Publié le 18 Février 2023

Lucia di Lammermoor (Gaetano Donizetti – 28 septembre 1835, Naples)
Répétition générale du 16 février et représentations du 28 février et 04 mars 2023
Opéra Bastille

Lucia di Lammermoor Brenda Rae
Lord Enrico Ashton Mattia Olivieri
Sir Edgardo di Ravenswood Javier Camarena
Lord Arturo Bucklaw Thomas Bettinger
Alisa Julie Pasturaud
Raimondo Bidebent Adam Palka
Normanno Eric Huchet

Mise en scène Andrei Serban (1995)
Direction musicale Aziz Shokhakimov

Créée sur la scène Bastille le 26 janvier 1995, pour les débuts à l’Opéra national de Paris de Roberto Alagna, la production de ‘Lucia di Lammermoor’ mise en scène par Andrei Serban est la seule avec celle de ‘Madame Butterfly’ imaginée par Robert Wilson a avoir traversé le temps depuis le mandat de Pierre Bergé.

A l’époque, cette production n’avait pas manqué de s’attirer les critiques perplexes des esprits conventionnels qui regrettaient l’absence de romantisme inhérent à la nouvelle de Walter Scott, ‘La Fiancée de Lammermoor', qui se déroule originellement au creux des collines de Lammermuir situées au sud-est d’Edimburg.

Pourtant, 28 ans plus tard, elle démontre à quel point elle était en avance sur son temps.

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor) et Javier Camarena (Sir Edgardo di Ravenswood)

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor) et Javier Camarena (Sir Edgardo di Ravenswood)

Au centre d’une arène militaire totalement fermée par des murs circulaires très élevés, son atmosphère oppressante tend à déposséder la jeune fille de sa liberté d’être, malgré sa faculté à vivre dans l'imaginaire du rêve, parmi tous ces hommes qui s’entraînent de manière athlétique. Un peu plus en hauteur, les notables en complets et hauts-de-forme noirs surveillent que les attentes sociales qui pèsent sur Lucia soient bien atteintes. Les enchevêtrements de passerelles, tréteaux, cordes et échelles dentées ne font qu’accentuer l’impression stressante du décor.

Lucia di Lammermoor (Rae Olivieri Camarena Shokhakimov Serban) Opéra de Paris

Et de voir ce monde masculin se faire complice d'un tel système oppressif peut induire un sentiment de révolte constant chez l’auditeur, même si quelques moments de poésie, entretenus par des lueurs bleu-nuit et mauve afin d’occulter la tristesse de l’enceinte, sont préservés.

C’est dire à quel point la modernité du sujet, toujours actuelle dans certains milieux sociaux, est mise en évidence et passe bien avant les évocations brumeuses et romantiques du livret original.

Mattia Olivieri (Lord Enrico Ashton)

Mattia Olivieri (Lord Enrico Ashton)

Pour cette huitième reprise, le rôle-titre est confié à Brenda Rae qui, jusqu’à présent, n’avait fait qu’une brève apparition au Palais Garnier, le 28 octobre 2012, en chantant à l’avant-scène le rôle d’Anne Trulove dans ‘The Rake’s Progress’ d'Igor Stravinsky, en remplacement d’Ekaterina Siurina qui était souffrante.

Sa vocalité s’inscrit véritablement dans une esthétique moderne et virtuose, avec suffisamment de souplesse, au service d’une expression affinée qui va de pair avec un jeu très fouillé. S’appuyant sur des couleurs de voix claires et complexes aux vibrations ombrées, et des variations aiguës soudainement puissantes, elle dépeint un personnage vivant aux instincts sauvages. En première partie, c’est cette recherche d’expressivité théâtrale qui est mise en avant – son langage corporel saisissant semble traduire toutes les distorsions qu’elle vit -, ainsi que les coups d’éclats vocaux qui prennent un aspect spectaculaire, mais les passages plus intériorisés ont tendance à trop se fondre dans le tissu orchestral.

Cependant, à partir du meurtre d’Arturo Bucklaw, sa folie délirante révèle un art très cristallin et nuancé, tout en maîtrise dans les suraigus qui lui permettent de décrire une féminité intime mais brisée. Son isolement désespéré n'en est que plus poignant.

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

Chaleureux, aux intonations mêlant voix d’ange et virilité mélancolique, Javier Camarena n’impose pas une personnalité démonstrative, mais plutôt une forme de fierté tendre qui sera fortement secouée au moment de la révélation de l’acte de mariage entre Lucia et Bucklaw. Le timbre est d’une très agréable homogénéité, même dans les moments de grande tension, rayonnant et crépusculaire dans le grand air final d’Edgardo chanté en suspension au moment où il invoque sa propre tombe.

Mattia Olivieri (Lord Enrico Ashton) et Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

Mattia Olivieri (Lord Enrico Ashton) et Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

En Lord Ashton, Mattia Olivieri fait des débuts très accrocheurs à l’Opéra national de Paris. Ce jeune baryton italien a, certes, une très belle allure, mais fait surtout découvrir un chant racé, un mordant très franc, et une grande assurance alliée à une impulsivité où une animalité sous-jacente est dangereusement à la manœuvre. Excellent acteur, ombreux et inflexible, la noirceur dont il s’imprègne n’est pas teintée d’ironie et traduit un esprit ferme. Dans son échange avec Lucia, il fait d’ailleurs très bien ressortir la terreur qui anime Ashton à l’idée de disparaître socialement si elle ne se marie pas avec Bucklaw.

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

Brenda Rae (Lucia di Lammermoor)

Autre participant à la perte de Lucia, Raimondo, le chapelain, est lui aussi insoutenable par sa manière de se présenter comme un représentant de Dieu. Adam Palka lui prête un jeune timbre de basse d’une grande noblesse qui se renforce au cours de la représentation. Cette couleur subtilement fumée est parfaite pour suggérer la destinée funèbre qui attend l’héroïne.

Enfin, les rôles secondaires ont tous une personnalité bien démarquée, Eric Huchet qui tire sur le portrait de caractère pour Normanno, Thomas Bettinger qui donne un faux charme à Lord Arturo Bucklaw, personnage tout à fait inconsistant, et Julie Pasturaud qui fait résonner en Alisa de beaux graves bien corsés.

Aziz Shokhakimov

Aziz Shokhakimov

Pour sa première dans la fosse Bastille, le jeune chef d’orchestre ouzbek Aziz Shokhakimov, nouveau directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg depuis la saison 2021/2022, imprime un style tonique qui marie harmonieusement les timbres des vents, cordes et percussions afin de préserver un éclat luxueux à la matière sonore. Le lyrisme des instruments solistes est superbement mis en valeur (hédonisme des accords de harpe, délié nostalgique du hautbois) dans un esprit sensuel et attentif qui veille à la cohésion d’un ensemble où les chœurs bien chantants représentent la société oppressive dominante tapie dans les hauteurs en attendant le drame.

Javier Camarena et Brenda Rae (Répétition générale)

Javier Camarena et Brenda Rae (Répétition générale)

Bien mieux qu’une œuvre qui ne serait que prétexte à exhalations belcantistes, cette production de ‘Lucia di Lammermoor’, confiée à des interprètes signifiants, démontre totalement sa portée universelle, sous une forme qui accentue l'effet glaçant d'un système de négation de la liberté féminine poussée à son extrême.

Eric Huchet, Javier Camarena, Aziz Shokhakimov, Ching-Lien Wu (cheffe des chœurs), Brenda Rae et Mattia Olivieri

Eric Huchet, Javier Camarena, Aziz Shokhakimov, Ching-Lien Wu (cheffe des chœurs), Brenda Rae et Mattia Olivieri

Complément du 28 février 2023 : à l'issue de la représentation du 28 février 2023 jouée devant une salle pleine, Javier Camarena, pourtant annoncé souffrant, ce qui se ressentait peu, et Brenda Rae ont reçu un accueil dithyrambique de la part du public après une incarnation poignante et d'un formidable raffinement vocal.

 Javier Camarena et Brenda Rae au rideau final de Lucia di Lammermoor, le mardi 28 février 2023.

Javier Camarena et Brenda Rae au rideau final de Lucia di Lammermoor, le mardi 28 février 2023.

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Publié le 4 Février 2023

Les difficultés financières qui s’accumulent au cours de la saison 2022/2023 à la suite de l’épidémie de covid, aggravées par la crise énergétique (Martin Ajdari, le directeur général adjoint de l’Opéra national de Paris, relève que les dépenses énergétiques de l’institution sont passées de 1,6 M€ en 2019 à 4,1 M€ en 2022, et que ce sera encore plus en 2023)(2) , ont déjà obligé plusieurs opéras français à annuler des spectacles. C’est le cas de l’Opéra national du Rhin qui a annulé la version scénique du ‘Conte du Tsar Saltan’, et de l’Opéra national de Montpellier Occitanie qui a reporté les ‘Scènes du Faust de Goethe'.(1)

Opéra de Rouen Normandie : Une structure que le Ministère de la Culture doit soutenir en priorité

Le rapport sur la politique de l’Art lyrique en France piloté par Caroline Sonrier a par ailleurs souligné en 2021 que ‘L'écart des financements entre Paris et les régions, et l’absence d’opéra national de région à l’Ouest et au Nord de la France nécessite des rééquilibrages. La mise en place d’un nouveau label unique selon des critères simplifiés pourrait aussi permettre un élargissement et une meilleure représentation du réseau sur le territoire’(3).

Or, un autre opéra vient d’annoncer sa fermeture pour 6 semaines, à partir du 1er avril 2023, afin de préserver sa saison 2023 / 2024, l’Opéra de Rouen Normandie, la facture d’énergie ayant augmenté de 450 000 euros.

Pour bien comprendre l’importance de cette structure et sa position très particulière sur le territoire, la carte ci-dessous, élaborée lors de l’analyse du rapport de Caroline Sonrier (Analyse et réflexions à propos du rapport 2021 sur la politique de l’art lyrique en France), montre que hors de la région parisienne, les opéras nationaux en région sont tous situés dans le sud et à l’est, et qu’au nord et à l’ouest, seuls les opéras de Lille et de Rouen bénéficient du statut de Théâtre lyrique d’intérêt national, ce qui leur permet de recevoir une subvention de la part de l’État, mais plus faible que celle des opéras nationaux.

Opéra de Rouen Normandie : Une structure que le Ministère de la Culture doit soutenir en priorité

Et l’Opéra de Rouen, dirigé par Loïc Lachenal, est la seule structure du nord-ouest de la France à disposer de son propre orchestre (40 musiciens), en plus d’ateliers de costumes et de décors. Le tableau ci-dessous compare quelques éléments budgétaires et de performances de l’Opéra de Rouen à d’autres opéras nationaux en région selon le Rapport sur les Opéras en Région édité par le Ministère de la Culture en 2018(4).

