalités suffisamment fortes qui dépassent la propre trame dramatique de l'ouvrage.
Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (Kurt Weill – 1930)
Représentation du 08 octobre 2022
Opera Ballet Vlaanderen – Gand
Jim Mahoney Leonardo Capalbo
Jenny Hill Katharina Persicke
Leokadja Begbick Maria Riccarda Wesseling
Dreieinigkeitsmose Zachary Altman
Fatty der prokurisk James Kryshak
Sparbüchsenbill Thomas Oliemans
Jack O'Brien / Tobby Higgins Frédérick Ballentine
Alaskawolf Joe Marcel Brunner
Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Ivo van Hove (2019) Orchestra Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen & Chorus Koor Opera Vlaanderen
Coproduction Festival d'Aix-en-Provence, Metropolitain Opera, Dutch National Opera, Les Théâtres de la ville de Luxembourg
La reprise de la production de 'Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny' créée lors de l’édition 2019 du Festival d'Aix-en-Provence permet de profiter de ce spectacle dans une salle bien mieux taillée à son propos, l'Opéra Royal de Gand.
Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose), Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et James Kryshak (Fatty der prokurisk)
Car on pourrait croire qu’Ivo van Hove a lu et pris en compte les recommandations de mise en scène de Kurt Weill parues le 12 janvier 1930 sous le titre « Vorwort zum Regiebuch der Oper Mahagonny » dans le journal musical autrichien ‘Anbruch’ édité par Paul Stéphane, le biographe de Gustav Mahler (la traduction française est consultable sous le lien suivant :Remarques à propos de mon opéra Mahagonny).
Maria Riccarda Wesseling (Leokadja Begbick) et Zachary Altman (Dreieinigkeitsmose)
Economie de moyens scéniques, structure simple de la scène pour faciliter sa transplantation, naturel et simplicité des gestes des acteurs et chanteurs, réalisme, projections qui illustrent l’évolution de la ville, on retrouve tous ces éléments dans cette production, à la nuance près que le système de projection est basé sur une technologie moderne qui permet de créer, à partir d’un fond vert disposé côté jardin, des incrustations vidéos plaquées en temps-réel sur des scènes de vie mimées par les chanteurs.
Scène de maquillage chez Jenny Hill
L’anecdotique est évité – pas de camion en panne présent à l’arrivée de Leokadja Begbick et ses acolytes - , et il s’agit ici de gens d’aujourd’hui, sans distinction de classes sociales, habillés de manière tout à fait triviale, qui évoluent sur scène. Les six filles de Jenny sont par ailleurs rejointes pas un jeune travesti, rôle purement d’acteur, qui ajoute un élément de diversité de genre naturellement intégré à la société dépeinte, et une forme d'innocence pure qui a du charme.
Leonardo Capalbo (Jim Mahoney) et Katharina Persicke (Jenny Hill)
Les deux points essentiels de cette mise en scène reposent ainsi sur l’imagerie parfois poétique qui est reconstituée sur l’écran – mais qui s’avère aussi un peu lourde lors de la scène répétitive au bordel de Mandeley -, sur l’humanité qui est montrée de l’ensemble des artistes, solistes, acteurs et choristes, appuyée par la vidéo – le parcours des visages de la population craignant l’arrivée de l’ouragan est saisissante -, une humanité qui est prise au piège – et c’est d’abord cette absence d’horizon possible qui est saillante –, qui se laisse parfois aller à une dérisoire rêverie, et qui est valorisée par la proximité avec les spectateurs.
Ensemble
Par ailleurs, sous la direction musicale d’Alejo Pérez, l’orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres restitue non seulement la vitalité éclatante de l’écriture de Kurt Weill, mais lie également cet ensemble par un très beau continuo musical, souple et profond, sans sonorités trop austères et avec la tonicité nécessaire à son entrain.
A ces très grandes qualités orchestrales s’ajoute la présence presque animale du chœur dont la diversité des timbres se perçoit fort bien, tout en constituant une grande force populaire qui vient chercher l’auditeur au fond des tripes.