  Rouen Nancy Strasbourg Montpellier Bordeaux Lyon
Budget 14 M€ 15 M€ 21 M€ 22 M€ 28 M€ 36 M€
Subventions totales 10,5 M€ 13 M€ 16 M€ 20 M€ 20 M€ 29 M€
dont subvention d'Etat 1,5 M€ 3 M€ 5 M€ 3,2 M€ 4,7 M€ 6 M€
Spectateurs 90 000 62 000 100 000 74 000 165 000 115 000
Levers de rideau 100 + 30 (tournées) 125 155 190 200 200
dont spectacles lyriques 20 à 25% 45% 55% 27% 10% 50%
ETP permanents 100 165 315 210 335 300
ETP non permanents 50 45 105 215 115 105

 

Bien que ne faisant pas partie des opéras nationaux en région, l’Opéra de Rouen est comparable à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) avec un nombre bien plus important de spectateurs (45 % en plus). Mais le nombre de rideaux lyriques reste un peu trop faible pour être véritablement reconnu comme opéra national. 

Et pourtant, obtenir ce statut lui permettrait de voir sa subvention étatique passer de 1,5 M€ à plus de 3 M€, et donc de consolider sa structure et d’accroître à la fois son rayonnement et sa capacité de production.

L’autre particularité de l’opéra de Rouen est qu’il est le seul où la région représente plus de 75 % de l’apport en subvention, ce qui traduit l’une de ses vocations à opérer des tournées régulières dans des villes telles Evreux, Vernon, Condé-sur-Vire ou Petit-Caux.

La métropole de Rouen participe donc peu en comparaison des autres métropoles du territoire au soutien de son opéra, mais le maire, Nicolas Mayer-Rossignol, souligne qu’il y a d’autres structures à Rouen qui sont intégralement soutenues par la ville. La tension entre le conseil régional et le maire est donc accrue par ce contexte budgétaire.

L’excellente performance de rayonnement de l’Opéra de Rouen mise en rapport avec son budget (plus de 90 000 spectateurs pour 10,5 millions d’euros de subventions) et son positionnement unique dans le nord-ouest de la France justifient donc un intérêt prioritaire de la part du Ministère de la Culture afin de ne pas laisser seules la région et la ville de Rouen décider du sort d’une structure dont l’existence est sollicitée et appréciée par les habitants de la Normandie. 

Sinon, la réduction de son activité ne lui permettrait plus de répondre à une demande qui existe pourtant bien, au vu des chiffres de fréquentation rendus publics.

Addendum : le vendredi 10 février 2023, le Ministère de la Culture a annoncé qu'une rallonge de 200.000 euros était allouée à l'Opéra Rouen Normandie, et, dans la foulée, la métropole a débloqué 300.000 euros supplémentaires.

Opéras en souffrance : l'État annonce des coups de pouce (radiofrance.fr)

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Publié le 2 Février 2023

Didon et Enée / Erwartung (Henry Purcell / Arnold Schönberg, 1689 / 1909)
Représentations du 29 janvier et 01 février 2023
Bayerische Staatsoper - Munich

Didon et Enée
Didon Ausrine Stundyte
Enée Günter Papendell
Belinda Victoria Randem
Vénus Rinat Shaham
La Magicienne Key'mon W. Murrah
La première Sorcière Elmira Karakhanova

Erwartung
Une femme Ausrine Stundyte

Direction musicale Andrew Manze
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2023)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp et Katharina Ortmann

 

Bayerisches Staatsorchester
Extra choeur du Bayerische Staatsoper

Opernballett der Bayerischen Staatsoper Aaron Amoatey, Erica d'Amico, Ahta Yaw Ea, Amie Georgsson, Moe Gotoda, João da Graca Santiago, Serhat Perhat, The Thien Nguyen

Avec intermède de Paweł Mykietyn

Serge Dorny, le directeur de l'Opéra de Munich, aime rapprocher l'opéra baroque de l'opéra moderne. Cela s'est traduit l'année dernière au festival Ja, Mai où Monteverdi et Haas ont été joués au cours de la même soirée.

Ausrine Stundyte (Didon)

Ausrine Stundyte (Didon)

C'est dans ce même esprit qu'il a proposé à Krzysztof Warlikowski de monter deux œuvres célèbres d'Henry Purcell et Arnold Schönberg en les fondant dans le même spectacle.

Cet alliage est rare mais pas inédit, car Christian Tombeil, directeur du Théâtre d'Essen jusqu'en 2023, a mis en scène le diptyque 'Didon et Énée / Erwartung' lors d'une première très appréciée le 20 mai 2007 au Théâtre de Krefeld.

Krzysztof Warlikowski

Krzysztof Warlikowski

Pour son sixième spectacle à Munich depuis novembre 2007, après 'Evgeny Onegin', 'Die Frau ohne Schatten', 'Die Gezeichneten', 'Salome' et 'Tristan und Isolde' , Krzysztof Warlikowski se trouve à nouveau confronté à la problématique de lier deux ouvrages musicalement très différents, comme il le fit au Palais Garnier en novembre 2015 pour 'Le Château de Barbe-Bleue' et 'La Voix humaine'.

Mais l'écart musicologique est cette fois beaucoup plus important, puisqu'il va s'agir de passer d'un orchestre baroque à un grand orchestre symphonique.

Toutefois, les rôles de Didon et de La Femme sont interprétés ce soir par la même soprano, Ausrine Stundyte, que le metteur en scène connaît bien depuis 'Lady Macbeth de Mzensk' (Paris - 2019) et 'Elektra' (Salzburg - 2020).

Ausrine Stundyte (Didon)

Ausrine Stundyte (Didon)

Le décor de Małgorzata Szczęśniak est unique et représente, côté cour, une grande pièce d'une maison surélevée, scindable en deux parties, et côté jardin, une forêt matérialisée par quelques troncs d'arbres dressés sur la scène, et qui seront complétés par une impressionnante vidéo grand large en arrière plan.

L' univers d''Erwartung' est donc en place dès le début de la représentation, imprégnant ainsi fortement l'atmosphère de 'Didon et Énée'.

Dans cette première partie, Didon est dépeinte comme une femme victime d'hallucinations mentales, paranoïaque, alors que sur scène s'interpénètrent le présent et ses pensées imaginaires.

Key'mon W. Murrah (La Magicienne) et Elmira Karakhanova (La première Sorcière)

Key'mon W. Murrah (La Magicienne) et Elmira Karakhanova (La première Sorcière)

Une voiture, phares allumés tels un regard lumineux, arrive au domicile de Didon avec à son bord Enée, Belinda et la seconde femme (dénommée Vénus ici). Ils semblent n'être là que pour l'assister, alors qu'elle est en proie à des tourments. Mais lorsqu'ils repartent, des silhouettes sombres aux yeux bien marqués se dessinent depuis la forêt.

Puis, le véhicule réapparait entouré cette fois d'une troupe d'artistes insolites accompagnés de Vénus. Dans sa solitude, l'intériorité de Didon se trouve envahie par des angoisses subconscientes.

Dido and Aeneas / Erwartung (Stundyte Manze Warlikowski) Munich

Car les danses, au nombre de cinq, et les sorcières ont un rôle prédominant dans cet opéra.

Krzysztof Warlikowski fait appel à de jeunes danseurs contemporains, d'origines très différentes, à la fois étranges et d'un fascinant talent à jouer de la souplesse de leurs corps. Ils représentent une force vitale formidable, parfois très sensuelle ou burlesque, qui s'opposent aux troubles morbides de l'héroïne. La magicienne est incarnée par Key'mon W. Murrah, contre-ténor originaire du Kentucky, qui se taille un franc succès avec son chant clair et doucereux, agréablement vibrant. Didon, elle, calfeutrée dans son séjour, appelle à l'aide.

Et alors que, dans le livret original, ces sorcières veulent la destruction de Didon à cause de son statut social, ici elles viennent précipiter le basculement de cette dernière dans la folie.

Victoria Randem (Belinda), Rinat Shaham (Vénus) et Günter Papendell (Enée)

Victoria Randem (Belinda), Rinat Shaham (Vénus) et Günter Papendell (Enée)

A leur retour, Enée et Belinda constatent l'impossibilité de ramener Didon à la raison, encerclée par les sorcières, si bien que la scène finale, vibrante pour son célèbre 'Remember me', se transforme en un émouvant rituel de mort, sur fond d'éclipse de soleil. Puis, Belinda aide sa compagne résignée à entrer dans un sac de couchage sarcophage - qui porte bien son nom -, afin d'entamer un voyage vers l'au delà inspiré des traditions égyptiennes antiques. Mais un poignard, laissé par Belinda, sera du voyage.

Cette mise en scène d'une résurrection possible traduit, d'une part, les convictions du metteur en scène sur le rapport de la vie à la mort et au temps, mais permet également de créer une transition avec 'Erwartung'.

Ausrine Stundyte (Didon) et Victoria Randem (Belinda)

Ausrine Stundyte (Didon) et Victoria Randem (Belinda)

Dans cette première partie, Victoria Randem, en Belinda, fait sensation avec sa vocalité ambrée, riante et chantante, et participe avec brio à un numéro de danse ondoyant et sensuel.
Günter Papendell, en Enée, interprète un homme léger et dragueur mais qui prend aussi les choses au sérieux, et son long chant aux accents plaintifs s'inscrit très bien dans la tonalité baroque de l’œuvre. Rinat Shaham est plus agressive de timbre, mais elle joue aussi avec drôlerie ce qui rend son personnage sympathique.

Elle intervient peu, mais Elmira Karakhanova, en première sorcière au corps filiforme, se révèle très warlikowskienne dans sa manière d'être déjantée.

Key'mon W. Murrah (La Magicienne) et Elmira Karakhanova (La première Sorcière)

Key'mon W. Murrah (La Magicienne) et Elmira Karakhanova (La première Sorcière)

Quant à Ausrine Stundyte, si elle n'a pas la sensualité baroque idoine au personnage de Didon, c'est d'abord pour le rôle de composition hors pair qu'on l'apprécie énormément, ainsi que pour les accents d'airain toujours saisissants qui la caractérisent. Et lors de la déploration finale, les fêlures de sa voix dramatique touchent au cœur inévitablement.

Chœur d'une magnifique et apaisante élégie, disposé dans la fosse d'orchestre près des instrumentistes, musiciens insufflant fluidité des lignes et souplesse des jeux de contrastes sous la direction précise et élégante d'Andrew Manze, le tout forme un ensemble prenant auxquels les jeux de lumières colorés réglés par Felice Ross ajoutent leur part d'envoûtement.

Ausrine Stundyte (Didon) et les sorcières

Ausrine Stundyte (Didon) et les sorcières

Le voyage vers l’autre monde de Didon se déroule ensuite à travers un rituel d’une dizaine de minutes où les danseurs enchaînent des danses de rue sur une musique spécialement composée par Paweł Mykietyn, le créateur de la plupart des musiques des spectacles de Krzysztof Warlikowski. Sur un rythme lancinant, zébré par la guitare électrique, les spectateurs se laissent prendre par une voix lointaine aux parfums d’orient, et la gestuelle des artistes, harmonieuse et athlétique, laisse transparaître des figures égyptiennes telles que l’on peut en voir sur les monuments ou peintures transmis par cette civilisation.

Cette chorégraphie entrainante, signée Claude Bardouil, a aussi pour fonction de confronter la culture urbaine d'aujourd'hui à ces deux œuvres plus anciennes.

La danse du tunnel vers l'autre monde

La danse du tunnel vers l'autre monde

En arrière plan, une vidéo filme l’avancée dans un tunnel bariolé de graffitis et de peintures murales, tels des hiéroglyphes modernes. Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sont invoquées, et une lumière au loin suggère l’approche d’un autre monde. Même si l’inspiration est celle d’un ancien rite païen, cette vision d’un au-delà lumineux porte aussi en elle une symbolique chrétienne – on pense beaucoup à l’’Ascension des Âmes et le tunnel de lumière’ de Jérôme Bosch -.

Ahta Yaw Ea

Ahta Yaw Ea

D’ailleurs, Krzysztof Warlikowski évoque aussi ce périple vers la mort dans sa production de ‘Tristan und Isolde’ qui sera reprise cette année à Munich.

Et pendant tout le temps de cette danse hypnotique, l’orchestre symphonique s’installe dans la fosse en toute discrétion. 

Ausrine Stundyte (La Femme)

Ausrine Stundyte (La Femme)

A la fin du voyage, Didon, devenue ‘La Femme’, se relève. Apercevant Enée et Belinda faisant l’amour, elle les tue de deux coups de feu à leur retour. ‘Erwartung’ peut donc commencer, et la maison de l’héroïne se sépare en deux, une partie où se trouvent les corps des deux victimes étant entraînée sur un plateau tournant, alors que la seconde partie reste fixe. Et dans cette seconde pièce, un très beau jeune homme (Serhat Perhat) apparaît, alors que depuis le salon principal ‘La Femme’ est prise de délires et d’angoisses tout en observant cet idéal de sensualité qui la fascine.

Serhat Perhat (Le Jeune Homme)

Serhat Perhat (Le Jeune Homme)

Ausrine Stundyte porte ce rôle extrême comme elle en a tant incarné à travers Elektra ou Katia Ismailova, c'est à dire instinctive et hallucinée, sa voix traduisant une animalité rauque aux accents ensorcelants.

Il ne s’agit plus d’une course dans la forêt à proprement parler, mais de la mise en scène d’un bouclage mental avec ses coups de sang et ses traits de lumières dans un regard perçant. A travers la relation avec le jeune homme qu’elle rejoint au bout d’un moment, le moteur du désir est puissamment activé comme une échappatoire au sentiment de culpabilité qui la rend folle, et les cerfs qui courent à travers une forêt enneigée dans le très beau film projeté en fond de scène accentuent cette symbolique de la puissance vitale. La force émotionnelle d’Ausrine Stundyte a plus à voir avec le feu éruptif que la torpeur dépressive.

Ausrine Stundyte (La Femme)

Ausrine Stundyte (La Femme)

L’écriture de Schönberg étire les plaintes et susurrements des paroles de ‘La Femme’, et Andrew Manze se veut plutôt hédoniste dans sa restitution sonore, sans forcer les stridences. L’impression d’ensemble est enveloppante et même charmeuse, si bien que c’est la question du désir qui prédomine tout au long de ce poème symphonique.

Ausrine Stundyte (La Femme) et Serhat Perhat (Le Jeune Homme)

Ausrine Stundyte (La Femme) et Serhat Perhat (Le Jeune Homme)

Et pour déstabiliser un peu plus l’auditeur, au tout dernier moment, Enée et Belinda se relèvent et reprennent leur vie quotidienne comme si ‘La Femme’ n’existait pas, alors que cette dernière se suicide avec le couteau qui l’avait accompagné lors du voyage vers l’autre monde. On peut y voir une résonance avec la tentation du suicide que connut Schönberg en 1908 lorsqu’il apprit la liaison entre sa femme et le peintre Gerstl. Ce dernier mettra pourtant fin à ses jours une fois sa relation amoureuse finie.

Günter Papendell, Krzysztof Warlikowski, Paweł Mykietyn, Andrew Manze, Małgorzata Szczęśniak, Kamil Polak et Ausrine Stundyte

Günter Papendell, Krzysztof Warlikowski, Paweł Mykietyn, Andrew Manze, Małgorzata Szczęśniak, Kamil Polak et Ausrine Stundyte

Ce suicide final signe ainsi la fin des égarements, mais entre temps, les pensées les plus intimes sur la solitude de l’être et les méandres de ses sentiments les plus sombres auront fait leur chemin. 

João da Graca Santiago, Amie Georgsson, Serhat Perhat, Moe Gotoda, Erica d'Amico, Ahta Yaw Ea, The Thien Nguyen et Aaron Amoatey

João da Graca Santiago, Amie Georgsson, Serhat Perhat, Moe Gotoda, Erica d'Amico, Ahta Yaw Ea, The Thien Nguyen et Aaron Amoatey

Et du fait que la mise en scène utilise un très vaste espace scénique, il est préférable de l’apprécier avec un peu de distance et de hauteur. D’un point de vue sonore, cela aurait pu sembler problématique dans la première partie baroque de la soirée, cela n’a pourtant pas été le cas, la très bonne acoustique du Bayerische Staatsoper, et ses étonnantes réflexions dans la salle, étant un très précieux atout.

Paweł Mykietyn, Claude Bardouil, Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

Paweł Mykietyn, Claude Bardouil, Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak

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Publié le 2 Février 2023

TV-Web Février 2023 Lyrique et Musique

Chaînes publiques

Samedi 04 février 2023 sur France 4 à 21h10
Orchestre de l'Opéra de Paris et Gustavo Dudamel : Concert inaugural

Samedi 04 février 2023 sur France 4 à 22h35
Nemanja Radulovic sur le site mégalithique de Carnac

Œuvres de Rimski-Korsakov, Bach, Vivaldi, Kreisler, Bloch et musiques traditionnelles serbes

Dimanche 05 février 2023 sur Arte à 17h30
La Folle Journée de Nantes 2023 - Ode à la nuit

Lundi 06 février 2023 sur Arte à 01h15
La Folle Journée de Nantes 2021 - De Bach à Mozart, la lumière et la grâce

Lundi 06 février 2023 sur Arte à 02h00
La Folle Journée de Nantes 2022 - Schubert, le voyageur

Samedi 11 février 2023 sur France 4 à 21h10
Les clefs de l'orchestre de Jean-François Zygel

Samedi 11 février 2023 sur France 4 à 22h40
Roméo et Juliette (Prokofiev) - Opéra national de Paris - Chr Noureev

Dimanche 12 février 2023 sur Arte à 18h45
La Folle Journée de Nantes 2021 - De Bach à Mozart, la lumière et la grâce

Lundi 13 février 2023 sur Arte à 00h50
"Macbeth" de Verdi à la Scala de Milan

Samedi 18 février 2023 sur France 4 à 21h10
Le carnaval des animaux - Court métrage de Andy Sommer

Samedi 18 février 2023 sur France 4 à 21h40
Les clefs de l'orchestre : Ma Mère l'Oye

Samedi 18 février 2023 sur France 4 à 23h05
Chantons, faisons tapage - Opéra Comique

Dimanche 19 février 2023 sur Arte à 18h40
Féerie Tchaïkovski - Philharmonique de Radio France - dm Mikko Franck

Dimanche 19 février 2023 sur Arte à 23h55
"My Land", un spectacle entre cirque et danse - Sept artistes originaires d’Ukraine

Lundi 20 février 2023 sur Arte à 00h55
Mon pays - Mon pays ? - Des artistes ukrainiens entre l’art et la guerre

Samedi 25 février 2023 sur France 4 à 21h10
Jean Rondeau : Variations Goldberg

Samedi 25 février 2023 sur France 4 à 22h15
Sabine Devieilhe à l'Opéra de Lyon

Dimanche 26 février 2023 sur Arte à 18h45
Julia Fischer et l'Academy of St Martin in the Fields - L'art de l'instant présent

Dimanche 26 février 2023 sur Arte à 23h20
Le secret de Paganini - L’exceptionnelle histoire des cordes de violon

Lundi 27 février 2023 sur Arte à 00h10
Grandbrothers à la cathédrale de Cologne

Lundi 27 février 2023 sur France 4 à 21h10
Musiques en fête - Aux Chorégies d'Orange 2022

Lundi 27 février 2023 sur France 4 à 23h50
Orchestre de l'Opéra de Paris et Gustavo Dudamel : Concert inaugural

Mardi 28 février 2023 sur France 4 à 04h00
Philippe Jaroussky : Faure requiem

Mardi 28 février 2023 sur France 4 à 21h10
Gautier Capuçon : "Un été en France"

Mardi 28 février 2023 sur France 4 à 22h05
Marielle Cafafa, la maestra

Mardi 28 février 2023 sur France 4 à 22h55
Christiane Eda-Pierre, en scène

Mercredi 01 mars 2023 sur France 3 à 20h00
Les Victoires de la Musique Classique 2023

A compléter ultérieurement

TV-Web Février 2023 Lyrique et Musique

Mezzo et Mezzo HD

Mercredi 01 février 2023 sur Mezzo à 20h30
Il Trovatore de Verdi au Gran Teatre del Liceu

Vendredi 03 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'L'Orfeo' de Monteverdi à l'Opéra Comique de Paris

Samedi 04 février 2023 sur Mezzo à 20h30
'Werther' de Massenet à l'Opernhaus Zürich

Dimanche 05 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
Elektra de Strauss au Metropolitan Opera de New York

Mercredi 08 février 2023 sur Mezzo à 20h30
William Christie dirige 'Titon et l'Aurore' de Mondonville à l'Opéra Comique

Jeudi 09 février 2023 sur Mezzo HD à 19h00 (Direct)
'Arabella' de Strauss au Teatro Real de Madrid

Vendredi 10 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Les Contes d'Hoffmann' au Staatsoper d'Hambourg avec Benjamin Bernheim et Olga Peretyatko

Samedi 11 février 2023 sur Mezzo à 20h30
'L'Orfeo' de Monteverdi à l'Opéra Comique de Paris