Leonardo Capalbo (Jim), Thomas Oliemans (Bill), Frédérick Ballentine (Jack) et Marcel Brunner (Joe)
Dans un esprit d’expression viscérale et de caractérisation forte, la distribution réunie met en avant les qualités théâtrales de chacun des solistes. Ainsi, Maria Riccarda Wesseling, dont on ne peut oublier l’Iphigénie si sensible qu’elle composa au Palais Garnier lors de la première d’’Iphigénie en Tauride’ donnée au Palais Garnier le 08 juin 2006 dans la production de Krzysztof Warlikowski, montre une excellente présence dans les passages déclamés, assombrit peu son timbre, et donne une image très assurée de Leokadja Begbick sur laquelle le temps a pourtant passé.
Katharina Persicke (Jenny Hill)
Actrice très expressive, Katharina Persicke fait vivre Jenny Hill avec beaucoup d’impertinence et de coloris printaniers dans la voix, plutôt légère mais très malléable, et Leonardo Capalbo trouve ici un très beau rôle pour mettre en valeur un tempérament écorché, des variations d’intonations scandées qui expriment la sincérité acharnée, et plutôt héroïque, de Jim.
Cortège du corps de Jim
Mais les seconds rôles ont aussi leurs personnalités propres et un fort impact, comme le Dreieinigkeitsmose de Zachary Altman, baryton-basse au cuir ductile, ou bien le Jack O'Brien épanoui de Frédérick Ballentine.
On ressort ainsi de ce spectacle porté par son énergie vitale, malgré la fin sans espoir au moment du transport du corps de Jim, qui montre tout de même que cette humanité ne peut échapper à une unité de par le sort qui lui est dévolu.
Concerto pour violon et Suite du Chevalier à la Rose – Orchestre National de France
Concert du 06 octobre 2022
Auditorium de Radio France
Johannes Brahms Concerto pour violon et orchestre (1er janvier 1879 – Leipzig)
Jean Sébastien Bach Fugue extraite de la Sonate n°1 en sol mineur (1720) 'bis'
Richard Strauss Le Chevalier à la rose, nouvelle suite de Philippe Jordan et Tomáš Ille (05 octobre 1944 – New York / 06 octobre 2022 - Paris)
Direction musicale Philippe Jordan
Violon Antonio Stradivari ‘Lady Inchiquin’ 1711Franz Peter Zimmermann Orchestre National de France
Depuis le concert d’adieu joué le 02 juillet 2021 à l’Opéra Bastille, Philippe Jordan est totalement investi à ses projets avec l’Opéra de Vienne. Son retour à Paris est donc un évènement qui marque ses débuts avec l’Orchestre National de France.
Et dès son arrivée, sa joie de retrouver l’auditorium de Radio France où il avait enregistré ‘Siegfried’ en pleine période de confinement, le 06 décembre 2020, est évidente, tout autant que sont palpables la fébrilité et l’attention des auditeurs venus ce soir, parmi lesquels peuvent même être aperçues des personnalités liées à l’Opéra de Paris et son histoire.
Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose
En première partie de ce concert, le 'Concerto pour violon et orchestre', fruit de l’amitié entre Johannes Brahms et le violoniste Joseph Joachim, permet immédiatement de mettre en valeur la plénitude des bois et l’agilité homogène du geste orchestral toujours très caressante sous la baquette de Philippe Jordan.
Franz Peter Zimmermann ne tarde pas à devenir le point focal de l’œuvre par un jeu d’une vivacité acérée qui évoque, par la plasticité de ses traits d’ivoire effilés, un caractère chantant et bucolique très accrocheur. Il esquisse ainsi de véritables dessins d’art sonores avec une recherche d’authenticité et une dextérité inouïe, ce qui fait la force de ce grand artiste.
Et pour le plaisir, on retrouve ce mélange de finesse lumineuse et de rudesse mélancolique dans la fugue extraite de la 'Sonate pour violon n°1' de Jean-Sébastien Bach offerte en bis.
Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms
En seconde partie, c’est une nouvelle version de la 'Suite du Chevalier à la Rose’ que dirige Philippe Jordan, version qu’il a mis au point avec le musicologue tchèque Tomáš Ille pour augmenter sa dimension symphonique. Ainsi, de 25 minutes pour la version originale exécutée la toute première fois par Artur Rodziński à New-York en 1944, cette nouvelle version passe désormais à 40 minutes de luxuriance exacerbée.