Samedi 11 février 2023 sur Mezzo à 22h25
'The Perfect American' de Philip Glass au Teatro Real de Madrid

Dimanche 12 février 2023 sur Mezzo HD à 19h00
'Actéon' de Charpentier au Théâtre du Châtelet de Paris

Dimanche 12 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
Luisa Miller de Verdi au Metropolitan Opera

Mardi 14 février 2023 sur Mezzo HD à 19h40
'Actéon' de Charpentier au Théâtre du Châtelet de Paris

Mercredi 15 février 2023 sur Mezzo à 20h30
Hamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra-Comique

Vendredi 17 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
Lulu de Berg au Metropolitan Opera

Samedi 18 février 2023 sur Mezzo à 20h30
Les Boréades de Rameau à l'Opéra de Dijon

Dimanche 20 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
Lulu de Berg au Metropolitan Opera

Mercredi 22 février 2023 sur Mezzo à 20h30
Madama Butterfly de Puccini à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

Vendredi 24 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
La Bohème de Puccini au Metropolitan Opera

Samedi 25 février 2023 sur Mezzo HD à 19h40
'Actéon' de Charpentier au Théâtre du Châtelet de Paris

Samedi 25 février 2023 sur Mezzo à 20h30
Manon Lescaut de Puccini au Gran Teatre del Liceu

Dimanche 26 février 2023 sur Mezzo HD à 21h00
La Bohème de Puccini au Metropolitan Opera

Mercredi 01 mars 2023 sur Mezzo à 20h30
Il Trovatore de Verdi à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

TV-Web Février 2023 Lyrique et Musique

Web : Opéras en accès libre (cliquez sur les titres pour les liens directs avec les vidéos)

Sur Operavision, Culturebox, Arte Concert etc...

                            Illimité

Placido Domingo, l'homme aux mille vies

La Traviata (Chorégies d'Orange 2016) avec Domingo, Jaho, Meli

Le Barbier de Séville (Chorégies d'Orange 2018) avec Peretyatko, Sempey, Hotea

Roberto Alagna - Ma vie est un opéra

Le Royaume des Deux-Siciles (Roberto Alagna)

Patrick Dupond, un danseur chez les étoiles

Anna Karenine (Mariinsky)

                           Février 2023

Concert du Nouvel an (Philharmonique de Vienne) jusqu'au 01 février 2023

Les oiseaux (Opéra national du Rhin) jusqu'au 04 février 2023

Récital Nadine Sierra (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 12 février 2023

Il viaggio a Reims (Rossini Festival) jusqu'au 13 février 2023

Orphée aux Enfers (Festival d'Aix-en-Provence) jusqu'au 14 février 2023

Orphée aux Enfers (Festival de Salzbourg 2019) jusqu'au 15 février 2023

L'Or du Rhin (Staatsoper Berlin) jusqu'au 17 février 2023

La Walkyrie (Staatsoper Berlin) jusqu'au 17 février 2023

Siegfried (Staatsoper Berlin) jusqu'au 17 février 2023

Le Crépuscule des Dieux (Staatsoper Berlin) jusqu'au 17 février 2023

Mese Mariano de Giordano et Suor Angelica de Puccini (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 18 février 2023

Siegfried (Longborough Festival Opera) jusqu'au 19 février 2023

Master Classes Thomas Hampson & Lawrence Brownlee jusqu'au 25 février 2023

Double Side (Teatri di Reggio Emilia) jusqu'au 25 février 2023

Heinrich Schütz : Oratorio de Noël (St Peter Basel) jusqu'au 25 février 2023

On purge bébé (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 février 2023

Concert de solidarité pour l'Ukraine (Théâtre national de Vilnius) jusqu'au 28 février 2023

Concert de solidarité pour l'Ukraine (Riga) jusqu'au 28 février 2023

                           Mars 2023

Macbeth (Scala de Milan) jusqu'au 01 mars 2023

Alice (Ballet de l'Opéra national du Rhin) jusqu'au 02 mars 2023

La mégère apprivoisée (Ballets de Monte Carlo) jusqu'au 03 mars 2023

Veillée pour l'Ukraine (Théâtre national de Chaillot) jusqu'au 05 mars 2023

L'Or du Rhin (Birmingham Opera Company) jusqu'au 09 mars 2023

Esa Pekka Salonen - Turangalîla Symphonie (Philharmonie) jusqu'au 13 mars 2023

Fauteuil d'Orchestre au Théâtre du Châtelet jusqu'au 14 mars 2023

Une soirée d'opérette et de zarzuela (Palau de les Arts, Reina Sofia) jusqu'au 16 mars 2023

Les contes d'Hoffmann (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 21 mars 2023

La Dame de Pique (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 23 mars 2023

Roméo et Juliette - Prokofiev (Royal Ballet de Londres) jusqu'au 24 mars 2023

Toulouse-Lautrec (Théâtre du Capitole) jusqu'au 25 mars 2023

I Capuleti e i Montecchi (Opéra national de Paris) jusqu'au 29 mars 2023

Barbara Hannigan : rêve de Hongrie jusqu'au 29 mars 2023

Macbeth (Deutsche Oper am Rhein) jusqu'au 30 mars 2023

Falstaff (Festival d'Aix-en-Provence) jusqu'au 30 mars 2023

                         Avril 2023

L'Ange de feu (Teatro Real de Madrid) jusqu'au 05 avril 2023

Orfeo ed Euridice (New National Theater New-York) jusqu'au 7 avril 2023

Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier (Festspielhaus Baden-Baden) jusqu'au 8 avril 2023

Mignon (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 12 avril 2023

Laurence Equilbey dirige Haendel jusqu'au 16 avril 2023

Orfeo (Garsington Opera) jusqu'au 20 avril 2023

L'Elixir d'Amour (Chorégies d'Orange 2022) jusqu'au 21 avril 2023

La Couronne d'Or (Liatochinski) jusqu'au 25 avril 2023

Les trésors du Paris haussmannien jusqu'au 26 avril 2023

                         Mai 2023

Les 30 ans des Talens Lyriques jusqu'au 05 mai 2023

De la Maison des Morts / Messe Glagolitique (Opéra national de Brno) jusqu'au 06 mai 2023

Salomé (Opéra d'Helsinki) jusqu'au 12 mai 2023

Cosi fan tutte (Théâtre des Champs Elysées) jusqu'au 12 mai 2023

The Listener (Den Norske Opera & Ballett) jusqu'au 12 mai 2023

Der Rosenkavalier (La Monnaie) jusqu'au 16 mai 2023

Parsifal (Bergen Philharmonic Orchestra) jusqu'au 21 mai 2023

Kateryna (Opéra d'Odessa) jusqu'au 26 mai 2023 (Création 17 septembre 2022)

Le Rouge et le Noir (Opéra national de Paris) jusqu'au 28 mai 2023

Graines d'étoiles - La rentrée (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - Au travail! (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - Le progrès (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - Un monde à part (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - En scène (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - Le temps des épreuves (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - 5 ans après - Danser classique (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - 5 ans après - La liberté d'être soi (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - 5 ans après - Le chemin des étoiles (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - 5 ans après - L'envol (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

Graines d'étoiles - 5 ans après - Danser sa vie (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mai 2023

                           Juin 2023

La Juive (Grand Théâtre de Genève) jusqu'au 07 juin 2023

Ariadne auf Naxos (Royal Swedish Opera) jusqu'au 09 juin 2023

Falstaff (Opéra de Florence) jusqu'au 10 juin 2023

Graines d'étoiles, les années de maturité (Opéra national de Paris) jusqu'au 15 juin 2023

Der Freischütz (La Fura dels Baus) - moments choisis -  jusqu'au 16 juin 2023

Musique de chambre - Paul Hindemith Orchestra Academy (Frankfurt) jusqu'au 16 juin 2023

Jawnuta (Poznan Opera) jusqu'au 18 juin 2023

Fidelio (Opéra Comique) jusqu'au 20 juin 2023

Ariane à Naxos (Festival d'Aix-en-Provence 2018) jusqu'au 23 juin 2023

Simon Boccanegra (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 23 juin 2023

Giselle (Polish National Opera and Ballet) jusqu'au 26 juin 2023

Concert du Nouvel an (Orchestre national de France) jusqu'au 28 juin 2023

                           Juillet 2023

Rigoletto (Opéra de Montpellier) -  jusqu'au 01 juillet 2023

Chefs-d’œuvre de musique française par François-Xavier Roth - "Les Siècles" fête ses 20 ans (Tourcoing) jusqu'au 04 juillet 2023

Moïse et Pharaon (Festival d'Aix-en-Provence) -  jusqu'au 11 juillet 2023

Guillaume Tell (Irish National Opera) -  jusqu'au 13 juillet 2023

L'Orfeo (Festival de Beaune)  jusqu'au 22 juillet 2023

Agrippina (Drottningholm Palace Theatre)  jusqu'au 27 juillet 2023

Ukrainian Freedom Orchestra (Concert de Varsovie) jusqu'au 29 juillet 2023

                           Août 2023

Fauteuil d'orchestre (Opéra Comique) jusqu'au 03 août 2023

Concert inaugural de l'Opéra national de Paris (dm Dudamel) jusqu'au 04 août 2023

Turandot (Finnish Opera & Ballet) jusqu'au 16 août 2023

Achille in Sciro (Teatro Real de Madrid) jusqu'au 25 août 2023

T                       Septembre 2023

Jules César en Egypte (Théâtre des Champs-Elysées) jusqu'au 07 septembre 2023

Max Emanuel Cencic chante Haendel (Bayreuth 2022) jusqu'au 09 septembre 2023

Alessandro nell' Indie de Leonardo Vinci (Bayreuth 2022) jusqu'au 10 septembre 2023

'Amazon' par Lea Desandre, Thomas Dunford et l'Ensemble Jupiter  jusqu'au 20 septembre 2023

La Boxeuse amoureuse de Marie Agnès Gillot et Arthur H  jusqu'au 21 septembre 2023

Rigoletto (Opéra de Rouen) jusqu'au 23 septembre 2023

                           Octobre 2023

Lakmé (Opéra Comique) jusqu'au 05 octobre 2023

Haendel au Théâtre du Châtelet jusqu'au 06 octobre 2023

Kaija dans le miroir jusqu'au 13 octobre 2023

Maria Callas : Renata Tebaldi, la Féline et la Colombe jusqu'au 13 octobre 2023

Nathalie Stutzmann dirige l'Orchestre de Paris jusqu'au 20 octobre 2023

L'Oiseau de Feu (Philharmonique de Radio France) jusqu'au 24 octobre 2023

                           Novembre 2023

Atys (Opéra de Versailles) jusqu'au 09 novembre 2023

Les Talens Lyriques (Théâtre du Châtelet) jusqu'au 11 novembre 2023

Haendel au Théâtre du Châtelet jusqu'au 23 novembre 2023

                           Décembre 2023

Fromental Halévy : La Tempesta (Wexford Festival Opera 2022) jusqu'au 03 décembre 2023

La Finta Pazza (Opéra Royal de Versailles) jusqu'au 04 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (I/III) jusqu'au 12 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (II/III) jusqu'au 12 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (III/III) jusqu'au 13 décembre 2023

Les Chemins de Bach / Dynasties à la Philharmonie de Paris jusqu'au 13 décembre 2023

Concert de Noël 2020 du Philharmonique de Radio France jusqu'au 17 décembre 2023

Léa Desandre, récital baroque jusqu'au 31 décembre 2023

 

                           Janvier 2024

Les artistes de l'académie de l'Opéra national de Paris (dm Dudamel) jusqu'au 23 janvier 2024

                           Février 2024

Giulio Cesare (Opéra national des Pays-Bas) jusqu'au 01 février 2024

                          Juin 2024

Innocence (Festival d'Aix-en-Provence 2021) jusqu'au 30 juin 2024

                           Juillet 2024

Innocence (Festival d'Aix-en-Provence 2021) jusqu'au 01 juillet 2024

                           Septembre 2024

Christiane Eda-Pierre, en scène jusqu'au 05 septembre 2024

                          Décembre 2024

Grand concert symphonique Saint-Saëns (Auditorium de Radio France) jusqu'au 14 décembre 2024

Concert de Noël (Philharmonique de Radio France) jusqu'au 21 décembre 2024

 

                           Février 2025

Voix des Outre-mer (Amphithéâtre de l'Opéra Bastille) jusqu'au 20 février 2025

 

                           Mars 2026

Concert en soutien au peuple ukrainien (Maison de Radio France) jusqu'au 04 mars 2026

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique

Publié le 31 Janvier 2023

I Masnadieri (Giuseppe Verdi - 22 juillet 1847 - Her Majesty's Theatre, Londres)
Représentation du 28 janvier 2023
Bayerische Staatsoper - Munich

Massimiliano Christian Van Horn
Carlo Charles Castronovo
Francesco Igor Golovatenko
Amalia Lisette Oropesa
Arminio Kevin Conners
Moser Alexander Köpeczi
Rolla Jonas Hacker

 

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Johannes Erath (2020)

 

Créé 4 mois seulement après la première de 'Macbeth' à Florence, un coup de génie qui sera remanié dans sa version définitive en 1865, 'I Masnadieri' est issu de la volonté de Benjamin Lumley, le directeur du Théâtre de la Reine (Her Majesty's Theatre), de présenter à Londres une création italienne moderne de Giuseppe Verdi.

Bien que les premières suggestions furent évoquées au début du printemps 1846, ce n'est qu'en décembre que le compositeur parmesan confirma son intention de présenter 'I Masnadieri' sur la base d'un livret élaboré par Andrea Maffei, et inspiré de la pièce 'Les Brigands' de Friedrich von Schiller.

Le poète et traducteur ne retint cependant rien de la critique sociale de la pièce d'origine - une charge contre la tyrannie du Duc de Wurtemberg, créée à Mannheim le 13 janvier 1782 -, et se contenta de mettre en scène une sombre et improbable histoire de famille.

Charles Castronovo (Carlo) et Lisette Oropesa (Amalia)

Charles Castronovo (Carlo) et Lisette Oropesa (Amalia)

A entendre ces 'Masnadieri', les passionnés de Schiller seront probablement déçus - Munich est habitué à voir régulièrement sur ses scènes de théâtre 'Die Räuber' -, mais il subsiste la chance de découvrir un rare Verdi de jeunesse, dont la trame de l'histoire se déroule dans une région proche de la capitale bavaroise.

La première de cette production confiée à Johannes Erath eut lieu le 08 mars 2020, avant que tous les théâtres du monde ne soient obligés de fermer leurs portes. Il s'agit donc aujourd'hui d'une véritable découverte musicale pour le plus grand nombre, même si le Gärtnerplatztheater monta l'œuvre en mars 2008 - c'est dire l'importance des 'Brigands' pour cette ville si culturelle -.

Le metteur en scène originaire du Bade-Wurtemberg n'arrive certes pas à augmenter le relief des protagonistes, mais il réussit au moins à laisser planer une atmosphère de fin d'époque avec ce grand décor néo-classique noir et blanc en perspective, précédé d'un double aux lumières cendrées du rideau de l'Opéra de Bavière, comme s'il s'agissait de laisser s'immiscer l'idée que cette institution symbolique pourrait un jour chuter.

Igor Golovatenko (Francesco)

Igor Golovatenko (Francesco)

Et, étrangement, Carlo, le fils préféré de Massimiliano, fait beaucoup penser au personnage maudit du Hollandais volant, ce qui est suffisant pour stimuler le romantisme le plus sombre.

Ce spectacle peut aussi compter sur la direction d'Antonino Fogliani qui révèle toutes les inspirations du compositeur.

A travers son style bien pulsé, et un véritable art de la nuance qu'il exerce même dans les cabalettes aux rythmes les plus systématiques, il alloue un véritable espace de respiration aux chanteurs.

Mais mieux encore, il fait entendre les plus belles couleurs verdiennes de l'ouvrage, depuis les noirceurs superbement galbées qui ont forgé l'atmosphère impressionnante de 'Macbeth', aux subtils frémissements qui s'épanouiront plus tard dans 'La Traviata'. Le lustre de l'orchestre de l'Opéra de Bavière n'en est que plus resplendissant.

Et quel magnifique solo de violoncelle en ouverture, ampli de vibrations sensibles infiniment touchantes!

Lisette Oropesa (Amalia)

Lisette Oropesa (Amalia)

Les solistes sont aussi totalement impliqués dans l'urgence du drame, et retrouver Lisette Oropesa est un véritable plaisir, surtout à l'écoute de son timbre vibrant aux couleurs crème qui flirtent avec les inflexions baroques.

Elle se joue aisément des virtuosités de l'écriture agile et belcantiste de Verdi, ce qui est d'autant plus appréciable qu'elle est la source la plus lumineuse de la représentation.

Charles Castronovo (Carlo)

Charles Castronovo (Carlo)

Charles Castronovo, dans le rôle du fils aîné et préféré, dispose d'un timbre de voix bien plus crépusculaire et tourmenté qui assombrit son personnage, mais la vaillance endurante et le style sont bien présents, ce qui force l'admiration car c'est un chanteur qui ne recule devant aucune incarnation la plus extrême.

Igor Golovatenko, l'odieux frère cadet Francesco, est plus naturellement verdien, et intègre des inflexions mélancoliques qui induisent des traits de faiblesses émouvants en profondeur de sa voix autoritaire. Réussir à amplifier la résonance de ses graves lui permettrait cependant d'accentuer la monstruosité de son personnage, car la jeunesse de l'âge se ressent encore, pour le moment.

 

Antonino Fogliani

Antonino Fogliani

Le charisme de Christian Van Horn s'impose naturellement, même s'il brosse un Massimiliano surtout impressionnant de noirceur maléfique, et Kevin Conners apporte beaucoup de présence à Arminio, en préservant un équilibre qui empêche de le percevoir comme un être véritablement mauvais.

Les chœurs se fondent très bien avec les qualités de souplesse orchestrale, et malgré une dramaturgie peu captivante, l'interprétation musicale de haute tenue, jouée devant une salle pleine, est une récompense inspirante pour tous.

Lisette Oropesa

Lisette Oropesa

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Publié le 31 Janvier 2023

Peter Grimes (Benjamin Britten – 7 juin 1945 - Sadler’s Well Theater, Londres)
Répétition générale du 23 janvier et représentations du 26 janvier et 07 février 2023
Palais Garnier

Peter Grimes Allan Clayton
Ellen Orford Maria Bengtsson
Captain Balstrode Simon Keenlyside
Auntie Catherine Wyn-Rogers
First Niece Anna-Sophie Neher
Bob Boles John Graham-Hall
Swallow Clive Bayley
Mrs. Sedley Rosie Aldridge
Reverend Horace Adams James Gilchrist
Ned Keene Jacques Imbrailo
Hobson Stephen Richardson

Direction musicale Alexander Soddy
Mise en scène Deborah Warner (2021, Madrid)

Coproduction avec le Teatro Real, Madrid, le Royal Opera House Covent Garden, Londres et le Teatro dell'Opera, Rome
Diffusion le 25 février à 20 h sur France Musique dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

Compositeur privilégié d’Hugues Gall, le directeur de l’Opéra de Paris de 1995 à 2004 qui représenta trois séries de ‘Billy Budd’ et deux séries de ‘Peter Grimes’ au cours de son mandat, Benjamin Britten n’avait plus été programmé qu’une seule fois par la suite, à l’occasion d’une reprise de ‘Billy Budd’, sous la direction de Nicolas Joel.

Une nouvelle production de ‘Death in Venice’ sera par la suite annulée, et la production de ‘Billy Budd’ par Deborah Warner, un temps programmée par Stéphane Lissner, fut, elle aussi, supprimée.

Allan Clayton (Peter Grimes)

Allan Clayton (Peter Grimes)

Le retour de ‘Peter Grimes’ à l’Opéra de Paris est donc un immense évènement qui traduit le volontarisme de son nouveau directeur, Alexander Neef, afin d’ouvrir plus largement le répertoire aux compositeurs anglo-saxons.

Cette reprise de la production créée à Madrid en avril 2021 permet d’accueillir, pour la première fois sur la grande scène lyrique nationale, une metteuse en scène britannique bien connue en Europe, Deborah Warner.

Elle est cependant loin d’être inconnue à Paris, puisqu’elle y fit ses débuts en 1989 avec ‘Titus Andronicus’ de Shakespeare au Théâtre des Bouffes du Nord, puis avec ‘King Lear’ joué au Théâtre de l’Odéon en 1990.

Plus récemment, l’Opéra Comique programma en 2012 sa version de ‘Didon et Enée’ d’Henry Purcell, et le Théâtre des Champs-Elysées présenta son interprétation de ‘La Traviata’ en 2018.

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

S’emparer d’un sujet aussi sombre que celui de ‘Peter Grimes’, c’est à la fois revenir au thème de la marginalité qu’elle avait abordé à travers sa première mise en scène d’opéra, ‘Wozzeck’, jouée au Grand Théâtre de Leeds en 1993, qu’évoquer Alban Berg pour lequel Benjamin Britten nourrissait une vive admiration – il entendra en intégralité ‘Wozzeck’, en 1934, lors d’une retransmission radiophonique -.

On retrouve au cours de ces tableaux le sens de l’épure, mais aussi le goût pour le réalisme, de Deborah Warner dans cette production qui souligne l’immense solitude du héros et l’ombre d’une malédiction qui plane sur lui.