Le résultat est que les spectateurs de l’auditorium de Radio de France vont vivre un moment absolument éblouissant avec l’Orchestre National de France, à travers une interprétation d’une ampleur prodigieuse, enlevée par un déferlement sonore d’une vitalité souriante empreinte de jaillissements de couleurs et d’éclats fulgurants. Les passages les plus intimes, comme à l’arrivée de Sophie, sont transcrits avec une clarté et une douceur irrésistibles, et point également une ébullition tout en retenue – très belle finesse qu’il obtient du premier violon - qui magnifie la délicatesse des instrumentistes.
Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose
Puis, Philippe Jordan laisse extérioriser l’enthousiasme qui l’anime intrinsèquement, et il le transmet au public avec énormément de générosité, d’autant plus que ‘Der Rosenkavalier’ est un opéra qui s’associe avec beaucoup d’évidence à sa personnalité, ce qui est d’autant plus sensible dans cette symphonie issue de sa propre conception.
Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France
L’échange fait de joie et d’admiration entre lui et les musiciens, lisible au moment des saluts, n’en est que plus réjouissant à admirer.
Eden (de Marini et Valentini à Copland et Portman)
Récital du 05 octobre 2022
Théâtre des Champs-Elysées
Charles IvesThe Unanswered Question (1908 – version révisée 1930-1935) Rachel PortmanThe First Morning of the World (2021 - Première Française) Gustav Mahler‘Ich atmet’ einen linden Duft’ (Rückert-Lieder - 1901) Biagio Marini‘Con le stelle in ciel che mai’ (Scherzi e canzonette - 1623) Josef Myslivecek ‘Toglierò le sponde al mare’ (Adamo ed Eva - 1771) Aaron Copland ‘Nature, the Gentlest Mother’ (Eight Poems of Emily Dickinson - 1970) Giovanni ValentiniSonata enharmonica (1619) Francesco Cavalli‘Piante ombrose’ ( La Calisto - 1651) Christoph Willibald Gluck'Danza degli spettri e delle furie: Allegro non troppo’ (Orfeo ed Euridice - 1764) Christoph Willibald Gluck‘Misera, dove son… Ah! non son io che parlo’ (Ezio - 1750) Georg Friedrich Haendel ‘As with rosy steps the morn’ (Theodora - 1750) Gustav Mahler'Ich bin der Welt abhanden gekommen’ (Rückert-Lieder - 1901)
Mise en espace Marie Lambert-Le Bihan
Lumières John Torres
Mezzo-Soprano Joyce DiDonato
Direction et violon Zefira Valova Ensemble Il Pomo d’Oro
Chœur d’enfants Sotto Voce
C’est au lendemain du concert donné à l’Hôtel de Ville de Paris, le 06 janvier 2003, queJoyce DiDonato fit ses débuts au Théâtre des Champs-Elysées en reprenant le même programme dédié à Henri Dutilleux, Hector Berlioz et Georges Bizet, sous la direction de John Nelson.
Joyce DiDonato - Eden
Deux décennies plus tard, et après nombre de récitals et d’opéras en version de concert (Ariodante, Alcina, Agrippina, Theodora, Maria Stuada, Werther) joués sur cette scène, Joyce DiDonato est de retour avenue Montaigne pour interpréter devant le public parisien un spectacle créé sur la base de son dernier album ‘Eden’ (Erato) sorti le 25 février 2022 au lendemain du déclenchement de l’agression russe en Ukraine.
La conception musicale de ce programme mêle des airs italiens, baroques et classiques, au panthéisme mahlérien et à la composition américaine du XXe siècle, et intègre même une création contemporaine.
Mais loin d’être liés chronologiquement, ces différents morceaux sont agencés de manière à dépeindre une évolution spirituelle qui suit une dramaturgie, si l’on peut parler ainsi, bien précise.
Joyce DiDonato - Eden
‘The Unanswered Question’ de Charles Ives est un hymne à la contemplation et au mystère de la vie que prolonge, dans le même esprit, ‘The First Morning of the World’ composé en 2021 pour Joyce DiDonato par Rachel Portman, sur un texte de Gene Scheer.
Avant que ne commence cette première séquence, on pouvait entrevoir la cantatrice américaine monter les marches intérieures du Théâtre pour débuter un long appel depuis les hauteurs des balcons, puis revenir à l’orchestre reprendre cet ode au temps, et enfin, rejoindre la scène.
Joyce DiDonato - Eden
L’évocation des parfums dans ‘Ich atmet’ einen linden Duft’, extrait des Rückert-Lieder, vient apporter une évocation de l’être aimé qui s’immisce doucereusement dans le charme hypnotique de cet état de grâce.
Puis, afin d'imprégner le spectateur de cet état évanescent, une fine brume baigne la salle en la tamisant de multiples jeux de lumières aux teintes or ou fuchsia dirigés dans tout l’espace, procédé qui fera merveille à plusieurs reprises au cours de la soirée, comme si Joyce DiDonato utilisait le magnifique cadre des fresques de Maurice Denis pour se créer un espace intérieur profondément inspirant.
Et si ‘Con le stelle in Ciel che mai’ de Biagio Marini commence à laisser entrevoir que le Soleil peut soigner les horreurs et les souffrance sur la Terre, alors que la scénographie s'enflamme d'un feu rougissant, ‘Nature, the gentlest mother’ d’Aaron Copland verse à nouveau dans l’ode à la nature.
Joyce DiDonato - Eden
Cependant, ‘Toglierò le sponde al mare’ de Josef Myslivecek évoque dorénavant un Dieu destructeur. Les pensées et les expressions du visage de Joyce DiDonato deviennent plus sombres, et nous sommes entraînés dans les ravages de la guerre et de la mort.
‘Piante ombrose’ de Cavalli fait ainsi apparaitre des paysages de destruction, la célèbre danse des spectres et des furies d’’Orphée et Eurydice’ de Gluck nous accompagne dans la folie à l’approche des enfers – l’allant et la vivacité d’ 'Il Pomo d’Oro’ sont absolument splendides -, et les lamentations après un tel désastre s’élèvent avec le ‘Misera, dove son! Ah! Non son io che parlo’ extrait d’’Ezio’.
Joyce DiDonato - Eden
Puis vient le moment du retour à l’espoir avec ‘As with rosy stepts the morn’ issu de ‘Theodora’ deHaendel, et un avenir possible se profile à travers 'Ich bin der Welt abhanden gekommen’, à nouveau repris des Rückert Lieder, qui invite à un détachement vis-à-vis du monde afin de trouver refuge en un nouveau Paradis.
Cette narration n’est pas sans rappeler l’esprit new-âge de notre époque récente, mais elle est cette fois développée sur la base d’un matériau musical qui couvre quatre siècles de création lyrique.
Joyce DiDonato et Zefira Valova
La voix de Joyce DiDonato, caractérisée par une vibration bien connue qui s’assouplit pour former de magnifiques effets diaphanes – quelle merveille que se ‘Ombra mai fu’ qu’elle chantera en bis -, et qui se charge en couleurs boisées somptueuses au corps puissant, est idéale pour restituer ce mélange de craintes, de flammes, d’amour profond et d’aspiration à la paix.
La scénographie, qui joue avec les symboles circulaires de l’harmonie et de la Terre, a également juste ce qu’il faut d’épure pour illustrer tous ces airs.
Nous restons tout autant admiratif pour l’ensemble orchestral dont Zefira Valova, au violon, arrive à coordonner tous les musiciens disposés de manière circulaire autour de la si attachante mezzo-soprano.
De par ses timbres chaleureux, ‘Il Pomo d’Oro’arrive ainsi à lier en une même unité des compositeurs très différents, et à mixer mystère et ambiance intime avec talent.
Joyce DiDonato et les artistes du chœur Sotto Voce
Et pour finir, comme elle le fait à chaque étape de sa tournée internationale, Joyce DiDonato invite un chœur d’enfant résidant dans la ville où elle se produit à la rejoindre – Paris est la dix-neuvième étape du récital ‘Eden’ -.
Il s’agit ce soir du chœur 'Sotto Voce', en résidence au Théâtre du Châtelet, qui, de tout son enthousiasme, vient chanter ‘Seeds of Hope’, puis un air surprise, dans le même esprit d’optimisme qui fait la force d’une des grandes artistes lyriques de notre temps.