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

La première image, fort belle, le représente dormant seul au centre d’un large espace vide, surplombé par une barque qui pourrait évoquer un cercueil, mais surtout la fin tragique à laquelle il est prédestiné. La communauté environnante est, elle, constamment animée dans des zones d'ombre, au premier et dernier acte.

Les lumières bleu-vert stylisées, plus intenses à l’horizon, décrivent une vision éthérée du temps et de l’espace, mais la maison de cet être solitaire n’est qu’un éparpillement de restes d’embarcations disparates, jonchant une scène en pente, ouvertement mise à nue.  A contrario, les villageois se retrouvent au second acte dans une taverne enfoncée dans le sol, tous parqués à l’avant-scène devant une façade qui les abrite de l'extérieur, et où une unique porte permet des entrées précipitées.
Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Enfin, en fond de scène, une toile aux légers reflets irisés offre la vision d’une vue sur la mer prise depuis les hauteurs d’une falaise. L'évocation reste symbolique, et ne met pas l'accent sur l'atmosphère marine et mouvementée de ces côtes tumultueuses, probablement pour donner plus d'impact à la violence intérieure nourrie par la population, le véritable danger en ce lieu.

Deborah Warner fait ainsi vivre les relations entre individus avec un grand sens du détail et de l’interaction vivante afin de montrer toutes les facettes, peu reluisantes, de ce peuple qui juge et veut la perte de Grimes. Leur rapport à Dieu est dominé par la peur - une petite pancarte le rappelle -, et ces gens apparaissent comme ayant inconsciemment besoin de trouver un bouc émissaire pour se laver de leurs propres travers.

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

La scène la plus marquante se déroule au dernier acte où tous s'excitent, lors d'un rituel païen, à détruire un mannequin fabriqué à l'image de Peter Grimes, afin d'évacuer leur propre violence. C'est d'ailleurs au cours de ce même tableau de lynchage que la sensualité de plusieurs jeunes hommes - torses nus - est exaltée. A contrario, la scène où ce solitaire s'emporte face à Ellen est montrée comme un geste brusque et impulsif qui propulse la maîtresse d'école à terre. Le geste est simplement accidentel.

'Peter Grimes' est donc bien une dénonciation du conformisme et de l'hypocrisie sociale, mais Deborah Warner n'oublie pas de mettre en avant la question du devenir de l'enfant orphelin. Sa mise en scène sollicite les plus profonds sentiments pour le jeune garçon balloté dans cet univers trop préoccupé par ses propres névroses pour s'intéresser aux plus démunis.
Une telle force de caractérisation ne peut s'incarner qu'une fois confiée à de grands artistes, et tous, sans exception, participent à cette immense réussite.

Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Allan Clayton, qui est attaché à cette production depuis sa création à Madrid et sa reprise à Londres, est absolument lumineux, tendre et irradiant de finesse, comme s'il était doué pour révéler la pureté d'âme mêlée à la rudesse de Peter Grimes. Confronté à la voix agréablement ouatée, et d'une parfaite homogénéitée, de Maria Bengtsson, ils tendent tous deux à souligner les qualités mozartiennes de l'écriture de Benjamin Britten, ce que la direction souple et raffinée d'Alexander Soddy ne fait que renforcer. 

Le chef d'orchestre britannique maintient tout au long de la représentation une atmophère intime et chambriste qui attire l'auditeur dans un univers soyeux et superbement ouvragé, où la noirceur mystérieuse des interludes ne se départit jamais d'un art du raffinement merveilleusement enjôleur. L'orchestre ne prend d'ailleurs pas le dessus sur les solistes et les choristes, ces derniers étant à l'unisson de l'esprit envoutant choisi pour cette interprétation.

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Fascinant par sa retenue et la profondeur de sa présence, Simon Keenlyside, qui fut un inoubiable Wozzeck à Bastille, il y a 15 ans, prête au Capitaine Balstrode de la sagesse, un charisme vocal d'une grande maturité, et une aura humaniste fort touchante, même s'il devra suggérer au pêcheur, acculé par les villageois, de préférer prendre la mer et de couler sa barque. On verra ainsi Grimes, résigné, s'enfoncer lentement dans la mer.

Simon Keenlyside (Balstrode)

Simon Keenlyside (Balstrode)

Parmi les autres caractères, on retrouve John Graham-Hall en Bob Boles, lui qui incarna un inoubliable Aschenbach à La Monnaie de Bruxelles, en 2009, dans la production de 'Death in Venice' de Deborah Warner, avec un timbre dorénavant oscillant mais toujours expressif, et Jacques Imbrailo, qui rehausse le naturel grossier de Ned Keene par un chant séduisant et très naturel.

Allan Clayton

Allan Clayton

La cohésion scénique de l'ensemble de la distribution se prolonge avec une vérité démonstrative à travers les interprétations de Catherine Wyn-Rogers (Auntie), Rosie Aldridge, terrible en Mrs Sedley Bayley, les deux nièces qui se ressemblent par Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torrez, le jeu de Clive Bayley qui n'éprouve aucune hésitation à dépeindre le ridicule de Swallow, et enfin James Gilchrist et Stephen Richardson, eux-aussi très convaincants.

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Avec la disparition indifférente de Peter Grimes à la toute fin, réapparait pour la dernière fois, et poétiquement, son obsession pour la jeunesse des apprentis qui ont tous disparu, à travers un acrobate se muant avec légèreté dans les airs. Deborah Warner sait offrir aux jeunes artistes des occasions pour animer avec talents ses productions, et après un tel accueil du public et des professionnels pour ce poignant 'Peter Grimes', reprendre en ce même lieu celle de 'Billy Budd' par la même metteuse en scène, primée en 2018, semble aller de soi, tant le succès et la reconnaissance de tous sont assurés.

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

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Publié le 22 Janvier 2023

Il Trovatore (Giuseppe Verdi – 19 janvier 1853, Teatro Apollo de Rome)
Répétition générale du 18 janvier et représentation du 14 février 2023
Opéra Bastille

Il Conte di Luna Etienne Dupuis
Leonora Anna Pirozzi
Azucena Judit Kutasi
Manrico Yusif Eyvazov
Ferrando Roberto Tagliavini
Ines Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Ruiz Samy Camps
Un vecchio Zingaro Shin Jae Kim
Un messo Chae Hoon Baek

Direction musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Alex Ollé (2015)
Collaboration à la mise en scène Valentina Carrasco

Coproduction avec De Nationale Opera, Amsterdam et le Teatro dell’Opera, Roma

Initialement programmée en janvier 2021, la reprise d’’Il Trovatore’ a du être décalée de deux ans, si bien que c’est exactement 170 ans après sa création au Teatro Apollo de Rome, théâtre situé le long de la rive du Tibre, face au Château Saint-Ange, que la scène Bastille peut à nouveau l’accueillir.

Yusif Eyvazov (Manrico Yusif) et Anna Pirozzi (Leonora)

Yusif Eyvazov (Manrico Yusif) et Anna Pirozzi (Leonora)

Il s’agit d’une œuvre d’une très grande mélancolie qui traduit probablement avec finesse les sentiments qu’éprouvait Giuseppe Verdi à un moment où il venait de perdre son père, puis Salvatore Cammarano, le librettiste qui était chargé de mettre en vers le drame du poète espagnol Antonio García Gutiérez.

Le contexte de crise de succession au trône qui agitait l’Aragon au début du XVe siècle n’est ici qu’une toile de fond pour expliquer l’opposition entre le Conte de Luna et le clan de Manrico, officier de l’armée de Jacques Urgel, les deux hommes étant opposés pour l’amour de Leonora, tout en ignorant qu’ils sont liés par un passé sordide dont la gitane Azucena détient la vérité.

Anna Pirozzi (Leonora)

Anna Pirozzi (Leonora)

Respectant la dramaturgie intime de cette histoire, le metteur en scène Alex Ollé situe toutefois l'action cinq cent ans plus tard, en pleine première Guerre Mondiale. Cette approche n’avait pas particulièrement convaincu lors de sa création en 2015, mais dans le contexte de guerre que nous connaissons aujourd’hui en Europe, ces images de blocs massifs qui s’élèvent au dessus de tombes surmontées de croix ont de quoi nous toucher plus profondément. On pourrait ainsi identifier Luna à une sorte de despote qui cherche à éliminer un peuple frère.

Par ailleurs, le travail sur les éclairages est fort beau et crée des lignes de niveaux et des reflets qui s’étendent à l’infini par un habile jeu de glaces réfléchissantes, révélant un véritable sens de l’esthétique visuelle à travers des ambiances constamment nocturnes allant du bleu nuit au vert lugubre, en passant par des lueurs orangées crépusculaires qui décrivent l’univers de flammes dans lequel baigne Azucena.

Judit Kutasi (Azucena)

Judit Kutasi (Azucena)

Cette reprise soignée, qui mêle tension dramatique et douceur, est interprétée ce soir par une distribution aux couleurs vocales d'une très grande force expressive, à commencer par Anna Pirozzi qui fait à nouveau grande impression après sa série de ‘Force du destin’ chantée un mois plus tôt sur les mêmes planches. Elle a quelque chose dans le timbre de la voix qui la rend immédiatement touchante et entière, une excellente diction, très nette, qui traduit avec force l’urgence du cœur, un rayonnement généreux qui se déploie intensément et soudainement dans les aigus, des notes filées plus couvertes, et des résonances corsées aux teintes claires.

Anna Pirozzi (Leonora)

Anna Pirozzi (Leonora)

Il est également très agréable d’admirer la souplesse de sa gestuelle dans les airs mélodieux qu’elle accompagne d’un même mouvement coulant. En quelques semaines, cette artiste qui a débuté sa carrière tardivement, à plus de 30 ans, comme le ténor Marcelo Alvarez, est en train de s’allier le cœur de nombres de lyricomanes parisiens par sa manière de dépeindre avec beaucoup de sincérité deux beaux portraits de deux Leonora bien différentes, l’une plus tragique, et la seconde plus belcantiste.

Judit Kutasi (Azucena) et le chœur

Judit Kutasi (Azucena) et le chœur

Il a le rôle du méchant, mais il l’interprète avec grand style et un chant qui s’emplit d’un feu viril saisissant, Etienne Dupuis porte le Comte de Luna avec une autorité animale racée. Il a l’étoffe de la noblesse, une qualité de timbre très homogène qui mêle élégance et noirceur dangereuse, et une assurance de jeu qui lui donne un charme très naturel.

Issue de la scène zurichoise, la mezzo-soprano roumaine Judit Kutasi est également un personnage accrocheur de ce spectacle, car elle possède une somptueuse couleur de voix avec des graves d’un rare velours. Son sens dramatique fait sensation, et elle laisse percer une sorte de chaleur maternelle qui incite instinctivement à la compassion.

Etienne Dupuis (Il Conte di Luna)

Etienne Dupuis (Il Conte di Luna)

Quant à Yusif Eyvazov, il démontre à nouveau ses capacités d’endurance et son aisance à manier les tensions de Manrico, même si les coloris du timbre en brossent un personnage assez abrupt, et c’est donc ce caractère vaillant et vigoureux qui s’impose immédiatement, plutôt que le côté séducteur et sensible de l’officier qui est en guerre contre Luna.

Les autres rôles sont tous très bien rendus, comme le Ferrando posé et très humain de Roberto Tagliavini, ou la belle prestance de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur en Ines, la confidente de Leonora.

Judit Kutasi (Azucena)

Judit Kutasi (Azucena)

Carlo Rizzi a visiblement choisi de mettre au premier plan la présence des solistes. La fosse d’orchestre abaissée lui permet de conduire une lecture qui sous-tend l’action dramatique avec fluidité, et qui privilégie la nature mélodique de la musique. La souplesse et la douceur de luminosité prédominent. Le chœur s’inscrit par ailleurs dans ce même esprit, fervent et contrôlé.

Etienne Dupuis, Judit Kutasi, Anna Pirozzi et Yusif Eyvazov

Etienne Dupuis, Judit Kutasi, Anna Pirozzi et Yusif Eyvazov

Un temps éclipsé du répertoire de l’Opéra de Paris au cours des années 80 et 90, ‘Il Trovatore’ a ainsi retrouvé les faveurs du public, et fait dorénavant partie des 15 titres les plus joués de l’institution.

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Publié le 21 Janvier 2023

La période 2021 à 2025 est assez pauvre en éclipses de Soleil sur l’ensemble du globe, et seule celle du 08 avril 2024, dont la totalité traversera le Mexique et les États-Unis, touchera des dizaines de millions de personnes. D’ici là, une éclipse hybride frôlera la pointe ouest le l’Australie le 20 avril 2023, et un autre éclipse annulaire reliera le sud-ouest des États-Unis au Brésil le 14 octobre 2023.

En 2023, la meilleure période pour observer Saturne se situera à la fin du mois d'août, Jupiter, au début de novembre, Mercure, autour du 08 avril matin et du 21 septembre matin, et Vénus, fin juin, le soir, et mi septembre, le matin. Mais Mars restera très éloignée de la Terre toute l’année.

La Lune vue depuis Paris le 29 octobre 2022

La Lune vue depuis Paris le 29 octobre 2022

A Paris, il sera possible d'observer une légère éclipse partielle de Lune le 28 octobre de 21h40 à 22h50.

Le carnet de notes ci-après marque les périodes favorables d'observation des planètes (les dates de début et fin correspondent aux moments où leur diamètre apparent atteint 95% de leur maximum annuel) et les conditions sont données pour Paris en heure locale.

Passage de l'ISS près de Vénus et Saturne le 22 janvier 2023 à partir de 18h29

Passage de l'ISS près de Vénus et Saturne le 22 janvier 2023 à partir de 18h29

Janvier-février 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
22 janvier 7h50 Mercure dans le ciel du matin 130° Ø 7,9"
22 janvier 18h29

Conjonction Vénus/Saturne avec passage de l'ISS aux abords

237° Distance de 23’
22 février 19h30 Conjonction Jupiter/Lune/Vénus 255° 17° Zone de 6°

 

Conjonction Jupiter/Lune/Vénus le 22 février 2023 à 19h30

Conjonction Jupiter/Lune/Vénus le 22 février 2023 à 19h30

Mars-avril 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
01 mars 19h30 Conjonction Jupiter/Vénus 250° 16° Distance 40'
08 avril 21h00 Mercure dans le ciel du soir 280° 11° Ø 7,0"
20 avril 05h30 Eclipse hybride de Soleil en Australie 23° 54° Durée 1 mn

 

Mercure dans le ciel du soir le 08 avril à 21h

Mercure dans le ciel du soir le 08 avril à 21h

Mai-juin 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
04 juin 22h15 Vénus dans le ciel du soir 275° 25° Ø 23,6"
14 juin 04h35 Conjonction Jupiter/Lune 80° 10° Distance 1°
30 juin 03h35 Saturne dans le ciel du matin 140° 23° Ø 18"

 

Conjonction Jupiter/Lune le 14 juin 2023 à 04h45 à l'horizon Est

Conjonction Jupiter/Lune le 14 juin 2023 à 04h45 à l'horizon Est

Juillet-août 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
01 juillet 22h45 Vénus dans le ciel du soir 285° Ø 40"
17 août 04h30 Uranus dans le ciel du matin 180° 59° Ø 3,6"
28 août 01h55 Saturne en milieu de nuit 115° 42° Ø 19"
30 août 06h00 Vénus dans le ciel du matin 80° Ø 51"

 

Mercure dans le ciel du matin, le 21 septembre à 07h00 à 10° au dessus de l'horizon Est

Mercure dans le ciel du matin, le 21 septembre à 07h00 à 10° au dessus de l'horizon Est

Septembre-octobre 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
21 septembre 07h00 Mercure dans le ciel du matin 90° 10° Ø 7,4"
25 septembre 00h30 Jupiter en milieu de nuit 180° 56° Ø 47''
14 octobre 19h00 Eclipse annulaire de Soleil au Nicaragua 210° 68° Durée 5 mn
24 octobre 07h20 Vénus dans le ciel du matin 120° 30° Ø 24"
24 octobre 21h50 Saturne dans le ciel du soir 180° 28° Ø 18"
28 octobre 21h40 Eclipse partielle de Lune 105° 30° Début
28 octobre 22h50 Eclipse partielle de Lune 120° 40° Fin

 

Maximum de l'éclipse partielle de Lune le 28 octobre à 22h15

Maximum de l'éclipse partielle de Lune le 28 octobre à 22h15

Novembre-décembre 2023

Jour Heure Evènement Azimut Hauteur Commentaires
04 novembre 00h30 Jupiter en milieu de nuit 180° 55° Ø 49,5"
16 novembre 00h25 Uranus en milieu de nuit 180° 59° Ø 3,8"
08 décembre 22h00 Jupiter en début de nuit 180° 53° Ø 47"

 

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Rédigé par David

Publié dans #Astres

Publié le 19 Janvier 2023

Tristan und Isolde (Richard Wagner - 1865, Munich)
Représentations du 17 janvier et du 04 février 2023
Opéra Bastille

Isolde Mary Elizabeth Williams
Tristan Michael Weinius
Brangäne Okka von der Damerau
Kurwenal Ryan Speedo Green
König Marke Eric Owens
Melot Neal Cooper
Ein Hirt, ein Seeman Maciej Kwaśnikowski
Der Steuermann Tomasz Kumiega

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Peter Sellars (2005)
Corps terrestres Jeff Mills et Lisa Rhoden, John Hay et Sarah Steben
Vidéo Bill Viola

En collaboration avec la Los Angeles Philharmonic Association et le Lincoln Center for the Performing Arts

Spectacle emblématique de la première saison de Gerard Mortier en 2005, qui réunissait Ben Heppner et Waltraud Meier sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, ce ‘Tristan und Isolde’ novateur par l’importance donnée à la technologie vidéographique de Bill Viola n’aurait pas dû se poursuivre au-delà de 2009, car ses droits de diffusion étaient initialement limités. 

Finalement, Nicolas Joel, Stéphane Lissner, et dorénavant Alexander Neef, ont eu l’occasion de le reprendre, ce qui lui aura donné une longévité de 18 ans. 

Mary Elizabeth Williams (Isolde) et Michael Weinius (Tristan)

Mary Elizabeth Williams (Isolde) et Michael Weinius (Tristan)

Le pouvoir évocateur de ces images alliées à la musique est imparable, que ce soit la scène des cierges dans une lueur d’ambre, les flots où s’engouffrent les corps des amants, la dilution des formes, le voyage vers les fonds marins selon les méandres orchestraux, et, bien sûr, l’embrassement d’un mur de feux devant lequel surgit une femme, suivi par l’ascension de Tristan qui se désincarne dans un océan de bleu.

Pour cette sixième série - la production aura atteint 46 représentations le 04 février 2023 -, la direction musicale est confiée à Gustavo Dudamel qui vient de diriger ce même ‘Tristan Project’ au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles du 09 au 17 décembre 2022, là où il fut créé en décembre 2004, la mise en scène de Peter Sellars étant originalement conçue pour l’Opéra national de Paris.

Okka von der Damerau (Brangäne), Michael Weinius (Tristan) et Elizabeth Williams (Isolde)

Okka von der Damerau (Brangäne), Michael Weinius (Tristan) et Elizabeth Williams (Isolde)

L’interprétation est très différente de celle de Salonen, tant la vigueur et la clarté théâtrale prédominent. Des cuivres explosifs au son compact et finement ciselés, des cordes où subsiste la sensation de la matière, une ligne dramaturgique vivante, et toujours une très belle rondeur lumineuse des vents bois, éloignent cette conception des visions plus sombres et profondes de ‘Tristan und Isolde’ où les tissures orchestrales s’évadent à l’infini.

Manifestement, ce retour au concret va de concert avec la manière dont Peter Sellars a retravaillé sa mise en scène. Ainsi, l’éclairage s’intensifie fortement sur l’action scénique afin de créer un meilleur équilibre avec les vidéos, et les personnages jouent de manière plus réelle et manifeste, avec une expression de geste plus directe. 

L’invitation au rêve symbolique et idéalisant que représente l’œuvre s’estompe subtilement afin de raconter ce drame de façon plus humaine. Une des forces de ce travail réside dans la manière de faire intervenir Brangäne, le marin et le berger, Kurwenal ainsi que les cors et le chœur depuis les galeries de l’opéra Bastille, le spectateur se sentant encerclé par les voix dont il peut aussi apprécier les timbres bruts.

Tristan und Isolde (Williams Weinius Dudamel Sellars) Opéra de Paris

La distribution réunie se soir se compose en grande partie des mêmes chanteurs invités à Los Angeles. Michael Weinius, Okka von der Damerau, Ryan Speedo Green et Eric Owens n’ont probablement pas eu besoin de trop répéter, puisqu’ils étaient du voyage Outre-Atlantique le mois dernier.

Michael Weinius, qui interprétait Erik dans la reprise du Vaisseau Fantôme’, la saison dernière, débute par une incarnation tendre et solide de Tristan. La clarté et la précision de diction prédominent, et la qualité de son timbre dans le médium lui permet d’offrir un Tristan sobre et bien chantant.

Toutefois, dans le troisième acte, les souffrances qu'endure Tristan s’expriment avec un relief insuffisamment marqué pour qu’elles soient aussi prégnantes que celles d’autres interprètes aux couleurs plus torturées, le pouvoir de l’orchestre et des images prenant ainsi le dessus.

Ryan Speedo Green (Kurwenal), Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan), Mary Elizabeth Williams (Isolde), Neal Cooper (Melot)

Ryan Speedo Green (Kurwenal), Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan), Mary Elizabeth Williams (Isolde), Neal Cooper (Melot)

Sa partenaire, Mary Elizabeth Williams, n’a abordé le rôle d’Isolde que tout récemment à l’opéra de Seattle en début de saison. Elle n’est pas inconnue de l’institution parisienne, puisqu’elle a remporté en 2003 le prix lyrique de l’Académie de l’Opéra de Paris dont elle était membre. 

D’emblée, c’est la tessiture puissante et aigüe qui est sollicitée, et le rendu en salle sonne d’un métal tranchant avec des couleurs très disparates. Le rendu psychologique est donc celui d’une femme fortement blessée, déstabilisée, fonctionnant à l’instinct, qui ne se recentre que dans les passages plus posés dans le médium où son timbre retrouve une pleine unité. Les nuances apaisées du Liebestod final l’illustrent pleinement, et elle ne lâche rien de l’aplomb avec lequel elle portera Isolde jusqu’au bout.

Cette interprétation écorchée, dénuée de sensualité mais non de sensibilité, a visiblement déplu à un certain public wagnérien dont la pénétrance des lâches huées a choqué d’autres spectateurs.

Mais le plus beau réside dans la réaction bien plus importante de ceux qui, notamment jeunes et situés dans les balcons, ont salué chaleureusement cette artiste, malgré toutes les réserves que l’on peut avoir, car ils représentent la part du public qui écoute autant avec son cœur qu’avec ses oreilles.

Cela prouve qu’entre un public cultivé, parfois rongé d'aigreurs, et un public de cœur, mieux vaut préférer le second.

Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan) et Mary Elizabeth Williams (Isolde)

Eric Owens (Le Roi Marke), Michael Weinius (Tristan) et Mary Elizabeth Williams (Isolde)

Mais d’autres chanteurs faisaient aussi leurs débuts sur la scène parisienne, à commencer par Okka von der Damerau, bien connue de la scène munichoise, où elle incarnait Brangäne lors de la prise de rôle de Jonas Kaufmann dans la mise en scène de 'Tristan und Isolde' par  Krzysztof Warlikowski, et de Bayreuth où elle fut une splendide Erda l’été dernier. Largeur vocale aux reflets cuivrés, rayonnement crépusculaire intense, elle accentue la personnalité charnelle de la servante d’Isolde, et représente une forme de sagesse maternelle supérieure.

Un autre artiste attaché au New-York Metropolitan Opera depuis 15 ans, Eric Owens, apparaît pour la première fois à Bastille, dans le rôle du Roi Marke. On assiste aux pleurs monolithiques d’un père lorsqu’il se trouve auprès de Tristan, très émouvants par leur noirceur bienveillante, et non aux reproches d’un roi autoritaire, froid et dominant. Il se situe ainsi sur le même plan que Tristan, avec presque trop d’humilité.

Très expressif au jeu théâtral consistant, le Kurwenal de Ryan Speedo Green est très impliqué, avec un chant percutant, comme si il était l’ami qui secoue fortement ce Tristan qui ne semble pas réagir aux dangers de situation. 

Maciej Kwaśnikowski, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Mary Elizabeth Williams, Gustavo Dudamel, Michael Weinius, Okka von der Damerau, Neal Cooper, Tomasz Kumiega

Maciej Kwaśnikowski, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Mary Elizabeth Williams, Gustavo Dudamel, Michael Weinius, Okka von der Damerau, Neal Cooper, Tomasz Kumiega

Et les rôles secondaires sont très bien tenus par Neal Cooper, déjà Melot lors de la dernière reprise, Tomasz Kumiega en pilote, et Maciej Kwaśnikowski qui donne beaucoup de personnalité, avec une belle assurance, au berger et au jeune marin, d’autant plus qu’il est magnifiquement mis en valeur par ses deux apparitions situées en galeries.

Il s'agit ainsi d'une version attachante par la diversité des réactions qu’elle suscite dans la salle, et qui tend même à démystifier Wagner.

Gustavo Dudamel et Peter Sellars

Gustavo Dudamel et Peter Sellars

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Publié le 15 Janvier 2023

Un mois à la campagne (Ivan Tourgueniev – 1850, création à Moscou en 1872)
Traduction Michel Vinaver – Texte publié aux éditions L’Arche Editeur (2018)
Représentation du 11 janvier 2023
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet

Alexeï Nikolaïtch Beliaev Louis Berthélémy
Natalia Petrovna Clémence Boué
Athanase Ivanovitch Bolchintsov Jean-Noël Brouté
Mikhaïl Alexandritch Rakitine Stéphane Facco
Anna Semionovna Islaïeva Isabelle Gardien
Véra Alexandrovna Juliette Léger
Arkady Serguïeitch Islaïev Guillaume Ravoire
Lizaveta Bogdanovna Mireille Roussel
Ignace Ilitch Chpiguelski Daniel San Pedro
Kolia Lucas Ponton

Mise en scène Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie Française
Production déléguée La Compagnie des Petits Champs

Création : novembre 2022 au Théâtre des Célestins – Lyon

Coproduction Théâtre des Célestins, Scène Nationale d’Albi, Théâtre de Caen, Théâtre de Chartres – Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création, Maison de la Culture d’Amiens, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, et avec la participation artistique du Jeune théâtre national.

En mars 2018,  Alain Francon mis en scène au Théâtre Déjazet ‘Un mois à la campagne’ d’ Ivan Tourgueniev dans une nouvelle traduction de Michel Vinaver, romancier familier de la langue russe.

Cette pièce, qui n’a plus été montée à la Comédie Française depuis 1997, ne raconte pas une action en soi, mais laisse plutôt se développer des méandres amoureux et des analyses sans fin d’une famille aisée de la campagne russe qui se trouve bouleversée par l’arrivée, en début de mois, d’un jeune étudiant, Alexeï Nikolaïtch Beliaev, chargé de l’éducation de Kolia, le fils des propriétaires Natalia Petrovna et Arkady Serguïeitch Islaïev.

Bien avant Anton Tchekhov, Ivan Tourgueniev aborde ainsi le thème des sentiments intérieurs qui se jouent des classes sociales, au point d’arriver à faire imploser des relations humaines socialement bien établies, et à obliger tout le monde à se séparer.

Louis Berthélémy (Beliaev) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Louis Berthélémy (Beliaev) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Clément Hervieu-Léger, comédien et sociétaire de la Comédie Française (2018), présente au Théâtre de l’Athénée sa propre mise en scène d’‘Un mois à la campagne’ avec les acteurs de La Compagnie des Petits Champs qu’il a créé en 2010 avec Daniel San Pedro. Il met de côté le caractère pittoresque original de la pièce en lui donnant une modernité banale, sans forcer le trait, qui s’insère naturellement dans la réalité humaine d’aujourd’hui.

Il peut ainsi compter sur Clémence Boué qui fait de Natalia Petrovna la parfaite bourgeoise actuelle sûre de son contrôle sur son entourage, mais aussi capable de manifester une véritable attention à l’autre. Et ce qui est intéressant dans sa manière de faire évoluer son personnage est, certes, qu’elle fait apparaître comment elle est perturbée par ses sentiments pour le jeune homme, mais sans chercher à tout tourner au tragique, tout en laissant un esprit de dérision mélancolique s’installer alors qu’elle veut rester une femme forte.

Louis Berthélémy (Beliaev)

Louis Berthélémy (Beliaev)

Louis Berthélémy n’est d’ailleurs pas tout à fait un Beliaev évanescent et innocent dans cette relation complexe. Le jeune acteur affiche un certain détachement séducteur, mais lorsque les aveux deviennent clairs entre l’étudiant et la maîtresse de maison, la nervosité de son personnage traduit des conflits intérieurs, comme si tout n’était pas aussi pur en lui.

On ne peut inévitablement s’empêcher de sourire à la tentative de rationalisation à outrance qu’offrent Guillaume Ravoire et Stéphane Facco, lorsqu’Arkady, le mari de Natalia, pense que c’est Rakitine dont elle est amoureux. Se joue une explication qui se veut posée, tout à fait à l’image d’un milieu qui prétend pouvoir dominer les passions humaines.

C’est ce jeu très fin entre humour contrôlé et posture pas trop monolithique qui évite de rendre les échanges ennuyeux, et qui fait la saveur de cette représentation.

Juliette Léger (Véra) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Juliette Léger (Véra) et Clémence Boué (Natalia Petrovna)

Plus étonnant est le traitement de Kolia, incarné par Lucas Ponton, qui est volontairement enserré dans des habits étroits, un peu étouffants, qui semblent indiquer que ce jeune garçon est contraint par une éducation qui ne sait pas enseigner la liberté d’être soi. Le dernier tableau où on le voit jouer avec le cerf volant que l’étudiant lui a appris à fabriquer annonce peut-être le début d’une prise de conscience.

Car on ne peut s’empêcher d’être un peu gêné par ce milieu, très bien rendu, où le voisin Athanase (Jean-Noël Brouté), le docteur Ignace (Daniel San Pedro), par exemples, incarnent des rôles plus que des êtres.

La puissance scénique de Mireille Roussel, la gouvernante, fait un excellent contrepoids car tout paraît grave et entier chez elle, simplement par le regard et les attitudes.

Isabelle Gardien (Anna Islaïeva), Mireille Roussel (Lizaveta) et Stéphane Facco (Rakitine)

Isabelle Gardien (Anna Islaïeva), Mireille Roussel (Lizaveta) et Stéphane Facco (Rakitine)

Règne ainsi une très belle unité entre tous ces caractères assez différents, Juliette Léger tirant Véra  sur son naturel frénétique, et Isabelle Gardien, qui a quitté la troupe de la Comédie Française en 2010, faisant vivre chez Anna Islaïeva une sévère autorité qui n’échappera pas, elle aussi, aux émotions profondes.

La pièce dure un peu plus de deux heures, les éléments scéniques, tréteaux, meubles et éclairages chaleureux restent assez simples, et le plaisir, tout comme la concentration, sont favorisés par l’intimité de la salle de l’Athénée qui est un lieu idéal pour s’imprégner de toutes ces réflexions obsédantes et très humaines. Et quelle surprise, en tout début de représentation, que d'entendre un air enregistré de l'opéra de Vincenzo Bellini 'I Capuleti e i Montecchi', version belcantiste de 'Roméo et Juliette', qui traduit peut-être l'aspiration amoureuse profonde de Natalia Petrovna.

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